Jeudi, pour calmer le jeu après une journée d'affrontements à Dakar entre jeunes catholiques et forces de l'ordre, le chef de l'Etat sénégalais a demandé pardon à l'église.
Pour s'excuser, le président sénégalais a envoyé au chef de l'église une délégation conduite par son propre fils, le ministre d'Etat, Karim Wade, et comprenant plusieurs ministres. Karim Wade a fait savoir qu'ils étaient venus demander pardon à l'église :
« En aucun cas le président de la République n'a voulu offenser ou porter atteinte à la communauté chrétienne. Si les propos du Président ont porté atteinte ou touché les Sénégalais chrétiens, nous présentons nos excuses à la communauté chrétienne sénégalaise et à la communauté chrétienne internationale. »
« Des gens adorent le Christ qui n'est pas Dieu »
L'objet du délit ? Une sculpture au centre d'une gigantesque controverse à Dakar, et surtout des propos tenus par Abdoulaye Wade lundi devant des enseignants.
Le président s'en est pris aux pourfendeurs du monument dont il revendique la paternité, en des termes qui ont choqué les catholiques : répondant aux religieux musulmans qui ont qualifié son monument de « païen », il a comparé son monument aux représentations du Christ dans les églises, soulignant que « des gens adorent le Christ qui n'est pas Dieu » :
« On prie Jésus dans les églises, tout le monde le sait, mais ils [les détracteurs du monument, ndlr] n'ont jamais demandé qu'on casse les églises, ils n'ont jamais fait d'objections ils ne s'intéressent pas à ce que les gens font là-bas. Moi aussi, je ne me préoccupe pas de ce qu'ils font et c'est ça la tolérance. »
« Une fois encore, la foi de l'Eglise a été bafouée »
Outré par la comparaison, le chef de l'église, le cardinal Sarr, a aussitôt réagi dans un discours :
« Une fois encore, la foi de l'Eglise a été bafouée, par la plus haute autorité du pays.
Meurtris et humiliés, nous l'avons été par les propos insupportables de Monsieur le Président de la République, banalisant publiquement, devant des éducateurs de nos enfants, ce qui fait le cœur de notre foi.
Meurtris et humiliés, nous l'avons été par les risques de divisions que de tels propos pourraient engendrer dans une communauté nationale caractérisée par une entente exemplaire entre chrétiens et musulmans. »
Les chrétiens représentent 10% de la population du Sénégal
Le lendemain, raconte Pressafrik.com, partenaire de Rue89 au Sénégal, des jeunes ont pris la direction du palais présidentiel en portant une croix. Ils ont été rejoints dans leur marche forcée par les marchands ambulants.
Une procession qui va se heurter à la férocité des forces de l'ordre. Elles ont mis en place une barrière humaine et ont commencé à balancer des grenades lacrymogènes. Les cris fusent de partout. Des grenades lacrymogènes aboutissent à l'intérieur de la cathédrale. L'atmosphère est irrespirable, les yeux larmoient.
Les chrétiens constituent une minorité religieuse au Sénégal avec moins de 10% de la population totale. Ils sont majoritairement des ethnies diolas, sérères et manjaks.
Qui est le sculpteur, Abdoulaye Wade ou Ousmane Sow ?
Au coeur de cette controverse, le désormais célèbre Monument de la Renaissance africaine, en cours de finition dans le quartier populaire dakarois de Ouakam.
Il y a eu d'abord la revendication de la paternité de cette oeuvre monumentale par le président Wade lui-même, qui est même allé jusqu'à réclamer des droits d'auteur de 35% sur les futures recettes, alors qu'elle avait été initiée par le célèbre artiste sénégalais Ousmane Sow. Ce dernier s'est ensuite retiré du projet et s'est fâché avec le président sénégalais.
Il y a ensuite le rejet de cette sculpture par les religieux musulmans pour « paganisme », certains y voyant même un monument d'influence maçonnique à la suite de la récente révélation par le président Wade, dans le magazine L'Express, de son « passé maçonnique ».
« Qui disait que la vieillesse est un naufrage ? »
L'opposition sénégalaise s'en donne à coeur joie contre Wade, certains dénonçant un président octogénaire devenu « sénile » ; d'autres dénonçant, comme le fait le quotidien Sud, « une forme extrême de mégalomanie couplée à son impuissance, qu'il traduit dans une violence verbale anti-religieuse » :
« Sinon, comment comprendre, que dans un Etat laïc, qui doit garantir la liberté de culte et de pratique, Maître peut-il se permettre de dire à ceux qu'il considère comme ses coreligionnaires “d'aller voir ce qui se passe dans les Eglises, où des gens adorent le Christ qui n'est pas Dieu ? ”
Et le quotidien de conclure :
“Qui disait que la vieillesse est un naufrage ? Maître se raccroche désespérément à son radeau de la Méduse et veut nous entraîner dans un naufrage collectif”.
Illustraton : la photo du “monument de la Renaissance africaine”, sculpture controversée à Dakar. Les deux personnages dessinés au bas de l'image donnent une idée de sa taille. (DR)
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