Ce manque se traduit dans la pratique par une absence totale de prégnance, de sa part, sur des matières dont la gestion est du ressort exclusif et absolu des cinq juges du Conseil Constitutionnel. Faut-il à cet égard le rappeler, comme le fait observer un juriste français Pierre Mazeaud que : « le propre des démocraties assagies est la stabilité de leurs règles institutionnelles, même lorsque celles ci ne sont pas sans défaut ».
Cette interrogation proposée en début de texte, en apparence simple, pose en fait des questions multiples et complexes : celles de la justification du contrôle de constitutionnalité des lois, tel qu’il existe actuellement au Sénégal, de sa légitimité, de l’efficacité des interventions légales et obligatoires du Conseil dans la gestion des compétitions électorales générales. En matière de contrôle de constitutionnalité, l’histoire a fait que c’est la législation française qui inspire nos textes, comme la jurisprudence et le sens des décisions rendues par son Conseil Constitutionnel ont pu déterminer le cours des contentieux engagés devant le juge sénégalais. Or, reconnaît le constitutionnaliste Pierre Mazeaud, « d’une part, l’histoire de l’évolution du contrôle de constitutionnalité en France montre une grande hostilité de la tradition républicaine de concevoir un contrôle de la loi. D’ailleurs le contrôle tel qu’il est actuellement est un contrôle qui préserve en partie le principe de « l’immutabilité » de la loi puis qu’il intervient « a priori » et avant la promulgation de la loi. Le système anglo-saxon qui consiste à permettre au juge ordinaire de contrôler la constitutionnalité de la loi n’a jamais été véritablement pris en considération. »
D’autre part, note toujours le même juriste, « le contrôle s’est auto réformé par le biais du conseil lui même et il n’est pas inintéressant ici de constater que le juge constitutionnel a joué un rôle clé en matière de réforme de ce contrôle. Quand on parle d’office du juge peut-être faut il aussi prendre cet élément en compte. Ce contrôle donne, d’une certaine manière, entière satisfaction. Le Conseil constitutionnel a su développer une jurisprudence qui fait non seulement autorité mais unanimité ou peu s’en faut. Il est une institution qui est apparue comme le gardien et défenseur des libertés fondamentales et des droits de l’homme ». Si vous lisez le dossier que nous consacrons au Conseil constitutionnel sénégalais, vous vous rendrez compte, en vous appuyant sur ce qu’en disent les experts que nous avons interrogés, que tout le problème du contrôle de constitutionnalité au Sénégal se trouve dans la nature même de l’institution dédiée à cet effet. La doctrine est d’ailleurs sur ce point quasiment unanimiste pour reconnaître la faiblesse de notre Conseil, le manque d’audace de celui-ci et la piètre qualité du contrôle de constitutionnalité des lois au Sénégal.
Au cours de ces dernières années, en particulier en partant de l’année 2001, les débats ont été nombreux pour essayer de pointer du doigt les tares de ce contrôle. Les réflexions menées ont porté à la fois sur les fondements, l’évolution de ce contrôle, l’analyse des décisions et de la jurisprudence constitutionnelle, la place du Conseil constitutionnel et du droit constitutionnel dans la vie politique, le développement de la démocratie constitutionnelle avec ses deux corollaires : « l’Etat de droit » et « le constitutionnalisme », et beaucoup de critiques remettant en cause le contrôle de constitutionnalité en lui-même ont été soulevées. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si une réforme en profondeur du Conseil constitutionnel ne s’impose pas dans l’urgence même. En dehors évidemment de la critique majeure qui préconise de supprimer purement et simplement ce contrôle, en permettant aux juges ordinaires d’exercer ce contrôle, on retrouve toujours les mêmes points de débat à propos d’une réforme qui n’est pas encore effective en France, alors qu’elle nous inspire si souvent, est encore loin de l’être moins chez nous. L’impartialité des membres du Conseil, compte tenu de leur nomination, ressurgit à chaque fois que le pouvoir exécutif désigne un juge pour occuper un siège vacant.
La nomination du dernier président entré en fonction il y a quelques semaines, en est une parfaite illustration.
En France, par exemple, l’argument a été souvent couvert par l’indépendance effective des juges (mandat de 9 ans non renouvelable), « le devoir d’ingratitude » dont parle Robert BADINTER, l’alternance, la cohabitation qui ont favorisé dans les nominations un pluralisme d’opinions.
