"Je n’oublierai l'image de Jonas tenant dans les bras son enfant"
"C’est une image que je n’oublierai jamais : Jonas Bito, père d’un enfant de trois ans, tenant dans les bras son bébé décédé. Jonas nous a affirmé que son fils, Youbi, avait de la fièvre et dormait, et nous l’avons cru. Il attendait de rencontrer un prophète autoproclamé du nom de Mackenson Dorilas, qui affirme être capable de ramener les morts à la vie.
Soyons clairs : si nous avions su que l’enfant était décédé, nous aurions arrêté de filmer immédiatement et nous aurions dit à Jonas d’emmener son enfant à l’hôpital. Un médecin l’aurait examiné et aurait expliqué comment il était mort. Et il aurait surtout examiné son autre enfant de 2 mois, Lovens, qui avait aussi de la fièvre.
Mais nous ne savions pas que Youbi était mort. Quand nous avons demandé à Jonas pourquoi il avait emmené son enfant à l’église, et pas à l’hôpital, il nous a dit qu’il était certain que son enfant souffrait d’une maladie "pas naturelle". Des représentants de l'église de Mackenson Dorilas, "l’Église de Dieu les envoyés ", lui ont dit qu’il devait payer 2 500 gourdes haïtiennes (environ 30 euros) pour voir le "prophète" en urgence. Cette somme était colossale pour Jonas, bien plus que ce qu’il gagne dans le mois en revendant des assiettes en plastique de seconde main.
"Tous les Haïtiens ont entendu parler de Mackenson Dorilas"
Ce matin-là, Mackenson Dorilas est arrivé dans son 4x4 de luxe, avec des lumières bleu et rouge tape-à-l’œil. Il nous a accueillis poliment. Il a 32 ans, et prêche depuis qu’il a 15 ans. Il affirme avoir été "choisi par Dieu" et ses prêches du mardi accueillent régulièrement, toujours selon lui, des milliers de fidèles. Il affirme y guérir des personnes atteintes de "folie" ou de maladies. Sur sa page Facebook, des vidéos montrent plutôt des centaines de personnes lors de ces rassemblements. Mais elles sont retransmises à environ 90 000 abonnés. En fait, tous les Haïtiens à qui nous avons parlé ont déjà entendu parler de lui.
Ce à quoi nous avons assisté, sans le savoir, c’est en fait la manifestation d’une croyance vaudou, l’une des religions traditionnelles d’Haïti. C’est ce que nous a expliqué notre Observateur Aristilde Deslande, spécialiste des religions et journaliste pour le site Netalkole.net. “Il y à le christianisme ici, mais aussi le vaudou. Beaucoup d’Haïtiens pratiquent le christianisme mais en fait, croient au vaudou."
Aristilde nous a également décrypté la conversation entre le couple et le prophète. Quand Jonas dit que la maladie de son fils n’est "pas naturelle" c’est une façon de dire qu’il a été victime d’un sort vaudou. Quand Shedline se réfère aux "mauvais airs" dans leur voisinage, elle veut signifier qu’elle pense qu’il y a des mauvais esprits. Et quand elle précise qu’elle n’a pas pleuré c’est parce que pour les fidèles du vaudou, pleurer revient à admettre la mort de quelqu’un, qui ne pourra pas être ressuscité.
Finalement, le prophète autoproclamé ne leur a pas fait payer la consultation. Mais il n’est pas non plus venu à notre rendez-vous après, comme convenu. Ses assistants nous ont dit qu’il était bloqué par la situation tendue résultant des violentes manifestations du 18 novembre. Il admettra plus tard, par WhatsApp, qu’il avait réalisé que l’enfant était déjà mort au moment de la consultation, mais voulait voir s’il pouvait les aider en faisant "appel à des forces"."
France 24 Les Observateurs