Chaque semaine, je reçois des messages désespérés de mon continent, où des familles et des amis sont sans nouvelles d’êtres chers partis pour l’Europe. « Monsieur, vous êtes mon dernier recours. Aidez-nous à retrouver mon frère ! Sa femme ne sait pas si elle doit continuer à l’attendre ou commencer son deuil », dit un message WhatsApp sur mon téléphone.
« LE PLUS SOUVENT, HÉLAS, JE NE PEUX PAS FAIRE GRAND-CHOSE »
« Oncle, je vous en prie, ne nous laissez pas ici ! Emmenez-nous avec vous ! » m’a supplié un jeune en wolof alors qu’il débarquait de l’Aquarius à Valence, en juin dernier. « Durant notre odyssée, 75 amis sont morts, et nous avons dû jeter leurs corps à la mer. Comment pourrais-je regarder leurs parents en face ? Comment me réjouir d’avoir survécu ? » m’a dit un autre Sénégalais un mois plus tard, à Dakar, dans un long monologue entrecoupé de sanglots.
Pourquoi m’écrivent-ils et m’implorent-ils ? Peut-être parce que je suis africain, que je ressemble à leur père ou à leur oncle. Assurément parce qu’ils pensent que je pourrais les aider et qu’ils ont trop peu d’autres recours. Le plus souvent, hélas, je ne peux pas faire grand-chose.
« NOUS NE VOYONS JAMAIS DE DRAPEAUX OFFICIELS EN BERNE DANS LES PAYS DE CEUX QUI ONT PÉRI »
L’Organisation internationale pour les migrations estimait , au 23 septembre, que plus de 1730 migrants avaient perdu la vie en Méditerranée depuis le début de l’année. Ils étaient 2 673 l’année dernière. L’immense majorité de ces personnes – nos frères, nos sœurs, nos fils, nos filles – viennent d’Afrique, et pour la plupart de ma région d’origine, l’Afrique de l’Ouest.
Nous voyons ces chiffres dans des publications sur papier glacé d’organisations humanitaires.
Parfois, quand les chiffres bondissent soudainement, nous voyons aussi des photos de morts anonymes dans les journaux. Mais nous ne voyons jamais de drapeaux officiels en berne dans les pays de ceux qui ont péri.
Nous n’entendons que rarement les pleurs des mères et des pères, et pas davantage les paroles d’indignation, de condamnation et de honte que devraient prononcer les dirigeants de nos pays – pour des raisons qui m’échappent totalement.
« ET POURQUOI CHEZ SOI N’EST-IL PAS PLUS SOUVENT UN LIEU ACCUEILLANT ? »
Nous autres Africains ne pouvons pas nous attendre à ce que le reste du monde connaisse ces tragédies, s’en préoccupe et y réagisse, si nous ne le faisons pas nous-mêmes. Il est temps que nous nous interrogions très sérieusement sur quelques points.
Pourquoi, en particulier dans les endroits qui ne sont pas en proie à un conflit ou à de graves violences, tant de jeunes considèrent-ils que leur avenir ne peut être qu’ailleurs ? Pourquoi, quand ils sont confrontés à des épreuves épouvantables durant leur voyage, ceux qui changent d’avis et veulent retourner chez eux ne sont-ils pas aidés à le faire dans la dignité ? Et pourquoi chez soi n’est-il pas plus souvent un lieu accueillant ?
« NOS GOUVERNEMENTS DEVRAIENT RAMENER LES DÉPOUILLES DE CEUX QUI ONT PÉRI »
Nos gouvernements devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour veiller à ce que nos concitoyens aient accès à des informations dignes de foi, afin que la décision de migrer soit prise en connaissance de cause. Aujourd’hui, ce sont les trafiquants d’êtres humains d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord qui répandent des mensonges, suscitent de faux espoirs et profitent de la détresse d’autrui.
Nos gouvernements devraient aussi proposer aux migrants de meilleurs services consulaires dans les pays de transit et de destination pour leur fournir des informations sur les canaux légaux et offrir à ceux qui le souhaitent une assistance au rapatriement. Nos gouvernements devraient ramener les dépouilles de ceux qui ont péri. Ils devraient reconnaître – et non renier – leurs propres citoyens.
Ce sont là de toutes petites demandes face à des souffrances inimaginables. Mais ce sont des mesures qui démontreront que nos pays ne sont pas indifférents au terrible sort des nôtres. Les Africains ne peuvent pas laisser ce problème à d’autres. Certes, le monde adoptera un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, à Marrakech, en décembre. Mais le fait est qu’une grande partie du problème relève de l’Afrique et devra être réglé en Afrique. Nombre de nos problèmes – et de leurs solutions – se situent chez nous. Mettons fin à l’indifférence et protégeons l’humanité.
