C'est une corvée d'aurore. Le lever du jour d'une brave et bonne dame au destin de femme robuste dévouée à la cause familiale. Splatch ! Splatch ! Splatch! Chantonnent, l'un après l'autre, des pas qui déchirent la tranquillité de cette aube pikinoise et ses ruelles mouillées. Se mouvant avec calme et aisance dans les entrailles sombres du quartier, la silhouette vacille de temps à autre sous le poids d'une bouteille de gaz en équilibre sur sa tête. De part et d'autre d'un corps emmitouflé dans un pagne d'un autre âge et un gigantesque t-shirt, un banc et un seau jouent le rôle de balancier. « As Saalam aleikoum mère Maty !», lance une forme en blouse blanche qui se découpe de l’autre côté du trottoir inondé par le trop plein d'une fosse septique qui dégueule ciel ouvert de vendeuse patentée de beignets. Repaire sans fard posé à l'entrée de Pikine (banlieue dakaroise) et infesté de dangers en tous genres, cet embranchement routier se caractérise plus par ses nombreuses et régulières scènes d'agressions que par le monstre brouhaha qui, dans la journée, accompagne les milliers de voyageurs à la recherche de bus, cars rapides ou «Ndiaga Ndiaye» pour se rendre au boulot. « Bountou Pikine était et est resté cet endroit malfamé, de surcroit pour une femme seule. Mais j'ai choisi depuis le début, de ne pas me laisser intimider. Il y allait de l'avenir de mes enfants», brave-t-elle avec une hardiesse contenue. Pour l’heure, juste quelques lève-tôt escortent les pas solitaires de Maty Diène. « C'est comme ça tous les matins depuis 12 ans que j'arpente à quatre sa puanteur à petite rancœur. Une salutation retournée dans un murmure à peine audible et mère Maty continue résolument son chemin vers Bountou Pikine, son lieu de travail. Son bureau à heures du matin ce quartier de Pikine Ouest. Soit je rencontre les médecins du dispensaire de l'école Notre Dame du Cap-Vert de Pikine, soit je tombe sur des coupeurs de route», ajoute d'un ton léger, comme ce vent frisquet qui souffle sur Pikine, cette quadra au physique quelconque en découvrant de grandes dents teintées par la caféine. Comme si les nombreuses années de voisinage avec ce danger n'avait diminué en rien sa hargne et sa ferme volonté de vendre coûte que coûte ses beignets, l'assurance vie de sa grande famille.
«Ils étaient quatre ivrognes. Je me suis débattue et...»
Issue d'un milieu plus que moyen, Maty Diène a dû, dès l'âge de 33 ans, faire face au décès brutal du père de ses 6 enfants. Dans la concession familiale où elle vit, ses frères ont déjà du mal à joindre les deux bouts avec leurs propres mioches, sans compter ceux de leur sœur alors sans ressources. «Je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose pour offrir de meilleures chances à mes enfants», articule-t-elle en installant la vitrine qui va servir d'abri aux premiers beignets en train de dorer dans l'huile chaude. Depuis, cela fait 12 années que Maty Diène adopte ce quotidien de forcené, obligé de travailler tôt et à la sueur de son front pour offrir à ses «chérubins» de quoi éviter la faim. A force, ce petit commerce lui a permis de sortir la tête de l'eau et surtout de faire en sorte que ses enfants dont deux sont maintenant décédés continuent leurs études.