Tout cela est pourtant en vigueur au Sénégal. Et même la possibilité de permettre, à propos d’une question préjudicielle, d’évoquer pour un citoyen l’exception d’inconstitutionnalité existe au Sénégal. Alors qu’une telle proposition de réforme est toujours refusée en France. D’autres questions fondamentales sont soulevées en France comme chez nous. Il s’agit, entre autres : du contrôle des lois postérieures qui aboutit à un contrôle a posteriori et qui laisse circuler des lois qui non seulement n’ont pas été contrôlées, mais qui ne sont pas nécessairement conformes à la constitution, du danger qu’il y a à instituer par le biais du Conseil un gouvernement des juges, un danger tout de même limité compte tenu des modes de nominations des juges du Conseil, de l’alternance politique toujours possible en démocratie, et de la possibilité qui existe toujours, pour l’ensemble des institutions, de refuser de saisir le Conseil. Pourtant, à regarder de plus près, une réforme en la matière ne semble pas être une priorité, même en cette période pré-électorale.
Au contraire, tout laisse croire ou indique que le pouvoir exécutif est décidé à utiliser le Conseil pour traduire dans les faits sa volonté de demeurer, contre vents et marées, au pouvoir. Le parti pris devrait être celui de la nécessité d’une réforme qui s’impose compte tenu d’un certain nombre d’incohérences qui résultent du brouillage de la hiérarchie des normes du fait d’une part du développement de plusieurs sources de droit et de l’évolution de ce qu’on appelle communément le bloc de constitutionnalité. En France, le Conseil constitutionnel a considérablement étendu le domaine des normes constitutionnelles de référence. L’extension du « bloc de constitutionnalité » a entraîné des décisions du Conseil constitutionnel qui portent essentiellement sur la protection des droits et des libertés. La liste est longue et exhaustive.
A partir de la décision de 1971, le Conseil constitutionnel a inclus dans les normes constitutionnelles le préambule de 1958. Celui-ci fait une référence explicite à la déclaration de 1789, qui évoque plus particulièrement les droits et libertés individuelles comme le droit d’aller et de venir, le droit de propriété et ses atteintes, le droit au respect de la vie privée, la liberté de communication des pensées et des opinions, le principe d’égalité. Le préambule de la constitution de 1946 porte lui moins sur des libertés individuelles, mais sur des principes plus économiques et sociaux. En ce qui concerne, « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » tirés des lois de la IIIème république, ils ont été particulièrement mis en avant par le Conseil. Au bout du compte, la liberté de réunion, la liberté d’enseignement, la liberté de culte, le droit syndical, l’égalité entre les hommes et les femmes, le principe de la protection sociale de certaines catégories de personne, le droit de percevoir une indemnisation en période de chômage donnent au juge constitutionnel des outils de contrôle efficace.
Enfin, l’intégration de la charte de l’environnement de 2004 dans le préambule de la constitution de 1958 a poursuivi l’œuvre d’extension avec la protection du droit de l’environnement en consacrant la promotion du développement durable et le principe de précaution. On n’en attend pas moins du juge constitutionnel sénégalais. Sera-t-il capable d’engager les évolutions attendues à cet effet ?
Dans le contexte actuel on peut en douter. Il n’ya pas lieu toutefois de se montrer pessimiste plus que de raison. C’est une question d’évolution. La dernière réforme qui a supprimé le Conseil d’Etat pour transférer ses compétences à la Cour suprême du Sénégal a déjà des effets positifs, en ce sens qu’elle a permis à l’institution judiciaire suprême du pays de redonner au contentieux administratif un nouvel élan et de nouveaux espoirs aux citoyens. C’est encore plus vrai pour les contentieux politiques sur lesquels la Cour suprême dispose d’une compétence affectée : l’affaire de Mbane, de Ndoulo et autres en constituent des preuves tangibles. De là à suggérer que le Conseil constitutionnel soit dissout et que toutes ses compétences soient transférées à la Cour suprême, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. Sans en arriver à cette extrémité, on peut croire que le texte organique qui a institué le Conseil doit notablement évoluer pour donner naissance à une nouvelle institution que l’on pourrait appeler Cour Constitutionnelle à l’image de celle du Benin.
En tout état de cause, quelle que soit la nature et les compétences dédiées à cette nouvelle Cour à venir, le profil des hommes qui les animent, leur volonté de servir d’abord la loi et leur pays, peuvent s’avérer déterminantes, sinon parfois plus décisives que le contenu de n’importe quelle autre réfærme proposée. Si la Cour suprême a été saluée dans son œuvre au cours de l’année passée, son président et les juges qui l’assistent ont été décisifs dans le travail de régulation de notre système démocratique qui a été fait dans le traitement du contentieux relatif aux dernières élections locales. Le caractère du juge suprême, son audace et son indépendance ont pu aider à faire une œuvre utile et salutaire pour la démocratie. C’est le travail attendu de toutes les juridictions suprêmes du pays, y compris le Conseil constitutionnel dont il est urgent de revoir de fond en comble la loi organique qui lui donne une existence légale, détermine ses prérogatives et fixe ses moyens d’intervention.
