Mon ami le Professeur Massamba Guéye a publié il y a quelques semaines, un pertinent article dans lequel il écrivait avec juste raison : « Cette lutte-là n’est pas notre sport national… ». Il ne croyait certainement pas si bien dire, tant les évènements de ces derniers jours et qui ont tristement entaché la lutte sénégalaise, lui ont donné mille fois raison !
Dans la tradition sénégalaise, la lutte « làmb » a toujours été considérée comme un jeu, une distraction, un sport et un lien entre les villages et les groupes ethniques. Organisée après les récoltes, la lutte permettait aux adolescents de se mesurer physiquement après les travaux champêtres. Le sang et l’injure n’avaient guère leur place dans la lutte traditionnelle !
À l’époque, il y avait deux formes de lutte : le « mbappat » qui se déroulait la nuit et le « làmb sarale », opposant des lutteurs de plusieurs villages et qui était organisé la journée à partir de quatorze heures et durant trois jours ou plus.
Malheureusement, les évènements qui viennent d’ensanglanter et d’endeuiller la lutte sénégalaise ont enlevé à ce noble sport toute son essence et sa quintessence faites d’amitié et de culture. Le combat du dimanche 24 juin a surpris et écœuré tous les segments de la société sénégalaise, tant la sauvagerie qui le caractérisait était inimaginable dans un pays civilisé comme le Sénégal.
Voilà donc qu’avec la complicité de sponsors obnubilés par l’appât du gain, des promoteurs qui se targuent de créer des emplois organisent ces combats de gladiateurs et sont financés à coups de centaines de millions de francs pour ne pas compter en milliards, malgré les violences qu’ils génèrent sans arrêt depuis quelques années déjà.
Ces sponsors et promoteurs en finançant de tels combats, ne font rien d’autre que promouvoir la brutalité, le vandalisme et le désordre !
Peut-on considérer comme un emploi, une activité qui se dit sportive, mais qui au fil du temps, s’est muée en activité génératrice de violence où des titans harnachés de gris-gris, le corps trempé de liquides de toutes sortes, s’affrontent dans une arène transformée en boucherie, où le sang humain gicle et coule à flot devant des spectateurs au bord de l’hystérie, le tout dans l’indifférence des pouvoirs publics et de la majeure partie de notre peuple ?
Peut-on considérer notre pays comme une nation qui se voudrait civilisée et respectueuse de sa tradition et de sa culture, quand la lutte authentique se laisse inexorablement phagocyter par ce qu’il est convenu d’appeler un business sanguinaire qui évolue allègrement dans la violence aveugle, les invectives et les grossièretés de toutes sortes? Voilà un « sport » où tout est générateur de violence gratuite et stupide : les signatures de contrat, les face à face, les débats télévisés, les combats, les après-combats et j’en passe. Voilà un « sport » qui offre à certains promoteurs des occasions inespérées de donner le mauvais exemple en se donnant des coups bas et en se lançant des propos inélégants voire des injures sur les plateaux de télévision. Et comme si ces formes de violence ne suffisaient pas, il arrive même qu’on assiste à des échanges de gifles ou de coups de poing, en direct à la télévision. Les lutteurs eux-mêmes semblent avoir perdu la raison. En effet, au lieu de rivaliser de talent et d’exhiber le riche répertoire des techniques de la lutte traditionnelle, léguées par Fodé Doussouba, Falang, Cheikh Mbaba, Barabara, Falaye Baldé, Double Less, Mame Gorgui et tant d’autres champions, ils ont choisi de transformer les arènes et les plateaux de télévision, en une jungle où des mastodontes en furie se livrent à des combats à mort. Auparavant, ils auront échangé de violentes menaces, des injures dévastatrices, sans exclure les coups de poing et les empoignades souvent ridicules et inutiles !
À l’époque, les amateurs de lutte se distinguaient par les beaux habits qu’ils portaient, leur propreté, leur courtoisie, leur calme, leur passion sereine et leur fair-play. Ils faisaient le déplacement à l’arène pour admirer les prouesses de vrais lutteurs et écouter les « bakk », véritables poèmes d’autoglorification rythmés par les tambours-majors de la trempe de Lama Bouna Bass, Vieux Seng Faye, Amadou Thiam Madiara et autres Doudou Ndiaye Rose. Ils aiment la voix de rossignol de Khar Mbaye la Rufisquoise et la voix d’or de Doudou Seck Yaay Katy.
