Nous sommes, ici, rassemblés, pour rendre un hommage mérité à un digne fils du Sénégal, de l’Afrique et du monde Noir ; à une icône élevée, de son vivant, au rang d’une légende entrée dans l’histoire du monde par la grande porte ; à un humaniste généreux , ouvert et tolérant, dont la vie a été, toute entière, consacrée à la lutte pour la promotion de la justice, de l’égalité sociale, de l’indépendance nationale, du bien-être matériel et moral des peuples souffrants ; à un enseignant d’élite, doublé d’un écrivain et d’un intellectuel d’une espèce en voie de disparition ; à un économiste hors pair, à la pensée féconde et au savoir immense ; à un chef de parti, considéré comme un leader éclairé, doublé d’un visionnaire, qui s’est voué, depuis sa jeunesse, à la défense des faibles, des opprimés, des exploités, des brimés ; à un panafricaniste engagé de la dimension des Toussaint Louverture, Antênor Firmin, Henry Sylvester Williams, Sylvain Benito, Marcus Garvey, George Padmore, Cheikh Anta Diop, Kwamé Nkrumah ; à un nationaliste de la trempe des Lamine Senghor, Thiémokho Garan Kouyaté, Khodjo Tovalou, Um Nyobé, Patrice Lumumba, Ahmed Sékou Touré, Jomo Kenyatta, Thomas Sankara, Gamal Abdel Nasser, Mohamed V, Habib Bourguiba, Omar El Moktar, Ahmed Ben Bella, Nelson Mandela ; à un Chef d’Etat qui, après avoir mené, pendant 26 années ininterrompues, une opposition, à la fois, forte, résolue, souple et intelligente, a conquis le pouvoir, le 19 Mars 2000, sans marcher sur des cadavres et a réussi, en dirigeant le Sénégal pendant 11 ans, à propulser son pays, en une décennie, sur les rampes de l’émergence, de la considération universelle et de la crédibilité internationale.
Nous sommes là, enfin, pour célébrer le parcours d’un combattant infatigable de la dignité humaine, qui a, toujours, nourri, pour l’Afrique et le monde Noir, une grande, belle, noble, forte et sincère ambition, qu’il a, toujours, voulu traduire en actes concrets.
Sous cet éclairage, l’homme Abdoulaye Wade s’inscrit dans la lignée des géants de l’histoire qui, après la saga des résistants illustres qui ont donné leur vie pour la survie du continent, ont ouvert, avec Blaise Diagne, premier Député Noir d’Afrique au Sud du Sahara, une nouvelle séquence historique qui a commencé le 10 Mai 1914.
Je pense à Galandou Diouf, Mody Mbaye, Sarr Papa Guèye, Papa Mar Diop, Lamine Guèye.
Par l’acte qu’il a posé, le 25 Mars 2012, il a fermé, magistralement, cette séquence temporelle avec un faste et un panache inégalés.
L’homme Wade est né en 1926, dans un contexte mondial fortement marqué par les conséquences de la Grande Guerre 14-18 à laquelle, son père a participé, en partageant les 300 jours d’épreuves innommables qu’a duré l’enfer de Verdun, pour que la France vive libre ; un monde caractérisé par la première révolution socialiste d’Octobre 1917 et les premiers développements du Mouvement Communiste dans le monde.
C’était l’époque où le Sénégal, après avoir payé l’impôt du sang, à travers la geste héroïque des Tirailleurs Sénégalais, s’engageait, fébrilement, dans la reconstruction de son économie délabrée et ruinée par l’effort de guerre et dans la reconstruction de son tissu social détricoqué par les recrutements massifs et les corvées sempiternelles.
C’était l’époque où le Sénégal comprenait quatre communes de plein exercice (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar), dont les ressortissants étaient citoyens français, tout le reste de la population étant composé de sujets français, régis par le décret du 30 Novembre 1887, version corrigée du Code Noir de 1685, instituant l’Indigénat et, comme tels, taillables et corvéables à merci, soumis à l’arbitraire des Commandants de cercle, qui pouvaient leur appliquer des pénalités lourdes et sans appel, sans qu’ils ne puissent même pas bénéficier des services d’un avocat.
Par un de ces concours de circonstances, dont Dieu, Seul, connait le secret et la véritable portée, l’année 1926 a été, pour le Sénégal et pour l’AOF de l’après-guerre, une année faste, une année, de prospérité sociale, d’abondance économique, à la faveur d’une pluviométrie généreuse.
C’était la première fois que le Sénégal produisait 600.000 tonnes d’arachides.
Le mouvement général de commerce avait atteint, en 1926, le chiffre record de 2 milliards 827 millions 054 mille 574 francs (2.827.054.574 F), sous l’effet combiné des importations, de la tenue du franc et des variations de son taux de change, d’une exploitation intense des produits, d’une amélioration notable des moyens de stockage des matières premières destinées à l’exportation , enfin de conditions physiques et climatiques exceptionnellement favorables, alors que les années précédentes avaient été marquées par les tensions provoquées par les congrès pan noirs de Londres, Paris et Bruxelles de 1921 ; la signature du Pacte de Bordeaux de 1923, qui consacra la fin du diagnisme flamboyant, offensif et volontariste et la reconquête, par le commerce colonial, de l’influence tentaculaire qu’il avait acquise les années passées ; la flambée sociale illustrée par les violentes grèves dans les chemins de fer de l’année 1925, des récriminations des anciens combattants du Laghem, de retour des champs de bataille, la même année, sans parler des pesanteurs liées aux contraintes d’une reconstruction de l’économie, marquée par la vétusté des équipements, la modicité des moyens financiers, la rareté des matières premières et de la main d’œuvre et l’impatience grandissante des populations.
Certes, dès 1927, le Sénégal rompait avec la prospérité et subissait une série d’épreuves qui ont noms :
- détérioration du climat sanitaire avec des épidémies de fièvre jaune, peste, variole, peste bovine et humaine
- aggravation de la fiscalité
- manifestations de rue contre le pouvoir colonial à Tivaoune, non loin de Kébémer, le 27 Juin 1927.
- et surtout, approfondissement de la crise religieuse, amorcée par la disparition presque simultanée de Mor Diarra Mbacké, d’El Hadji Abdoulaye Niasse, d’El Hadji Malick Sy, entre Juin 1921 et Juin 1922, avant de connaître son paroxysme, lorsque le Cheikh Ahmadou Bamba fut rappelé à Dieu le 19 Juillet 1927. Mais, l’année 1927 avait, aussi, été celle du grand bond en avant, au plan international.
En effet, alors que le pays, tout entier, était plongé dans une profonde angoisse, les premiers signes d’espoir pour le monde Noir apparaissaient sous d’autres cieux, en 1927, précisément, à travers :
- la convocation de la Conférence de Bruxelles, contre l’impérialisme et la domination coloniale, en présence de Maxime Gorki, de l’Indien Jawaharlal Nehru, de l’Allemand Willy Muzenberg, du Tunisien Chadli Ben Moustapha, de l’Américain Baldwin, de Chen-shi et de Sia-Ting, délégués de Kuomintang, de Gumédé d’Afrique du Sud, d’Henry Barbusse, de Thiémokho Garan Kouyaté et de Lamine Senghor. Des travaux de cette conférence, sortit la Ligue contre l’impérialisme et l’indépendance nationale, dont le Professeur Paul Langevin fut le Président d’Honneur. C’était, là, un évènement stratégique et politique majeur, dans le contexte de l’époque.
L’année 1927 était, aussi, celle de la naissance, au mois de Mai, de la Ligue de Défense de la Race Noire, sur les cendres du Comité de Défense de la Race Nègre, suivie de la publication de « Violation d’un pays », premier ouvrage fortement anticolonial, écrit par un colonisé, en l’occurrence, Lamine Senghor et préfacé par Paul Vaillant Couturier, avant de disparaître, lui aussi, la même année, à Fréjus.
Sous ces auspices, l’entrée en scène d’un enfant appartenant par son père à la prestigieuse famille des Bracks du Walo, qui inaugurèrent la première résistance armée contre la pénétration française, et, par sa mère, à l’ethnie manding et casamançaise, dont la glorieuse geste, à travers l’histoire du Gabou, a irrigué toute la Sénégambie, constituait un symbole fort, portant en lui, un héritage et un présage qui trouvent leurs origines dans la Charte du Kurukhan Fugha, d’une part et dans l’humanisme admirable commun à tous les peuples de la sous-région, d’autre part.
L’adolescence du jeune Wade allait se dérouler dans un contexte caractérisé par les prémices de la grande crise économique de 1929, la bataille de l’arachide en 1934, l’arrivée d’Hitler et de Mussolini au pouvoir au cours des années 30, l’offensive du Kominterm contre les colonies européennes en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, l’échec de la colonisation italienne en Ethiopie, en 1935 et en Lybie, 1941 ; l’accès à l’indépendance des premières colonies arabes, l’arrivée du Front Populaire au pouvoir en 1936 et, surtout, la grève des cheminots du chemin de fer Dakar-Saint-Louis, le 30 Septembre 1938, qui se termina, comme on le sait, par 7 morts et 125 blessés. C’était la première fois que la classe ouvrière sénégalaise payait un tribut aussi lourd à la lutte pour le progrès. Enfin, par la marche forcée vers la 2ème guerre mondiale.