JeuneAfrique.com
« LE PLUS SOUVENT, HÉLAS, JE NE PEUX PAS FAIRE GRAND-CHOSE »
« Oncle, je vous en prie, ne nous laissez pas ici ! Emmenez-nous avec vous ! » m’a supplié un jeune en wolof alors qu’il débarquait de l’Aquarius à Valence, en juin dernier. « Durant notre odyssée, 75 amis sont morts, et nous avons dû jeter leurs corps à la mer. Comment pourrais-je regarder leurs parents en face ? Comment me réjouir d’avoir survécu ? » m’a dit un autre Sénégalais un mois plus tard, à Dakar, dans un long monologue entrecoupé de sanglots.
Pourquoi m’écrivent-ils et m’implorent-ils ? Peut-être parce que je suis africain, que je ressemble à leur père ou à leur oncle. Assurément parce qu’ils pensent que je pourrais les aider et qu’ils ont trop peu d’autres recours. Le plus souvent, hélas, je ne peux pas faire grand-chose.
« NOUS NE VOYONS JAMAIS DE DRAPEAUX OFFICIELS EN BERNE DANS LES PAYS DE CEUX QUI ONT PÉRI »
L’Organisation internationale pour les migrations estimait , au 23 septembre, que plus de 1730 migrants avaient perdu la vie en Méditerranée depuis le début de l’année. Ils étaient 2 673 l’année dernière. L’immense majorité de ces personnes – nos frères, nos sœurs, nos fils, nos filles – viennent d’Afrique, et pour la plupart de ma région d’origine, l’Afrique de l’Ouest.
Nous voyons ces chiffres dans des publications sur papier glacé d’organisations humanitaires.
Parfois, quand les chiffres bondissent soudainement, nous voyons aussi des photos de morts anonymes dans les journaux. Mais nous ne voyons jamais de drapeaux officiels en berne dans les pays de ceux qui ont péri.
Nous n’entendons que rarement les pleurs des mères et des pères, et pas davantage les paroles d’indignation, de condamnation et de honte que devraient prononcer les dirigeants de nos pays – pour des raisons qui m’échappent totalement.
« ET POURQUOI CHEZ SOI N’EST-IL PAS PLUS SOUVENT UN LIEU ACCUEILLANT ? »
Nous autres Africains ne pouvons pas nous attendre à ce que le reste du monde connaisse ces tragédies, s’en préoccupe et y réagisse, si nous ne le faisons pas nous-mêmes. Il est temps que nous nous interrogions très sérieusement sur quelques points.
Pourquoi, en particulier dans les endroits qui ne sont pas en proie à un conflit ou à de graves violences, tant de jeunes considèrent-ils que leur avenir ne peut être qu’ailleurs ? Pourquoi, quand ils sont confrontés à des épreuves épouvantables durant leur voyage, ceux qui changent d’avis et veulent retourner chez eux ne sont-ils pas aidés à le faire dans la dignité ? Et pourquoi chez soi n’est-il pas plus souvent un lieu accueillant ?
« NOS GOUVERNEMENTS DEVRAIENT RAMENER LES DÉPOUILLES DE CEUX QUI ONT PÉRI »
Nos gouvernements devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour veiller à ce que nos concitoyens aient accès à des informations dignes de foi, afin que la décision de migrer soit prise en connaissance de cause. Aujourd’hui, ce sont les trafiquants d’êtres humains d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord qui répandent des mensonges, suscitent de faux espoirs et profitent de la détresse d’autrui.
Nos gouvernements devraient aussi proposer aux migrants de meilleurs services consulaires dans les pays de transit et de destination pour leur fournir des informations sur les canaux légaux et offrir à ceux qui le souhaitent une assistance au rapatriement. Nos gouvernements devraient ramener les dépouilles de ceux qui ont péri. Ils devraient reconnaître – et non renier – leurs propres citoyens.
Ce sont là de toutes petites demandes face à des souffrances inimaginables. Mais ce sont des mesures qui démontreront que nos pays ne sont pas indifférents au terrible sort des nôtres. Les Africains ne peuvent pas laisser ce problème à d’autres. Certes, le monde adoptera un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, à Marrakech, en décembre. Mais le fait est qu’une grande partie du problème relève de l’Afrique et devra être réglé en Afrique. Nombre de nos problèmes – et de leurs solutions – se situent chez nous. Mettons fin à l’indifférence et protégeons l’humanité.
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