Il y’avait, outre Ngor drapé effectivement d’un joli boubou, Adja, la veille politicienne au visage peinturluré et tuméfié par le xeessal pratiqué depuis ses quinze ans. J’aperçus, sur l’écran de mon iphone, la déglinguée casquette de Ndiaye RP.
On l’appellle RP ou râleur pro car, depuis son retour forcé de Paname, il passe ses journées au grand-place, un journal à la main, critiquant tout ce qui bouge et en voulant à tout le monde.
Je remarquai Aby, jeune dame de la génération des nouvelles politiciennes au verbe acerbe, crainte par ses adversaires, membre de la mafia, un groupe de jeunes dames très engagées politiquement. Il y avait aussi Jeannot, un métis catholique qui aime bien discuter de syncrétisme religieux avec Djily, un mouride sadikh, assis à un mètre de lui.
J’aperçus aussi Aba, de son vrai nom Ababacar, fervent talibé tidjane, le bonnet carré bien vissé sur la tête, très lié aussi à Djily, symbolisant à eux deux, la fraternité confrérique. Il semblait discuter avec Blangt, un jeune du quartier qui m’est très proche.
Enfin, je vis Ibou, un jeune cadre de banque qui a obtenu l’année dernière un diplôme en finances à l’Institut supérieur des Métiers de la Médina (IS2M). Que faisait ici tout ce beau monde, à cette heure ?
Détail important, ils avaient tous un masque sur le visage et respectaient le mètre de distanciation physique édicté.
Ngor avait arboré sa mine des mauvais jours et me dit, sur un ton grave, que la situation est …grave.
Le coronavirus gagne du terrain. Les cas se multiplient et notre Médina est fortement touchée et qu’ils se réunissent justement depuis 16h, pour mettre en place un comité de lutte, prenant exemple sur les jeunes du mouvement 100% que nous avions rencontrés l’autre jour.
Il me fit part de sa principale peur : la stigmatisation. Il a appris qu’un vieil homme atteint de paludisme est mort, malheureusement, parce que ses parents n’osaient pas le transporter à l’hôpital, par crainte que la famille soit désignée « honte du quartier », celle par qui ce diable de virus est arrivé, mettant tout le monde en danger. Et ce qui ne devait pas arriver, est malheureusement, arrivé. Les scènes de la série-culte de Daryl Duke, les oiseaux se cachent pour mourir, défilèrent alors devant mes yeux.
« Que celui qui n'a pas traversé le fleuve ne se moque pas de celui qui s'est noyé. » asséna Ngor, très en colère.
Il me fit ensuite savoir qu’il y’a eu grabuge à la Mairie. Je lui dis que j’étais au courant et que j’étais heureux que les vannes de la conscience citoyenne s’ouvrent. L’histoire politique de notre cité retiendra assurèment, les noms de Martin, Pape Jean, Clémence, Yacine, Baba et tous les autres qui ne cherchent qu’à faire respecter la loi. Il ne faut s’y méprendre, lui dis-je. La pandémie ne doit point être un prétexte pour mettre entre parenthèses, le droit et créer de l’embrouille et une foire d’empoigne.
Ngor sembla me dire que la dernière ordonnance du Président donne pourtant au Maire, des pouvoirs exorbitants et que ses partisans ont déjà crié victoire.
Aby, la jeune politicienne, s’en mêla, cligna des yeux, me fixa d’un regard foudroyant à travers l’écran du téléphone et me cria sa déception après l’ordonnance du Président en faveur du Maire. Le Président lui a fait çà. Elle qui l’adorait.
Je me résignai alors à expliquer à toute la bande, que l’ordonnance n’est d’abord pas exclusivement destinée à notre commune mais à toutes les collectivités territoriales du pays. Ensuite, qu’elle ne crée pas une situation de non-droit et que le contrôle de légalité est toujours assuré par le sous-Prefet. Elle dit simplement que pour éviter les rassemblements et accélérer les procédures au bénéfice des populations, le bureau municipal supplée le Conseil municipal dans les délibérations ayant exclusivement trait au Covid-19, les délais de convocation des conseillers et d’approbation étant écourtés, respectivement de 48h et de 72h.