Lorsque la France succomba aux assauts répétés des forces allemandes et que De Gaulle, parti pour l’Angleterre, y lança son fameux appel du 18 Juin 1940, le jeune Wade n’avait que 14 ans.
Il a, ainsi, vécu toute la 2ème guerre mondiale dans un pays meurtri, avec ses privations, les rigueurs du régime de Vichy, le bombardement de Dakar par les forces franco-anglaises, en Septembre 1940, dirigées par De Gaulle.
Il était, déjà, un jeune homme formé et informé, épris d’absolu, quand, élève à la prestigieuse Ecole Normale de William Ponty, la France Libre, s’appuyant sur les forces africaines à Brazzaville, au Gabon, au Tchad, à travers Félix Eboué, Koenig et Leclerc, rejetait la capitulation, engageait les batailles de Koufra, de Tobrouk, de Birhakeim et d’El Alamein ; quand De Gaulle, Churchill et Roosevelt se rencontraient à Anfa, au Maroc en 1943 et quand le Comité Français de Libération Nationale établissait ses quartiers à Alger.
Le jeune Wade était, déjà, relativement mûr, quand les africains libéraient Toulon et Marseille, un an plus tard et quand la deuxième division blindée remontait jusqu’à Paris et marquait son entrée triomphale dans la capitale française.
« Juché sur toutes ces mutilations », pour parler comme M. Roger Garaudy, Wade avait, dès ce moment-là, défini les coordonnées de sa philosophie.
Lorsqu’il débarqua en France, quelques années plus tard, après la deuxième guerre mondiale, il était, tout entier, immergé dans un climat marqué par les traumatismes profonds et les mutations de toutes natures que le conflit et ses conséquences multiformes avaient générées :
- échec de la Conférence de Brazzaville de Janvier 1944
- massacres de Thiaroye de Décembre 1944
- traités de paix
- déclenchement de la guerre du Viêtnam
- conférence de Manchester en 1945 sur l’unité du monde Noir, le Panafricanisme et la décolonisation
- procès de Nuremberg
- accords de Yalta coupant le monde en deux blocs et ouvrant l’ère de la guerre froide.
- suppression du travail forcé par la loi Félix Houphouët Boigny en 1946
- établissement de la citoyenneté d’Outremer par la loi Lamine Guèye, la même année
- création des Nation-Unies
- congrès du RDA, à Bamako, toujours en 1946
- apparition, partout en Afrique, des groupes d’études communistes.
- soulèvements de Madagascar de 1947, réprimés dans le sang, avec ses 90.000 morts
- création de Présence Africaine en 1947
- crise entre Senghor et Lamine Guèye, en 1948, au sein de la SFIO, après la longue grève des cheminots du Dakar-Niger qui dura 5 mois et 10 jours
- massacres de Sétif et de Guelma, la même année
- déclenchement de la guerre de Corée
- création de l’Institut des Hauts Etudes de Dakar, en 1950
- création, aussi, de la FEANF, qui se donna pour devise, ces sages et admirables propos du Roi GHEZO, qui disait : « Si tous les enfants du pays venaient, par leurs mains rassemblées, boucher les trous de la jarre, le pays serait sauvé », viatique tonifiant et supplique ardente pour tous les étudiants africains provenant des quatre coins du continent.
- événements de Dimbokro, de Séguéla et guerres Ashanti
- déclenchement de la guerre de libération nationale au Cameroun par l’UPC
- naissance du Conseil de la Jeunesse du Sénégal, de l’UGEAO, de l’UGTAN, du PRA, du PAI, etc.
L’étudiant Abdoulaye Wade avait, évidemment, suivi tous ces événements et participé à tous ces combats, avec fougue et enthousiasme, que se soit dans le cadre de l’Association des Etudiants Nationalistes, avec Majhmout Diop, Cheikh Hamidou Kane et, plus tard, du Mouvement de Libération Nationale, avec Joseph Ki-Zerbo, Daniel Cabou, etc.
Après la défaite de Dien Bien Phu, Wade salue et approuve l’indépendance du Viêtnam, bien qu’il n’ait aucun goût, ni pour la lutte armée, ni pour le Communisme.
Lorsque l’Algérie proclame sa guerre de libération nationale, il s’engage, résolument, à ses côtés, se constitue avocat du FLN, officiant superbement aux barreaux de Besançon, de Grenoble et de Dakar.
En effet, animé d’une grande et passionnante ambition pour son continent et d’une soif inextinguible de justice et d’engagement au service de toutes les causes justes, il est présent sur tous les fronts, où l’on se bat pour la dignité et la grandeur de l’être humain.
Comprenant, alors, que pour réaliser la mission dont il se sentait, de plus en plus, investi, il avait l’obligation morale de s’en donner tous les moyens intellectuels, académiques et scientifiques nécessaires, il poursuit avec une détermination farouche et une volonté inflexible, une carrière universitaire d’une fécondité incomparable qui lui confère, aujourd’hui encore, le titre envié et incontesté d’intellectuel le plus diplômé de tout le continent africain et de la Diaspora.
Qu’on en juge !
- Diplôme de Mathématiques Elémentaires Supérieures et Générales
- Diplôme de Physique et Chimie
- Diplôme de Mécanique Rationnelle
- Diplôme de Psychologie Générale
- Diplôme de Morale et de Sociologie
- Diplôme de Psychologie de la vie sociale
- Diplôme de Philosophie Générale
- Diplôme de Droit
- Diplôme d’Economie Politique
- Doctorat en Droit et en Sciences Economiques
- Recherche en Economie avec séjours dans les Universités américaines
- Agrégé des Facultés de Droit et de Sciences Economiques
Sa rencontre avec Viviane lui aura grandement facilité la tâche.
Dès cette époque Wade s’engage dans tous les combats intellectuels, politiques, économiques, sociaux, culturels et stratégiques de son temps.
Il compte parmi les Universitaires africains, qui ont salué la rupture entre TITO et Staline.
Wade comprend et soutient, également, au combat que mènent, en Inde, le Mahatma Gandhi et Jinnah, pour l’indépendance de leur patrie.
Il a, de même, suivi, pas à pas, les étapes de la longue marche en Chine de MAO TSE TOUNG et le triomphe de la Révolution Communiste de 1949.
Quand Nasser opère sa révolution au détriment du Roi Farouk, en 1952 et imprime un coup de fouet vigoureux au nationalisme arabe, Wade s’intéresse à son combat.
Il se tient, de même, aux côtés du Maroc et de la Tunisie, lorsque ces deux pays, sous la houlette de Mohamed Ben Youssef et d’Habib Bourguiba, engagent la bataille pour l’indépendance.
Quand Jomo Kenyatta s’insurge contre les abus du colonialisme anglais et déclenche la révolution des Mau-Mau au Kenya, Wade suit ce mouvement avec sympathie et se considère comme solidaire de sa cause.
Lorsque Cheikh Anta Diop soutient sa thèse historique « Nations Nègres et Culture », prouvant, ainsi, l’antériorité des civilisations noires et l’ancrage de l’Egypte pharaonique dans l’Afrique Noire, Wade partage son combat.
Lorsque se réunit à Bandoeng, en Avril 1955, la Conférence afro-asiatique contre la domination coloniale, Wade est de tout cœur avec elle.
Quand Nasser nationalise le Canal de Suez, en 1956, il comprend la portée de son acte, qui pose un problème de souveraineté nationale.
Lorsque la Société Africaine de Culture convoque, à Paris, à la Sorbonne, le premier Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs, du 19 au 22 Septembre 1956, Abdoulaye WADE est de la partie, puisqu’il y présente une communication intitulée : « L’Afrique Noire doit-elle élaborer un Droit Positif ?».
Il partage le panel constitué à cette occasion avec des figures emblématiques, comme Alioune Diop, Rabémanjara, Paul Azoumé, Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Hampaté Bâ, Aimé Césaire, Price Mars, Cheikh Anta Diop, Richard Wright.
Il a, évidement, salué le combat de Nkrumah et l’indépendance du Ghana acquise, en 1957 ; Nkrumah, qu’il considère, au demeurant, comme son mentor depuis sa prestation inoubliable à la Conférence de Manchester.
Il s’investit, simultanément, aux côtés des étudiants de la FEANF et de l’UGEAO, pour dénoncer la loi-cadre, s’opposer à la balkanisation du continent et prôner la décolonisation immédiate.
A ce titre, il fait partie des patriotes africains, qui ont salué l’indépendance de la Guinée et qui ont encouragé les cadres africains à se mettre au service de ce pays, quand la France a retiré son personnel.
Son combat intellectuel, il le poursuit dans « Présence Africaine », où il publie en 1956, « Examen critique des méthodes pédagogiques » dans lequel, il dénonce les clichés coloniaux, critique l’enseignement coloniale des sciences et de l’histoire africaine, dénonce les modestes ambitions de l’Institut des Hautes Etudes de Dakar et préconise une nouvelle démarche plus hardie et plus novatrice, s’inspirant de l’éducation africaine, de la pédagogie de Mankarenko, de la connaissance du milieu du jeune africain, de l’éducation des adultes et de l’enseignement des langues nationales.
