Lors du récent « Séminaire sur la prostitution et le vagabondage des mineurs » que vous présidiez à Saly-Portudal, en tant que Ministre de la justice, vous avez fortement et assez judicieusement déploré la croissance inquiétante de ce phénomène dans notre pays. Invoquant, fort à propos, les différentes responsabilités, publiques ou sociales, engagées dans son aggravation actuelle. Comme celle des parents, des religieux, des acteurs du tourisme, la non application de la législation existante etc. Avant de faire un certain nombre de propositions pratiques pour lutter contre ce fléau : « [Les tenanciers] devront veiller à l’âge des clients qui fréquentent leurs établissements, aussi bien les filles que les garçons. Il faudra également que nos chefs religieux s’impliquent pour qu’on renforce les valeurs. Mais, les premiers acteurs, ce sont les parents ».
En réalité, Madame le Ministre, votre démarche pose en filigrane (et c’est ce qui la rend digne d’intérêt à nos yeux) le problème plus global de la moralité publique et de nos valeurs, dans un cadre républicain et laïque tel que le nôtre. Problème qui, au-delà des mineurs, intègre, de façon plus élargie, les valeurs auxquelles s’identifie, pour l’essentiel, la nation ayant produit lesdits mineurs (parents, acteurs politiques, religieux, médiatiques etc.) En effet, erreur ne saurait être plus grande – et vous semblez l’avoir heureusement compris – de confiner stricto sensu le problème du « vagabondage » des jeunes dans un cadre purement légal. Son ampleur n’étant, en général, que le reflet d’une certaine réalité sociologique, qui prend ses sources dans des eaux autrement plus profondes…
La prostitution est-elle, selon l’Etat, un « droit » réservé aux majeurs ?
Nous sommes bien d’accord avec vous, Madame le Ministre, lorsque vous soutenez que les premiers acteurs sont les parents. Mais, une question assez triviale que nous serions tentés de nous poser et de vous poser est, comment des parents sans valeurs peuvent-ils en donner à leurs enfants ? En termes plus clairs, si l’Etat du Sénégal, cette institution que vous représentiez dans cette rencontre, autorise aujourd’hui les citoyens majeurs (donc les parents) à s’adonner légalement à la prostitution, sous des conditions uniquement administratives, comment peut-il valablement exiger de ces mêmes citoyens qu’ils inculquent des valeurs contraires à leurs enfants ? Sachant surtout que le débat posé, lorsqu’il fait explicitement appel aux valeurs (morales), ne saurait donner un cachet absolument immoral à une pratique légalement acceptée par nos institutions politiques et juridiques (même si, nous le savons, d’aucuns récusent le fait que la logique du Droit puisse être celle de la morale).
Sous ce rapport, un détail nous semblant, bien qu’à posteriori, assez choquant dans la démarche du séminaire de Saly-Portudal, est la restriction délibérément portée sur les mineurs dans ce combat, mais nullement sur les futurs adultes et les futurs bâtisseurs de ce pays qu’ils sont appelés à devenir. En effet, sans renier la pertinence de la notion de majorité juridique et sexuelle, ni l’évidente vulnérabilité des couches les plus jeunes, ne peut-on trouver scandaleux que, sans aucun état d’âme, la République soit un jour appelée à garantir et à protéger les droits de ces mêmes mineurs à s’engager librement dans la « prostitution et le vagabondage »? Ceci, à partir du premier jour même de leur majorité, à la seule condition de se procurer un carnet sanitaire dûment visé par les services administratifs compétents. Un message subliminal lancé par ce séminaire à nos mineurs nous semble ainsi être (sans extrapoler) : « De grâce, attendez au moins d’être majeurs pour vous prostituer ! Patientez justes quelques années pour que la République vous autorise à racoler dans les rues et à squatter librement les coins mal famés pour y trouver des clients, en parfaite conformité avec nos lois…»
Le seul argument des préjudices psychologiques subis par les mineurs pour restreindre l’interdiction de la prostitution à leur niveau, bien que compréhensible sous un certain rapport, mérite ainsi, malgré son apparente évidence, d’être relativisé. Ces mêmes dommages psychologiques se retrouvant, quoique dans des proportions différentes, chez les prostituées majeures, qui font l’objet d’une traite ignominieuse et sont très souvent sujettes à une dégradation morale, psychologique et physique contraire à la dignité humaine la plus élémentaire. De même, la relativisation sociale croissante du concept de « majorité sexuelle», accentuée par l’accès plus précoce des jeunes d’aujourd’hui à la sexualité et aux contenus médiatiques licencieux, ne manque pas d’ouvrir des brèches de nature à remettre en cause, dans l’avenir, cette rigidité de la barrière entre minorité et majorité sexuelle sur laquelle se fonde un pan essentiel de ces lois .
