De passage au Sénégal, l’ancien greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda et actuel conseiller spécial pour la prévention du génocide évoque, dans cet entretien, sa nouvelle mission et les risques de génocide à travers le monde.
Vous avez été nommé, depuis juillet 2012, conseiller spécial pour la prévention du génocide par le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon. Qu’attend-on de vous à ce poste ?
«Tout d’abord, je tiens à rappeler que le 9 décembre dernier a été célébré l’anniversaire de l’adoption de la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime et du génocide. C’est un instrument extrêmement important qui est aujourd’hui encore d’actualité, quand bien même il a été adopté en 1948. Cela dit, j’ai aujourd’hui la charge de prévenir le génocide à travers le monde. Ce qui est une mission presque impossible, mais qu’il faut rendre possible. C’est dans ce cadre d’ailleurs que j’ai rencontré des officiels sénégalais et ouest-africains pour réfléchir ensemble sur les meilleurs moyens de prévenir ce crime des crimes. Cette année, au mois de mai, le président Obama a mis en place, aux Etats-Unis, un nouvel organe qui s’appelle « Atrocities prevention board ». C’est une sorte de comité pour la prévention du génocide. Des gens se sont étonnés qu’il ait mis en place cet instrument. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’aucun pays au monde n’est immunisé contre le génocide, parce que toutes les sociétés sont plurielles. Il faut faire en sorte que nous ayons des mécanismes préventifs qui vont faciliter les échanges et aider à raffermir la gestion de la diversité. Vous ne l’ignorez pas, partout où il y a eu génocide, que ce soit à Srebrenica, au Cambodge, au Rwanda, c’est parce qu’à la base, il y a eu discrimination. C’est ce qui me fait dire que le génocide est la forme extrême des conflits identitaires».
Pensez-vous qu’après les exemples de génocides que vous venez de citer qu’on pourrait en connaître d’autres ?
«Bien sûr ! Si je prends l’exemple de la Syrie, qui est dans une situation de conflit armé interne, il y a des risques qui pèsent dans ce pays. Il n’est pas exclu, quand les hostilités vont cesser, que des minorités soient ciblées. Et c’est la raison pour laquelle nous déployons présentement des efforts pour sensibiliser les diverses parties au conflit à cette question de la prévention du génocide et des atrocités de masse».
Et que prévoyez-vous pour éviter des dérives génocidaires au Mali ?
«Nous suivons avec beaucoup d’attention ce qui se passe au Mali. Le secrétaire général de l’Onu a soumis un rapport, il y a quelques jours, au Conseil de sécurité et il y a eu tout un débat. D’aucuns souhaitent une intervention militaire rapide. Personnellement, je suis de ceux qui pensent qu’il faut y aller doucement. Parce que tout simplement, là où on peut éviter l’intervention militaire, là où il y a encore des chances de résultat dans le cadre d’une discussion, je préfère toujours privilégier la recherche de la paix par la négociation. Des efforts sont présentement déployés par le président Compaoré, et c’est tant mieux si toutes les forces acceptent de trouver une solution de compromis. Bien entendu, le Mali doit retrouver son intégrité territoriale, mais aucune partie ne doit violer les droits de l’Homme, le droit humanitaire. Je pense notamment aux forces d’Ansar Dine, du Mnla. Il est impératif que ces gens cessent les violations qu’ils sont en train de commettre. De même, il faut faire comprendre aux autres parties maliennes que les Touaregs sont des Maliens avant tout, donc ils doivent être acceptés. Et c’est pourquoi je dis qu’il faut trouver les moyens de réunir la famille malienne dans toutes ses composantes, dans toutes ses ethnies, dans toutes ses religions. C’est cela qui fera le bonheur du Mali et permettra au pays de retrouver ainsi son lustre d’antan».
Quels sont les outils dont vous disposez pour accomplir votre mission de prévention du génocide ?
«Dans mon bureau, nous avons développé un cadre d’analyse qui nous permet de suivre au quotidien la situation dans le monde. Aujourd’hui, nous avons un peu moins de 10 pays qui nous préoccupent et que nous suivons au quotidien. Il y a la Birmanie où nous sommes très soucieux par la situation des Rohingya, un groupe ethnique et religieux musulman. Ils ne sont pas considérés comme des citoyens birmans. Il y a eu des évènements très violents au mois d’avril dernier. Heureusement que le dernier séjour de Barack Obama dans ce pays est porteur d’espoir, mais nous continuons, néanmoins, à suivre cette situation de très près. Il en est de même pour la Syrie, le Kenya, l’Est du Congo, etc. Nous devons veiller à ce que toutes sources de tension puissent être éliminées, et le plus tôt serait le mieux».