Loin de s’arrêter en si bon chemin, il participe à la conception d’un alphabet wolof, appelé « Ijib Wolof », aux côtés d’Assane Sylla et d’autres acteurs, au sein de la FEANF.
Wade s’implique, en outre, dans toutes les luttes menées sous la bannière du nationalisme, du pan négrisme et du Panafricanisme, aussi bien en France et en Europe, qu’après son retour au Sénégal.
Il encourage, à ce titre, le 2ème Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, tenu à Rome, du 26 Mars au 1er Avril 1959 ; salue, soutient et encourage Patrice Lumumba, héros de l’indépendance du Congo ; soutient et encourage le combat des Noirs Américains pour les droits civiques ; salue la création de la Fédération du Mali et déplore son échec ; il assiste en témoin aux événements de Décembre 1962 et assure la défense du Président Mamadou DIA. Il soutient, de tout cœur, la vague des indépendances africaines des années 60.
Repéré par Léopold Sédar Senghor, impressionné par son curriculum vitae et par son charisme flamboyant et ravageur, il fait tout ce qu’il peut pour l’avoir à ses côtés, dans l’espoir d’en faire son futur successeur.
Si le projet n’a, hélas, pas confirmé la promesse des fleurs, à cause de certains barons de l’establishment, le Poète-Président ne gardera pas moins de leur rapprochement, les meilleurs souvenirs, des souvenirs mâtinés de respect, de considération et d’admiration.
Commence, alors, pour Wade, différents combats dans les rangs de l’opposition politique, à travers le BMS, aux côtés de Cheikh Anta Diop, Boubacar Guèye, etc., dans un contexte implacable de parti unique, marqué par la mise en congé des libertés de réunion, d’expression, d’organisation, d’association, de presse et une répression féroce.
Prenant en compte tous ces éléments, après la dissolution des syndicats, du Conseil de la Jeunesse, du mouvement estudiantin et des partis politiques existants, Wade est témoin des événements de Mai 68, se range aux côtés du peuple en lutte et saisit l’occasion que lui offre, au cours des années 70, la volonté de Senghor d’être admis à l’Internationale Socialiste, pour ruser avec lui et décrocher la reconnaissance du PDS en 1974, en le faisant passer pour un parti de contribution.
Pendant 26 longues et dures années d’épreuves et de sacrifices de toutes natures, Wade obtient des Députés du PDS à l’Assemblée Nationale, revitalise cette institution, dénonce les plans d’ajustement structurel, lutte contre l’Article 35 de la Constitution, qui crée un dauphinat désigné et non élu, force Senghor à quitter la scène politique, accepte, même, de participer au Gouvernement d’Abdou Diouf, pour faire avancer la démocratie sénégalaise, en changeant le Code électoral et constitue une alliance vaste contre le régime socialiste usé et divisé, en mettant sur pied, la CA 2000.
Son combat pour la conquête démocratique du pouvoir a, pendant tout ce temps, été mené, simultanément, avec une réflexion intense sur le contenu qui doit être donné à l’indépendance du Sénégal et des autres pays africains.
Dès 1965, l’OUA sollicite son concours et son expertise.
Invité de la célèbre Université de Boston, en 1967, ainsi qu’à Saint-Louis, en 1978 et à l’UNESCO, en 1980, il élargit sa réflexion sur le travaillisme, dans une optique afro-centriste, s’intéresse à la réforme du Fonds Monétaire International, au financement du développement, invente la théorie des droits de tirages spéciaux, mène des activités de consultance à Khartoum, en 1986, à la demande du Gouvernement et rédige un projet d’agence arabo-africaine de développement.
Il s’attaque au dialogue Nord-Sud, en sa qualité de Président des Experts africains de l’OUA et de la BAD dans les négociations monétaires internationales, sur le financement du développement et sur le commerce interafricain.
Il est le rédacteur de la Charte Africaine de Coopération, de l’Indépendance Economique et du Développement, adoptée par les Chefs d’Etat de l’OUA.
Wade est, aussi, l’un des pères fondateurs du Centre Africain d’Etudes Monétaires et de la Caisse de Compensation des Banques Centrales Africaines.
Pendant 30 ans, l’ONU, l’OUA, la CNUCED, la Banque Mondiale, le FMI, la Commission Internationale des Juristes, le Centre de la Paix Mondiale pour le Droit à Washington, ont fait appel à ses services.
Dans le domaine de l’économie, il est, en plus de sa thèse d’Etat unanimement saluée, l’auteur de théories inédites sur la notion de « Take of », l’effet de percussion en Economie, le facteur non spécifié, la doctrine économique du Mouridisme, l’option structurelle et le développement optimal, l’espace économique et la transmission internationale de la connaissance, la place et le rôle de la femme dans le développement, les outils mathématiques de l’analyse économique moderne, les termes de l’échange.
Dans le domaine du Droit et des Sciences Politiques, son combat a été tellement original, qu’il lui a valu la qualité de membre de l’Académie Internationale de Droit Comparé de Stockholm, membre de l’International Academy of Trial des USA, membre de l’Académie des Sciences d’Outremer de France, Ancien Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, membre du Conseil Economique et Social, Député à l’Assemblée Nationale, Ministre d’Etat, etc.
La prestigieuse Ecole des Sciences Politiques de Paris, la très célèbre Sorbonne, l’Université d’Oxford, intéressées par son combat, l’nvitent pour l’entendre.
L’Internationale Libérale lui délivre la Médaille de la Liberté.
L’Académie du Maroc et le Conseil Exécutif de l’UNESCO lui consacrent, chacun, une séance spéciale, avant qu’il ne reçoive le Prix Félix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix.
Je rappelle, en passant, qu’entre 1989 et 2012, Wade a publié : « Un Destin pour l’Afrique », un ouvrage doctrinal dans lequel, il passe en revue les défis du continent, les obstacles à son décollage économique, les enjeux du futur et consacre des pages admirables à l’histoire du Panafricanisme et à celle de la résistance contre l’occupation étrangère
Ce dernier thème lui offre l’occasion de démontrer, qu’à la vérité, « l’Afrique des fiers guerriers et des savanes ancestrales », que chante David Diop, n’a jamais accepté d’être conquise. Elle a toujours résisté, debout, aux dictatures, à l’oppression, à la tyrannie, à la colonisation, à l’Apartheid, à la néo-colonisation, à la balkanisation et aux valets encore au service de l’impérialisme.
Cette résistance, qui n’a jamais cessé depuis l’aube des temps, se poursuit encore, de nos jours, sous des formes multiples.
Cet ouvrage a déjà été traduit en plusieurs langues étrangères parmi lesquelles, l’Anglais, l’Espagnol, le Russe, le Portugais et le Chinois.
Tout récemment, il a publié « Une vie au service de l’Afrique », qui retrace quelques-unes des étapes de son combat pour notre continent, un continent qui a, plus que jamais, besoin d’être défendu par ses fils et ses filles.
Il a engagé et gagné le combat pour la réhabilitation des Tirailleurs Sénégalais et a, magistralement, démontré que le sacrifice des soldats Noirs, en permettant la défaite du nazisme, du fascisme et du militarisme japonais, a contribué, entre autres, à l’événement du Monde Libre. Pour pérenniser ces acquis, il a créé une Fondation du Tirailleur Sénégalais et a érigé un Mémorial pour que le souvenir des victimes de Thiaroye 44 ne meure jamais.
Il a été le premier africain, qui a accueilli sur son sol, au Sénégal, après le terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti, dernièrement, 163 jeunes étudiantes et étudiants de ce pays-frère.
Il a engagé et gagné son combat contre les APE.
Il a engagé, seul, le combat contre l’Union pour la Méditerranée, facteur de division et d’affaiblissement de l’Union Africaine.
C’est lui qui a proposé à l’Union Africaine, de faire de la Diaspora, la 6ème Région du continent et de la Renaissance Africaine, ainsi que des Etats-Unis d’Afrique, son crédo et un viatique pour le XXIème siècle.
Il a engagé, seul, le combat contre l’immigration choisie au profit de l’immigration concertée.
Il n’a cessé de se battre pour la solidarité et la coopération afro-arabe, l’articulation de l’Afrique aux pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, l’impulsion vigoureuse d’une coopération Sud-Sud.
Il a défendu, avec compétence et érudition, l’ouverture des pays africains vers la Chine, l’Inde, le Brésil, sans renoncer à leurs partenaires occidentaux.
Il a, seul, pensé un projet de coopération des pays riverains de l’Océan Atlantique.
Il s’est battu, inlassablement, pour la démocratisation des institutions internationales, pour que l’Afrique parle d’une seule voix sur la scène mondiale, pour une réforme du Conseil de Sécurité lui permettant d’obtenir un siège permanant, avec droit de véto, pour la réforme du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, de la CNUCED ; pour le droit des africains d’être présents dans les instances où l’on fixe les prix des matières premières et des produits manufacturés ; pour le droit des africains d’avoir une monnaie africaine, une Banque Centrale Africaine et un Fonds Monétaire Africain.
