Les crises financières des dernières années, ont mis en lumière les faiblesses du système financier international. La communauté internationale a réagi en se mobilisant pour renforcer l’ « architecture du système financier international », afin de réduire les risques de crises, mais il y a encore beaucoup à faire, selon l’économiste sénégalais Daouda Sembene.
Source : https://www.lejecos.com/ARCHITECTURE-FINANCIERE-MO...
En relation avec l’architecture financière internationale, l’une des questions les plus cruciales de l’heure est relative à la crise de la dette africaine et son service. La pression financière sur les économies les plus pauvres s’est accentuée alors que les créanciers privés se sont retirés, selon la Banque mondiale qui, dans son dernier rapport 2024, révèle que les pays en développement ont déboursé un montant record de 1 400 milliards de dollars en 2023 au titre de la dette extérieure.
Interpellé sur la question lors d’une émission sur RFI, l’économiste Daouda Sembene, ancien Conseiller à la présidence de la République du Sénégal, ancien administrateur au FMI et aujourd’hui PDG d’Africatalyst Global Development Advisory, a pointé le curseur sur les pays africains en indiquant qu’ils devront débourser cette année quelque 160 milliards de dollars selon les estimations, au titre du service de ladite dette extérieure, ce qui représente, selon lui, « autant de ressources déviées d’autres objectifs prioritaires du développement, dans des domaines aussi divers que la santé, l’éducation, entre autres ».
Le constat alarmant que fait M. Sembene repose sur l’évolution et la configuration-même de la dette, en faisant remarquer qu’auparavant, l’écrasante majorité de la dette africaine était originaire des partenaires bilatéraux mais également des organisations multilatérales, « Aujourd’hui plus de 40% de la dette africaine provient des créanciers privés contre environ 30% aux créanciers multilatéraux, le reste aux bilatéraux », dit-il. Ce d’autant plus qu’un pourcentage de 70% de l’ensemble de la dette est accumulé par seulement dix pays du continent, « avec une évolution de la composition de la dette qui s’appuie désormais beaucoup plus sur la dette privée qui vient souvent à des taux du marché, donc plus cher », estime l’économiste.
Cette privatisation de la dette rend davantage compliquée la recherche de solutions. Illustration majeure, Daouda Sembene a évoqué les cas du Ghana et de la Zambie et même l’Ethiopie qui, dit-il, « se sont engagés à essayer de trouver des solutions pour traiter leur endettement dans le cadre de ce qui est appelé le « cadre commun » mis sur pied par le G20. » Le caractère laborieux des négociations relève justement de l’importance de la dette privée alors qu’il suffisait auparavant en cas de restructuration de la dette, de s’adresser au Club de Paris en vertu des accords bilatéraux.
Cependant si un pays comme la Zambie a pu obtenir un accord pour la restructuration de sa dette, cela lui a quand même pris trois ans pour en arriver-là. « Ce qui à mon avis est trop long et je pense que lorsqu’un pays est en situation de détresse comme l’a été ce pays, attendre aussi longtemps est davantage compliqué parce qu’entretemps, il lui faut libérer des ressources pour satisfaire d’autres priorités », a souligné l’économiste. Cela est valable pour tous les pays qui sont dans ce cas et il faut ainsi trouver un moyen pour que le cadre commun qui a permis à la Zambie d’avoir ces accords, soit en mesure de régler les besoins de restructuration de manière plus optimale et pour cela, selon l’économiste, « il y a mal de pistes. »
Les sources de l’endettement des pays africains sont toutefois connues et pour des pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, c’est l’investissement notamment dans les infrastructures ; mais les chocs comme la pandémie Covid ont contribué à exacerber la pression sur le budget et poussé ces pays à s’endetter pour faire face, sans compter, estime M. Sembene, « les besoins climatiques sans cesse grandissants ainsi que les pressions d’ordre sécuritaire. « Certains de ces pays consacrent plus de 10% de leurs ressources budgétaires à répondre aux besoins sécuritaires et tout cela a eu un impact sur leur situation d’endettement. »
Face à la rareté des ressources au niveau des multilatéraux qui ont aussi leurs contraintes, beaucoup de ces pays du continent sont quelque peu obligés de se tourner vers le marché qui, comme on le sait, offre des taux d’emprunt souvent exorbitants du fait de la perception du risque qu’en donnent les agences de notation.