Abdou Latif COULIBALY
lagazette.sn
Cette interrogation proposée en début de texte, en apparence simple, pose en fait des questions multiples et complexes : celles de la justification du contrôle de constitutionnalité des lois, tel qu’il existe actuellement au Sénégal, de sa légitimité, de l’efficacité des interventions légales et obligatoires du Conseil dans la gestion des compétitions électorales générales. En matière de contrôle de constitutionnalité, l’histoire a fait que c’est la législation française qui inspire nos textes, comme la jurisprudence et le sens des décisions rendues par son Conseil Constitutionnel ont pu déterminer le cours des contentieux engagés devant le juge sénégalais. Or, reconnaît le constitutionnaliste Pierre Mazeaud, « d’une part, l’histoire de l’évolution du contrôle de constitutionnalité en France montre une grande hostilité de la tradition républicaine de concevoir un contrôle de la loi. D’ailleurs le contrôle tel qu’il est actuellement est un contrôle qui préserve en partie le principe de « l’immutabilité » de la loi puis qu’il intervient « a priori » et avant la promulgation de la loi. Le système anglo-saxon qui consiste à permettre au juge ordinaire de contrôler la constitutionnalité de la loi n’a jamais été véritablement pris en considération. »
D’autre part, note toujours le même juriste, « le contrôle s’est auto réformé par le biais du conseil lui même et il n’est pas inintéressant ici de constater que le juge constitutionnel a joué un rôle clé en matière de réforme de ce contrôle. Quand on parle d’office du juge peut-être faut il aussi prendre cet élément en compte. Ce contrôle donne, d’une certaine manière, entière satisfaction. Le Conseil constitutionnel a su développer une jurisprudence qui fait non seulement autorité mais unanimité ou peu s’en faut. Il est une institution qui est apparue comme le gardien et défenseur des libertés fondamentales et des droits de l’homme ». Si vous lisez le dossier que nous consacrons au Conseil constitutionnel sénégalais, vous vous rendrez compte, en vous appuyant sur ce qu’en disent les experts que nous avons interrogés, que tout le problème du contrôle de constitutionnalité au Sénégal se trouve dans la nature même de l’institution dédiée à cet effet. La doctrine est d’ailleurs sur ce point quasiment unanimiste pour reconnaître la faiblesse de notre Conseil, le manque d’audace de celui-ci et la piètre qualité du contrôle de constitutionnalité des lois au Sénégal.
Au cours de ces dernières années, en particulier en partant de l’année 2001, les débats ont été nombreux pour essayer de pointer du doigt les tares de ce contrôle. Les réflexions menées ont porté à la fois sur les fondements, l’évolution de ce contrôle, l’analyse des décisions et de la jurisprudence constitutionnelle, la place du Conseil constitutionnel et du droit constitutionnel dans la vie politique, le développement de la démocratie constitutionnelle avec ses deux corollaires : « l’Etat de droit » et « le constitutionnalisme », et beaucoup de critiques remettant en cause le contrôle de constitutionnalité en lui-même ont été soulevées. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si une réforme en profondeur du Conseil constitutionnel ne s’impose pas dans l’urgence même. En dehors évidemment de la critique majeure qui préconise de supprimer purement et simplement ce contrôle, en permettant aux juges ordinaires d’exercer ce contrôle, on retrouve toujours les mêmes points de débat à propos d’une réforme qui n’est pas encore effective en France, alors qu’elle nous inspire si souvent, est encore loin de l’être moins chez nous. L’impartialité des membres du Conseil, compte tenu de leur nomination, ressurgit à chaque fois que le pouvoir exécutif désigne un juge pour occuper un siège vacant.
La nomination du dernier président entré en fonction il y a quelques semaines, en est une parfaite illustration.
En France, par exemple, l’argument a été souvent couvert par l’indépendance effective des juges (mandat de 9 ans non renouvelable), « le devoir d’ingratitude » dont parle Robert BADINTER, l’alternance, la cohabitation qui ont favorisé dans les nominations un pluralisme d’opinions.