Je leur rappelai alors les trois raisons liées au réaménagement budgétaire, à l’origine du contentieux entre la Mairie et les Conseillers contestataires et c’est ça qu’il faut savoir :
1- Le Conseil avait envisagé, compte tenu de la pandémie, de diminuer certaines dépenses de l’exercice actuel 2020, pour les consacrer, selon notre compréhension, à la prévention et à la lutte contre le virus et contre ses effets.
Cabinet Maire/dépenses diverses 12 000 000
Secrétariat/fournitures bureau 3 000 000
Secrétariat/acquisitions mobilier 8 000 000
Habillement/ 6 000 000
Fournitures scolaires/ 9 000 000
Frais d’hôtel et restaurant/ 22 000 000
Réceptions publiques/ 25 000 000
Autres frais de transport/25 000 000
Autres dépenses/ 15 000 000
Soit un total de 125 000 000
Les 125.000.000 ainsi récupérés, devaient être virés dans deux comptes :
Dépenses Diverses/110 000 000
Prelevements Pour Investissement/ 15 000 000
Le premier grief porté au projet du Conseil est que la destination des 110 millions devait être bien précisée dans la requête de réaménagement budgétaire.
2- Comme toutes les dépenses prévues en 2019, n’ont pu être effectuées, pour une raison ou pour une autre, toutes choses que j’ignore, des sommes sont restées non utilisées à la fin de l’année 2019.
Montant fonctionnement reporté 74 262 812
Montant d’investissement reporté 112 876 073
Soit au total 187 138 885
Il était légitime de penser que ces sommes, en dehors des montants d’investissement, devaient être destinées à la lutte contre la pandémie. Ce sera le deuxième grief au vu des virements envisagés par le Conseil municipal. En dehors des 112 millions, naturellement dédiés aux investissements, les montants renforceront le cabinet du Maire et les emplois temporaires. Ce qui est difficilement compréhensible par les populations, dans cette période du « tout contre corona ».
Voilà ce qui va se passer :
Cabinet Maire/secours indigents 30 000 000
Personnel temporaire/collecte recettes 15 000 000
Personnel temporaire/nettoiement 29 262 812
Équipements scolaires /112 876 073
Blangt éleva la voix pour signaler que la Mairie n’a jamais, à sa connaissance, fait un communiqué pour donner les critères de sélection à ces emplois temporaires, alors que le budget nous appartient tous. Il nous fit remarquer que cette année, le Maire va donc disposer de plus de 400 millions, si le virement est accepté, pour recruter des temporaires.
Il ajouta qu’il connaît aussi beaucoup de familles indigentes qui ne bénéficient d’aucun secours, parce qu’elles sont dans un mouvement opposé au Maire.
Je lui demandai de se calmer et de me laisser poursuivre afin qu’on puisse voir plus tard pour le reste.
Je leur dis donc de constater que les autorisations demandées portent sur 312 millions mais que seuls, 110 millions, sont à priori consacrés à la lutte contre le Covid-19. A priori simplement, car il eût fallu que cela soit explicité dans la requête pour pouvoir s’en convaincre.
3- Le troisième grief concerne les fonds du PACASEN pour lesquels la destination n’est pas aussi précisée.
Ndiaye RP, pour une fois, fit un signe de satisfaction en hochant la tête de haut en bas.
Féru d’actualités et de débats, Ngor jaillit encore au milieu de l’écran et me demanda mon avis sur d’autres sujets. Il pensait qu’on devait éplucher le dernier discours du Président, parler des projets pour la Médina, de la rentrée scolaire, de l’ouverture des mosquées, de l’impossibilité pour un DG de la CDC, de se présenter à des élections municipales etc.
Ngor, manifestement, oubliait que l’heure du Ndogou approchait à grands pas. Je suppliai alors mon ami et sa bande, à prendre le temps de bien réfléchir sur nos échanges du jour et leur promis de passer les voir vendredi prochain, incha Allah, après la prière de Tisbar.
Avant de couper la vidéo, j’ai quand même demandé Ngor pourquoi il tenait un exemplaire du coran à la main.
Sa réponse me putréfia mais venant de mon ami Sérére…Il me dit qu’il allait demander à Djily de lui montrer le passage du saint livre, où Le Miséricordieux nous exempte du jeûne en période de pandémie. Il se sentait épuisé au vingtième jour du Ramadan. Sacré Ngor !
