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Téné Gaye, Secrétaire général du Syndicat des Inspecteurs et Contrôleurs du Travail : «95 % des conflits sont remportés par les travailleurs»

Rédigé par leral.net le Mercredi 31 Mai 2023 à 21:10 | | 0 commentaire(s)|

Coordonnateur des inspecteurs du travail, secrétaire général national du Syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail du Sénégal, Tene Gaye, évoque, dans cet entretien, les attaques dont sa corporation est victime. L’inspecteur régional du travail de Thiès parle aussi de la situation du travail et des relations professionnelles dans la région. Le syndicaliste donne également […]

Coordonnateur des inspecteurs du travail, secrétaire général national du Syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail du Sénégal, Tene Gaye, évoque, dans cet entretien, les attaques dont sa corporation est victime. L’inspecteur régional du travail de Thiès parle aussi de la situation du travail et des relations professionnelles dans la région. Le syndicaliste donne également sa lecture de la pratique syndicale au Sénégal. 

Propos recueillis par Ndiol Maka SECK 

En tant qu’inspecteur régional du travail de Thiès, pouvez-vous nous dire ce qui est à l’origine des conflits entre employeurs et employés dans la région ? 

Nous sommes chargés de veiller à ce que les pratiques en entreprise soient conformes à la réglementation du travail. Pour cette raison, nous effectuons des contrôles en entreprise comme des contrôles sur pièces. Nous traitons également des requêtes que nous recevons des parties, à savoir les travailleurs et les employeurs. C’est tout cela qui fait l’actualité sociale au niveau de la région de Thiès. Les causes des requêtes sont souvent liées aux contrats de travail que les gens ne donnent pas ou simplement qu’ils ne signent pas, c’est-à-dire, une absence totale de contrat dans les relations professionnelles. Parfois, c’est le contenu du contrat qui est en cause. Les salaires ne sont pas indexés au salaire minimum. Il y a aussi la question des cotisations au niveau des Instituts de protection sociale (Ips) à savoir l’Institut de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) et l’Institut de prévoyance maladie (Ipm). C’est-à-dire que l’employeur a coupé les cotisations à la source, mais ne les reverse pas aux Ips.  La question des travailleurs de maison est aussi fréquente dans la région, surtout à Saly. Après, il y a les conflits collectifs. Ce sont des questions qui ne sont pas forcément du droit, mais des revendications que portent les syndicats et les délégués du personnel.

Pouvez-vous nous donner le nombre de saisines enregistrées en 2022 ? 

Nous avons reçu plus de 500 saisines. Dans la plupart des cas, des solutions ont été trouvées. Á défaut, nous transmettons le dossier au tribunal du travail pour le conflit individuel. Pour le conflit collectif, le tribunal est incompétent. Si les parties ne s’accordent pas, les travailleurs peuvent déposer un préavis, et aller en grève au bout de ce préavis, s’ils le souhaitent.

Effectuez-vous des visites inopinées dans les entreprises pour des contrôles ? 

Les contrôles, c’est notre pain quotidien. Nous sommes une administration debout. Être au bureau doit être l’exception. La règle, c’est le terrain. Nous nous fixons des objectifs annuels de contrôle que nous essayons d’atteindre.  Ainsi, était-il prévu de faire 650 contrôles, l’année. En 2022, 611 ont été effectués. Malheureusement, le personnel a diminué avec les nombreux départs. Nous ne sommes que 11 actuellement dont deux inspecteurs.  Mais nous allons nous y atteler pour atteindre cet objectif.

On remarque aussi qu’il y a une floraison de sociétés d’intérim qui placent à tout-va des travailleurs intérimaires dans des conditions de grande précarité. Un rappel à l’ordre n’est-il pas nécessaire ? 

La loi a prévu l’intérim, mais aussi la sous-traitance. Mais elle les a réglementés. L’intérim vise des emplois de courte durée. Autrement dit, l’intérimaire ne peut pas être dans tous les emplois. Mais ce qu’on voit à Thiès et même dans tout le Sénégal est qu’une société d’intérim est créée pour pourvoir à toute sorte d’emploi. Non. Ce n’est pas ça. L’intérim doit pourvoir principalement trois emplois. C’est le cas quand un travailleur est indisponible au sens de l’article L70 du Code du travail, l’emploi est suspendu, on peut faire appel à l’intérimaire en attendant que le titulaire revienne. Ça peut aller jusqu’à deux ans et même plus. L’autre cas, c’est l’emploi temporaire. Si l’entreprise a un surcroit d’activités, elle peut faire appel à un travailleur temporaire pour pourvoir ces emplois le temps de régler le problème. La dernière possibilité de recourir à l’intérim, c’est pour un travail journalier. Là aussi, en cas de surcroit d’activités, l’entreprise peut faire appel à des travailleurs temporaires pour des travaux non essentiels dans l’entreprise. Voila le champ de l’intérim. Au-delà de ces situations, si l’activité est normale, permanente, on ne peut pas pourvoir un intérim.

Dès mon arrivée, mon équipe et moi, nous nous sommes attaqués à cela. Aujourd’hui, on a fait retourner aux Ics 240 travailleurs. Ils sont aujourd’hui dans la seconde phase de réintégration.  C’est la dernière en date, mais nous avons fait réintégrer pas mal de travailleurs à Dangote (plus de 300 travailleurs), à l’aéroport, etc. Ces emplois, confiés à des sociétés d’intérim, ne devaient pas l’être. Il fallait corriger cela. Dieu a fait que nous avons eu du succès. Nous avons aussi regroupé presque toutes les sociétés d’intérim à Thiès pour leur expliquer ce que c’est l’intérim. Ce qu’elles font n’est pas en accord avec ce qui a été prévu dans les recommandations, et il fallait corriger.