De nos jours, la lutte a presque perdu tous ces amateurs gentlemen. La lutte est devenue une mare aux crocodiles, envahie par des groupes d’acteurs composés en majorité de hooligans redoutables, hystériques et incontrôlables ! Ces hordes d’énergumènes qui se font appeler « fans club » ont la particularité de semer la violence partout où ils passent, surtout après la chute de leur idole. Armés de gourdins, d’armes blanches, de cornes de guib harnaché ou d’antilope cheval, ils déferlent dans les rues de Dakar, comme des tribus d’Indiens ayant déterré la hache de guerre en plein Far-west. Ils sèment la terreur et le désarroi, partout où ils passent.
Malgré toutes ces dérivent d’une extrême gravité, les médias rivalisent d’ardeur pour faire la part belle à l’apologie de la lutte, je devrais dire « apologie de la violence ». De leur côté certains promoteurs se bousculent rageusement et se crêpent le chignon dans les salles d’attente des sponsors. Pendant ce temps, les pouvoirs publics gardent un silence coupable, donnant l’impression d’avoir peur de taper sur la table et de mettre fin à cette charcuterie humaine et ces scènes de violence et de vandalisme qui terrorisent les vrais amateurs de la vraie lutte et les paisibles citoyens.
Les responsables du CNG sont également coupables. Ils ne sont pas proactifs. S’il leur arrive de réagir c’est souvent une fois que le mal est fait. C’est comme qui dirait : le médecin après la mort ! En plus, les fréquentes décisions arbitrales fantaisistes ne font qu’attiser l’enfer de la violence !
Cette lutte parsemée de cadavres et inondée de sang humain, ce n’est pas la lutte que nous ont léguée nos ancêtres. Ce n’est pas non plus la lutte que nous a décrite avec brio la grande romancière Aminata Sow Fall dans son roman : « L’Appel des arènes » et qui a été porté à l’écran par M. Cheikh Ndiaye en 2006.
Il temps d’agir ! Il est plus que temps de réformer la lutte. Il est temps d’y imposer l’ordre, la discipline, et la morale! Il est temps d’arrêter le massacre. Il est également temps de moraliser les cachets des lutteurs. Ces sommes faramineuses qu’on leur paye comme pour récompenser la violence et la médiocrité, ne sont que sources de découragement pour les honnêtes gens qui ont choisie les études et d’autres métiers beaucoup plus productifs pour notre pays et son développement durable. Chaque minute d’hésitation de plus, fera une victime de trop et conduira inéluctablement la lutte vers une mort certaine ! Ne nous faisons pas d’illusions ! Tant que la lutte sénégalaise sera synonyme de « sang », « d’injure » et de « violence », elle ne sera jamais exportable. Elle finira sans doute par mourir de sa belle mort sans jamais franchir nos frontières.
Moumar GUEYE
Ecrivain
E-mail : moumar@orange.sn
Dans la tradition sénégalaise, la lutte « làmb » a toujours été considérée comme un jeu, une distraction, un sport et un lien entre les villages et les groupes ethniques. Organisée après les récoltes, la lutte permettait aux adolescents de se mesurer physiquement après les travaux champêtres. Le sang et l’injure n’avaient guère leur place dans la lutte traditionnelle !
À l’époque, il y avait deux formes de lutte : le « mbappat » qui se déroulait la nuit et le « làmb sarale », opposant des lutteurs de plusieurs villages et qui était organisé la journée à partir de quatorze heures et durant trois jours ou plus.
Malheureusement, les évènements qui viennent d’ensanglanter et d’endeuiller la lutte sénégalaise ont enlevé à ce noble sport toute son essence et sa quintessence faites d’amitié et de culture. Le combat du dimanche 24 juin a surpris et écœuré tous les segments de la société sénégalaise, tant la sauvagerie qui le caractérisait était inimaginable dans un pays civilisé comme le Sénégal.
Voilà donc qu’avec la complicité de sponsors obnubilés par l’appât du gain, des promoteurs qui se targuent de créer des emplois organisent ces combats de gladiateurs et sont financés à coups de centaines de millions de francs pour ne pas compter en milliards, malgré les violences qu’ils génèrent sans arrêt depuis quelques années déjà.
Ces sponsors et promoteurs en finançant de tels combats, ne font rien d’autre que promouvoir la brutalité, le vandalisme et le désordre !
Peut-on considérer comme un emploi, une activité qui se dit sportive, mais qui au fil du temps, s’est muée en activité génératrice de violence où des titans harnachés de gris-gris, le corps trempé de liquides de toutes sortes, s’affrontent dans une arène transformée en boucherie, où le sang humain gicle et coule à flot devant des spectateurs au bord de l’hystérie, le tout dans l’indifférence des pouvoirs publics et de la majeure partie de notre peuple ?
