Un de ces sujets – occasionnant un débat toujours actuel – est l’opposition (tentante) entre Société civile et Société politique à n’importe quel moment de la très passionnante, mais non moins zigzagante – aventure humaine. De telle sorte que, de l’avis d’untel ou d’untel, Abdoul Aziz DIOP, ancien porte-parole du M23, ne servirait plus à rien depuis qu’il « a troqué son micro central » sur les podiums de la contestation contre le « doucereux » poste de Conseiller spécial à la Présidence de la République. Laissant de côté cette opinion, libre comme une autre, pour observer l’obligation de réserve à laquelle m’astreint la fonction de conseiller, je livre ici les réflexions que m’inspire l’idée (fausse) que l’ancien patron du Cadre unitaire syndical de l’enseignement moyen et secondaire (Cusems), Mamadou Mbodji, se fait de la contestation en démocratie sous la bannière de la Société civile.
A toutes les époques – et singulièrement après la révolution industrielle – des groupes d’hommes et de femmes, organisés en syndicats pour défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs assujettis à l’exploitation capitaliste, ont senti la nécessité impérieuse d’afficher une réelle indépendance vis-à-vis du Marché, contrôlé par les chefs d’entreprises, et de l’Etat, parfois en connivence avec le Marché au détriment des revendications salariales. Reconnue au mouvement associatif en général, la double indépendance permit d’identifier une interlocutrice de taille appelée « Société civile », qui agrège les personnes morales et physiques qui en portent l’étendard. Mais cette interlocutrice n’est pas la seule dans une société où les partis politiques s’organisent aussi au nom de l’idée qu’ils se font de l’intérêt général pour influer sur les décisions qui se prennent à défaut de pouvoir les prendre eux-mêmes par l’intermédiaire de leurs élus. Les partis aussi – plus nettement ceux de l’opposition – revendiquent la double indépendance dont se prévaut la Société civile en constituant comme elle un agrégat dénommé « Société politique ».
Quid des relations entre la Société civile et les partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition ? Elles sont plus que souhaitables quand le but poursuivi est de rétablir un équilibre rompu comme ce fut le cas lorsqu’un parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais (Pds), avait laissé son leader, le président Wade, disposer du bien public et des droits des citoyens comme bon lui semble. Le souci de recouvrer la souveraineté populaire confisquée rapprocha les organisations de la Société civile, les partis politiques de l’opposition et bon nombre de personnalités indépendantes à un niveau de complicité telle qu’un mouvement hétérogène de l’envergure du Mouvement du 23 juin (M23) vit le jour. Du 23 juin 2011 au 25 mars 2012 – date de la seconde alternance démocratique au Sénégal -, aucun membre ou sympathisant du M23 ne reprocha à aucun autre membre ou sympathisant le compagnonnage entre la Société civile et la Société politique. On connaît la suite : tout ou presque est rentré dans l’ordre après que le spectre de la régression dynastique s’est éloigné grâce au verdict sans équivoque des urnes.
Le temps de la séparation arriva enfin. Société civile et Société politique vont enfin pouvoir se disloquer à nouveau pour que chacun s’attelle librement à la tâche qui lui incombe jusqu’à ce qu’un nouveau cataclysme, pouvant entrainer une nouvelle alliance stratégique entre les deux entités, se produit. Séduisante conception de l’Histoire qui enchante Mamadou Mbodji, le coordonnateur du M23 « new look ». Mais « l’Histoire, oublie M. Mbodji, est toujours sale et entremêlée ». C’est notamment le cas quand le M23 arbore de nouveaux habits étroits que lui imposent les partisans des empoignades qui ne finissent pas quand le gros de la troupe (le Peuple souverain), redevenu maître sur son territoire, aspire à une vie meilleure. Cheikh Tidiane Dièye, après moi, notifia à l’ancien coordonnateur du M23 originel, Alioune Tine, son refus de souscrire à la mutation d’un mouvement populaire qui doit tout aux citoyens en une association comme une autre sous la férule d’un bureau restreint.