Tout cela est pourtant en vigueur au Sénégal. Et même la possibilité de permettre, à propos d’une question préjudicielle, d’évoquer pour un citoyen l’exception d’inconstitutionnalité existe au Sénégal. Alors qu’une telle proposition de réforme est toujours refusée en France. D’autres questions fondamentales sont soulevées en France comme chez nous. Il s’agit, entre autres : du contrôle des lois postérieures qui aboutit à un contrôle a posteriori et qui laisse circuler des lois qui non seulement n’ont pas été contrôlées, mais qui ne sont pas nécessairement conformes à la constitution, du danger qu’il y a à instituer par le biais du Conseil un gouvernement des juges, un danger tout de même limité compte tenu des modes de nominations des juges du Conseil, de l’alternance politique toujours possible en démocratie, et de la possibilité qui existe toujours, pour l’ensemble des institutions, de refuser de saisir le Conseil. Pourtant, à regarder de plus près, une réforme en la matière ne semble pas être une priorité, même en cette période pré-électorale.
Au contraire, tout laisse croire ou indique que le pouvoir exécutif est décidé à utiliser le Conseil pour traduire dans les faits sa volonté de demeurer, contre vents et marées, au pouvoir. Le parti pris devrait être celui de la nécessité d’une réforme qui s’impose compte tenu d’un certain nombre d’incohérences qui résultent du brouillage de la hiérarchie des normes du fait d’une part du développement de plusieurs sources de droit et de l’évolution de ce qu’on appelle communément le bloc de constitutionnalité. En France, le Conseil constitutionnel a considérablement étendu le domaine des normes constitutionnelles de référence. L’extension du « bloc de constitutionnalité » a entraîné des décisions du Conseil constitutionnel qui portent essentiellement sur la protection des droits et des libertés. La liste est longue et exhaustive.
A partir de la décision de 1971, le Conseil constitutionnel a inclus dans les normes constitutionnelles le préambule de 1958. Celui-ci fait une référence explicite à la déclaration de 1789, qui évoque plus particulièrement les droits et libertés individuelles comme le droit d’aller et de venir, le droit de propriété et ses atteintes, le droit au respect de la vie privée, la liberté de communication des pensées et des opinions, le principe d’égalité. Le préambule de la constitution de 1946 porte lui moins sur des libertés individuelles, mais sur des principes plus économiques et sociaux. En ce qui concerne, « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » tirés des lois de la IIIème république, ils ont été particulièrement mis en avant par le Conseil. Au bout du compte, la liberté de réunion, la liberté d’enseignement, la liberté de culte, le droit syndical, l’égalité entre les hommes et les femmes, le principe de la protection sociale de certaines catégories de personne, le droit de percevoir une indemnisation en période de chômage donnent au juge constitutionnel des outils de contrôle efficace.
Enfin, l’intégration de la charte de l’environnement de 2004 dans le préambule de la constitution de 1958 a poursuivi l’œuvre d’extension avec la protection du droit de l’environnement en consacrant la promotion du développement durable et le principe de précaution. On n’en attend pas moins du juge constitutionnel sénégalais. Sera-t-il capable d’engager les évolutions attendues à cet effet ?
Dans le contexte actuel on peut en douter. Il n’ya pas lieu toutefois de se montrer pessimiste plus que de raison. C’est une question d’évolution. La dernière réforme qui a supprimé le Conseil d’Etat pour transférer ses compétences à la Cour suprême du Sénégal a déjà des effets positifs, en ce sens qu’elle a permis à l’institution judiciaire suprême du pays de redonner au contentieux administratif un nouvel élan et de nouveaux espoirs aux citoyens. C’est encore plus vrai pour les contentieux politiques sur lesquels la Cour suprême dispose d’une compétence affectée : l’affaire de Mbane, de Ndoulo et autres en constituent des preuves tangibles. De là à suggérer que le Conseil constitutionnel soit dissout et que toutes ses compétences soient transférées à la Cour suprême, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. Sans en arriver à cette extrémité, on peut croire que le texte organique qui a institué le Conseil doit notablement évoluer pour donner naissance à une nouvelle institution que l’on pourrait appeler Cour Constitutionnelle à l’image de celle du Benin.
En tout état de cause, quelle que soit la nature et les compétences dédiées à cette nouvelle Cour à venir, le profil des hommes qui les animent, leur volonté de servir d’abord la loi et leur pays, peuvent s’avérer déterminantes, sinon parfois plus décisives que le contenu de n’importe quelle autre réfærme proposée. Si la Cour suprême a été saluée dans son œuvre au cours de l’année passée, son président et les juges qui l’assistent ont été décisifs dans le travail de régulation de notre système démocratique qui a été fait dans le traitement du contentieux relatif aux dernières élections locales. Le caractère du juge suprême, son audace et son indépendance ont pu aider à faire une œuvre utile et salutaire pour la démocratie. C’est le travail attendu de toutes les juridictions suprêmes du pays, y compris le Conseil constitutionnel dont il est urgent de revoir de fond en comble la loi organique qui lui donne une existence légale, détermine ses prérogatives et fixe ses moyens d’intervention.
Abdou Latif COULIBALY
lagazette.sn