Une Agence panafricaine de notation
La problématique de la perception du risque est liée aux agences de notation dont l’évaluation est considérée comme quelque peu subjective et contribue à renvoyer une image peu rassurante des pays africains aux investisseurs. Ainsi que l’a rappelé M. Sembene, « Si on écoute pas mal de leaders et de chef d’Etats africains, on a effectivement un problème avec les agences de notation notamment celles qu’on appelle les « Big three » Moody’s, Standard & Poor et Fitch ».
Sous ce rapport, le projet de mise en place d’une Agence panafricaine de notation initiée par l’Union Africaine (UA) alimente quelque espoir dans les milieux économiques. L’économiste Daouda Sembene est cependant quelque peu sceptique à cette idée au point de se demander « Est-ce que c’est utile ? »
Prévue pour être opérationnelle d’ici à l’année prochaine, ladite agence panafricaine suscite quelques interrogations relatives à son indépendance, son cadre de gouvernance, entre autres… ? Du point de vue du patron d’Africatalyst, « Avoir une agence de notation ce n’est pas une fin en soi et il ne faut pas que cela soit basé sur des considérations politiques, en revanche, il est important que l’on puisse aider les pays africains à en comprendre les mécanismes », a-t-il souligné.
Un financement climatique poussif
L’architecture financière mondiale porte également sur les questions de développement et précisément son financement dont l’actualité renvoie à la récente réunion qui, sous l’égide de l’IDA, (Association Internationale de Développement), une institution de la Banque mondiale qui se consacre aux pays à faibles revenus, s’est tenue à Séoul (Corée du Sud) sur la reconstitution des ressources, pour une levée de fonds record de 100 milliards de dollars pour les 78 pays les plus pauvres de la planète. Montant historique, certes, mais, fait remarquer Daouda Sembene, « Il faut souligner que ce montant n’est pas en fait une augmentation en termes réel parce qu’il y a trois ans, les bailleurs s’étaient engagés à donner 23,5 milliards de dollars, beaucoup moins que ce qui a été convenu à Séoul. A l’arrivée, seulement 96 milliards de dollars avaient été générés. »
Tout de même, l’économiste salue l’initiative en termes de signal fort, en précisant que sur les 59 pays qui se sont engagés sur les 23,7 milliards de dollars, « Onze nouveaux pays donateurs se sont rajoutés et la plupart de ces pays ont augmenté (17) leurs contributions au titre de l’IDA à plus de 25% ». L’économiste évoque en outre les contraintes budgétaires au niveau de ces pays donateurs qui ont limité ces contributions importantes, « sans oublier le contexte du regain du dollar alors que la plupart de ces engagements sont faits en monnaies locales. »
Dans ce domaine du développement, la problématique de la réforme des banques multilatérales de développement initiée par le G20 dont l’un des enjeux est relatif à l’amélioration de la représentativité des pays en développement. Un dossier qui n’a pas évolué, si l’on en croît Daouda Sembene qui confirme que « La faiblesse des quote-part de ces pays au niveau de ces banques ».
Mais sur ces questions de développement, l’ambiguïté qui prévaut entre l’aide publique au développement et le soutien fourni aux pays en développement dans le cadre de la finance climatique est une autre préoccupation. « Nous sortons d’une réunion sur le sujet avec l’OCDE et je pense qu’on doit dissocier les deux », a estimé l’économiste. Le postulat de beaucoup de pays en développement est que, indépendamment de ce qu’ils font déjà en termes d’aide publique au développement, les pays les plus pollueurs ont l’obligation de libérer plus de ressources. Il demeure que la finance climatique à beaucoup évolué au niveau mondial et il est estimé que les flux de financement climatique dépassent les 1400 milliards de dollars, mais le problème, c’est au niveau de l’Afrique car sur les flux de financement climatique, « à peine 50 milliards de dollars vont vers le continent soit moins de 5% du volume mondial », selon le patron d’Africatalyst.