Mais cela n’est rien par rapport au vrai sujet : la durée (controversée) du compagnonnage entre la Société civile et la partie victorieuse de la Société politique. Elle peut être longue dépendant des conditions objectives dans lesquelles la bataille pour l’intérêt général a eu lieu. Elle peut être longue surtout quand les deux entités le souhaitent. Mais d’où sort le souhait d’un long compagnonnage que d’aucuns récusent au nom d’une conception masochiste de l’Histoire qui voudrait que la gestion du bien commun soit toujours l’affaire de celles et ceux qui ne seraient venus au monde que pour prendre les décisions qui engagent l’ensemble de la collectivité à l’insu de tous les autres ?
Si cette conception était la seule dans notre société, chacun d’entre nous serait fondé à s’engager en politique pour la changer afin qu’elle redevienne – comme en démocratie - l’affaire de tous. C’est ce que je fis en publiant sur ma page facebook la nouvelle de mon adhésion sans équivoque à l’Alliance pour la République (Apr). Je renvoie Mamadou Mbodji à la transparence de ma démarche d’homme libre de ses choix qui ne pense que par lui-même depuis que l’école de la République – creuset indépassable de l’égalité des chances – lui a appris à lire, à écrire et à compter. Je crains que la rengaine dune société civile corruptible ne dissimule chez celles et ceux qui l’affectionnent leur propre rapport pathologique au pouvoir. S’attaquant à Mamadou Dia, des adversaires haineux disaient : « il veut le Pouvoir » Et Dia, connu pour son honnêteté intellectuelle, de leur rétorquer : « Je regrette de ne pouvoir leur dire que je renonce au pouvoir ; parce que simplement le Pouvoir, je le conçois comme un service public ». Quant à moi, je n’ai pas un pouvoir auquel je dois renoncer ou pas. J’ambitionne plutôt, à très court terme, de partager avec la communauté scientifique de mon pays sept (7) années de recherche en lexicométrie politique interrompues plusieurs fois pour me joindre à la protestation.
Il y a surtout une autre explication au long compagnonnage entre celles et ceux qui incarnent les deux entités opposables, mais non antagonistes : « le compromis historique de la contribution » cher à l’ancien président Abdoulaye Wade. « Les termes du compromis, (…), poursuit l’auteur d’Un destin pour l’Afrique (Michel Lafon, 2005), peuvent être, du côté des pouvoirs, l’acceptation d’aménager les conditions de libre expression ainsi que les garanties de sécurité personnelle pour le cadre (…) et pour sa famille, et des garanties de non-discrimination dans la promotion sociale ». « Mais, explique Abdoulaye Wade, un tel jeu n’est possible que si le chef de l’Etat est capable de se dégager des coteries, de s’élever au-dessus de la mêlée et d’être un véritable arbitre dont la seule référence sera désormais l’intérêt » général. « De leur côté, conclut l’ancien président, les cadres acceptant la trêve accorderaient la confiance au chef de l’Etat qui pourrait, ainsi, jouer correctement son rôle d’arbitre. »
Occupant un bureau attenant à celui de l’ancien patron de la diplomatie française, Hubert Védrine, le philosophe Régis Debray conseilla François Mitterrand sans jamais perdre son âme. C’est peut-être pourquoi Le Monde diplomatique – que personne ne suspecte de connivence avec les puissants – n’hésita pas de publier dans le numéro de mars 2013 du mensuel une longue lettre ouverte de l’écrivain à M. Védrine pour lui signifier la nécessité pour la France de quitter l’Otan.
Abdoulaye Wade théorisa la « trêve de la contribution » et ne la pratiqua pas au pouvoir. La hauteur de vue et la largeur d’esprit de son successeur, le président Macky Sall, renvoient au « compromis historique de la contribution » qui lui réussit mieux qu’il ne réussissait aux présidents Senghor et Diouf. Et c’est déjà cela le cap, qui tire ses ressorts économiques du keynésianisme et qui considère qu’il n’y a pas de chômage volontaire et qu’il faut créer des emplois en grand nombre en agissant sur la demande de biens et de services plutôt que sur l’offre. Ceux des commentateurs de la vie politique sénégalaise qui ne perçoivent toujours pas cela ont leur propre cap : le cap de la controverse, qui empêche de voir celui – fédérateur - fixé par le chef de l’Etat sans préjudice pour la liberté de chacun. Si, pour sa part, la presse sénégalaise faisait cap sur le pays réel, elle se rendrait enfin compte que la marque d’un vrai journal est, écrit le journaliste Serge Halimi, « l’enquête (…) plutôt que le commentaire incessant de polémiques sans portée. Au lieu d’ajouter au vacarme et au sentiment de saturation qui enfantent amnésie et cynisme, [la presse sénégalaise pourrait] ainsi susciter un désir de connaissance et d’émancipation » du public.