Par le passé, il se posait souvent un problème de moyen dans les inspections régionales. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

La situation s’est nettement améliorée. En tant que secrétaire général national du syndicat des inspecteurs et contrôleurs du travail du Sénégal, je suis bien placé pour le dire. Je suis aussi le coordonnateur des inspecteurs généraux du Sénégal. L’État a fait des efforts avec la construction de neuf inspections du travail dont celle de Thiès. D’autres sont en construction. Ensuite, nous avons un partenaire stratégique qui est la Giz qui nous aide dans l’équipement. Le 1er mai dernier, le Chef de l’État a remis 16 véhicules aux inspections du travail. Nous l’en remercions. Nous ne sommes pas des nihilistes. Quand quelqu’un fait du bien, il faut le remercier. Le Président a beaucoup fait pour l’Administration du travail depuis qu’il est au pouvoir.

Pourtant, on continue de dire que les agents de l’administration du travail sont les moins lotis par rapport aux autres corps sortants de l’Ena… 

Nous ne pouvons pas être à la même hauteur que ceux qui sont dans les régies financières parce qu’ils prennent des risques, ils manipulent de l’argent. Ils ne peuvent pas être logés à la même enseigne que tout le monde. Il faut les mettre à l’abri du besoin. Si aujourd’hui, on a une bonne administration fiscale, c’est parce que les travailleurs sont bien traités. Dans beaucoup de pays où ce traitement n’existe pas, la corruption a pris le dessus. On ne souhaite pas en arriver là. Aujourd’hui, nos salaires sont payés à partir de la fiscalité, en tout cas en grande partie. Des investissements sont faits à partir de ces recettes fiscales et douanières. Aucune administration ne doit  se prévaloir d’être logée à la même enseigne que ces gens. Si on est sortant de l’Ena, une école prestigieuse où la sélection est très rude, on ne doit pas gérer des détails. On ne doit pas aussi avoir des problèmes de survie. Les autorités l’ont d’ailleurs très bien compris. Le Chef de l’État a fait beaucoup d’efforts vis-à-vis de tous les fonctionnaires. On ne se plaint pas non plus. Mais, que les choses soient améliorées. D’ailleurs, nous avons des doléances sur la table du Ministre des Finances. Nous attendons le résultat. Mais, dans la limite du possible. Nous sommes bien placés pour savoir ce que l’État peut faire et ce qu’il ne peut pas. C’est pourquoi nous demandons toujours des choses raisonnables que l’État peut satisfaire. Nous ne nous comparons pas aux autres. Nos conditions sont nettement améliorées. Mais nous demandons plus.

Nous avons aussi remarqué que vous subissez parfois des attaques venant notamment de quelques activistes. Ils disent que certains inspecteurs du travail sont parfois de connivence avec des chefs d’entreprise. Que répondez-vous ? 

Ce ne sont que des idées arrêtées. Au Sénégal, on accuse sans savoir. Quelqu’un comme Guy Marius Sagna, on peut le-lui pardonner parce que c’est peut-être par ignorance. Mais quelqu’un comme Dame Mbodj, on ne peut pas  lui pardonner ces allégations. Parce qu’à son niveau intellectuel et de responsabilité, il ne peut pas avancer des choses qu’il ne maitrise pas. Il a la latitude de s’informer. Dire que l’inspecteur du travail doit fermer telle entreprise, c’est ne rien comprendre. L’inspecteur n’a pas la prérogative de fermer une entreprise. Le domaine du travail est purement technique. Pour en parler, il faut se former où recourir à un sachant. Trainer des pères de famille, des professionnels et d’honnêtes citoyens dans la boue, avec une telle légèreté, pose problème. S’ils avaient seulement jeté un coup d’œil sur le site du ministère du Travail ou s’étaient renseignés auprès des tribunaux du travail, ils sauraient que 95% des conflits sont remportés par les travailleurs. Cette administration du travail dont ils parlent n’existe pas au Sénégal. Dans notre pays, les travailleurs sont bien traités. Chaque année, plus de 15 milliards de FCfa sont versés à des travailleurs par des employeurs pour des procès qui sont remportés ou des protocoles signés.

En tant que syndicaliste dans le milieu enseignant d’abord et aujourd’hui dans la haute administration, quel regard portez-vous sur le mouvement syndical au Sénégal ? 

J’ai beaucoup appris du syndicalisme. Avant même que je ne sorte de l’enseignement, je m’étais déjà fait une religion. La manière dont nous faisons le syndicalisme n’est pas bonne. Nous n’avons retenu du syndicalisme que la revendication. Alors qu’il y a beaucoup de formes de syndicalisme que nous n’avons pas exploré. Le syndicalisme révolutionnaire et utopiste, etc., nous l’avons hérité de la France.

Quelle forme de syndicalisme préconisez-vous ? 

J’ai appris d’autres formes de revendication : l’école allemande, belge, etc. Ces écoles ont mis en place d’autres formes de revendication qu’on appelle le dialogue social. Les travailleurs sont associés à la vie de l’entreprise, ils ont l’information qu’ils doivent avoir de l’entreprise. Cela fait qu’ils ne poseront que les problèmes qui sont solvables. C’est comme un mariage où la dame ne demande pas ce qu’on n’a pas et que le mari aussi de son côté ne refuse pas ce qu’il peut satisfaire. Cette forme d’alliance a été cultivée dans ces pays. Mieux aujourd’hui, on a des travailleurs qui siègent au Conseil d’administration des entreprises. Ainsi, l’entreprise n’est pas vue comme un ennemi à abattre mais comme un partenaire. C’est ce qu’on appelle la Participation responsable.

 

 



Source : https://lesoleil.sn/tene-gaye-secretaire-general-d...