Si à Bakou (Azerbaïdjan) à l’occasion de la COP 29 on peut relativement se féliciter des perspectives annoncées de tripler de 100 à 300 milliards de dollars la contribution financière climatique des pays développés vers les pays en développement, « Pour ces pays, les besoins annuels de financement climatique sont de l’ordre de 1300 milliards de dollars, on est très loin du compte », estime encore M. Sembene qui fait remarquer que même pour les 100 milliards de dollars, « Il a fallu deux ans pour y arriver. »
Malick Ndaw
Avec RFI
Interpellé sur la question lors d’une émission sur RFI, l’économiste Daouda Sembene, ancien Conseiller à la présidence de la République du Sénégal, ancien administrateur au FMI et aujourd’hui PDG d’Africatalyst Global Development Advisory, a pointé le curseur sur les pays africains en indiquant qu’ils devront débourser cette année quelque 160 milliards de dollars selon les estimations, au titre du service de ladite dette extérieure, ce qui représente, selon lui, « autant de ressources déviées d’autres objectifs prioritaires du développement, dans des domaines aussi divers que la santé, l’éducation, entre autres ».
Le constat alarmant que fait M. Sembene repose sur l’évolution et la configuration-même de la dette, en faisant remarquer qu’auparavant, l’écrasante majorité de la dette africaine était originaire des partenaires bilatéraux mais également des organisations multilatérales, « Aujourd’hui plus de 40% de la dette africaine provient des créanciers privés contre environ 30% aux créanciers multilatéraux, le reste aux bilatéraux », dit-il. Ce d’autant plus qu’un pourcentage de 70% de l’ensemble de la dette est accumulé par seulement dix pays du continent, « avec une évolution de la composition de la dette qui s’appuie désormais beaucoup plus sur la dette privée qui vient souvent à des taux du marché, donc plus cher », estime l’économiste.
Cette privatisation de la dette rend davantage compliquée la recherche de solutions. Illustration majeure, Daouda Sembene a évoqué les cas du Ghana et de la Zambie et même l’Ethiopie qui, dit-il, « se sont engagés à essayer de trouver des solutions pour traiter leur endettement dans le cadre de ce qui est appelé le « cadre commun » mis sur pied par le G20. » Le caractère laborieux des négociations relève justement de l’importance de la dette privée alors qu’il suffisait auparavant en cas de restructuration de la dette, de s’adresser au Club de Paris en vertu des accords bilatéraux.
Cependant si un pays comme la Zambie a pu obtenir un accord pour la restructuration de sa dette, cela lui a quand même pris trois ans pour en arriver-là. « Ce qui à mon avis est trop long et je pense que lorsqu’un pays est en situation de détresse comme l’a été ce pays, attendre aussi longtemps est davantage compliqué parce qu’entretemps, il lui faut libérer des ressources pour satisfaire d’autres priorités », a souligné l’économiste. Cela est valable pour tous les pays qui sont dans ce cas et il faut ainsi trouver un moyen pour que le cadre commun qui a permis à la Zambie d’avoir ces accords, soit en mesure de régler les besoins de restructuration de manière plus optimale et pour cela, selon l’économiste, « il y a mal de pistes. »
Les sources de l’endettement des pays africains sont toutefois connues et pour des pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, c’est l’investissement notamment dans les infrastructures ; mais les chocs comme la pandémie Covid ont contribué à exacerber la pression sur le budget et poussé ces pays à s’endetter pour faire face, sans compter, estime M. Sembene, « les besoins climatiques sans cesse grandissants ainsi que les pressions d’ordre sécuritaire. « Certains de ces pays consacrent plus de 10% de leurs ressources budgétaires à répondre aux besoins sécuritaires et tout cela a eu un impact sur leur situation d’endettement. »
Face à la rareté des ressources au niveau des multilatéraux qui ont aussi leurs contraintes, beaucoup de ces pays du continent sont quelque peu obligés de se tourner vers le marché qui, comme on le sait, offre des taux d’emprunt souvent exorbitants du fait de la perception du risque qu’en donnent les agences de notation.
Une Agence panafricaine de notation
La problématique de la perception du risque est liée aux agences de notation dont l’évaluation est considérée comme quelque peu subjective et contribue à renvoyer une image peu rassurante des pays africains aux investisseurs. Ainsi que l’a rappelé M. Sembene, « Si on écoute pas mal de leaders et de chef d’Etats africains, on a effectivement un problème avec les agences de notation notamment celles qu’on appelle les « Big three » Moody’s, Standard & Poor et Fitch ».
