En pleine pandémie de coronavirus, dont les États-Unis sont le nouvel épicentre mondial avec plus de 600 000 cas répertoriés, le président Donald Trump a décidé, mardi 14 avril, de couper les vivres à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Une agence onusienne qu'il a accusée, dans un long et violent réquisitoire, de "mauvaise gestion" de la crise sanitaire et de "dissimulation" de la propagation du virus.
En suspendant la contribution de son pays à l'OMS, Donald Trump n'a fait que mettre à exécution une menace qu'il avait déjà proféré le 7 avril, après avoir affirmé que l'organisation, jugée trop proche du pouvoir chinois, n'avait pas tiré le signal d'alarme à temps. "Ses responsables pouvaient le faire des mois plus tôt. Ils auraient dû connaître la situation et probablement ils la connaissaient", avait-il alors lancé.
Des Nations unies à la Chine en passant par les principales puissances européennes, dont la France, son annonce a provoqué de nombreuses réactions consternées à travers le monde. D'aucuns s'inquiètent des conséquences d'une telle décision sur l'avenir de l'agence onusienne.
Le plus important contributeur de l'OMS
Et pour cause, Donald Trump l'a lui-même rappelé : les États-Unis contribuent à hauteur de "400 à 500 millions de dollars par an" à l'OMS, soit entre 12 % à 13 % du budget de l'agence. Contre, a-t-il tenu à préciser, environ 40 millions de dollars "et même moins" pour la Chine [soit dix fois moins].
Le financement de l'agence onusienne, dont le budget annuel total prévu pour 2020-21 est d'environ 5 milliards de dollars, selon les documents financiers publiés sur son site, provient de plusieurs sources : des États membres (au nombre de 194), des organisations internationales comme l'Union européenne, des donateurs privés et de l'ONU.
Chaque État membre de l'OMS verse en début d'année une "contribution fixe", calculée en fonction de sa richesse et de sa population. Ces cotisations ne représentent qu'environ un quart du financement total de l'organisation. Le reste des fonds provient en grande partie de "contributions volontaires". En clair : de dons.
Selon des médias américains, les dons des États-Unis, pays qui contribue le plus au financement de l'OMS, représentent 14,67 % de l'ensemble des contributions volontaires versées dans le monde. Le deuxième plus important donateur est la Fondation Bill et Melinda Gates, l'organisation privée du fondateur de Microsoft et milliardaire américain, qui a dénoncé, mercredi, la décision du président Trump.
"Arrêter le financement de l'Organisation mondiale de la santé en période de crise sanitaire mondiale est aussi dangereux qu'il y paraît. Leur travail ralentit la propagation de Covid-19 et si ce travail est arrêté, aucune autre organisation ne pourra les remplacer. Le monde a besoin de l'OMS", a tweeté le fondateur de Microsoft.
D'après ces chiffres, si la suspension des contributions américaines, censée durer de soixante à quatre vingt-dix jours, se confirme, le budget de l'OMS serait donc amputé de 400 millions de dollars. Un manque qui affaiblirait sensiblement son action et paralyserait des initiatives en cours en matière de santé.
Mais il est difficile de prédire si cette amputation aura raison de son existence, tant elle reste l'une des plus puissantes agences de l'ONU. Avec ses plus de 7 000 employés (médecins, épidémiologistes, scientifiques, gestionnaires, administrateurs et autres), l'OMS compte 147 bureaux de pays et six bureaux régionaux.
Ce n'est pas la première fois que l'administration Trump coupe les vivres à une agence onusienne de premier plan : elle a déjà suspendu ces dernières années ses financements en faveur notamment de l'Unesco et de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), sans pour autant provoquer leur faillite.
Dans sa première réaction à la suspension des fonds américains, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, n'a pas émis d'inquiétude sur l'avenir immédiat de l'agence, préférant insister sur le timing de la décision du président des États-Unis, annoncée en pleine lutte contre le Covid-19. Ce "n'est pas le moment de réduire le financement des opérations de l'Organisation mondiale de la Santé ou de toute autre institution humanitaire combattant le virus", a-t-il réagi.
Le courroux américain
Antonio Guterres a surtout laissé la porte ouverte aux critiques visant l'agence, en réaffirmant qu'il serait toujours temps d'étudier par la suite "comment ont réagi tous ceux qui ont été impliqués dans la crise".
Malgré ses nombreux succès en matière de santé depuis sa création en 1948, comme l'éradication de la variole, l'OMS est souvent pointée du doigt en raison de son mode de fonctionnement : bureaucratique et trop politisé.
L'OMS fait fréquemment l'objet de critiques lors de grandes épidémies, émises par des États ou des ONG, comme ce fût le cas lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en 2013, lorsqu'il lui a été reproché d'avoir tardé à mesurer l'ampleur de la crise. Un reproche que lui font aujourd'hui les États-Unis et l'Australie avec la pandémie de coronavirus.
L'agence onusienne et son patron éthiopien, Tedros Adhanom Ghebreyesus, élu en 2017 avec le soutien de Pékin, sont également accusés par les Américains d'avoir complaisamment validé des chiffres officiels chinois relativisant l'ampleur de l'épidémie. Des chiffres et des bilans qui sont depuis ouvertement remis en cause.
Même si le président américain semble refuser d'endosser sa part de responsabilité dans l'impréparation de son pays à faire face à la pandémie, en désignant jour après jour différents boucs émissaires, son courroux contre l'OMS n'est pas sans fondement selon plusieurs experts, dont François Godement, conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne, ou encore la sinologue Marie Holzman. "On peut se poser des questions sur le fonctionnement de l'OMS au sein de laquelle la Chine exerce un pouvoir très fort depuis le passage à sa tête de Margaret Chan", souligne-t-elle dans le quotidien Libération, en référence à la docteure chinoise qui présida l'agence entre 2006 et 2017.
Mais, comble de l'histoire, la décision de Donald Trump pourrait profiter à la Chine. "Les États-Unis se tirent une balle dans le pied parce que d'autres pays vont combler le vide. Dans une crise sanitaire mondiale et en pleine pandémie, les États-Unis vont perdre leur voix", a ainsi prédit Lawrence Gostin, directeur du Centre de l'OMS pour la santé publique et les droits de l'homme.
France 24