Vous avez évoqué la situation de l’Est du Congo où les forces rebelles sont soupçonnées d’être armées par le Rwanda, un pays qui a connu un génocide. N’est-ce pas là un paradoxe si ce même pays fait planer aujourd’hui un autre cas de génocide en Rdc ?
«C’est effectivement paradoxal. Mais il faut préciser que la situation qui prévaut actuellement au Kivu nous préoccupe énormément. D’abord, parce que des crimes extrêmement graves y ont été commis par le Mouvement M23 dont on dit qu’il est soutenu par le Rwanda. Il y a aussi des crimes qui ont été commis par des milices Maï-Maï ou bien par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (Fdlr). Pour rappel, le Fdlr est un groupe armé qui lutte contre le pouvoir de Kigali. Il n’est pas difficile, bien entendu, de franchir le pas et de dire que, par mesure de prévention, les Rwandais soutiennent le M23 pour éviter justement que le Fdlr avance dans le territoire rwandais. C’est une situation très complexe. Donc, je ne saurais m’aventurer pour pointer du doigt un pays. Ce qui me préoccupe, et j’en ai parlé avec les autorités de la région des Grands Lacs, c’est de pouvoir trouver une solution à ce problème, qui n’a que trop duré. Toutefois, nous devrions aussi nous poser ces questions : comment se fait-il qu’il y ait des attaques cycliques ? Comment se fait-il que, malgré les accords de paix qui ont été signés, l’on se retrouve à nouveau au même point ? Peut-être qu’à l’avenir, nous devrions songer à mettre en place des observateurs qui veillent au respect de ces accords jusqu’au moment où il y aura des institutions très solides en République démocratique du Congo, jusqu’au jour où l’on aura finalement réussi à dissiper toutes formes de discrimination d’une partie de la population. Mais ce qui est important, c’est que les auteurs de crimes graves du M23 ou du Fdlr soient poursuivis en justice et condamnés s’ils sont coupables. Parce que nous ne saurions tolérer que des femmes soient violées, que des enfants soient recrutés comme soldats. Cela doit cesser».
Propos recueillis par Elhadji Ibrahima THIAM
le Soleil
Vous avez été nommé, depuis juillet 2012, conseiller spécial pour la prévention du génocide par le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon. Qu’attend-on de vous à ce poste ?
«Tout d’abord, je tiens à rappeler que le 9 décembre dernier a été célébré l’anniversaire de l’adoption de la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime et du génocide. C’est un instrument extrêmement important qui est aujourd’hui encore d’actualité, quand bien même il a été adopté en 1948. Cela dit, j’ai aujourd’hui la charge de prévenir le génocide à travers le monde. Ce qui est une mission presque impossible, mais qu’il faut rendre possible. C’est dans ce cadre d’ailleurs que j’ai rencontré des officiels sénégalais et ouest-africains pour réfléchir ensemble sur les meilleurs moyens de prévenir ce crime des crimes. Cette année, au mois de mai, le président Obama a mis en place, aux Etats-Unis, un nouvel organe qui s’appelle « Atrocities prevention board ». C’est une sorte de comité pour la prévention du génocide. Des gens se sont étonnés qu’il ait mis en place cet instrument. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’aucun pays au monde n’est immunisé contre le génocide, parce que toutes les sociétés sont plurielles. Il faut faire en sorte que nous ayons des mécanismes préventifs qui vont faciliter les échanges et aider à raffermir la gestion de la diversité. Vous ne l’ignorez pas, partout où il y a eu génocide, que ce soit à Srebrenica, au Cambodge, au Rwanda, c’est parce qu’à la base, il y a eu discrimination. C’est ce qui me fait dire que le génocide est la forme extrême des conflits identitaires».
Pensez-vous qu’après les exemples de génocides que vous venez de citer qu’on pourrait en connaître d’autres ?
«Bien sûr ! Si je prends l’exemple de la Syrie, qui est dans une situation de conflit armé interne, il y a des risques qui pèsent dans ce pays. Il n’est pas exclu, quand les hostilités vont cesser, que des minorités soient ciblées. Et c’est la raison pour laquelle nous déployons présentement des efforts pour sensibiliser les diverses parties au conflit à cette question de la prévention du génocide et des atrocités de masse».
Et que prévoyez-vous pour éviter des dérives génocidaires au Mali ?
