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A Paris, les coiffeuses du "57" remportent une victoire symbolique

Rédigé par leral.net le Samedi 8 Novembre 2014 à 07:16 | | 0 commentaire(s)|

Depuis trois mois, 18 travailleurs précaires occupent leur salon de coiffure-manucure, situé dans le quartier de Château d'Eau, à Paris, pour demander leur régularisation. Ils ont appris le 6 novembre qu'ils n'étaient pas expulsés.


A Paris, les coiffeuses du "57" remportent une victoire symbolique
"À louer". L’ex-New York Fashion, salon de coiffure afro et manucure du 57 boulevard de Strasbourg, à Paris, cherche repreneur. La vitrine a disparu sous un film de plastique qui affiche en rouge la ligne directe du propriétaire. Pourtant, derrière le rideau de fer à moitié baissé, une petite tête apparaît. Une fillette, haute comme trois pommes, vient plaquer son nez à la porte vitrée, mouchetée de tracts de la CGT.

Les anciens salariés de la boutique squattent le "57" depuis le 27 juillet pour obtenir leur régularisation. Et ils ne sont pas près de partir. Le Tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé par le propriétaire des lieux, n'a pas donné suite à sa demande d'expulsion, ont annoncé les avocates des travailleurs, le 6 novembre. "C'est une victoire symbolique importante. Il est essentiel que l'occupation continue pour que notre combat soit entendu. Maintenant, il faut que l'État choisisse son camp, entre celui des victimes et celui de la mafia qui les exploite", a déclaré Maryline Poulain, chargée des questions d'immigration à la CGT Paris.

Du salon de beauté, ne restent que quelques vestiges abîmés : des fauteuils de coiffeur émoussés, un bac à pieds devenu cendrier, des têtes de polystyrène plantées d’aiguilles à tisser le cuir et des flacons de colorants vides qui dégagent encore leurs odeurs toxiques. Au milieu, courent les rats. Cela fait plus de trois mois que les locaux sont en jachère.

De la victoire à la défaite

Le 7 juin, les 18 travailleurs précaires du New York Fashion, soutenus par la CGT, obtenaient des contrats de travail après trois semaines de grève. Une situation quasi-inédite dans le quartier de Château d’Eau, dans le nord de Paris, temple de la coiffure africaine où travaillent près de 1 500 personnes non déclarées, en majorité sans papiers.

Les réjouissances ont été de courte durée : une semaine après, les gérants du "57" mettaient la clé sous la porte. Quand la liquidation judiciaire a été prononcée en juillet, les salariés ont décidé d’occuper les locaux et de mener une action au pénal pour "faillite frauduleuse", "abus de vulnérabilité", "travail dissimulé" et "traite d’êtres humains".


"On travaillait de 9 heures à 23 heures, six jours sur sept et parfois le dimanche en période de fête", se souvient Fatou. Cette Ivoirienne de 42 ans, en France depuis juin 2013, a rejoint le salon en décembre dernier. On lui promet alors qu’elle sera payée à la tâche, 40 % pour elle, 60 % pour le patron. Rapidement les paies - 200 à 400 euros par mois - s’espacent. "Il fallait toujours négocier pour toucher notre salaire. Jusqu’au jour où on n’a plus été payé du tout."

Le parquet de Paris s’est saisi de l’affaire, demandant à la Direction des renseignements de la préfecture de police (DRPP) d’ouvrir une enquête. Pour la CGT, ce n’est pas suffisant. Les grévistes ne se sentent plus en sécurité dans ce quartier "où les intimidations sont permanentes", selon le syndicat qui demande une protection policière. "La plainte met en cause un système d’économie souterraine tenue par une mafia", explique Marilyne Poulain, en charge des questions d’immigration à la CGT.

Du "poison enrobé dans du miel"

"Le quartier est aux mains de réseaux nigérians qui contrôlent l’ensemble des salons. La police manque de preuves et d’éléments. C’est très précieux que d’anciens salariés acceptent de collaborer, mais il faut les protéger", poursuit Marilyne Poulain. Elle-même a été menacée de décapitation et a déposé plainte en correctionnelle.

Malgré les intimidations, les salariés et leurs soutiens n’ont pas abandonné la mobilisation. Ils se relaient nuit et jour dans le salon jonché de vieux matelas, aussi terrain de jeu pour les bambins. Maïlys, "bébé de la grève" né un mois plus tôt, passe de bras en bras. Madima, sa jeune mère de 25 ans qui a fui la Côte d’Ivoire dans l’espoir d’un avenir meilleur en France, couve sa petite d’un regard d’onyx. L’ambiance est détendue dans le QG, havre de paix en milieu hostile. "On est devenu comme une famille", estime Alphonse.

Ce Burkinabè de 28 ans, qui s’est vu refuser sa demande d’asile en France, s’occupait de la caisse quand le salon était encore en activité. "Ici, c’est du poison enrobé dans du miel, lâche-t-il. On cherche ta confiance puis on te trahit. Le patron faisait de faux calculs pour ne pas nous payer. Et depuis qu’on fait la grève, il y des regards de vipères. Dehors, c’est pire que la jungle. La panthère noire n’attend pas pour attaquer…"