Une illustre figure du combat patriotique africain a rejoint son adresse destinale. En effet, Ba Bocar Moussa, militant infatigable de la démocratie et de la justice au service des peuples, était une passerelle entre le mouvement national démocratique (MND) mauritanien et le MND sénégalais. Les camarades sénégalais se souviennent encore de sa prise de parole au 1er congrès légal de And-MRDN tenu en 1983. Ses propos prononcés avec une rare éloquence avaient fortement retenti dans la salle du cinéma El Mansour pour exprimer la solidarité du Parti des Kadihines de la Mauritanie (PKM) à son parti frère du Sénégal.
De Nouakchott à Saint-Louis (lycée Charles de Gaulle) à l'Université de Dakar, puis à Paris, Bocar, par son engagement et son enthousiasme, a constitué un liant stimulant entre militants sénégalais et mauritaniens. Bâtisseur de ponts, il a su relier les mouvements progressistes du Nord et du Sud du Sahara. Ainsi, Il a été l'artisan discret de l’odyssée de solidarité aux militants et combattants du Front Polisario sous les bombardements de l’armée marocaine que Landing Savane et moi-même avons menée à la fin des années 70 à Tindouf, puis Al Ayoun et Dahla au nom de And Jef pour exprimer le soutien du peuple sénégalais contre l’injustice imposée aux populations Saharoui. Il a également coordonné avec bonheur la délicate opération de sauvetage et d'évacuation du principal responsable du parti le Mouvement pour la Justice en Afrique (MOJA- Gambie), Koro Sallah, blessé et poursuivi au moment des événements sanglants du putsch perpétré par Kukoi Samba en Gambie en 1981. Avec les progressistes et démocrates du Mali, de la Guinée et particulièrement du Burkina Faso sous la présidence de Thomas Sankara, Bocar avait tissé des liens étroits de solidarité et d’amitié.
Au sein de la communauté mauritanienne, il était aussi un trait d'union. Il a prôné, sans jamais se lasser, l'unité de la nation mauritanienne dans le respect des diversités ethniques et culturelles ; ni chauvinisme ni nationalisme étroit ! Lui-même était un modèle accompli d’intégration : il parlait couramment le hassania, l’arabe, le poular, le français et l'anglais voire même le soninké si je ne m’abuse. Chercheur, il se passionnait autant pour les structures et dynamiques sociales des populations de la région du Gorgol que pour les tribus du Trarza, de l’Adrar ou du Zemour.
Bocar n’était pas seulement un dirigeant politique clairvoyant, armé de la théorie marxiste, il était surtout un militant ingénieux, en liaison avec les masses, impliqué dans les tâches pratiques à la base. Pendant la période de la clandestinité, nous avons arpenté les ruelles des banlieues dakaroises de jour et de nuit pour conduire des missions, en évitant de tomber sous les fourches d’un Etat policier, répressif. Nous avions ainsi établi une base au marché de la Rue 6 de la Médina où nous nous mouvions comme des poissons dans l’eau. Cet espace jalonné d’étals maures nous servait de cadre de rencontres, d'échanges d'expériences, de support de distribution de journaux clandestins. Un jour, au cours d’une séance d’instruction sur les mesures préventives en vue d’échapper à une descente policière éventuelle, il suggéra à un camarade de prévoir d’utiliser les carcasses de mouton comme cache de documents sensibles.
Bocar, toujours en alerte, disposait d’une intelligence stratégique exceptionnelle qui lui donnait une capacité d’analyse et d’adaptation. Qualités que Abdoulaye Bathily a détectées très tôt alors que Bocar siégeait au Comité Directeur (CD) de l’Union des Etudiants de Dakar (UED) en notant dès cette époque : « la pertinence de ses réflexions, adossée à son courage dans l’action, lui donna très vite la stature morale du dirigeant qui va continuer de s’affirmer à l’épreuve des luttes… ». Pour ma part, j’ai été impressionné par la lucidité des enseignements qu’il a tirés de son expérience de participation à un gouvernement pour le compte de son parti l’Union des forces du progrès (UFP). Il me confia, autour d’un thé à la menthe et avec un grand humour, que le pouvoir politique est une épreuve terrible pour un militant qui veut rester conforme à ses principes. On ne peut être totalement indifférent, avoua-t-il avec franchise, des délices du pouvoir qui modifient forcément la perception des choses. A son avis, il faut une vigilance à toute épreuve et une pratique constante de la critique et l’autocritique avec rigueur et sincérité pour espérer rester fidèle à ses idéaux.
Sorti indemne de ce qu’il nomme l’aventure du pouvoir, il remit le métier sur l’ouvrage et reprit une vie normale de citoyen toujours proche des simples gens. Au-delà du combattant, Bocar était un homme plein de sollicitude, généreux dans le partage du savoir, doté d’une vaste culture générale, scientifique et politique, attentif aux autres avec un sens élevé de l’écoute ; il mettait d’abord l’accent sur les forces de chacun en vue de le stimuler avant de relever les faiblesses à corriger. Il avait une foi inébranlable en la force du collectif face à l’adversité et en la capacité des peuples à s’unir et à se libérer.
Cher Bocar, les ponts que tu as jetés n’ont pas cédé. Ce matin, c’est du Sénégal, ta patrie de choix que tu as été conduit à ta patrie d'origine en Mauritanie. Ainsi tu as bénéficié d'une double levée de corps à Dakar et à Nouakchott, avec des hommages poignants livrés par des camarades, auxquels tu es resté fidèle depuis plus de 60 ans, des amis et des parents. Ton fils Moctar a su rappeler avec adresse et délicatesse ton principe de retenue dans les rapports avec les pouvoirs politiques.
A sa compagne Fanna Hann Ba, à sa famille et à ses camarades de l’Union des forces du progrès (UFP) de la Mauritanie, aux peuples d’Afrique, j’exprime ma compassion et mes condoléances. Je porte témoignage que Ba Bocar Moussa a accompli sa part de mission dans la marche pour la liberté, l’émancipation et l’avènement de la justice sociale en Afrique
Que les portes de la miséricorde divine lui soient largement ouvertes !

Source : https://www.seneplus.com/opinions/ba-bocar-moussa-...