A travers le plan OMEGA et le NEPAD, il s’est battu pour que l’Afrique accorde une priorité absolue aux infrastructures et a remporté ce combat, de manière spectaculaire.
Face à la tyrannie du pétrole, il a, non seulement, inventé une formule ayant pour vocation de combattre la pauvreté par le pétrole,
« The Wade Formula »
(Pt-29) Qt = St
mais, il a, même, suggéré la création d’une Association des Pays Non Producteurs de Pétrole.
Il a, le premier, dénoncé la fracture numérique et porté sur les fonts baptismaux, le Fonds de Solidarité Numérique.
C’est, de son seul esprit, qu’ont surgi, deux idées-phares, aussi géniales que pharaoniques, concernant la Grande Muraille Verte et la Haute Autorité sur le Sahara, pour l’exploitation en commun de ses richesses.
Il a été le chantre infatigable du dialogue interreligieux et du dialogue interculturel.
Il a engagé, avec des convictions profondes, le combat visant à libérer l’intelligentsia africaine de la servitude intellectuelle dans laquelle, le monde colonial l’avait enfermée, en autorisant la tenue, à Dakar, du Forum Social Mondial et du Festival Mondial des Arts Nègres, précédée par la réunion, en 1996 et 2005, de deux Conférences des Intellectuels et Hommes de Culture d’Afrique et de la Diaspora, à Dakar et au Brésil.
Au profit des populations sénégalaises, il est le père du libéralisme social, qui a accordé des bourses ou des aides à tous les étudiants sénégalais, qui a créé la Case des Tout-petits au service des plus démunis, en portant le budget de l’Education à 40%, le nombre d’universités de 2 à 6 ; la gratuité des soins pour les plus de 60 ans grâce au Plan Sésame, en inventant le plan Jaxaay, en subventionnant les intrants du monde rural de 60 à 80%, en attribuant, gratuitement, des semences aux paysans, en introduisant l’insémination artificielle et le repos biologique dans l’élevage et la pêche, en imaginant la GOANA, le Plan Reva, la Loi agro-sylvo-pastorale.
Son combat a, également, permis l’adoption d’une loi d’insertion sociale pour les handicapés.
Il a agi, positivement, en faveur des jeunes, des femmes, des retraités, de la classe ouvrière, des artisans, des transporteurs, des marchands ambulants, des déficients rénaux.
Son combat pour la démocratie et les droits humains a, définitivement, installé le pluralisme politique et syndical dans notre pays, avec l’existence de 176 partis, 200 radios, plus de 80 journaux, plusieurs écoles de journalisme, plus de 15 télévisions, la construction d’une maison de la presse d’un coût de 6 milliards, qui sera livrée en Décembre et l’adoption d’un Code de la Presse consensuel, le plus avancé en Afrique au Sud du Sahara.
Sur le plan syndical, il suffira, simplement, de rappeler que, dans le seul secteur de l’Education Nationale, 47 organisations sectorielles se disputent l’audience des personnels.
Le combat de Wade, c’est, en plus, l’instauration, au Sénégal, d’élections justes, démocratiques, transparentes, capables de générer une alternance pacifique, consensuelle et inclusive, comme on a pu le constater en 2000, 2007, 2009 et 2012.
Enfin, le combat de Wade, c’est, aussi, tous ces projets, qu’il n’a, malheureusement, pas eu le temps de finaliser, complètement, qui ont noms :
- Le Parc Culturel et les 7 Merveilles de Dakar
- Le Grand Théâtre National
- Le Musée des Civilisations Noires
- La Bibliothèque Nationale
- La Maison des Archives Nationales
- La Place de la Musique
- Le Musée d’Art Contemporain
- L’Ecole d’Architecture et des Beaux-Arts
- L’Esplanade des Libertés
- Les lieux de culte
- L’autoroute à péage Dakar-Thiès
- L’Université du Futur Africain
- Les Universités de Guédiawaye, de Diameniadio et du Sine-Saloum
- Le projet d’Arène Nationale de Lutte
- L’Aéroport International Blaise Diagne
- La nouvelle capitale pour corriger la macrocéphalie héritée de l’époque coloniale
Voilà pourquoi, le monde entier lui a rendu un hommage exceptionnel, à travers plus de 45 distinctions honorifiques.
Au lendemain du 25 Mars 2012, les évènements que son pays venait de connaître ont inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire de la démocratie et de l’humanisme dans le monde. Jamais, le Sénégal n’avait été autant célébré, autant loué, autant admiré au cours de sa trajectoire évolutive, pourtant, plurimillénaire, à cause des actes qu’il a posés.
D’Afrique, d’Europe, des Amériques, de l’Asie lointaine des pays arabo-islamiques, ont surgi des témoignages de félicitations, d’admiration, de fierté, d’encouragements et de satisfactions, saluant avec chaleur, la belle et inégalée leçon de démocratie, que le Sénégal, que son peuple, que sa classe politique, sous la houlette de Wade, ont administré à toute la planète avec une transparence et une élégance assurément incomparables.
Gouvernements, organismes internationaux, société civile sénégalaise et internationale, personnalités marquantes, forces citoyennes, autorités religieuses, intellectuels de renom, artistes, jeunes, femmes, adultes, personnes âgées, Société Civile Africaine, l’Union Africaine, l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Alioune Tine, au nom de la RADDHO, le CONGAD, le Forum Civil, Jean Christophe Rufin, toute la presse des pays arabes, de l’Amérique Latine, des Caraïbes et de l’Asie et la Communauté des Etats Indépendants ont, tous, chanté, chacun à sa manière, la vitalité de la démocratie sénégalaise, balayant ainsi, de façon définitive et irréversible, la campagne de diabolisation, qu’on avait bruyamment orchestrée.
Koffi Annan, en personne a, lui-même, dit que « le Sénégal n’avait de leçon de démocratie à recevoir de personne ».
Sur nos écrans de télévision, des frères africains, décrivant la situation qui prévalait dans leur pays, se sont écriés, avec une sincérité touchante et un désespoir profond : « Nous voulons une démocratie comme celle du Sénégal ».
A la première page d’un journal aussi prestigieux que Sud Quotidien, on a affiché que l’ONU offrait à ses 193 pays membres, l’exemple du Sénégal, tandis qu’un chroniqueur féroce d’une radio internationale, après avoir brocardé l’homme Wade, pendant des semaines, a eu l’honnêteté et le courage de lui rendre un hommage vibrant, allant même jusqu’à s’excuser, d’avoir mal compris certains des actes qu’il avait, jadis, posés.
Si je rappelle tout cela, avant de conclure, c’est pour dire, haut et fort, que l’homme Wade peut être fier, très fier d’avoir honoré son pays et d’avoir donné, au terme de 11 années de pouvoir, à tous les démocrates de la terre la preuve indubitable que l’homme noir n’est pas que le sinistre esclave qu’on a, pendant plus de 4 siècles, ballotté dans les caves, enchainé, battu, humilié et transplanté au-delà des mers, encore moins le colonisé bafoué et piétiné, réduit au rang de sous-homme que le colonialisme a façonné. Il est aussi un créateur de valeurs humanistes et de grandeur, un être debout, incarnation vivante de la dignité.
Il ne vous reste, Monsieur le Président, au vu de tout ce qui vient d’être rappelé, qu’à remercier Dieu, qui vous a permis de repérer votre successeur actuel, de lui avoir mis le pied à l’étrier, de l’avoir soutenu, choisi, encouragé, de conforter ses qualités, de tremper son caractère, de formater sa pensée, de l’avoir nommé Responsable des Etudiants, Responsable des Cadres de la CIS, Directeur de PETROSEN, Ministre des Mines, Ministre de l’Intérieur, Premier Ministre, Numéro deux du parti, Directeur de Campagne en 2007, Président de l’Assemblée Nationale.
Grâce à Dieu et à votre perspicacité, vous lui avez confectionné, en très peu de temps, un curriculum vitae qui lui aurait permis, s’il se présentait aux Nations-Unies, d’être élu sans compétition.
C’est en mettant en application tout ce qu’il a appris sous votre ombre, qu’il obtenu son élection le 25 Mars 2012.
Sous ce rapport, la victoire de votre remplaçant est, aussi, votre victoire. C’est comme cela que vous devez la positiver. C’est la victoire du libéralisme social que vous lui avez enseigné. C’est la victoire d’un de vos fils, dont vous avez contribué à façonner le destin merveilleux.
Voilà pourquoi, tout le monde a apprécié la façon dont s’est opérée la transition, après le 25 Mars 2012, les prières que vous lui avez adressées, les conseils que vous lui avez prodigués, la disponibilité que vous avez manifestée à son égard et les instructions que vous avez donnés à vos anciens ministres de répondre à toutes les interrogations de la nouvelle majorité, que la volonté populaire a porté au pouvoir.
Certes, tout dans votre parcours ne fut pas parfait, car la perfection n’appartient qu’à Dieu et à Dieu Seul.