Sous ce rapport, le projet de mise en place d’une Agence panafricaine de notation initiée par l’Union Africaine (UA) alimente quelque espoir dans les milieux économiques. L’économiste Daouda Sembene est cependant quelque peu sceptique à cette idée au point de se demander « Est-ce que c’est utile ? »
Prévue pour être opérationnelle d’ici à l’année prochaine, ladite agence panafricaine suscite quelques interrogations relatives à son indépendance, son cadre de gouvernance, entre autres… ? Du point de vue du patron d’Africatalyst, « Avoir une agence de notation ce n’est pas une fin en soi et il ne faut pas que cela soit basé sur des considérations politiques, en revanche, il est important que l’on puisse aider les pays africains à en comprendre les mécanismes », a-t-il souligné.
Un financement climatique poussif
L’architecture financière mondiale porte également sur les questions de développement et précisément son financement dont l’actualité renvoie à la récente réunion qui, sous l’égide de l’IDA, (Association Internationale de Développement), une institution de la Banque mondiale qui se consacre aux pays à faibles revenus, s’est tenue à Séoul (Corée du Sud) sur la reconstitution des ressources, pour une levée de fonds record de 100 milliards de dollars pour les 78 pays les plus pauvres de la planète. Montant historique, certes, mais, fait remarquer Daouda Sembene, « Il faut souligner que ce montant n’est pas en fait une augmentation en termes réel parce qu’il y a trois ans, les bailleurs s’étaient engagés à donner 23,5 milliards de dollars, beaucoup moins que ce qui a été convenu à Séoul. A l’arrivée, seulement 96 milliards de dollars avaient été générés. »
Tout de même, l’économiste salue l’initiative en termes de signal fort, en précisant que sur les 59 pays qui se sont engagés sur les 23,7 milliards de dollars, « Onze nouveaux pays donateurs se sont rajoutés et la plupart de ces pays ont augmenté (17) leurs contributions au titre de l’IDA à plus de 25% ». L’économiste évoque en outre les contraintes budgétaires au niveau de ces pays donateurs qui ont limité ces contributions importantes, « sans oublier le contexte du regain du dollar alors que la plupart de ces engagements sont faits en monnaies locales. »
Dans ce domaine du développement, la problématique de la réforme des banques multilatérales de développement initiée par le G20 dont l’un des enjeux est relatif à l’amélioration de la représentativité des pays en développement. Un dossier qui n’a pas évolué, si l’on en croît Daouda Sembene qui confirme que « La faiblesse des quote-part de ces pays au niveau de ces banques ».
Mais sur ces questions de développement, l’ambiguïté qui prévaut entre l’aide publique au développement et le soutien fourni aux pays en développement dans le cadre de la finance climatique est une autre préoccupation. « Nous sortons d’une réunion sur le sujet avec l’OCDE et je pense qu’on doit dissocier les deux », a estimé l’économiste. Le postulat de beaucoup de pays en développement est que, indépendamment de ce qu’ils font déjà en termes d’aide publique au développement, les pays les plus pollueurs ont l’obligation de libérer plus de ressources. Il demeure que la finance climatique à beaucoup évolué au niveau mondial et il est estimé que les flux de financement climatique dépassent les 1400 milliards de dollars, mais le problème, c’est au niveau de l’Afrique car sur les flux de financement climatique, « à peine 50 milliards de dollars vont vers le continent soit moins de 5% du volume mondial », selon le patron d’Africatalyst.
Si à Bakou (Azerbaïdjan) à l’occasion de la COP 29 on peut relativement se féliciter des perspectives annoncées de tripler de 100 à 300 milliards de dollars la contribution financière climatique des pays développés vers les pays en développement, « Pour ces pays, les besoins annuels de financement climatique sont de l’ordre de 1300 milliards de dollars, on est très loin du compte », estime encore M. Sembene qui fait remarquer que même pour les 100 milliards de dollars, « Il a fallu deux ans pour y arriver. »
Malick Ndaw
Avec RFI
Source : https://www.lejecos.com/ARCHITECTURE-FINANCIERE-MO...