Un autre amalgame susceptible d’être relevé dans la démarche de l’Etat est la contradiction de celle-ci avec le caractère théoriquement laïque (pour ne pas dire laïciste) de notre république, qui n’est pas officiellement censée promouvoir, du moins dans les textes, des valeurs socioreligieuses particulières. Même celles auxquelles s’identifie l’essentiel de notre nation. Une république qui, en se fondant sur une approche transposée des droits humains, se résumant au principe « ma liberté ne s’arrête que là où commence celle des autres », est censée favoriser la liberté sexuelle, même celle des jeunes. A travers, par exemple, une politique hardie de contraception à large échelle, qui met actuellement à la disposition de tout jeune sénégalais un préservatif bon marché et de toute jeune sénégalaise des pilules contraceptives ou du lendemain, à travers des campagnes médiatiques sensibilisatrices et incitatrices, gracieusement subventionnées par nos bailleurs. Ceci, par le biais des chevaux de Troie que constituent la lutte contre le Sida, le combat contre les grossesses précoces et non désirées, la maîtrise par les filles de leur corps et de leur sexualité, en vue essentiellement d’une meilleure productivité scolaire et professionnelle etc. D’autres initiatives publiques pour encadrer les prostituées (appelées, dans le jargon administratif, « Travailleuses du Sexe » ou TS), dans le cadre de la lutte contre le Sida et de la prise en charge des IST, sous forme de « paquets de services » spécifiques, nous semblent également, malgré leur vocation humanitaire, de nature à encourager cette pratique, mais nullement à la décourager par la mise en place d’une assistance sociale conséquente, destinée à réinsérer définitivement ces TS dans le tissu socioprofessionnel.
La philosophie NTS (Nouveau Type de Sénégalais), désormais plus ou moins tacitement promue par les nouveaux pouvoirs publics, qui, idéologiquement parlant, remet en cause les schémas traditionnels de l’autorité (même parentale), la neutralité bienveillante de l’Etat envers les récurrents « troubles à l’ordre public sexuel », pourtant médiatisés (« miss jongoma », danseuses obscènes etc.), la prolifération des contenus à caractère érotique, visibles par les mineurs, dans tous nos médias (audiovisuels, virtuels etc.) sous le silence complice du CNRA et de la loi… Tout cela nous semble constituer des actes éminemment parlants qui traduisent, si besoin en était encore, à notre sens, la distance entre cette prétention (laïque à la française) de notre République et nos valeurs socioreligieuses de « kersa », de « soutoura » etc. que nous refusons jusqu’à présent d’assumer ouvertement et de préserver.