Il y a eu, quelquefois, des erreurs et peut-être, même, des échecs, mais le combat de toute une vie est, toujours, une totalité. Or, à cette aune-là, il ne fait aucun doute que le parcours du combattant que vous êtes a été, incontestablement, jalonné de succès, de faste, de prestige et d’éclat.
Je ne crois, donc, pas exagérer, en affirmant qu’au soir de votre vie, vous pouvez être fier de votre combat politique, au regard de vous-même, de votre pays, de l’Afrique, de l’homme Noir et de l’humanité toute entière.
L’heure est, donc, venue pour vous, de vous hisser au-dessus de la mêlée, en sage respecté, honoré et en patriarche admiré et envié, détenteur d’une expérience politique, économique et gouvernementale, dont le monde entier a besoin.
Vous n’appartenez plus, ni au PDS seul, ni au Sénégal seul, ni à l’Afrique seule, ni même au monde noir seul.
Vous appartenez à l’humanité toute entière.
Iba Der Thiam
Nous sommes là, enfin, pour célébrer le parcours d’un combattant infatigable de la dignité humaine, qui a, toujours, nourri, pour l’Afrique et le monde Noir, une grande, belle, noble, forte et sincère ambition, qu’il a, toujours, voulu traduire en actes concrets.
Sous cet éclairage, l’homme Abdoulaye Wade s’inscrit dans la lignée des géants de l’histoire qui, après la saga des résistants illustres qui ont donné leur vie pour la survie du continent, ont ouvert, avec Blaise Diagne, premier Député Noir d’Afrique au Sud du Sahara, une nouvelle séquence historique qui a commencé le 10 Mai 1914.
Je pense à Galandou Diouf, Mody Mbaye, Sarr Papa Guèye, Papa Mar Diop, Lamine Guèye.
Par l’acte qu’il a posé, le 25 Mars 2012, il a fermé, magistralement, cette séquence temporelle avec un faste et un panache inégalés.
L’homme Wade est né en 1926, dans un contexte mondial fortement marqué par les conséquences de la Grande Guerre 14-18 à laquelle, son père a participé, en partageant les 300 jours d’épreuves innommables qu’a duré l’enfer de Verdun, pour que la France vive libre ; un monde caractérisé par la première révolution socialiste d’Octobre 1917 et les premiers développements du Mouvement Communiste dans le monde.
C’était l’époque où le Sénégal, après avoir payé l’impôt du sang, à travers la geste héroïque des Tirailleurs Sénégalais, s’engageait, fébrilement, dans la reconstruction de son économie délabrée et ruinée par l’effort de guerre et dans la reconstruction de son tissu social détricoqué par les recrutements massifs et les corvées sempiternelles.
C’était l’époque où le Sénégal comprenait quatre communes de plein exercice (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar), dont les ressortissants étaient citoyens français, tout le reste de la population étant composé de sujets français, régis par le décret du 30 Novembre 1887, version corrigée du Code Noir de 1685, instituant l’Indigénat et, comme tels, taillables et corvéables à merci, soumis à l’arbitraire des Commandants de cercle, qui pouvaient leur appliquer des pénalités lourdes et sans appel, sans qu’ils ne puissent même pas bénéficier des services d’un avocat.
Par un de ces concours de circonstances, dont Dieu, Seul, connait le secret et la véritable portée, l’année 1926 a été, pour le Sénégal et pour l’AOF de l’après-guerre, une année faste, une année, de prospérité sociale, d’abondance économique, à la faveur d’une pluviométrie généreuse.
C’était la première fois que le Sénégal produisait 600.000 tonnes d’arachides.
Le mouvement général de commerce avait atteint, en 1926, le chiffre record de 2 milliards 827 millions 054 mille 574 francs (2.827.054.574 F), sous l’effet combiné des importations, de la tenue du franc et des variations de son taux de change, d’une exploitation intense des produits, d’une amélioration notable des moyens de stockage des matières premières destinées à l’exportation , enfin de conditions physiques et climatiques exceptionnellement favorables, alors que les années précédentes avaient été marquées par les tensions provoquées par les congrès pan noirs de Londres, Paris et Bruxelles de 1921 ; la signature du Pacte de Bordeaux de 1923, qui consacra la fin du diagnisme flamboyant, offensif et volontariste et la reconquête, par le commerce colonial, de l’influence tentaculaire qu’il avait acquise les années passées ; la flambée sociale illustrée par les violentes grèves dans les chemins de fer de l’année 1925, des récriminations des anciens combattants du Laghem, de retour des champs de bataille, la même année, sans parler des pesanteurs liées aux contraintes d’une reconstruction de l’économie, marquée par la vétusté des équipements, la modicité des moyens financiers, la rareté des matières premières et de la main d’œuvre et l’impatience grandissante des populations.
Certes, dès 1927, le Sénégal rompait avec la prospérité et subissait une série d’épreuves qui ont noms :
- détérioration du climat sanitaire avec des épidémies de fièvre jaune, peste, variole, peste bovine et humaine
- aggravation de la fiscalité
- manifestations de rue contre le pouvoir colonial à Tivaoune, non loin de Kébémer, le 27 Juin 1927.
- et surtout, approfondissement de la crise religieuse, amorcée par la disparition presque simultanée de Mor Diarra Mbacké, d’El Hadji Abdoulaye Niasse, d’El Hadji Malick Sy, entre Juin 1921 et Juin 1922, avant de connaître son paroxysme, lorsque le Cheikh Ahmadou Bamba fut rappelé à Dieu le 19 Juillet 1927. Mais, l’année 1927 avait, aussi, été celle du grand bond en avant, au plan international.
En effet, alors que le pays, tout entier, était plongé dans une profonde angoisse, les premiers signes d’espoir pour le monde Noir apparaissaient sous d’autres cieux, en 1927, précisément, à travers :
- la convocation de la Conférence de Bruxelles, contre l’impérialisme et la domination coloniale, en présence de Maxime Gorki, de l’Indien Jawaharlal Nehru, de l’Allemand Willy Muzenberg, du Tunisien Chadli Ben Moustapha, de l’Américain Baldwin, de Chen-shi et de Sia-Ting, délégués de Kuomintang, de Gumédé d’Afrique du Sud, d’Henry Barbusse, de Thiémokho Garan Kouyaté et de Lamine Senghor. Des travaux de cette conférence, sortit la Ligue contre l’impérialisme et l’indépendance nationale, dont le Professeur Paul Langevin fut le Président d’Honneur. C’était, là, un évènement stratégique et politique majeur, dans le contexte de l’époque.
L’année 1927 était, aussi, celle de la naissance, au mois de Mai, de la Ligue de Défense de la Race Noire, sur les cendres du Comité de Défense de la Race Nègre, suivie de la publication de « Violation d’un pays », premier ouvrage fortement anticolonial, écrit par un colonisé, en l’occurrence, Lamine Senghor et préfacé par Paul Vaillant Couturier, avant de disparaître, lui aussi, la même année, à Fréjus.
Sous ces auspices, l’entrée en scène d’un enfant appartenant par son père à la prestigieuse famille des Bracks du Walo, qui inaugurèrent la première résistance armée contre la pénétration française, et, par sa mère, à l’ethnie manding et casamançaise, dont la glorieuse geste, à travers l’histoire du Gabou, a irrigué toute la Sénégambie, constituait un symbole fort, portant en lui, un héritage et un présage qui trouvent leurs origines dans la Charte du Kurukhan Fugha, d’une part et dans l’humanisme admirable commun à tous les peuples de la sous-région, d’autre part.
L’adolescence du jeune Wade allait se dérouler dans un contexte caractérisé par les prémices de la grande crise économique de 1929, la bataille de l’arachide en 1934, l’arrivée d’Hitler et de Mussolini au pouvoir au cours des années 30, l’offensive du Kominterm contre les colonies européennes en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, l’échec de la colonisation italienne en Ethiopie, en 1935 et en Lybie, 1941 ; l’accès à l’indépendance des premières colonies arabes, l’arrivée du Front Populaire au pouvoir en 1936 et, surtout, la grève des cheminots du chemin de fer Dakar-Saint-Louis, le 30 Septembre 1938, qui se termina, comme on le sait, par 7 morts et 125 blessés. C’était la première fois que la classe ouvrière sénégalaise payait un tribut aussi lourd à la lutte pour le progrès. Enfin, par la marche forcée vers la 2ème guerre mondiale.
Lorsque la France succomba aux assauts répétés des forces allemandes et que De Gaulle, parti pour l’Angleterre, y lança son fameux appel du 18 Juin 1940, le jeune Wade n’avait que 14 ans.
Il a, ainsi, vécu toute la 2ème guerre mondiale dans un pays meurtri, avec ses privations, les rigueurs du régime de Vichy, le bombardement de Dakar par les forces franco-anglaises, en Septembre 1940, dirigées par De Gaulle.