Peut-on considérer notre pays comme une nation qui se voudrait civilisée et respectueuse de sa tradition et de sa culture, quand la lutte authentique se laisse inexorablement phagocyter par ce qu’il est convenu d’appeler un business sanguinaire qui évolue allègrement dans la violence aveugle, les invectives et les grossièretés de toutes sortes? Voilà un « sport » où tout est générateur de violence gratuite et stupide : les signatures de contrat, les face à face, les débats télévisés, les combats, les après-combats et j’en passe. Voilà un « sport » qui offre à certains promoteurs des occasions inespérées de donner le mauvais exemple en se donnant des coups bas et en se lançant des propos inélégants voire des injures sur les plateaux de télévision. Et comme si ces formes de violence ne suffisaient pas, il arrive même qu’on assiste à des échanges de gifles ou de coups de poing, en direct à la télévision. Les lutteurs eux-mêmes semblent avoir perdu la raison. En effet, au lieu de rivaliser de talent et d’exhiber le riche répertoire des techniques de la lutte traditionnelle, léguées par Fodé Doussouba, Falang, Cheikh Mbaba, Barabara, Falaye Baldé, Double Less, Mame Gorgui et tant d’autres champions, ils ont choisi de transformer les arènes et les plateaux de télévision, en une jungle où des mastodontes en furie se livrent à des combats à mort. Auparavant, ils auront échangé de violentes menaces, des injures dévastatrices, sans exclure les coups de poing et les empoignades souvent ridicules et inutiles !
À l’époque, les amateurs de lutte se distinguaient par les beaux habits qu’ils portaient, leur propreté, leur courtoisie, leur calme, leur passion sereine et leur fair-play. Ils faisaient le déplacement à l’arène pour admirer les prouesses de vrais lutteurs et écouter les « bakk », véritables poèmes d’autoglorification rythmés par les tambours-majors de la trempe de Lama Bouna Bass, Vieux Seng Faye, Amadou Thiam Madiara et autres Doudou Ndiaye Rose. Ils aiment la voix de rossignol de Khar Mbaye la Rufisquoise et la voix d’or de Doudou Seck Yaay Katy.
De nos jours, la lutte a presque perdu tous ces amateurs gentlemen. La lutte est devenue une mare aux crocodiles, envahie par des groupes d’acteurs composés en majorité de hooligans redoutables, hystériques et incontrôlables ! Ces hordes d’énergumènes qui se font appeler « fans club » ont la particularité de semer la violence partout où ils passent, surtout après la chute de leur idole. Armés de gourdins, d’armes blanches, de cornes de guib harnaché ou d’antilope cheval, ils déferlent dans les rues de Dakar, comme des tribus d’Indiens ayant déterré la hache de guerre en plein Far-west. Ils sèment la terreur et le désarroi, partout où ils passent.
Malgré toutes ces dérivent d’une extrême gravité, les médias rivalisent d’ardeur pour faire la part belle à l’apologie de la lutte, je devrais dire « apologie de la violence ». De leur côté certains promoteurs se bousculent rageusement et se crêpent le chignon dans les salles d’attente des sponsors. Pendant ce temps, les pouvoirs publics gardent un silence coupable, donnant l’impression d’avoir peur de taper sur la table et de mettre fin à cette charcuterie humaine et ces scènes de violence et de vandalisme qui terrorisent les vrais amateurs de la vraie lutte et les paisibles citoyens.
Les responsables du CNG sont également coupables. Ils ne sont pas proactifs. S’il leur arrive de réagir c’est souvent une fois que le mal est fait. C’est comme qui dirait : le médecin après la mort ! En plus, les fréquentes décisions arbitrales fantaisistes ne font qu’attiser l’enfer de la violence !
Cette lutte parsemée de cadavres et inondée de sang humain, ce n’est pas la lutte que nous ont léguée nos ancêtres. Ce n’est pas non plus la lutte que nous a décrite avec brio la grande romancière Aminata Sow Fall dans son roman : « L’Appel des arènes » et qui a été porté à l’écran par M. Cheikh Ndiaye en 2006.
Il temps d’agir ! Il est plus que temps de réformer la lutte. Il est temps d’y imposer l’ordre, la discipline, et la morale! Il est temps d’arrêter le massacre. Il est également temps de moraliser les cachets des lutteurs. Ces sommes faramineuses qu’on leur paye comme pour récompenser la violence et la médiocrité, ne sont que sources de découragement pour les honnêtes gens qui ont choisie les études et d’autres métiers beaucoup plus productifs pour notre pays et son développement durable. Chaque minute d’hésitation de plus, fera une victime de trop et conduira inéluctablement la lutte vers une mort certaine ! Ne nous faisons pas d’illusions ! Tant que la lutte sénégalaise sera synonyme de « sang », « d’injure » et de « violence », elle ne sera jamais exportable. Elle finira sans doute par mourir de sa belle mort sans jamais franchir nos frontières.
Moumar GUEYE
Ecrivain
E-mail : moumar@orange.sn