La prostitution doit être formellement interdite par les lois sénégalaises
Aussi la vraie question, Madame le Ministre, méritant d’être posée nous semble plutôt être celle-ci : comment peut-on encore accepter la légalisation officielle de la « prostitution et du vagabondage des majeurs » dans un pays qui, quoi que l’on dise, est composé d’une population à plus de 95% croyante ? Un questionnement d’autant plus judicieux que le débat sur l’interdiction de la prostitution a été déjà posé dans d’autres pays considérés traditionnellement (et souvent aveuglément) comme « plus avancés » en matière de droits humains. A l’instar de certains pays occidentaux, comme la Suède et la Norvège, où le recours aux services de prostituées (maintenant qualifié de « traite des femmes ») est désormais pénalisé par des amendes et des peines de prison, avec des résultats étonnants. De même que l’Islande où, en plus de la pénalisation, un accompagnement social (aide au logement, assistance juridique etc.) est proposé aux prostituées désirant se recycler et réintégrer le tissu social, avec l’aval de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qui salua cette initiative, car de nature à combattre le «trafic d’êtres humains». D’autres pays comme la Finlande, l’Angleterre, le Pays-de-Galles, l’Ecosse, la France etc. ont, soit, commencé assez timidement à élaborer des lois en ce sens, soit, lancé un débat public où de plus en plus d’acteurs de tous ordres soutiennent ouvertement des initiatives légales en vue d’éradiquer ou de limiter au moins l’ampleur de la prostitution dans leur société.<br />
L’argument de l’hypocrisie sénégalaise pour promouvoir l’immoralité
Les contre-arguments habituellement servis chez nous, par des intellectuels de seconde main et autres blogueurs du dimanche, pour s’opposer à cette pénalisation de la prostitution au Sénégal, sont souvent d’une légèreté et d’une superficialité pour le moins effarantes. A l’instar de l’argument passe-partout, aussi démagogique que de plus en plus populaire (sans que l’on comprenne réellement pourquoi), que nous avons dénommé « l’argument de l’hypocrisie sénégalaise ». Argument régulièrement brandi dans des articles, dans des fora sur le web etc., dont les auteurs défendent avec fanfaronnade toutes sortes de dérives morales, en invoquant avec un aplomb désarmant l’ « hypocrisie » de notre société. Une société qui, à travers le raisonnement simpliste de ceux que nous appelons « hypocritistes », n’aurait ainsi point le droit de dénoncer une quelconque immoralité, du seul fait qu’il y existe d’autres actes plus graves, ou que ces derniers sont même quelques fois l’œuvre de membres de l’élite politique, religieuse, intellectuelle etc. Avec comme formules choc favorites : « Balayez d’abord devant votre propre porte », « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché jette la première pierre », « Bou niou kenn sonal », « Y a pire dans ce pays que vous auriez mieux fait de dénoncer » etc. Dans le cas de la prostitution, par exemple, le phénomène du « mbaraan » et d’autres comportements déviants (non formellement proscrits par la loi) sont ainsi invoqués par ces pourfendeurs pour mieux soutenir leur théorie de l’hypocrisie de notre société (qui n’est, en principe, ni meilleure ni pire que d’autres sociétés, car ayant aussi bien ses valeurs que ses antivaleurs).
Parbleu ! Les sénégalais doivent-ils être considérés comme des « hypocrites » chaque fois qu’ils critiqueront des dérives constatées dans leur société, juste parce qu’il en est de plus graves ou qu’il existe parmi eux des citoyens censés être des modèles de vertu qui tombent dans ces dérives ? Quoique l’objectif théorique de toute condamnation ou proscription soit qu’elle puisse être un jour appliquée par tous et à tous, sans aucune sorte de discrimination ou partialité injuste, basée sur le pouvoir, l’origine ou la classe, l’existence dans toutes les sociétés du monde de règles dont l’application concrète ne peut être étendue à tous, du fait des privilèges, faveurs légalement injustifiées ou pressions diverses, ne saurait toutefois remettre en cause la légitimité, en tant que telle, de ladite condamnation. Du moins tant que celle-ci contribuera à jouer le rôle lui étant dévolu de barrière et de garde-fou destinés à limiter le chaos et l’immoralité d’une société. Et que l’on aura toujours à cœur d’annihiler progressivement les inégalités et vides constatés dans sa mise en œuvre, à travers une meilleure organisation politique, juridique et sociale.
A titre d’exemple, l’on sait bien que le vol existe dans toutes les sociétés et que les formes de vol les plus préjudiciables pour la société sont en général le fait des puissants. Mais accepterons-nous pour autant l’abrogation des lois sur le vol, du seul fait de leur prétendue « hypocrisie », car risquant de faire condamner le modeste voleur de poules plus que les riches escrocs à col blanc ? Quel remède que de préconiser la suppression d’un principe moral du simple fait qu’il se trouve des sujets ne consentant pas à se l’appliquer eux-mêmes ! Cette question de la loi de deux poids et deux mesures (ou du premier jeteur de pierre, appelé à balayer d’abord devant sa propre porte) se trouve ainsi, à notre sens, assez mal posée. Car elle aurait du plutôt porter sur les différentes voies possibles permettant de mieux démocratiser les mécanismes du système judiciaire et le rendre plus conforme à nos valeurs. Lui permettant ainsi de résorber peu à peu les champs de non-droit et d’éviter les exceptions immunitaires actuelles, plutôt que de les affaiblir pour installer, à la place, un chaos qui serait même beaucoup plus néfaste pour les plus faibles. Elle devrait également, au plan social, s’orienter plutôt sur la manière de mieux choisir nos modèles et références (en politique, en religion etc.), pour ne plus laisser des imposteurs amalgamer et usurper impunément nos valeurs fondamentales.