Il était, déjà, un jeune homme formé et informé, épris d’absolu, quand, élève à la prestigieuse Ecole Normale de William Ponty, la France Libre, s’appuyant sur les forces africaines à Brazzaville, au Gabon, au Tchad, à travers Félix Eboué, Koenig et Leclerc, rejetait la capitulation, engageait les batailles de Koufra, de Tobrouk, de Birhakeim et d’El Alamein ; quand De Gaulle, Churchill et Roosevelt se rencontraient à Anfa, au Maroc en 1943 et quand le Comité Français de Libération Nationale établissait ses quartiers à Alger.
Le jeune Wade était, déjà, relativement mûr, quand les africains libéraient Toulon et Marseille, un an plus tard et quand la deuxième division blindée remontait jusqu’à Paris et marquait son entrée triomphale dans la capitale française.
« Juché sur toutes ces mutilations », pour parler comme M. Roger Garaudy, Wade avait, dès ce moment-là, défini les coordonnées de sa philosophie.
Lorsqu’il débarqua en France, quelques années plus tard, après la deuxième guerre mondiale, il était, tout entier, immergé dans un climat marqué par les traumatismes profonds et les mutations de toutes natures que le conflit et ses conséquences multiformes avaient générées :
- échec de la Conférence de Brazzaville de Janvier 1944
- massacres de Thiaroye de Décembre 1944
- traités de paix
- déclenchement de la guerre du Viêtnam
- conférence de Manchester en 1945 sur l’unité du monde Noir, le Panafricanisme et la décolonisation
- procès de Nuremberg
- accords de Yalta coupant le monde en deux blocs et ouvrant l’ère de la guerre froide.
- suppression du travail forcé par la loi Félix Houphouët Boigny en 1946
- établissement de la citoyenneté d’Outremer par la loi Lamine Guèye, la même année
- création des Nation-Unies
- congrès du RDA, à Bamako, toujours en 1946
- apparition, partout en Afrique, des groupes d’études communistes.
- soulèvements de Madagascar de 1947, réprimés dans le sang, avec ses 90.000 morts
- création de Présence Africaine en 1947
- crise entre Senghor et Lamine Guèye, en 1948, au sein de la SFIO, après la longue grève des cheminots du Dakar-Niger qui dura 5 mois et 10 jours
- massacres de Sétif et de Guelma, la même année
- déclenchement de la guerre de Corée
- création de l’Institut des Hauts Etudes de Dakar, en 1950
- création, aussi, de la FEANF, qui se donna pour devise, ces sages et admirables propos du Roi GHEZO, qui disait : « Si tous les enfants du pays venaient, par leurs mains rassemblées, boucher les trous de la jarre, le pays serait sauvé », viatique tonifiant et supplique ardente pour tous les étudiants africains provenant des quatre coins du continent.
- événements de Dimbokro, de Séguéla et guerres Ashanti
- déclenchement de la guerre de libération nationale au Cameroun par l’UPC
- naissance du Conseil de la Jeunesse du Sénégal, de l’UGEAO, de l’UGTAN, du PRA, du PAI, etc.
L’étudiant Abdoulaye Wade avait, évidemment, suivi tous ces événements et participé à tous ces combats, avec fougue et enthousiasme, que se soit dans le cadre de l’Association des Etudiants Nationalistes, avec Majhmout Diop, Cheikh Hamidou Kane et, plus tard, du Mouvement de Libération Nationale, avec Joseph Ki-Zerbo, Daniel Cabou, etc.
Après la défaite de Dien Bien Phu, Wade salue et approuve l’indépendance du Viêtnam, bien qu’il n’ait aucun goût, ni pour la lutte armée, ni pour le Communisme.
Lorsque l’Algérie proclame sa guerre de libération nationale, il s’engage, résolument, à ses côtés, se constitue avocat du FLN, officiant superbement aux barreaux de Besançon, de Grenoble et de Dakar.
En effet, animé d’une grande et passionnante ambition pour son continent et d’une soif inextinguible de justice et d’engagement au service de toutes les causes justes, il est présent sur tous les fronts, où l’on se bat pour la dignité et la grandeur de l’être humain.
Comprenant, alors, que pour réaliser la mission dont il se sentait, de plus en plus, investi, il avait l’obligation morale de s’en donner tous les moyens intellectuels, académiques et scientifiques nécessaires, il poursuit avec une détermination farouche et une volonté inflexible, une carrière universitaire d’une fécondité incomparable qui lui confère, aujourd’hui encore, le titre envié et incontesté d’intellectuel le plus diplômé de tout le continent africain et de la Diaspora.
Qu’on en juge !
- Diplôme de Mathématiques Elémentaires Supérieures et Générales
- Diplôme de Physique et Chimie
- Diplôme de Mécanique Rationnelle
- Diplôme de Psychologie Générale
- Diplôme de Morale et de Sociologie
- Diplôme de Psychologie de la vie sociale
- Diplôme de Philosophie Générale
- Diplôme de Droit
- Diplôme d’Economie Politique
- Doctorat en Droit et en Sciences Economiques
- Recherche en Economie avec séjours dans les Universités américaines
- Agrégé des Facultés de Droit et de Sciences Economiques
Sa rencontre avec Viviane lui aura grandement facilité la tâche.
Dès cette époque Wade s’engage dans tous les combats intellectuels, politiques, économiques, sociaux, culturels et stratégiques de son temps.
Il compte parmi les Universitaires africains, qui ont salué la rupture entre TITO et Staline.
Wade comprend et soutient, également, au combat que mènent, en Inde, le Mahatma Gandhi et Jinnah, pour l’indépendance de leur patrie.
Il a, de même, suivi, pas à pas, les étapes de la longue marche en Chine de MAO TSE TOUNG et le triomphe de la Révolution Communiste de 1949.
Quand Nasser opère sa révolution au détriment du Roi Farouk, en 1952 et imprime un coup de fouet vigoureux au nationalisme arabe, Wade s’intéresse à son combat.
Il se tient, de même, aux côtés du Maroc et de la Tunisie, lorsque ces deux pays, sous la houlette de Mohamed Ben Youssef et d’Habib Bourguiba, engagent la bataille pour l’indépendance.
Quand Jomo Kenyatta s’insurge contre les abus du colonialisme anglais et déclenche la révolution des Mau-Mau au Kenya, Wade suit ce mouvement avec sympathie et se considère comme solidaire de sa cause.
Lorsque Cheikh Anta Diop soutient sa thèse historique « Nations Nègres et Culture », prouvant, ainsi, l’antériorité des civilisations noires et l’ancrage de l’Egypte pharaonique dans l’Afrique Noire, Wade partage son combat.
Lorsque se réunit à Bandoeng, en Avril 1955, la Conférence afro-asiatique contre la domination coloniale, Wade est de tout cœur avec elle.
Quand Nasser nationalise le Canal de Suez, en 1956, il comprend la portée de son acte, qui pose un problème de souveraineté nationale.
Lorsque la Société Africaine de Culture convoque, à Paris, à la Sorbonne, le premier Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs, du 19 au 22 Septembre 1956, Abdoulaye WADE est de la partie, puisqu’il y présente une communication intitulée : « L’Afrique Noire doit-elle élaborer un Droit Positif ?».
Il partage le panel constitué à cette occasion avec des figures emblématiques, comme Alioune Diop, Rabémanjara, Paul Azoumé, Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Hampaté Bâ, Aimé Césaire, Price Mars, Cheikh Anta Diop, Richard Wright.
Il a, évidement, salué le combat de Nkrumah et l’indépendance du Ghana acquise, en 1957 ; Nkrumah, qu’il considère, au demeurant, comme son mentor depuis sa prestation inoubliable à la Conférence de Manchester.
Il s’investit, simultanément, aux côtés des étudiants de la FEANF et de l’UGEAO, pour dénoncer la loi-cadre, s’opposer à la balkanisation du continent et prôner la décolonisation immédiate.
A ce titre, il fait partie des patriotes africains, qui ont salué l’indépendance de la Guinée et qui ont encouragé les cadres africains à se mettre au service de ce pays, quand la France a retiré son personnel.
Son combat intellectuel, il le poursuit dans « Présence Africaine », où il publie en 1956, « Examen critique des méthodes pédagogiques » dans lequel, il dénonce les clichés coloniaux, critique l’enseignement coloniale des sciences et de l’histoire africaine, dénonce les modestes ambitions de l’Institut des Hautes Etudes de Dakar et préconise une nouvelle démarche plus hardie et plus novatrice, s’inspirant de l’éducation africaine, de la pédagogie de Mankarenko, de la connaissance du milieu du jeune africain, de l’éducation des adultes et de l’enseignement des langues nationales.
Loin de s’arrêter en si bon chemin, il participe à la conception d’un alphabet wolof, appelé « Ijib Wolof », aux côtés d’Assane Sylla et d’autres acteurs, au sein de la FEANF.
Wade s’implique, en outre, dans toutes les luttes menées sous la bannière du nationalisme, du pan négrisme et du Panafricanisme, aussi bien en France et en Europe, qu’après son retour au Sénégal.
Il encourage, à ce titre, le 2ème Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, tenu à Rome, du 26 Mars au 1er Avril 1959 ; salue, soutient et encourage Patrice Lumumba, héros de l’indépendance du Congo ; soutient et encourage le combat des Noirs Américains pour les droits civiques ; salue la création de la Fédération du Mali et déplore son échec ; il assiste en témoin aux événements de Décembre 1962 et assure la défense du Président Mamadou DIA. Il soutient, de tout cœur, la vague des indépendances africaines des années 60.
