M. F. est une jeune femme sortie de l’Ecole Supérieure Polytechnique, la plus prestigieuse école d’ingénieur du Sénégal. Elle est mariée avec le directeur d’une des plus grandes agences du gouvernement en charge de la promotion du commerce extérieur. Avec son enfant de trois ans, elle occupe son luxueux appartement aux Almadies, quartier situé au nord-ouest de Dakar.
Le nom seul des Almadies est synonyme de statut social, de richesse et de modernité. C’est là, dans ce point du continent africain le plus avancé vers l’Océan Atlantique, que s’est donné rendez-vous, tout ce que compte le Sénégal comme nouvelles fortunes. Les rutilantes voitures devant les villas témoignent d’un niveau de vie largement au-dessus de la moyenne.
Le statut social n’y change rien
Malgré ses études d’ingénieurs et son statut social, M. F. vit dans un ménage polygame, une chose de plus en plus anodine dans un Sénégal à 95% de musulmans. "Je vois mon mari en moyenne trois fois par semaine. Il passe deux jours avec moi, les deux suivants, il est chez ma coépouse", explique-t-elle. Une situation qui ne la dérange nullement, puisqu’elle affirme que son statut de deuxième femme lui "permet de se retrouver avec ses copines, aller chez l’esthéticienne et faire un shopping sans avoir à s’occuper du programme de son mari".
M. F. n’a pourtant jamais pensé se trouver dans un mariage polygame. D’abord, "j’ai fait de longues études que j’ai terminées à l’âge de 26 ans. Ensuite, il a fallu que je me penche sur ma carrière", explique-t-elle. Entre temps, elle fait des rencontres, mais "décline systématiquement les propositions de mariage". Quand elle s’est décidée à fonder un foyer, "il n’y avait presque plus d’hommes de moins de 35 ans seuls dans son entourage".
Paradoxalement, la modernité qui permet aux femmes de rester plus longtemps dans les études, les fait condamner par le conservatisme bien sénégalais qui veut qu’une femme non encore mariée soit presque rejetée. La société est telle, la femme n’y trouve réellement sa place que quand elle est mariée.
Alors, beaucoup de femmes revendiquent ce statut avec beaucoup d’aisance. La valorisation du mariage est telle qu'elles préfèrent de loin être deuxième, troisième ou quatrième épouse, plutôt que de rester seules.
Avocats, médecins, ministres...
Aujourd’hui, 35% des ménages sénégalais sont polygames, et en milieu urbain le chiffre tend à augmenter. Plus étonnant encore, plusieurs sociologues, estiment qu’en milieu urbain, le phénomène s’accroît. C’est ce qu’affirme Marie Angélique Savané, sociologue ayant servi pendant longtemps aux Nations-Unies.
"Il y a quelques années, on pensait que l’éducation allait infléchir la société sur cette pratique", affirmait-elle aux ondes d’une radio internationale. "Eh bien non ! Et, ce n’est pas la génération des vieux, mais plutôt de jeunes personnes ayant moins de 45 ans, occupant de hautes fonctions". Ils sont donc médecins, avocats, directeurs d’entreprises publiques, voire ministres et députés à être polygyne. "C’est une certaine élite intellectuelle, beaucoup plus sensible au mode de vie occidentale, qui se revendique polygame". Cette féministe convaincue est dans tous ses états, chaque fois qu’on l’interpelle sur le sujet.
La règle tacite de Senghor est passée de mode
Selon une rumeur, le premier Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, avait une règle non écrite qui interdisait à ses ministres d’être polygames, jusqu’au début des années 1980. Les choses ont vite changé à l’arrivée d’Abdou Diouf. D’ailleurs, la deuxième personne la plus influente de son parti,
Ousmane Tanor Dieng est polygame depuis longtemps. Sous le régime actuel, beaucoup de ministres sont polygames, y compris parmi les plus influents, comme le ministre de l'intérieur. Abdoulaye Diallo a convolé en justes et secondes noces avec l'une des notaires les plus influentes du pays, à savoir Tamarro Seydi.
Autre paradoxe, c’est que le Sénégal apparaît comme un pays moderne avec une élite intellectuelle bien établie. C’est l’un des rares pays au monde, où la moitié des parlementaires doivent obligatoirement être des femmes. Il en est de même dans tous les conseils d’administration d’entreprises publiques. Il n’empêche qu’il soit le pays où la polygamie avance le plus en Afrique où 30 pays sur 54 autorisent officiellement la polygamie.
"Dites aux femmes parlementaires de faire passer une loi contre la polygamie, aucune ne le ferait", s’indigne Angélique Savané. L’année dernière, en février 2015, la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Awa Guèye s’est mariée avec un homme, qui avait déjà une première épouse.
La polygamie, un choix lors du premier mariage
Il faut dire que la loi Sénégalaise autorise la polygamie. L’homme peut prendre jusqu’à quatre épouses. Il s’agit d’un véritable choix de vie qui est fait lors du premier mariage, une bonne fois pour toute. Ceux qui veulent rester monogame, ont le choix en ce moment-là. Evidemment, si rien n’est spécifié, le droit commun admet que c’est la polygamie qui devient la règle du couple.
Il n’y a pas de statistiques disponibles sur ce choix dans les registres matrimoniaux des collectivités locales. Mais, le constat est unanime : la polygamie tend à être la règle.
Evidemment, si les secondes épouses, comme M. F. affirme l’avoir choisi, les premières, elles, disent plutôt qu’elles subissent le choix de leur mari. Elles ne font presque jamais le choix de divorcer à cause, là encore, d’une pression sociale trop forte. Quand, en plus elles ont des enfants, le divorce est hors de question.