Cheikh A. T. Bâ, Ancien DG DGID
(A la semaine prochaine. Incha Allah)
On l’appellle RP ou râleur pro car, depuis son retour forcé de Paname, il passe ses journées au grand-place, un journal à la main, critiquant tout ce qui bouge et en voulant à tout le monde.
Je remarquai Aby, jeune dame de la génération des nouvelles politiciennes au verbe acerbe, crainte par ses adversaires, membre de la mafia, un groupe de jeunes dames très engagées politiquement. Il y avait aussi Jeannot, un métis catholique qui aime bien discuter de syncrétisme religieux avec Djily, un mouride sadikh, assis à un mètre de lui.
J’aperçus aussi Aba, de son vrai nom Ababacar, fervent talibé tidjane, le bonnet carré bien vissé sur la tête, très lié aussi à Djily, symbolisant à eux deux, la fraternité confrérique. Il semblait discuter avec Blangt, un jeune du quartier qui m’est très proche.
Enfin, je vis Ibou, un jeune cadre de banque qui a obtenu l’année dernière un diplôme en finances à l’Institut supérieur des Métiers de la Médina (IS2M). Que faisait ici tout ce beau monde, à cette heure ?
Détail important, ils avaient tous un masque sur le visage et respectaient le mètre de distanciation physique édicté.
Ngor avait arboré sa mine des mauvais jours et me dit, sur un ton grave, que la situation est …grave.
Le coronavirus gagne du terrain. Les cas se multiplient et notre Médina est fortement touchée et qu’ils se réunissent justement depuis 16h, pour mettre en place un comité de lutte, prenant exemple sur les jeunes du mouvement 100% que nous avions rencontrés l’autre jour.
Il me fit part de sa principale peur : la stigmatisation. Il a appris qu’un vieil homme atteint de paludisme est mort, malheureusement, parce que ses parents n’osaient pas le transporter à l’hôpital, par crainte que la famille soit désignée « honte du quartier », celle par qui ce diable de virus est arrivé, mettant tout le monde en danger. Et ce qui ne devait pas arriver, est malheureusement, arrivé. Les scènes de la série-culte de Daryl Duke, les oiseaux se cachent pour mourir, défilèrent alors devant mes yeux.
« Que celui qui n'a pas traversé le fleuve ne se moque pas de celui qui s'est noyé. » asséna Ngor, très en colère.
Il me fit ensuite savoir qu’il y’a eu grabuge à la Mairie. Je lui dis que j’étais au courant et que j’étais heureux que les vannes de la conscience citoyenne s’ouvrent. L’histoire politique de notre cité retiendra assurèment, les noms de Martin, Pape Jean, Clémence, Yacine, Baba et tous les autres qui ne cherchent qu’à faire respecter la loi. Il ne faut s’y méprendre, lui dis-je. La pandémie ne doit point être un prétexte pour mettre entre parenthèses, le droit et créer de l’embrouille et une foire d’empoigne.
Ngor sembla me dire que la dernière ordonnance du Président donne pourtant au Maire, des pouvoirs exorbitants et que ses partisans ont déjà crié victoire.
Aby, la jeune politicienne, s’en mêla, cligna des yeux, me fixa d’un regard foudroyant à travers l’écran du téléphone et me cria sa déception après l’ordonnance du Président en faveur du Maire. Le Président lui a fait çà. Elle qui l’adorait.
Je me résignai alors à expliquer à toute la bande, que l’ordonnance n’est d’abord pas exclusivement destinée à notre commune mais à toutes les collectivités territoriales du pays. Ensuite, qu’elle ne crée pas une situation de non-droit et que le contrôle de légalité est toujours assuré par le sous-Prefet. Elle dit simplement que pour éviter les rassemblements et accélérer les procédures au bénéfice des populations, le bureau municipal supplée le Conseil municipal dans les délibérations ayant exclusivement trait au Covid-19, les délais de convocation des conseillers et d’approbation étant écourtés, respectivement de 48h et de 72h.
Je leur rappelai alors les trois raisons liées au réaménagement budgétaire, à l’origine du contentieux entre la Mairie et les Conseillers contestataires et c’est ça qu’il faut savoir :
1- Le Conseil avait envisagé, compte tenu de la pandémie, de diminuer certaines dépenses de l’exercice actuel 2020, pour les consacrer, selon notre compréhension, à la prévention et à la lutte contre le virus et contre ses effets.
