A Dakar, les temps changent. «"A la question qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?", les jeunes enfants répondaient traditionnellement "footballeur professionnel"; maintenant ils veulent tous devenir lutteurs», explique Hassan Ndiaye, un instituteur de Dakar, qui sait que les études ne sont pas forcément la priorité de ses élèves.
La passion pour la lutte a atteint son paroxysme le 4 avril 2010, le jour de la célébration des cinquante ans d'indépendance du Sénégal: deux lutteurs se sont affrontés dans une grande arène de Dakar devant des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs. Avant le combat, les préparatifs durent des heures. Chacun y va de ses grigris, de ses prières et de ses libations. Les «échauffements télévisés» permettent d'impressionner l'équipe adverse.
La plupart du temps ces affrontements peuvent s'achever après quelques secondes. En effet, au Sénégal, les combats de lutte frappée (l'usage des poings est autorisé) sont souvent très brefs. Dès qu'un lutteur est mis à terre ou qu'il a été assommé par un coup de poing, le combat est terminé.
«Dans tout le pays, les lutteurs sont considérés comme des Dieux vivants», explique Khadija, une commerçante qui ne rate jamais un combat. Chaque dimanche, la télévision retransmet ces «luttes» qui passionnent jusque dans les campagnes les plus reculées. Ces joutes font d'autant plus rêver qu'elles rapportent de plus en plus d'argent. Dès son entrée dans l'arène, chacun des champions avait déjà gagné 100 millions de francs CFA (150.000 d'euros). Une très belle somme pour un combat qui n'a duré qu'une poignée de minutes et qui donnent le tournis dans un pays où le salaire minimum est fixé à 55 euros mensuel. Et où la grande majorité des habitants n'ont de toute façon pas accès à un emploi salarié. Un jeune enseignant gagne à peine 300 euros par mois.
Un sac de riz ou un bœuf
Jamais un combat de lutte n'avait rapporté autant à Dakar que celui du 4 avril. Le précédent record date de l'année dernière. Un lutteur avait touché 80 millions de francs CFA. «Jusqu'au début des années 90, je donnais des cachets qui ne dépassaient pas les trois millions de francs CFA, alors vous voyez la révolution», explique le promoteur de confrontation de lutte Gaston Mbengue. Cet organisateur de combat particulièrement médiatique est lui-même devenu une grande star, aussi célèbre dans le domaine de la lutte sénégalaise que Don King aux Etats-unis dans celui de la boxe.
«Il y a quelques années, les grands champions gagnaient à peine un sac de riz ou un boeuf. Aujourd'hui, leur fortune fait rêver tout le monde», explique l'écrivain sénégalais, Barka Ba. En quinze ans, le business de la lutte a connu un essor considérable. Les chaînes de télévision, notamment la RTS (Radio télévision sénégalaise, la chaîne publique) réalisent des audiences record grâce à la retransmission des combats. Elles versent des montants énormes pour les droits de retransmission. Ces sommes sont tellement importantes quelles refusent d'en communiquer le montant. Mais cela reste très rentable pour elles: le marché publicitaire a connu une très forte croissance au Sénégal au cours de la dernière décennie.
Les lutteurs signent aussi de très lucratifs contrats publicitaires. «Tyson» et «Yekini», les deux lutteurs qui se sont affrontés le 4 avril, ont signé des dizaines de contrats publicitaires. «Tyson» est une immense star. Exilé aux Etats-unis depuis trois ans à la suite d'un combat dont le verdict ne l'avait pas satisfait, il possède un sens consommé de la mise en scène. Ce grand américanophile, qui se couvre le corps du drapeau à bannière étoilée avant chacun ses combats, est devenu un modèle pour une jeunesse qui rêve d'Amérique. Mais le 4 avril il a été battu par Yekini. Poussée par l'énormité des sommes en jeu, une revanche sera bientôt organisée.
Les lions abattus
Pour assister aux combats de lutte, des milliers de Sénégalais sont prêts à payer leur entrée au stade au prix fort. Bien plus que pour les matches de football. Les places valent de 1.000 francs CFA (1,5 euro) à 200.000 francs (plus de 300 euros, davantage que le salaire mensuel d'un jeune enseignant).