Repéré par Léopold Sédar Senghor, impressionné par son curriculum vitae et par son charisme flamboyant et ravageur, il fait tout ce qu’il peut pour l’avoir à ses côtés, dans l’espoir d’en faire son futur successeur.
Si le projet n’a, hélas, pas confirmé la promesse des fleurs, à cause de certains barons de l’establishment, le Poète-Président ne gardera pas moins de leur rapprochement, les meilleurs souvenirs, des souvenirs mâtinés de respect, de considération et d’admiration.
Commence, alors, pour Wade, différents combats dans les rangs de l’opposition politique, à travers le BMS, aux côtés de Cheikh Anta Diop, Boubacar Guèye, etc., dans un contexte implacable de parti unique, marqué par la mise en congé des libertés de réunion, d’expression, d’organisation, d’association, de presse et une répression féroce.
Prenant en compte tous ces éléments, après la dissolution des syndicats, du Conseil de la Jeunesse, du mouvement estudiantin et des partis politiques existants, Wade est témoin des événements de Mai 68, se range aux côtés du peuple en lutte et saisit l’occasion que lui offre, au cours des années 70, la volonté de Senghor d’être admis à l’Internationale Socialiste, pour ruser avec lui et décrocher la reconnaissance du PDS en 1974, en le faisant passer pour un parti de contribution.
Pendant 26 longues et dures années d’épreuves et de sacrifices de toutes natures, Wade obtient des Députés du PDS à l’Assemblée Nationale, revitalise cette institution, dénonce les plans d’ajustement structurel, lutte contre l’Article 35 de la Constitution, qui crée un dauphinat désigné et non élu, force Senghor à quitter la scène politique, accepte, même, de participer au Gouvernement d’Abdou Diouf, pour faire avancer la démocratie sénégalaise, en changeant le Code électoral et constitue une alliance vaste contre le régime socialiste usé et divisé, en mettant sur pied, la CA 2000.
Son combat pour la conquête démocratique du pouvoir a, pendant tout ce temps, été mené, simultanément, avec une réflexion intense sur le contenu qui doit être donné à l’indépendance du Sénégal et des autres pays africains.
Dès 1965, l’OUA sollicite son concours et son expertise.
Invité de la célèbre Université de Boston, en 1967, ainsi qu’à Saint-Louis, en 1978 et à l’UNESCO, en 1980, il élargit sa réflexion sur le travaillisme, dans une optique afro-centriste, s’intéresse à la réforme du Fonds Monétaire International, au financement du développement, invente la théorie des droits de tirages spéciaux, mène des activités de consultance à Khartoum, en 1986, à la demande du Gouvernement et rédige un projet d’agence arabo-africaine de développement.
Il s’attaque au dialogue Nord-Sud, en sa qualité de Président des Experts africains de l’OUA et de la BAD dans les négociations monétaires internationales, sur le financement du développement et sur le commerce interafricain.
Il est le rédacteur de la Charte Africaine de Coopération, de l’Indépendance Economique et du Développement, adoptée par les Chefs d’Etat de l’OUA.
Wade est, aussi, l’un des pères fondateurs du Centre Africain d’Etudes Monétaires et de la Caisse de Compensation des Banques Centrales Africaines.
Pendant 30 ans, l’ONU, l’OUA, la CNUCED, la Banque Mondiale, le FMI, la Commission Internationale des Juristes, le Centre de la Paix Mondiale pour le Droit à Washington, ont fait appel à ses services.
Dans le domaine de l’économie, il est, en plus de sa thèse d’Etat unanimement saluée, l’auteur de théories inédites sur la notion de « Take of », l’effet de percussion en Economie, le facteur non spécifié, la doctrine économique du Mouridisme, l’option structurelle et le développement optimal, l’espace économique et la transmission internationale de la connaissance, la place et le rôle de la femme dans le développement, les outils mathématiques de l’analyse économique moderne, les termes de l’échange.
Dans le domaine du Droit et des Sciences Politiques, son combat a été tellement original, qu’il lui a valu la qualité de membre de l’Académie Internationale de Droit Comparé de Stockholm, membre de l’International Academy of Trial des USA, membre de l’Académie des Sciences d’Outremer de France, Ancien Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, membre du Conseil Economique et Social, Député à l’Assemblée Nationale, Ministre d’Etat, etc.
La prestigieuse Ecole des Sciences Politiques de Paris, la très célèbre Sorbonne, l’Université d’Oxford, intéressées par son combat, l’nvitent pour l’entendre.
L’Internationale Libérale lui délivre la Médaille de la Liberté.
L’Académie du Maroc et le Conseil Exécutif de l’UNESCO lui consacrent, chacun, une séance spéciale, avant qu’il ne reçoive le Prix Félix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix.
Je rappelle, en passant, qu’entre 1989 et 2012, Wade a publié : « Un Destin pour l’Afrique », un ouvrage doctrinal dans lequel, il passe en revue les défis du continent, les obstacles à son décollage économique, les enjeux du futur et consacre des pages admirables à l’histoire du Panafricanisme et à celle de la résistance contre l’occupation étrangère
Ce dernier thème lui offre l’occasion de démontrer, qu’à la vérité, « l’Afrique des fiers guerriers et des savanes ancestrales », que chante David Diop, n’a jamais accepté d’être conquise. Elle a toujours résisté, debout, aux dictatures, à l’oppression, à la tyrannie, à la colonisation, à l’Apartheid, à la néo-colonisation, à la balkanisation et aux valets encore au service de l’impérialisme.
Cette résistance, qui n’a jamais cessé depuis l’aube des temps, se poursuit encore, de nos jours, sous des formes multiples.
Cet ouvrage a déjà été traduit en plusieurs langues étrangères parmi lesquelles, l’Anglais, l’Espagnol, le Russe, le Portugais et le Chinois.
Tout récemment, il a publié « Une vie au service de l’Afrique », qui retrace quelques-unes des étapes de son combat pour notre continent, un continent qui a, plus que jamais, besoin d’être défendu par ses fils et ses filles.
Il a engagé et gagné le combat pour la réhabilitation des Tirailleurs Sénégalais et a, magistralement, démontré que le sacrifice des soldats Noirs, en permettant la défaite du nazisme, du fascisme et du militarisme japonais, a contribué, entre autres, à l’événement du Monde Libre. Pour pérenniser ces acquis, il a créé une Fondation du Tirailleur Sénégalais et a érigé un Mémorial pour que le souvenir des victimes de Thiaroye 44 ne meure jamais.
Il a été le premier africain, qui a accueilli sur son sol, au Sénégal, après le terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti, dernièrement, 163 jeunes étudiantes et étudiants de ce pays-frère.
Il a engagé et gagné son combat contre les APE.
Il a engagé, seul, le combat contre l’Union pour la Méditerranée, facteur de division et d’affaiblissement de l’Union Africaine.
C’est lui qui a proposé à l’Union Africaine, de faire de la Diaspora, la 6ème Région du continent et de la Renaissance Africaine, ainsi que des Etats-Unis d’Afrique, son crédo et un viatique pour le XXIème siècle.
Il a engagé, seul, le combat contre l’immigration choisie au profit de l’immigration concertée.
Il n’a cessé de se battre pour la solidarité et la coopération afro-arabe, l’articulation de l’Afrique aux pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, l’impulsion vigoureuse d’une coopération Sud-Sud.
Il a défendu, avec compétence et érudition, l’ouverture des pays africains vers la Chine, l’Inde, le Brésil, sans renoncer à leurs partenaires occidentaux.
Il a, seul, pensé un projet de coopération des pays riverains de l’Océan Atlantique.
Il s’est battu, inlassablement, pour la démocratisation des institutions internationales, pour que l’Afrique parle d’une seule voix sur la scène mondiale, pour une réforme du Conseil de Sécurité lui permettant d’obtenir un siège permanant, avec droit de véto, pour la réforme du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, de la CNUCED ; pour le droit des africains d’être présents dans les instances où l’on fixe les prix des matières premières et des produits manufacturés ; pour le droit des africains d’avoir une monnaie africaine, une Banque Centrale Africaine et un Fonds Monétaire Africain.
A travers le plan OMEGA et le NEPAD, il s’est battu pour que l’Afrique accorde une priorité absolue aux infrastructures et a remporté ce combat, de manière spectaculaire.
Face à la tyrannie du pétrole, il a, non seulement, inventé une formule ayant pour vocation de combattre la pauvreté par le pétrole,
« The Wade Formula »
(Pt-29) Qt = St
mais, il a, même, suggéré la création d’une Association des Pays Non Producteurs de Pétrole.
Il a, le premier, dénoncé la fracture numérique et porté sur les fonts baptismaux, le Fonds de Solidarité Numérique.
C’est, de son seul esprit, qu’ont surgi, deux idées-phares, aussi géniales que pharaoniques, concernant la Grande Muraille Verte et la Haute Autorité sur le Sahara, pour l’exploitation en commun de ses richesses.