Landing DIEDHIOU, Leral.net
Le nom seul des Almadies est synonyme de statut social, de richesse et de modernité. C’est là, dans ce point du continent africain le plus avancé vers l’Océan Atlantique, que s’est donné rendez-vous, tout ce que compte le Sénégal comme nouvelles fortunes. Les rutilantes voitures devant les villas témoignent d’un niveau de vie largement au-dessus de la moyenne.
Le statut social n’y change rien
Malgré ses études d’ingénieurs et son statut social, M. F. vit dans un ménage polygame, une chose de plus en plus anodine dans un Sénégal à 95% de musulmans. "Je vois mon mari en moyenne trois fois par semaine. Il passe deux jours avec moi, les deux suivants, il est chez ma coépouse", explique-t-elle. Une situation qui ne la dérange nullement, puisqu’elle affirme que son statut de deuxième femme lui "permet de se retrouver avec ses copines, aller chez l’esthéticienne et faire un shopping sans avoir à s’occuper du programme de son mari".
M. F. n’a pourtant jamais pensé se trouver dans un mariage polygame. D’abord, "j’ai fait de longues études que j’ai terminées à l’âge de 26 ans. Ensuite, il a fallu que je me penche sur ma carrière", explique-t-elle. Entre temps, elle fait des rencontres, mais "décline systématiquement les propositions de mariage". Quand elle s’est décidée à fonder un foyer, "il n’y avait presque plus d’hommes de moins de 35 ans seuls dans son entourage".
Paradoxalement, la modernité qui permet aux femmes de rester plus longtemps dans les études, les fait condamner par le conservatisme bien sénégalais qui veut qu’une femme non encore mariée soit presque rejetée. La société est telle, la femme n’y trouve réellement sa place que quand elle est mariée.
Alors, beaucoup de femmes revendiquent ce statut avec beaucoup d’aisance. La valorisation du mariage est telle qu'elles préfèrent de loin être deuxième, troisième ou quatrième épouse, plutôt que de rester seules.
Avocats, médecins, ministres...
Aujourd’hui, 35% des ménages sénégalais sont polygames, et en milieu urbain le chiffre tend à augmenter. Plus étonnant encore, plusieurs sociologues, estiment qu’en milieu urbain, le phénomène s’accroît. C’est ce qu’affirme Marie Angélique Savané, sociologue ayant servi pendant longtemps aux Nations-Unies.
"Il y a quelques années, on pensait que l’éducation allait infléchir la société sur cette pratique", affirmait-elle aux ondes d’une radio internationale. "Eh bien non ! Et, ce n’est pas la génération des vieux, mais plutôt de jeunes personnes ayant moins de 45 ans, occupant de hautes fonctions". Ils sont donc médecins, avocats, directeurs d’entreprises publiques, voire ministres et députés à être polygyne. "C’est une certaine élite intellectuelle, beaucoup plus sensible au mode de vie occidentale, qui se revendique polygame". Cette féministe convaincue est dans tous ses états, chaque fois qu’on l’interpelle sur le sujet.
La règle tacite de Senghor est passée de mode
Selon une rumeur, le premier Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, avait une règle non écrite qui interdisait à ses ministres d’être polygames, jusqu’au début des années 1980. Les choses ont vite changé à l’arrivée d’Abdou Diouf. D’ailleurs, la deuxième personne la plus influente de son parti,
Ousmane Tanor Dieng est polygame depuis longtemps. Sous le régime actuel, beaucoup de ministres sont polygames, y compris parmi les plus influents, comme le ministre de l'intérieur. Abdoulaye Diallo a convolé en justes et secondes noces avec l'une des notaires les plus influentes du pays, à savoir Tamarro Seydi.
Autre paradoxe, c’est que le Sénégal apparaît comme un pays moderne avec une élite intellectuelle bien établie. C’est l’un des rares pays au monde, où la moitié des parlementaires doivent obligatoirement être des femmes. Il en est de même dans tous les conseils d’administration d’entreprises publiques. Il n’empêche qu’il soit le pays où la polygamie avance le plus en Afrique où 30 pays sur 54 autorisent officiellement la polygamie.
"Dites aux femmes parlementaires de faire passer une loi contre la polygamie, aucune ne le ferait", s’indigne Angélique Savané. L’année dernière, en février 2015, la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Awa Guèye s’est mariée avec un homme, qui avait déjà une première épouse.
La polygamie, un choix lors du premier mariage
Il faut dire que la loi Sénégalaise autorise la polygamie. L’homme peut prendre jusqu’à quatre épouses. Il s’agit d’un véritable choix de vie qui est fait lors du premier mariage, une bonne fois pour toute. Ceux qui veulent rester monogame, ont le choix en ce moment-là. Evidemment, si rien n’est spécifié, le droit commun admet que c’est la polygamie qui devient la règle du couple.
Il n’y a pas de statistiques disponibles sur ce choix dans les registres matrimoniaux des collectivités locales. Mais, le constat est unanime : la polygamie tend à être la règle.
Evidemment, si les secondes épouses, comme M. F. affirme l’avoir choisi, les premières, elles, disent plutôt qu’elles subissent le choix de leur mari. Elles ne font presque jamais le choix de divorcer à cause, là encore, d’une pression sociale trop forte. Quand, en plus elles ont des enfants, le divorce est hors de question.
Landing DIEDHIOU, Leral.net