Sur les plages, des milliers de jeunes s'entraînent. Ils font partie d'écoles de lutte. Ils multiplient les séries de pompes, se couvrent le corps de sable et s'affrontent pendant des heures. «La pêche ne rapporte plus rien. Les océans sont vides. Je ne veux pas devenir pêcheur comme mon père, explique Abasse, l'un de ces jeunes. Je vais devenir lutteur professionnel. Je vais gagner des millions, comme tous ces grands champions que je vois à la télévision. Je serai le nouveau Tyson».
L'engouement pour la lutte est d'autant plus grand que le football a toujours autant de mal à retrouver ses marques et que l'équipe nationale est plus que jamais en piteux état. «Depuis le mondial 2002, l'équipe de football du Sénégal nous a tout le temps déçus. A l'époque nous avions vaincu la France en match d'ouverture de la coupe du monde. El hadji Diouf, notre buteur faisait rêver le Sénégal. C'était la vraie star. Mais maintenant, tout ça s'est terminé», m'explique Aminata, une étudiante qui rêve d'épouser un lutteur.
«Nous ne pardonnons pas aux « lions de la Teranga » de ne pas s'être qualifiés pour la coupe du monde. Alors que l'équipe avait participé aux quarts de finale lors du mondial 2002. Et qu'elle aurait pu aller beaucoup plus loin si les footballeurs n'étaient allés en boite de nuit la veille des matches», explique un supporter déçu.
Suprême humiliation pour les «lions de la Téranga», ils n'ont même pas participé à la dernière coupe d'Afrique des nations. Ils ne sont pas parvenus à se qualifier pour cette compétition où ils avaient si souvent brillé lors des dernières années. Malgré de grands talents individuels comme le buteur Mamadou Niang qui fait les beaux jours de l'OM, les «lions de la Téranga» ne parviennent plus à aligner une équipe compétitive. Alors la lutte n'en finit pas de prendre de l'ampleur et supplante le football chaque jour un peu plus.
Pierre Cherruau slateafrique.com
La passion pour la lutte a atteint son paroxysme le 4 avril 2010, le jour de la célébration des cinquante ans d'indépendance du Sénégal: deux lutteurs se sont affrontés dans une grande arène de Dakar devant des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs. Avant le combat, les préparatifs durent des heures. Chacun y va de ses grigris, de ses prières et de ses libations. Les «échauffements télévisés» permettent d'impressionner l'équipe adverse.
La plupart du temps ces affrontements peuvent s'achever après quelques secondes. En effet, au Sénégal, les combats de lutte frappée (l'usage des poings est autorisé) sont souvent très brefs. Dès qu'un lutteur est mis à terre ou qu'il a été assommé par un coup de poing, le combat est terminé.
«Dans tout le pays, les lutteurs sont considérés comme des Dieux vivants», explique Khadija, une commerçante qui ne rate jamais un combat. Chaque dimanche, la télévision retransmet ces «luttes» qui passionnent jusque dans les campagnes les plus reculées. Ces joutes font d'autant plus rêver qu'elles rapportent de plus en plus d'argent. Dès son entrée dans l'arène, chacun des champions avait déjà gagné 100 millions de francs CFA (150.000 d'euros). Une très belle somme pour un combat qui n'a duré qu'une poignée de minutes et qui donnent le tournis dans un pays où le salaire minimum est fixé à 55 euros mensuel. Et où la grande majorité des habitants n'ont de toute façon pas accès à un emploi salarié. Un jeune enseignant gagne à peine 300 euros par mois.
Un sac de riz ou un bœuf
Jamais un combat de lutte n'avait rapporté autant à Dakar que celui du 4 avril. Le précédent record date de l'année dernière. Un lutteur avait touché 80 millions de francs CFA. «Jusqu'au début des années 90, je donnais des cachets qui ne dépassaient pas les trois millions de francs CFA, alors vous voyez la révolution», explique le promoteur de confrontation de lutte Gaston Mbengue. Cet organisateur de combat particulièrement médiatique est lui-même devenu une grande star, aussi célèbre dans le domaine de la lutte sénégalaise que Don King aux Etats-unis dans celui de la boxe.
