Je ne partais donc plus à l’école. J’ai dormi au marché pendant quelques jours. Pour avoir de quoi manger, il me fallait solliciter l’aide des gens. J’étais obligée de faire la mendiante. Un jour, j’ai rencontré une femme à qui j’ai expliqué mon histoire. Elle a eu pitié de moi et m’a engagée comme servante chez elle, à domicile.
J’ai travaillé pour elle pendant un an, environ. Je voulais tout faire pour être correcte. Car si je suis tombée enceinte, c’était une erreur de jeunesse. Je voulais donc prouver à mes parents qu’ils ont eu tort de me traiter comme ils ont fait. Mais pendant que j’étais chez ma bienfaitrice, j’ai eu un autre problème : cette fois, c’est le mari de la dame qui abusait de moi. Il rentrait et couchait avec moi à l’insu de sa femme. Mais je ne pouvais rien dire à personne. J’avais surtout peur qu’elle ne me croit pas et me renvoie. Comment faire ? Sans broncher, j’ai subi tout cela, en silence.
Cet événement a complètement marqué ma vie et ma sexualité. Cette relation sexuelle forcée avec mon patron a duré à peu près 2 ans. Puis, je me suis retrouvée enceinte. Au début, je n’ai pas su cela tout de suite. C’est lorsque mon ventre a commencé à sortir et que j’ai constaté la perte de mes menstrues que je m’en suis rendue compte.
Quand ma patronne a remarqué cela à son tour, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas me garder, parce que selon elle, je n’étais pas une fille sérieuse. Comment lui dire la vérité ? Je ne pouvais pas dénoncer son mari. C’est suite à cela que je suis partie de chez cette femme qui avait été quand même très gentille avec moi. Une fois partie de chez elle, je me suis retrouvée à nouveau dans la rue. Cette fois avec mes deux enfants. C’était très difficile. J’essayais de vivre en demandant de l’argent ou de la nourriture aux gens, au nom de mes enfants.
Dans un tel environnement, il arrive des moments où on ne réfléchit plus beaucoup. On est capable de tout faire, ou tout accepter pour vivre. Ainsi, je me suis laissée entraîner petit à petit dans un chemin qui me laisse aujourd’hui des souvenirs inoubliables et surtout douloureux. Vu que je n’avais aucun moyen de substance, des hommes profitaient de ma situation pour me proposer de coucher avec eux, en échange de l’argent qu’ils me donnaient. J’ai essayé dans les premiers jours de me convaincre que ce n’était pas de la prostitution. Je refusais de réfléchir ou de voir les choses en face. Je n’ai jamais pensé que cette expérience laisserait dans ma vie des dommages très profonds. Je me suis ainsi laissée aller avec des inconnus.
Pendant un an et demi environ, j’ai vendu mon corps pour pouvoir trouver à manger. Tout cela, parce ce que je ne voulais pas que mes enfants meurent de faim. Mes enfants que j’ai souvent du mal à regarder en face aujourd’hui. Même s’ils n’en savent rien, je ne peux pas oublier les lourds sacrifices que j’ai consentis pour les élever et pour qu’ils soient grands. En regardant mon passé, je me sens honteuse et indigne. Mais la vie m’a-t-elle laissé le choix ? On ne peut pas avoir vendu sa sexualité, son intimité, sa dignité, sa féminité, sans en subir les conséquences, même si cela n’a duré qu’une petite minute. C’est humainement impossible !
C’est ce que j’ai vécu et continue de vivre aujourd’hui avec les visages des «clients» qui me reviennent en tête, avec des scènes de certaines exigences, etc. On ne peut pas oublier complètement ce genre de choses. Quand le «client» a fini et qu’il se rhabille, il reprend sa vie là où il l’avait laissée quelques minutes plus tôt. C’est-à-dire qu’il redevient un père, un «honnête citoyen», un mari «aimant», un homme respecté par sa famille et ses amis…
Mais vous, vous restez la pute. Ce genre de chose, que vous l’ayez faite une seule fois ou une minute seulement, elle ne peut plus vous quitter. C’est malheureusement mon cas. Et ce sont les remords qui sont souvent les plus difficiles à supporter. J’ai été parfois obligée de boire de l’alcool pour faire semblant d’oublier ce que j’ai fait. Mais les dommages de tels actes sont irréparables. Pendant tout le temps qu’a duré cette vie que j’ai menée, j’avais l’impression de ne pas m’appartenir.
Aujourd’hui, cela se ressent dans mes rapports avec les hommes, mes «clients», mes "abuseurs" d’autrefois. Je ne suis pas mariée, parce que je n’arrive pas à voir les hommes autrement…
afrik53.co
m