Armée de courage et d'abnégation, mère Maty se lance dans la vente fastidieuse de beignets en commençant par une quantité négligeable, conformément à l'enflure de sa banane. Un quart de mil, un kilo de farine et des «clients» qui voient d'un mauvais œil l'installation de cet éventuel «témoin » dans leur périmètre de chasse. Plus que l'activité, c'est l'emplacement que choisit Maty pour gagner sa vie qui vaudra à cette dernière moult tracasseries et une série de vols dissuasifs : une dizaine de bouteilles de gaz, autant de bidons d'huile, sans compter les rackets sur les beignets. Indéboulonnable, la vendeuse trouve toujours les moyens de continuer son commerce, ce qui va obliger les bandits à passer à la vitesse supérieure. Maty subira trois agressions dont la dernière en date lui vaudra d'être délestée des 70 mille francs d'une tontine qu'elle tenait. «Ils étaient quatre ivrognes. Je me suis débattue et j'ai réussi à en faire fuir trois». Retenue entre les griffes de mère Maty, le quatrième est conduit au poste de police de Pikine avec l'aide d'agents de la Sagam qui passaient par là en cette heure matinale. Plein de commisération pour cette mère de famille débrouillarde, le commissaire la prendra sous son aile, en menaçant publiquement les malfrats de représailles si jamais ils s'en prenaient encore à elle. Des mises en garde qui ont permis à Maty Diène de vendre tranquillement ses beignets de 4 h du matin à 18 h.
Son mari décédé, mère Maty a épousé son écumoire
Retrouvée à son emplacement à midi, Maty Diène surveille d'un œil distrait la cuisson de ses beignets tout en lançant des invectives en direction d'un robuste jeune homme dont le sourire s'élargit a chaque mot. Une connivence qu'elle a mis une dizaine d'années à installer et qui, aujourd'hui, lui vaut une tranquillité dans ses affaires. «Je suis maintenant connue de tout le monde ici et j'écoule tous les jours pas moins d'un sac de mil de 50 kgs en plus d'une bassine de farine», pavoise-t-elle. Ce que mère Maty ne dit pas, c'est qu'elle a acquis cette notoriété de haute lutte avec la destinée. Pour mère Maty, le repos n'existe pas et la peine est continue. «Je me rends à ma place où je vends jusqu'à 15h. Je rentre à la maison pour prendre mon déjeuner et je retourne vendre jusqu'à 18h.» Une courte pause pour reprendre... le travail qui ne s'arrête jamais. Ou presque. Après une douche et un rapide sommeil réparateur, Mère Maty est de nouveau sur les charbons... ardents à 20h : «Je vais au marché acheter mil et farine. Et après dîner, je me rends à la boutique pour les autres ingrédients et je prépare la pâte que je transporte dans un magasin pas loin de là où je bosse. » A 43 ans, elle a bien essayé d'offrir un autre père à ses enfants, mais incompréhensif quant aux horaires de sa femme, le mari a fini par se lasser et par s'envoler vers d'autres cieux plus cléments. «Je ne suis pas aigrie pour autant. Même si je n’hésiterais pas à délaisser la vente de beignets si une opportunité plus intéressante se présentait, je peux dire que ce métier me vaut aujourd’hui beaucoup de satisfaction. Je l’ai épousé avec la ferme intention de travailler pour m'en sortir en tant que veuve et aujourd'hui, je dispose de tout ce que peut posséder une femme de mon époque», conclut Maty Diène; en tirant avec son écumoire deux beignets du feu. Comme elle tire son épingle du terrible jeu de la vie. De sa rude vie.
SOURCE : L’OBS AICHA FALL THIAM
«Ils étaient quatre ivrognes. Je me suis débattue et...»
Issue d'un milieu plus que moyen, Maty Diène a dû, dès l'âge de 33 ans, faire face au décès brutal du père de ses 6 enfants. Dans la concession familiale où elle vit, ses frères ont déjà du mal à joindre les deux bouts avec leurs propres mioches, sans compter ceux de leur sœur alors sans ressources. «Je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose pour offrir de meilleures chances à mes enfants», articule-t-elle en installant la vitrine qui va servir d'abri aux premiers beignets en train de dorer dans l'huile chaude. Depuis, cela fait 12 années que Maty Diène adopte ce quotidien de forcené, obligé de travailler tôt et à la sueur de son front pour offrir à ses «chérubins» de quoi éviter la faim. A force, ce petit commerce lui a permis de sortir la tête de l'eau et surtout de faire en sorte que ses enfants dont deux sont maintenant décédés continuent leurs études.