«Nous suivons avec beaucoup d’attention ce qui se passe au Mali. Le secrétaire général de l’Onu a soumis un rapport, il y a quelques jours, au Conseil de sécurité et il y a eu tout un débat. D’aucuns souhaitent une intervention militaire rapide. Personnellement, je suis de ceux qui pensent qu’il faut y aller doucement. Parce que tout simplement, là où on peut éviter l’intervention militaire, là où il y a encore des chances de résultat dans le cadre d’une discussion, je préfère toujours privilégier la recherche de la paix par la négociation. Des efforts sont présentement déployés par le président Compaoré, et c’est tant mieux si toutes les forces acceptent de trouver une solution de compromis. Bien entendu, le Mali doit retrouver son intégrité territoriale, mais aucune partie ne doit violer les droits de l’Homme, le droit humanitaire. Je pense notamment aux forces d’Ansar Dine, du Mnla. Il est impératif que ces gens cessent les violations qu’ils sont en train de commettre. De même, il faut faire comprendre aux autres parties maliennes que les Touaregs sont des Maliens avant tout, donc ils doivent être acceptés. Et c’est pourquoi je dis qu’il faut trouver les moyens de réunir la famille malienne dans toutes ses composantes, dans toutes ses ethnies, dans toutes ses religions. C’est cela qui fera le bonheur du Mali et permettra au pays de retrouver ainsi son lustre d’antan».
Quels sont les outils dont vous disposez pour accomplir votre mission de prévention du génocide ?
«Dans mon bureau, nous avons développé un cadre d’analyse qui nous permet de suivre au quotidien la situation dans le monde. Aujourd’hui, nous avons un peu moins de 10 pays qui nous préoccupent et que nous suivons au quotidien. Il y a la Birmanie où nous sommes très soucieux par la situation des Rohingya, un groupe ethnique et religieux musulman. Ils ne sont pas considérés comme des citoyens birmans. Il y a eu des évènements très violents au mois d’avril dernier. Heureusement que le dernier séjour de Barack Obama dans ce pays est porteur d’espoir, mais nous continuons, néanmoins, à suivre cette situation de très près. Il en est de même pour la Syrie, le Kenya, l’Est du Congo, etc. Nous devons veiller à ce que toutes sources de tension puissent être éliminées, et le plus tôt serait le mieux».
Vous avez évoqué la situation de l’Est du Congo où les forces rebelles sont soupçonnées d’être armées par le Rwanda, un pays qui a connu un génocide. N’est-ce pas là un paradoxe si ce même pays fait planer aujourd’hui un autre cas de génocide en Rdc ?
«C’est effectivement paradoxal. Mais il faut préciser que la situation qui prévaut actuellement au Kivu nous préoccupe énormément. D’abord, parce que des crimes extrêmement graves y ont été commis par le Mouvement M23 dont on dit qu’il est soutenu par le Rwanda. Il y a aussi des crimes qui ont été commis par des milices Maï-Maï ou bien par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (Fdlr). Pour rappel, le Fdlr est un groupe armé qui lutte contre le pouvoir de Kigali. Il n’est pas difficile, bien entendu, de franchir le pas et de dire que, par mesure de prévention, les Rwandais soutiennent le M23 pour éviter justement que le Fdlr avance dans le territoire rwandais. C’est une situation très complexe. Donc, je ne saurais m’aventurer pour pointer du doigt un pays. Ce qui me préoccupe, et j’en ai parlé avec les autorités de la région des Grands Lacs, c’est de pouvoir trouver une solution à ce problème, qui n’a que trop duré. Toutefois, nous devrions aussi nous poser ces questions : comment se fait-il qu’il y ait des attaques cycliques ? Comment se fait-il que, malgré les accords de paix qui ont été signés, l’on se retrouve à nouveau au même point ? Peut-être qu’à l’avenir, nous devrions songer à mettre en place des observateurs qui veillent au respect de ces accords jusqu’au moment où il y aura des institutions très solides en République démocratique du Congo, jusqu’au jour où l’on aura finalement réussi à dissiper toutes formes de discrimination d’une partie de la population. Mais ce qui est important, c’est que les auteurs de crimes graves du M23 ou du Fdlr soient poursuivis en justice et condamnés s’ils sont coupables. Parce que nous ne saurions tolérer que des femmes soient violées, que des enfants soient recrutés comme soldats. Cela doit cesser».
Propos recueillis par Elhadji Ibrahima THIAM
le Soleil