À Bangkok
Le régime birman peut se frotter les mains: sa stratégie de séduction des États-Unis a parfaitement fonctionné. Mercredi, après 22 ans de silence diplomatique entre les deux pays, un ambassadeur américain a pris ses fonctions en Birmanie. Derek Mitchell, spécialiste de l'Asie, succède à Burton Levin, rappelé en 1990 après que la junte militaire décidait d'ignorer le résultat d'élections remportées haut la main par le parti de l'opposante Aung San Suu Kyi.
Pour le nouveau gouvernement birman, composé en majorité de généraux de l'ancienne dictature, cet assouplissement de la position de Washington était l'objectif numéro un de sa politique de réformes.
Naypyidaw engrange décidément les succès: après l'Union européenne, qui a levé fin avril pour un an ses sanctions, à l'exception de l'embargo sur les armes, les États-Unis estiment à leur tour que l'État paria est devenu un interlocuteur acceptable. Le département américain du Trésor devrait émettre cette semaine deux licences autorisant l'investissement et l'offre de produits financiers à la Birmanie. Mais Washington doit trouver un juste équilibre entre les décisions destinées à récompenser le gouvernement birman pour ses avancées et la nécessité de contrôler le rythme de la levée des sanctions: aller trop vite en besogne serait prendre le risque de perdre toute capacité de levier en cas de piétinement, voire de remise en cause des réformes.
Un garde-fou est censé garantir la transparence: les entreprises américaines devront fournir des rapports détaillés sur leurs accords conclus sur place.
S'il est vrai que les Birmans respirent un peu mieux dans la «démocratie florissante et disciplinée» de cette junte militaire qui s'est autodissoute et est devenue un pouvoir civil en mars 2011, beaucoup de promesses relèvent surtout des effets d'annonce. Même protégés par une loi les autorisant à manifester, les Birmans ne peuvent le faire facilement. Les syndicats libres sont désormais officiels, mais ils n'osent pas défendre les droits des travailleurs. La censure s'est assouplie, mais les journalistes et les artistes vivent sous le couperet des décrets gouvernementaux.
La guerre aux minorités
Les réformes économiques n'ont pas transformé soudainement le pays en eldorado. La Birmanie est toujours une contrée archaïque, sans système financier adéquat ni justice indépendante, qui plus est en guerre avec plusieurs de ses minorités ethniques.
Le récent rapport de la Banque asiatique pour le développement est éloquent: après des années de planification anarchique, les infrastructures sont moyenâgeuses. Le taux d'électrification du pays est de 26 %. Le réseau routier n'atteint que 2 km pour 1 000 habitants, contre 11 km en moyenne en Asie du Sud-Est. Quand la Thaïlande affiche 370 voitures pour 1 000 habitants, la Birmanie atteint péniblement 18. L'état du système éducatif, qui ne représente que 3,7 % du budget national, est affligeant. Un quart des élèves arrêtent l'école après le primaire.
Quant à Aung San Suu Kyi, qui a siégé lundi pour la première fois comme députée de la Chambre basse du Parlement, elle ne peut changer grand-chose au rapport de forces politique. Le Parti de la solidarité et du développement, créé de toutes pièces par l'ancienne junte, conserve une écrasante majorité dans les deux assemblées, laissant peu d'espoir à des amendements de la Constitution, indispensables à tout véritable processus de démocratisation.
Par Florence Compain
Le régime birman peut se frotter les mains: sa stratégie de séduction des États-Unis a parfaitement fonctionné. Mercredi, après 22 ans de silence diplomatique entre les deux pays, un ambassadeur américain a pris ses fonctions en Birmanie. Derek Mitchell, spécialiste de l'Asie, succède à Burton Levin, rappelé en 1990 après que la junte militaire décidait d'ignorer le résultat d'élections remportées haut la main par le parti de l'opposante Aung San Suu Kyi.
Pour le nouveau gouvernement birman, composé en majorité de généraux de l'ancienne dictature, cet assouplissement de la position de Washington était l'objectif numéro un de sa politique de réformes.
Naypyidaw engrange décidément les succès: après l'Union européenne, qui a levé fin avril pour un an ses sanctions, à l'exception de l'embargo sur les armes, les États-Unis estiment à leur tour que l'État paria est devenu un interlocuteur acceptable. Le département américain du Trésor devrait émettre cette semaine deux licences autorisant l'investissement et l'offre de produits financiers à la Birmanie. Mais Washington doit trouver un juste équilibre entre les décisions destinées à récompenser le gouvernement birman pour ses avancées et la nécessité de contrôler le rythme de la levée des sanctions: aller trop vite en besogne serait prendre le risque de perdre toute capacité de levier en cas de piétinement, voire de remise en cause des réformes.
Un garde-fou est censé garantir la transparence: les entreprises américaines devront fournir des rapports détaillés sur leurs accords conclus sur place.
S'il est vrai que les Birmans respirent un peu mieux dans la «démocratie florissante et disciplinée» de cette junte militaire qui s'est autodissoute et est devenue un pouvoir civil en mars 2011, beaucoup de promesses relèvent surtout des effets d'annonce. Même protégés par une loi les autorisant à manifester, les Birmans ne peuvent le faire facilement. Les syndicats libres sont désormais officiels, mais ils n'osent pas défendre les droits des travailleurs. La censure s'est assouplie, mais les journalistes et les artistes vivent sous le couperet des décrets gouvernementaux.
La guerre aux minorités
Les réformes économiques n'ont pas transformé soudainement le pays en eldorado. La Birmanie est toujours une contrée archaïque, sans système financier adéquat ni justice indépendante, qui plus est en guerre avec plusieurs de ses minorités ethniques.
Le récent rapport de la Banque asiatique pour le développement est éloquent: après des années de planification anarchique, les infrastructures sont moyenâgeuses. Le taux d'électrification du pays est de 26 %. Le réseau routier n'atteint que 2 km pour 1 000 habitants, contre 11 km en moyenne en Asie du Sud-Est. Quand la Thaïlande affiche 370 voitures pour 1 000 habitants, la Birmanie atteint péniblement 18. L'état du système éducatif, qui ne représente que 3,7 % du budget national, est affligeant. Un quart des élèves arrêtent l'école après le primaire.
Quant à Aung San Suu Kyi, qui a siégé lundi pour la première fois comme députée de la Chambre basse du Parlement, elle ne peut changer grand-chose au rapport de forces politique. Le Parti de la solidarité et du développement, créé de toutes pièces par l'ancienne junte, conserve une écrasante majorité dans les deux assemblées, laissant peu d'espoir à des amendements de la Constitution, indispensables à tout véritable processus de démocratisation.
Par Florence Compain