Armée de courage et d'abnégation, mère Maty se lance dans la vente fastidieuse de beignets en commençant par une quantité négligeable, conformément à l'enflure de sa banane. Un quart de mil, un kilo de farine et des «clients» qui voient d'un mauvais œil l'installation de cet éventuel «témoin » dans leur périmètre de chasse. Plus que l'activité, c'est l'emplacement que choisit Maty pour gagner sa vie qui vaudra à cette dernière moult tracasseries et une série de vols dissuasifs : une dizaine de bouteilles de gaz, autant de bidons d'huile, sans compter les rackets sur les beignets. Indéboulonnable, la vendeuse trouve toujours les moyens de continuer son commerce, ce qui va obliger les bandits à passer à la vitesse supérieure. Maty subira trois agressions dont la dernière en date lui vaudra d'être délestée des 70 mille francs d'une tontine qu'elle tenait. «Ils étaient quatre ivrognes. Je me suis débattue et j'ai réussi à en faire fuir trois». Retenue entre les griffes de mère Maty, le quatrième est conduit au poste de police de Pikine avec l'aide d'agents de la Sagam qui passaient par là en cette heure matinale. Plein de commisération pour cette mère de famille débrouillarde, le commissaire la prendra sous son aile, en menaçant publiquement les malfrats de représailles si jamais ils s'en prenaient encore à elle. Des mises en garde qui ont permis à Maty Diène de vendre tranquillement ses beignets de 4 h du matin à 18 h.
Son mari décédé, mère Maty a épousé son écumoire
Retrouvée à son emplacement à midi, Maty Diène surveille d'un œil distrait la cuisson de ses beignets tout en lançant des invectives en direction d'un robuste jeune homme dont le sourire s'élargit a chaque mot. Une connivence qu'elle a mis une dizaine d'années à installer et qui, aujourd'hui, lui vaut une tranquillité dans ses affaires. «Je suis maintenant connue de tout le monde ici et j'écoule tous les jours pas moins d'un sac de mil de 50 kgs en plus d'une bassine de farine», pavoise-t-elle. Ce que mère Maty ne dit pas, c'est qu'elle a acquis cette notoriété de haute lutte avec la destinée. Pour mère Maty, le repos n'existe pas et la peine est continue. «Je me rends à ma place où je vends jusqu'à 15h. Je rentre à la maison pour prendre mon déjeuner et je retourne vendre jusqu'à 18h.» Une courte pause pour reprendre... le travail qui ne s'arrête jamais. Ou presque. Après une douche et un rapide sommeil réparateur, Mère Maty est de nouveau sur les charbons... ardents à 20h : «Je vais au marché acheter mil et farine. Et après dîner, je me rends à la boutique pour les autres ingrédients et je prépare la pâte que je transporte dans un magasin pas loin de là où je bosse. » A 43 ans, elle a bien essayé d'offrir un autre père à ses enfants, mais incompréhensif quant aux horaires de sa femme, le mari a fini par se lasser et par s'envoler vers d'autres cieux plus cléments. «Je ne suis pas aigrie pour autant. Même si je n’hésiterais pas à délaisser la vente de beignets si une opportunité plus intéressante se présentait, je peux dire que ce métier me vaut aujourd’hui beaucoup de satisfaction. Je l’ai épousé avec la ferme intention de travailler pour m'en sortir en tant que veuve et aujourd'hui, je dispose de tout ce que peut posséder une femme de mon époque», conclut Maty Diène; en tirant avec son écumoire deux beignets du feu. Comme elle tire son épingle du terrible jeu de la vie. De sa rude vie.
SOURCE : L’OBS AICHA FALL THIAM