Cabinet Maire/dépenses diverses 12 000 000
Secrétariat/fournitures bureau 3 000 000
Secrétariat/acquisitions mobilier 8 000 000
Habillement/ 6 000 000
Fournitures scolaires/ 9 000 000
Frais d’hôtel et restaurant/ 22 000 000
Réceptions publiques/ 25 000 000
Autres frais de transport/25 000 000
Autres dépenses/ 15 000 000
Soit un total de 125 000 000
Les 125.000.000 ainsi récupérés, devaient être virés dans deux comptes :
Dépenses Diverses/110 000 000
Prelevements Pour Investissement/ 15 000 000
Le premier grief porté au projet du Conseil est que la destination des 110 millions devait être bien précisée dans la requête de réaménagement budgétaire.
2- Comme toutes les dépenses prévues en 2019, n’ont pu être effectuées, pour une raison ou pour une autre, toutes choses que j’ignore, des sommes sont restées non utilisées à la fin de l’année 2019.
Montant fonctionnement reporté 74 262 812
Montant d’investissement reporté 112 876 073
Soit au total 187 138 885
Il était légitime de penser que ces sommes, en dehors des montants d’investissement, devaient être destinées à la lutte contre la pandémie. Ce sera le deuxième grief au vu des virements envisagés par le Conseil municipal. En dehors des 112 millions, naturellement dédiés aux investissements, les montants renforceront le cabinet du Maire et les emplois temporaires. Ce qui est difficilement compréhensible par les populations, dans cette période du « tout contre corona ».
Voilà ce qui va se passer :
Cabinet Maire/secours indigents 30 000 000
Personnel temporaire/collecte recettes 15 000 000
Personnel temporaire/nettoiement 29 262 812
Équipements scolaires /112 876 073
Blangt éleva la voix pour signaler que la Mairie n’a jamais, à sa connaissance, fait un communiqué pour donner les critères de sélection à ces emplois temporaires, alors que le budget nous appartient tous. Il nous fit remarquer que cette année, le Maire va donc disposer de plus de 400 millions, si le virement est accepté, pour recruter des temporaires.
Il ajouta qu’il connaît aussi beaucoup de familles indigentes qui ne bénéficient d’aucun secours, parce qu’elles sont dans un mouvement opposé au Maire.
Je lui demandai de se calmer et de me laisser poursuivre afin qu’on puisse voir plus tard pour le reste.
Je leur dis donc de constater que les autorisations demandées portent sur 312 millions mais que seuls, 110 millions, sont à priori consacrés à la lutte contre le Covid-19. A priori simplement, car il eût fallu que cela soit explicité dans la requête pour pouvoir s’en convaincre.
3- Le troisième grief concerne les fonds du PACASEN pour lesquels la destination n’est pas aussi précisée.
Ndiaye RP, pour une fois, fit un signe de satisfaction en hochant la tête de haut en bas.
Féru d’actualités et de débats, Ngor jaillit encore au milieu de l’écran et me demanda mon avis sur d’autres sujets. Il pensait qu’on devait éplucher le dernier discours du Président, parler des projets pour la Médina, de la rentrée scolaire, de l’ouverture des mosquées, de l’impossibilité pour un DG de la CDC, de se présenter à des élections municipales etc.
Ngor, manifestement, oubliait que l’heure du Ndogou approchait à grands pas. Je suppliai alors mon ami et sa bande, à prendre le temps de bien réfléchir sur nos échanges du jour et leur promis de passer les voir vendredi prochain, incha Allah, après la prière de Tisbar.
Avant de couper la vidéo, j’ai quand même demandé Ngor pourquoi il tenait un exemplaire du coran à la main.
Sa réponse me putréfia mais venant de mon ami Sérére…Il me dit qu’il allait demander à Djily de lui montrer le passage du saint livre, où Le Miséricordieux nous exempte du jeûne en période de pandémie. Il se sentait épuisé au vingtième jour du Ramadan. Sacré Ngor !
Cheikh A. T. Bâ, Ancien DG DGID
(A la semaine prochaine. Incha Allah)