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Transferts d’argent : les migrants affectés par la crise

Eco - Les travailleurs immigrés en France envoient chaque année plusieurs milliards d’euros à leur famille restée dans leur pays. La crise économique est venue diminuer le montant des transferts. Ce recul a des conséquences sur la vie des familles qui en sont bénéficiaires, tandis que les migrants en France se serrent la ceinture pour envoyer le plus d’argent possible.


Rédigé par leral.net le Lundi 4 Janvier 2010 à 17:48 | | 0 commentaire(s)|

Transferts d’argent : les migrants affectés par la crise
Kanoté fait la queue à la « Société financière de paiement » boulevard Magenta à Paris. L’homme a à peine quarante ans mais en fait dix de plus. Le regard perdu, flottant dans un parka vert trop grand pour lui, Kanoté tripote du bout de ses doigts abîmés par le travail sa fermeture éclair en attendant qu’un guichet se libère. Face à l’agent, il sort de son manteau une enveloppe de laquelle il extrait soigneusement dix billets de 20 euros. « C’est pour mes enfants » confie le Sénégalais, ouvrier dans le bâtiment. Puis il remplit un formulaire et paye les frais de transfert : les enfants de Kanoté pourront toucher la somme dans un bureau de poste au Sénégal dans l’heure qui suit.
Kanoté est loin d’être le seul travailleur immigré à envoyer de l’argent à sa famille restée au pays. Selon la Banque Mondiale, près de 9 milliards d’euros ont été envoyés par des travailleurs immigrés en France vers leur pays d’origine en 2007. Les flux partants de France sont principalement destinés à l’Algérie, au Mali, au Maroc, au Sénégal, à la Tunisie et aux Comores. Une somme que la crise est cependant venue affecter. Les transferts de fonds devraient baisser de 6,1% en 2009, toujours selon la Banque Mondiale. Cette chute s’explique car la crise a été particulièrement sévère pour les secteurs de la construction, de l’automobile et l’intérim : autant de postes largement occupés par des migrants.
« Face humaine de la mondialisation »
En 2008 les transferts financiers des migrants dans le monde ont atteint 338 milliards de dollars. Soit trois fois le montant de l’aide mondiale au développement. Les transferts de fonds ont tendance à tirer vers le haut la croissance des pays qui en sont bénéficiaires. Ils augmentent les ressources des ménages et stimulent leur consommation. Pour Didier Doucet, membre du Centre d’Analyse Stratégique (organisme dépendant du Ministère des finances) les transferts de fonds sont la « face humaine de la mondialisation, ils servent de filet de protection sociale aux familles qui les reçoivent. On estime qu’une hausse de 10% du ratio transfert/PIB entraîne une baisse de 1% des personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour. »
La solidarité familiale, remède miracle contre la pauvreté ? « Dans les familles plus pauvres, les envois de fonds sont souvent destinés à la consommation. Mais dès lors que les besoins basiques de consommation sont satisfaits, les transferts de fond servent à financer l’éducation, la santé, le logement et de petits investissements économiques » affirme Dilip Ratha, expert des questions d’envois de fonds à la Banque mondiale.
« Quand je mets moins d’argent dans l’enveloppe, je me sens un mauvais père »
Les envois d’argent depuis l’étranger représentent 10% du PIB marocain, 12,5% du PIB malien et 21% de PIB des Comores. A cause de la diminution des transferts de fonds, 55 à 90 millions de personnes risquent de tomber dans l’extrême pauvreté, selon un rapport publié par la Banque Mondiale en avril dernier. Dabo*, travailleur immigré en France et sa famille pourraient bien faire partie de ces victimes oubliés de la crise.
Dabo vit et travaille clandestinement en France depuis 5 ans. Grand gaillard à la carrure imposante, il enchaîne les petits boulots. Comme Kanoté, il envoie tous les mois un peu d’argent à sa famille restée au Mali. Mais cette somme a diminué cette année. Travailleur intérimaire, les missions qui lui sont proposées se font de moins en moins fréquentes, même pour « les petits boulots dont personne ne veut ». Le jeune homme essaie d’économiser sur les frais de la vie quotidienne pour ne pas trop rogner sur la part qu’il consacre aux siens « quitte à devoir marcher pour aller travailler plutôt que de payer pour un ticket de métro. »
Sa famille est durement touchée par la chute des envois, « ma femme, Fatou, et moi, nous voulons que notre fils aille à l’école. Mais cette année, il a dû arrêter et travailler. La crise ce n’est pas de ma faute. Mais dès que je mets moins d’argent dans l’enveloppe, je me sens un mauvais père. » Dabo envoie jusqu’à 800 euros par mois à sa famille, soit près de 70% de son salaire mensuel.
Le coût des transferts
Au sommet du G8 à l’Aquila en juillet dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement ont reconnu l’impact des flux des envois de fonds sur le développement des pays bénéficiaires. Ils se sont fixé comme objectif de réduire le coût d’envoi de 50% durant les cinq prochaines années. Car envoyer de l’argent coûte cher. Les organismes tels que Western Union peuvent prélever jusqu’à 25% de la somme à transférer.
Alors, les travailleurs immigrés se débrouillent, s’organisent, font passer des enveloppes de main en main pour qu’elles parviennent à leurs familles. Kanoté a un visa de travail, il peut donc rentrer au Sénégal de temps en temps sans avoir à craindre de ne pouvoir remettre les pieds en France. « Dès que je vais à Dakar, je pars avec quelques centaines d’euros pour les familles des autres. » Avant d’ajouter « moi je ne le ferai pas, je n’ai pas confiance ». Difficile de contourner les deux géants du transfert, Western Union et Money Gram. A eux deux ils contrôlent près de 65% des points de paiement où les envois de fonds sont encaissés.
« Immigration subie »
S’ils peuvent aider certaines familles à s’extraire de la pauvreté, les transferts de fonds « ne bénéficient qu’aux familles qui ont des parents à l’étranger », rappelle Dilip Ratha, spécialiste des questions d’envoi de fonds à la Banque Mondiale. « Et le nombre de ces familles restent limité : les migrants internationaux ne représentent que 3% de la population mondiale. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que des fonds privés comme les envois de fonds répondent à des besoins publics. »Déjà avant la crise, les envois d’argent ne pouvaient constituer une réponse aux causes structurelles de la pauvreté.« Sarkozy parle de nous comme de l’immigration subie, soupire Dabo. Mais pour moi aussi, c’est de l’immigration subie. Ce n’est pas normal pour une famille d’être séparée, ma famille est malheureuse d’être loin de moi et je suis malheureux d’être loin d’eux. Mais je n’ai pas le choix, je ne suis pas venu en France pour être heureux. »
*Le prénom a été modifié
Judith Duportail source ; http://www.lecourant.info/

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