A l’occasion d’une demande de renouvellement de carte bleue, le guichetier a soudainement pensé qu’il serait bon de prévenir la police qu’un doute existait sur la validité de ses papiers de Mamdou -dont on taira le nom à sa demande. Des faux, en fait, qui expédient ce dernier en centre de rétention (CRA).
La loi encourage les vérifications d’identité au guichet des banques, notamment par crainte d’escroquerie, usage de faux, et autres malversations sans rapport avec le titre de séjour. Mais, pour Chantal Lamy, syndicaliste CGT au Crédit Lyonnais sur le secteur d’Aulnay-sous-Bois, utiliser ce rouage pour faire la chasse aux sans-papiers au guichet sans qu’aucune fraude ne le justifie est « insupportable ».
L’élue syndicale dénonce que la banque fasse de ses agents des supplétifs de la police et rappelle que la même enseigne a connu « au moins deux précédents » à Paris récemment :
« En septembre 2008, dans le XIIIe arrondissement, une femme en situation irrégulière a voulu faire renouveller sa carte bleue. On la lui a délivrée puis on s’est rendu compte, au jugé sans doute, que les papiers n’étaient pas valables. L’agence a décidé de bloquer la carte, de sorte qu’elle soit obligée de prendre un rendez-vous pour la faire débloquer. Quand elle est venue, la police l’attendait. »
Du côté de sa hiérarchie, on lui a affirmé que c’était non pas dans l’enceinte de la banque mais à la sortie que Mamadou avait été interpellé, avant d’être placé au centre de rétention de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où il est arrivé le 8 août, ce que confirme la Cimade. Il y a passé deux nuits.
Le juge à la rescousse du client LCL
Le 10 août, le Malien passe devant le juge des libertés et de la détention. C’est Me Mélanie Schwab, commise d’office, qui le défend. La procédure classique. Or ce magistrat va décider de le relâcher, moyennant toutefois une obligation de quitter le territoire français, comme le précise le jugement que Rue89 a pu se procurer.
Pourquoi ? Parce que « une telle manœuvre vicie nécéssairement la procédure », justifie le juge Franck Renaud, même si le Malien vivait de fait clandestinement sur le territoire français depuis au moins huit ans.
Les motifs sont succints mais c’est une décision importante dans la mesure où elle installe un contentieux nouveau : celui des « interpellations déloyales » dans le secteur privé. « Interpellation déloyale », c’est le nom que donnent les tribunaux aux arrestations de sans-papiers convoqués par des services publics pour mieux se faire embarquer, direction le centre de rétention.
Dans le public, la Cour de cassation avait haussé le ton
Dans un arrêt du 6 février 2007 qui fait date, la Cour de cassation avait sanctionné fortement les préfectures qui procédaient de la sorte.
Pour Laurence Mollaret, vice-présidente du Syndicat de la magistrature, ce hola avait largement calmé le jeu en matière d’arrestations à la chaîne, même si, régulièrement, vous avez pu lire, sur Rue89 ou ailleurs, des histoires de sans-papiers interpellés à la sortie d’un rendez-vous à l’ANPE ou à la CAF.
La magistrate estime que les interpellations irrégulières, notamment en préfecture, tendent à décoller à nouveau. Elle n’avait toutefois jamais eu vent de procédures identiques dans le monde de l’entreprise, sauf de la part de La Poste ou de la SNCF qui aurait signalé plusieurs sans-papiers à l’occasion d’achat de billets en gare.
Pour Damien Nantes, de la Cimade, les interpellations dans le privé n’ont pas démarré le 7 août avec Mamadou à Aulnay-sous-Bois, même si aucune affaire n’avait peut-être été jusqu’à une annulation-sanction par le juge.
Le permanent associatif cite pêle-mêle plusieurs cas : un étranger en situation irrégulière intercepté à la caisse de Castorama à Bondy (Seine-Saint-Denis) en 2008 ; ailleurs en région parisienne, le client d’un grande surface qui s’était également retrouvé en CRA alors qu’il se faisait faire une carte de fidélité jusqu’à ce que la caissière appelle la police, saisie d’un doute sur ses papiers ; ou encore, il y a quelques mois, un client de la FNAC Montparnasse signalé par le caissier juste après avoir sorti son chéquier pour payer ses achats.
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