«Il y a quelques années, les grands champions gagnaient à peine un sac de riz ou un boeuf. Aujourd'hui, leur fortune fait rêver tout le monde», explique l'écrivain sénégalais, Barka Ba. En quinze ans, le business de la lutte a connu un essor considérable. Les chaînes de télévision, notamment la RTS (Radio télévision sénégalaise, la chaîne publique) réalisent des audiences record grâce à la retransmission des combats. Elles versent des montants énormes pour les droits de retransmission. Ces sommes sont tellement importantes quelles refusent d'en communiquer le montant. Mais cela reste très rentable pour elles: le marché publicitaire a connu une très forte croissance au Sénégal au cours de la dernière décennie.
Les lutteurs signent aussi de très lucratifs contrats publicitaires. «Tyson» et «Yekini», les deux lutteurs qui se sont affrontés le 4 avril, ont signé des dizaines de contrats publicitaires. «Tyson» est une immense star. Exilé aux Etats-unis depuis trois ans à la suite d'un combat dont le verdict ne l'avait pas satisfait, il possède un sens consommé de la mise en scène. Ce grand américanophile, qui se couvre le corps du drapeau à bannière étoilée avant chacun ses combats, est devenu un modèle pour une jeunesse qui rêve d'Amérique. Mais le 4 avril il a été battu par Yekini. Poussée par l'énormité des sommes en jeu, une revanche sera bientôt organisée.
Les lions abattus
Pour assister aux combats de lutte, des milliers de Sénégalais sont prêts à payer leur entrée au stade au prix fort. Bien plus que pour les matches de football. Les places valent de 1.000 francs CFA (1,5 euro) à 200.000 francs (plus de 300 euros, davantage que le salaire mensuel d'un jeune enseignant).
Sur les plages, des milliers de jeunes s'entraînent. Ils font partie d'écoles de lutte. Ils multiplient les séries de pompes, se couvrent le corps de sable et s'affrontent pendant des heures. «La pêche ne rapporte plus rien. Les océans sont vides. Je ne veux pas devenir pêcheur comme mon père, explique Abasse, l'un de ces jeunes. Je vais devenir lutteur professionnel. Je vais gagner des millions, comme tous ces grands champions que je vois à la télévision. Je serai le nouveau Tyson».
L'engouement pour la lutte est d'autant plus grand que le football a toujours autant de mal à retrouver ses marques et que l'équipe nationale est plus que jamais en piteux état. «Depuis le mondial 2002, l'équipe de football du Sénégal nous a tout le temps déçus. A l'époque nous avions vaincu la France en match d'ouverture de la coupe du monde. El hadji Diouf, notre buteur faisait rêver le Sénégal. C'était la vraie star. Mais maintenant, tout ça s'est terminé», m'explique Aminata, une étudiante qui rêve d'épouser un lutteur.
«Nous ne pardonnons pas aux « lions de la Teranga » de ne pas s'être qualifiés pour la coupe du monde. Alors que l'équipe avait participé aux quarts de finale lors du mondial 2002. Et qu'elle aurait pu aller beaucoup plus loin si les footballeurs n'étaient allés en boite de nuit la veille des matches», explique un supporter déçu.
Suprême humiliation pour les «lions de la Téranga», ils n'ont même pas participé à la dernière coupe d'Afrique des nations. Ils ne sont pas parvenus à se qualifier pour cette compétition où ils avaient si souvent brillé lors des dernières années. Malgré de grands talents individuels comme le buteur Mamadou Niang qui fait les beaux jours de l'OM, les «lions de la Téranga» ne parviennent plus à aligner une équipe compétitive. Alors la lutte n'en finit pas de prendre de l'ampleur et supplante le football chaque jour un peu plus.
Pierre Cherruau slateafrique.com