Il a été le chantre infatigable du dialogue interreligieux et du dialogue interculturel.
Il a engagé, avec des convictions profondes, le combat visant à libérer l’intelligentsia africaine de la servitude intellectuelle dans laquelle, le monde colonial l’avait enfermée, en autorisant la tenue, à Dakar, du Forum Social Mondial et du Festival Mondial des Arts Nègres, précédée par la réunion, en 1996 et 2005, de deux Conférences des Intellectuels et Hommes de Culture d’Afrique et de la Diaspora, à Dakar et au Brésil.
Au profit des populations sénégalaises, il est le père du libéralisme social, qui a accordé des bourses ou des aides à tous les étudiants sénégalais, qui a créé la Case des Tout-petits au service des plus démunis, en portant le budget de l’Education à 40%, le nombre d’universités de 2 à 6 ; la gratuité des soins pour les plus de 60 ans grâce au Plan Sésame, en inventant le plan Jaxaay, en subventionnant les intrants du monde rural de 60 à 80%, en attribuant, gratuitement, des semences aux paysans, en introduisant l’insémination artificielle et le repos biologique dans l’élevage et la pêche, en imaginant la GOANA, le Plan Reva, la Loi agro-sylvo-pastorale.
Son combat a, également, permis l’adoption d’une loi d’insertion sociale pour les handicapés.
Il a agi, positivement, en faveur des jeunes, des femmes, des retraités, de la classe ouvrière, des artisans, des transporteurs, des marchands ambulants, des déficients rénaux.
Son combat pour la démocratie et les droits humains a, définitivement, installé le pluralisme politique et syndical dans notre pays, avec l’existence de 176 partis, 200 radios, plus de 80 journaux, plusieurs écoles de journalisme, plus de 15 télévisions, la construction d’une maison de la presse d’un coût de 6 milliards, qui sera livrée en Décembre et l’adoption d’un Code de la Presse consensuel, le plus avancé en Afrique au Sud du Sahara.
Sur le plan syndical, il suffira, simplement, de rappeler que, dans le seul secteur de l’Education Nationale, 47 organisations sectorielles se disputent l’audience des personnels.
Le combat de Wade, c’est, en plus, l’instauration, au Sénégal, d’élections justes, démocratiques, transparentes, capables de générer une alternance pacifique, consensuelle et inclusive, comme on a pu le constater en 2000, 2007, 2009 et 2012.
Enfin, le combat de Wade, c’est, aussi, tous ces projets, qu’il n’a, malheureusement, pas eu le temps de finaliser, complètement, qui ont noms :
- Le Parc Culturel et les 7 Merveilles de Dakar
- Le Grand Théâtre National
- Le Musée des Civilisations Noires
- La Bibliothèque Nationale
- La Maison des Archives Nationales
- La Place de la Musique
- Le Musée d’Art Contemporain
- L’Ecole d’Architecture et des Beaux-Arts
- L’Esplanade des Libertés
- Les lieux de culte
- L’autoroute à péage Dakar-Thiès
- L’Université du Futur Africain
- Les Universités de Guédiawaye, de Diameniadio et du Sine-Saloum
- Le projet d’Arène Nationale de Lutte
- L’Aéroport International Blaise Diagne
- La nouvelle capitale pour corriger la macrocéphalie héritée de l’époque coloniale
Voilà pourquoi, le monde entier lui a rendu un hommage exceptionnel, à travers plus de 45 distinctions honorifiques.
Au lendemain du 25 Mars 2012, les évènements que son pays venait de connaître ont inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire de la démocratie et de l’humanisme dans le monde. Jamais, le Sénégal n’avait été autant célébré, autant loué, autant admiré au cours de sa trajectoire évolutive, pourtant, plurimillénaire, à cause des actes qu’il a posés.
D’Afrique, d’Europe, des Amériques, de l’Asie lointaine des pays arabo-islamiques, ont surgi des témoignages de félicitations, d’admiration, de fierté, d’encouragements et de satisfactions, saluant avec chaleur, la belle et inégalée leçon de démocratie, que le Sénégal, que son peuple, que sa classe politique, sous la houlette de Wade, ont administré à toute la planète avec une transparence et une élégance assurément incomparables.
Gouvernements, organismes internationaux, société civile sénégalaise et internationale, personnalités marquantes, forces citoyennes, autorités religieuses, intellectuels de renom, artistes, jeunes, femmes, adultes, personnes âgées, Société Civile Africaine, l’Union Africaine, l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Alioune Tine, au nom de la RADDHO, le CONGAD, le Forum Civil, Jean Christophe Rufin, toute la presse des pays arabes, de l’Amérique Latine, des Caraïbes et de l’Asie et la Communauté des Etats Indépendants ont, tous, chanté, chacun à sa manière, la vitalité de la démocratie sénégalaise, balayant ainsi, de façon définitive et irréversible, la campagne de diabolisation, qu’on avait bruyamment orchestrée.
Koffi Annan, en personne a, lui-même, dit que « le Sénégal n’avait de leçon de démocratie à recevoir de personne ».
Sur nos écrans de télévision, des frères africains, décrivant la situation qui prévalait dans leur pays, se sont écriés, avec une sincérité touchante et un désespoir profond : « Nous voulons une démocratie comme celle du Sénégal ».
A la première page d’un journal aussi prestigieux que Sud Quotidien, on a affiché que l’ONU offrait à ses 193 pays membres, l’exemple du Sénégal, tandis qu’un chroniqueur féroce d’une radio internationale, après avoir brocardé l’homme Wade, pendant des semaines, a eu l’honnêteté et le courage de lui rendre un hommage vibrant, allant même jusqu’à s’excuser, d’avoir mal compris certains des actes qu’il avait, jadis, posés.
Si je rappelle tout cela, avant de conclure, c’est pour dire, haut et fort, que l’homme Wade peut être fier, très fier d’avoir honoré son pays et d’avoir donné, au terme de 11 années de pouvoir, à tous les démocrates de la terre la preuve indubitable que l’homme noir n’est pas que le sinistre esclave qu’on a, pendant plus de 4 siècles, ballotté dans les caves, enchainé, battu, humilié et transplanté au-delà des mers, encore moins le colonisé bafoué et piétiné, réduit au rang de sous-homme que le colonialisme a façonné. Il est aussi un créateur de valeurs humanistes et de grandeur, un être debout, incarnation vivante de la dignité.
Il ne vous reste, Monsieur le Président, au vu de tout ce qui vient d’être rappelé, qu’à remercier Dieu, qui vous a permis de repérer votre successeur actuel, de lui avoir mis le pied à l’étrier, de l’avoir soutenu, choisi, encouragé, de conforter ses qualités, de tremper son caractère, de formater sa pensée, de l’avoir nommé Responsable des Etudiants, Responsable des Cadres de la CIS, Directeur de PETROSEN, Ministre des Mines, Ministre de l’Intérieur, Premier Ministre, Numéro deux du parti, Directeur de Campagne en 2007, Président de l’Assemblée Nationale.
Grâce à Dieu et à votre perspicacité, vous lui avez confectionné, en très peu de temps, un curriculum vitae qui lui aurait permis, s’il se présentait aux Nations-Unies, d’être élu sans compétition.
C’est en mettant en application tout ce qu’il a appris sous votre ombre, qu’il obtenu son élection le 25 Mars 2012.
Sous ce rapport, la victoire de votre remplaçant est, aussi, votre victoire. C’est comme cela que vous devez la positiver. C’est la victoire du libéralisme social que vous lui avez enseigné. C’est la victoire d’un de vos fils, dont vous avez contribué à façonner le destin merveilleux.
Voilà pourquoi, tout le monde a apprécié la façon dont s’est opérée la transition, après le 25 Mars 2012, les prières que vous lui avez adressées, les conseils que vous lui avez prodigués, la disponibilité que vous avez manifestée à son égard et les instructions que vous avez donnés à vos anciens ministres de répondre à toutes les interrogations de la nouvelle majorité, que la volonté populaire a porté au pouvoir.
Certes, tout dans votre parcours ne fut pas parfait, car la perfection n’appartient qu’à Dieu et à Dieu Seul.
Il y a eu, quelquefois, des erreurs et peut-être, même, des échecs, mais le combat de toute une vie est, toujours, une totalité. Or, à cette aune-là, il ne fait aucun doute que le parcours du combattant que vous êtes a été, incontestablement, jalonné de succès, de faste, de prestige et d’éclat.
Je ne crois, donc, pas exagérer, en affirmant qu’au soir de votre vie, vous pouvez être fier de votre combat politique, au regard de vous-même, de votre pays, de l’Afrique, de l’homme Noir et de l’humanité toute entière.
L’heure est, donc, venue pour vous, de vous hisser au-dessus de la mêlée, en sage respecté, honoré et en patriarche admiré et envié, détenteur d’une expérience politique, économique et gouvernementale, dont le monde entier a besoin.
Vous n’appartenez plus, ni au PDS seul, ni au Sénégal seul, ni à l’Afrique seule, ni même au monde noir seul.
Vous appartenez à l’humanité toute entière.
Iba Der Thiam