Abdoul Aziz DIOP
Conseiller spécial à la Présidence de la République
A toutes les époques – et singulièrement après la révolution industrielle – des groupes d’hommes et de femmes, organisés en syndicats pour défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs assujettis à l’exploitation capitaliste, ont senti la nécessité impérieuse d’afficher une réelle indépendance vis-à-vis du Marché, contrôlé par les chefs d’entreprises, et de l’Etat, parfois en connivence avec le Marché au détriment des revendications salariales. Reconnue au mouvement associatif en général, la double indépendance permit d’identifier une interlocutrice de taille appelée « Société civile », qui agrège les personnes morales et physiques qui en portent l’étendard. Mais cette interlocutrice n’est pas la seule dans une société où les partis politiques s’organisent aussi au nom de l’idée qu’ils se font de l’intérêt général pour influer sur les décisions qui se prennent à défaut de pouvoir les prendre eux-mêmes par l’intermédiaire de leurs élus. Les partis aussi – plus nettement ceux de l’opposition – revendiquent la double indépendance dont se prévaut la Société civile en constituant comme elle un agrégat dénommé « Société politique ».
Quid des relations entre la Société civile et les partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition ? Elles sont plus que souhaitables quand le but poursuivi est de rétablir un équilibre rompu comme ce fut le cas lorsqu’un parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais (Pds), avait laissé son leader, le président Wade, disposer du bien public et des droits des citoyens comme bon lui semble. Le souci de recouvrer la souveraineté populaire confisquée rapprocha les organisations de la Société civile, les partis politiques de l’opposition et bon nombre de personnalités indépendantes à un niveau de complicité telle qu’un mouvement hétérogène de l’envergure du Mouvement du 23 juin (M23) vit le jour. Du 23 juin 2011 au 25 mars 2012 – date de la seconde alternance démocratique au Sénégal -, aucun membre ou sympathisant du M23 ne reprocha à aucun autre membre ou sympathisant le compagnonnage entre la Société civile et la Société politique. On connaît la suite : tout ou presque est rentré dans l’ordre après que le spectre de la régression dynastique s’est éloigné grâce au verdict sans équivoque des urnes.
Le temps de la séparation arriva enfin. Société civile et Société politique vont enfin pouvoir se disloquer à nouveau pour que chacun s’attelle librement à la tâche qui lui incombe jusqu’à ce qu’un nouveau cataclysme, pouvant entrainer une nouvelle alliance stratégique entre les deux entités, se produit. Séduisante conception de l’Histoire qui enchante Mamadou Mbodji, le coordonnateur du M23 « new look ». Mais « l’Histoire, oublie M. Mbodji, est toujours sale et entremêlée ». C’est notamment le cas quand le M23 arbore de nouveaux habits étroits que lui imposent les partisans des empoignades qui ne finissent pas quand le gros de la troupe (le Peuple souverain), redevenu maître sur son territoire, aspire à une vie meilleure. Cheikh Tidiane Dièye, après moi, notifia à l’ancien coordonnateur du M23 originel, Alioune Tine, son refus de souscrire à la mutation d’un mouvement populaire qui doit tout aux citoyens en une association comme une autre sous la férule d’un bureau restreint.
Mais cela n’est rien par rapport au vrai sujet : la durée (controversée) du compagnonnage entre la Société civile et la partie victorieuse de la Société politique. Elle peut être longue dépendant des conditions objectives dans lesquelles la bataille pour l’intérêt général a eu lieu. Elle peut être longue surtout quand les deux entités le souhaitent. Mais d’où sort le souhait d’un long compagnonnage que d’aucuns récusent au nom d’une conception masochiste de l’Histoire qui voudrait que la gestion du bien commun soit toujours l’affaire de celles et ceux qui ne seraient venus au monde que pour prendre les décisions qui engagent l’ensemble de la collectivité à l’insu de tous les autres ?
