Quand Léa Soukeyna Ndiaye débarqua un matin dans la rédaction de la TFM, elle fut plutôt fraîchement accueillie. En guise de bizutage, je lui proposai de commencer son immersion par un reportage à la rue 5 de la Médina, chez les… bouchers. Une façon de titiller son ego et de tester sa capacité d’adaptation dans une rédaction où l’on ne faisait pas de cadeaux aux « nouveaux».
L’impétrante, recrutée par le patron de la boîte pour être l’une des reines du « 20h » fut estomaquée et quelque peu déstabilisée par cette proposition qu’elle considérait comme un crime de lèse-majesté. Mais, sans me démonter face à son incompréhension, je restai imperturbable et lui opposai tranquillement l’un de mes mantras : la rédaction de la TFM est d’abord bâtie autour de reporters, véritables tauliers de l’info qui, pour moi, sont les vraies « stars » et dont n’importe quelle présentatrice doit d’abord gagner le respect pour espérer survivre dans cette jungle. Mieux, je lui fis remarquer que, malgré mon titre ronflant de « Directeur de l’information », je ne rechignais pas à mettre la main dans le cambouis, en effectuant régulièrement des reportages parfois compliqués dans la sous-région.
Quelques mois plus tard, ce traitement de choc appliqué à Léa Soukeyna Ndiaye, qui s’en remit très vite, allait s’avérer payant et valoir à la TFM l’un de ses plus beaux scoops. Informé par le Dr Dialo Diop de la présence à Dakar de l’historienne Armelle Mabon, qui menait un combat inlassable pour la vérité sur le carnage perpétré par l’armée française contre les « Tirailleurs sénégalais » à Thiaroye, je décidai, sans m’en référer à la hiérarchie, de tenter un coup de poker : jeter un pavé dans la mare, en prime time, en relayant les thèses iconoclastes d’Armelle Mabon, quitte à assumer par la suite les conséquences d’un éventuel incident diplomatique.
Le casting Léa-Armelle devait envoyer le message suivant à qui de droit : c’est une historienne française, parfaitement posée et crédible, interrogée par une journaliste dont la mère est elle-même française, qui allait donner le coup de grâce au mensonge d’État de la France. Dès les premières minutes de l’entretien, mené tambour battant par une Léa survoltée, je sus que le pari était gagné en voyant les mines ahuries des techniciens présents à la régie. Tout y passa : les vrais chiffres du massacre, les fosses communes où les victimes avaient été ensevelies à la hâte, la rétention des archives secrètes de l’armée française, qui continuait à multiplier les manœuvres dilatoires sur le sujet…
Avant même la fin de l’entretien, je reçus un coup de fil d’un confrère du journal L’Observateur (Mor Talla Gaye, si mes souvenirs sont bons), qui cherchait coûte que coûte le contact d’Armelle. D’autres demandes d’interviews suivirent immédiatement.
Ironie de l’histoire, l’un des meneurs de l’ombre de ce « putsch télévisuel », le Dr Dialo Diop Blondin, est aujourd’hui conseiller spécial du Président Bassirou Diomaye Faye, en charge des questions mémorielles. Il est, à ce titre, l’une des chevilles ouvrières de la commémoration du 80? anniversaire de la tragédie de Thiaroye, qui eut lieu un triste matin de décembre 1944.
Source : https://www.xalimasn.com/thiaroye-44-le-jour-ou-ar...