Si cette conception était la seule dans notre société, chacun d’entre nous serait fondé à s’engager en politique pour la changer afin qu’elle redevienne – comme en démocratie - l’affaire de tous. C’est ce que je fis en publiant sur ma page facebook la nouvelle de mon adhésion sans équivoque à l’Alliance pour la République (Apr). Je renvoie Mamadou Mbodji à la transparence de ma démarche d’homme libre de ses choix qui ne pense que par lui-même depuis que l’école de la République – creuset indépassable de l’égalité des chances – lui a appris à lire, à écrire et à compter. Je crains que la rengaine dune société civile corruptible ne dissimule chez celles et ceux qui l’affectionnent leur propre rapport pathologique au pouvoir. S’attaquant à Mamadou Dia, des adversaires haineux disaient : « il veut le Pouvoir » Et Dia, connu pour son honnêteté intellectuelle, de leur rétorquer : « Je regrette de ne pouvoir leur dire que je renonce au pouvoir ; parce que simplement le Pouvoir, je le conçois comme un service public ». Quant à moi, je n’ai pas un pouvoir auquel je dois renoncer ou pas. J’ambitionne plutôt, à très court terme, de partager avec la communauté scientifique de mon pays sept (7) années de recherche en lexicométrie politique interrompues plusieurs fois pour me joindre à la protestation.
Il y a surtout une autre explication au long compagnonnage entre celles et ceux qui incarnent les deux entités opposables, mais non antagonistes : « le compromis historique de la contribution » cher à l’ancien président Abdoulaye Wade. « Les termes du compromis, (…), poursuit l’auteur d’Un destin pour l’Afrique (Michel Lafon, 2005), peuvent être, du côté des pouvoirs, l’acceptation d’aménager les conditions de libre expression ainsi que les garanties de sécurité personnelle pour le cadre (…) et pour sa famille, et des garanties de non-discrimination dans la promotion sociale ». « Mais, explique Abdoulaye Wade, un tel jeu n’est possible que si le chef de l’Etat est capable de se dégager des coteries, de s’élever au-dessus de la mêlée et d’être un véritable arbitre dont la seule référence sera désormais l’intérêt » général. « De leur côté, conclut l’ancien président, les cadres acceptant la trêve accorderaient la confiance au chef de l’Etat qui pourrait, ainsi, jouer correctement son rôle d’arbitre. »
Occupant un bureau attenant à celui de l’ancien patron de la diplomatie française, Hubert Védrine, le philosophe Régis Debray conseilla François Mitterrand sans jamais perdre son âme. C’est peut-être pourquoi Le Monde diplomatique – que personne ne suspecte de connivence avec les puissants – n’hésita pas de publier dans le numéro de mars 2013 du mensuel une longue lettre ouverte de l’écrivain à M. Védrine pour lui signifier la nécessité pour la France de quitter l’Otan.
Abdoulaye Wade théorisa la « trêve de la contribution » et ne la pratiqua pas au pouvoir. La hauteur de vue et la largeur d’esprit de son successeur, le président Macky Sall, renvoient au « compromis historique de la contribution » qui lui réussit mieux qu’il ne réussissait aux présidents Senghor et Diouf. Et c’est déjà cela le cap, qui tire ses ressorts économiques du keynésianisme et qui considère qu’il n’y a pas de chômage volontaire et qu’il faut créer des emplois en grand nombre en agissant sur la demande de biens et de services plutôt que sur l’offre. Ceux des commentateurs de la vie politique sénégalaise qui ne perçoivent toujours pas cela ont leur propre cap : le cap de la controverse, qui empêche de voir celui – fédérateur - fixé par le chef de l’Etat sans préjudice pour la liberté de chacun. Si, pour sa part, la presse sénégalaise faisait cap sur le pays réel, elle se rendrait enfin compte que la marque d’un vrai journal est, écrit le journaliste Serge Halimi, « l’enquête (…) plutôt que le commentaire incessant de polémiques sans portée. Au lieu d’ajouter au vacarme et au sentiment de saturation qui enfantent amnésie et cynisme, [la presse sénégalaise pourrait] ainsi susciter un désir de connaissance et d’émancipation » du public.
Abdoul Aziz DIOP
Conseiller spécial à la Présidence de la République