Le fait que tous les juges ne soient pas des saints ne devrait point mener, que l’on sache, vers la dissolution de la Constitution à laquelle ils sont censés veiller ! L’existence de médecins fumeurs ne doit pas, non plus, conduire à mitiger les conséquences médicales du tabagisme aux yeux du public. La présence de tartuffes parmi les religieux signifie-t-elle que les principes moraux défendus dans leurs sermons et prêches soient caduques pour autant, au point de dénigrer leurs contenus pour cause d’ « hypocrisie » (même si la duplicité de ces derniers restera naturellement condamnable) ? Les Chrétiens accepteraient-ils que l’institution de l’Eglise soit dissoute du seul fait de l’existence de prêtres pédophiles ? Tous ceux qui invoquent, souvent de mauvaise foi, il faut en convenir, cet argument de l’« hypocrisie » consentiraient-ils à se l’appliquer eux-mêmes avec assez de rigueur, en refusant, par exemple, de porter plainte pour vol, sachant qu’il existe d’autres actes autrement plus graves (comme le meurtre) dans leur propre société, et peut être même chez les juges et avocats appelés à s’occuper de leur dossier ? Une chose est un principe, une autre sera l’intégrité des hommes appelés à l’appliquer. Car tout principe, en tant qu’élément transcendant, est naturellement appelé à primer sur le sujet immanent appelé à le matérialiser ou à l’incarner. La dérogation de ce dernier au dit principe ne remettant nullement en cause, pour tout acteur clairvoyant, la validité impersonnelle du principe. Doit-on dévaloriser le principe de l’autorité parentale, du simple fait qu’il existe des parents pédophiles ? Doit-on déprécier le principe du mariage, du fait de l’existence de femmes ou époux adultères ? Doit-on remettre en cause la noblesse de l’enseignement juste à cause de professeurs indélicats qui abusent de leurs élèves ?
De la même manière, l’argument du mal nécessaire, c’est-à-dire l’existence d’une demande incompressible de « services sexuels », pour légitimer la marchandisation de la femme sénégalaise est tout simplement inhumain et irresponsable. Dans la simple mesure où, non seulement toute nation responsable se doit de faire un choix clair dans l’échelle de ses valeurs et de ses intérêts, mais la stratégie du « containment » des vices, par des lois laxistes, a des limites (comme le prouve l’interdiction légale de l’usage de la drogue, malgré l’existence d’une demande en ce sens etc.). L’on peut aussi en dire de même de l’argument de la pauvreté des femmes qui sont, selon les tenants de cet argument, obligées de vendre leurs corps « pour vivre et faire vivre leurs familles ». Cet argument pouvant être réinvoqué à souhait pour légitimer tous les crimes et toutes les déviances auxquels les hommes peuvent s’adonner, sous le simple prétexte de nourrir leurs familles : trafics de drogue, agressions, homosexualité etc. L’aggravation de la clandestinité de la prostitution, au cas où elle serait interdite, ne nous semble pas non plus un argument valable, du fait qu’il n’existe nulle part au monde une proscription que des hommes ne tenteront de contourner pour leurs propres intérêts ou passions. Il suffit à ceux qui soutiennent ce genre d’arguments d’imaginer leur propre mère, soeur ou fille leur opposer ces arguments pour justifier le fait qu’elles puissent s’engager dans cette activité, pour se rendre de leur évidente mauvaise foi…
Où sont passées nos féministes ?
Une solution à même de vous aider, Madame, à mieux régler le problème de la prostitution des jeunes est que, à défaut de pouvoir éradiquer complètement ce phénomène, l’Etat interdise complètement la prostitution au Sénégal et ne cautionne pas ainsi chez les adultes une pratique qu’elle est censée combattre chez les plus jeunes. La prostitution constituant, à nos yeux, une atteinte flagrante aux droits de l’homme, à la dignité humaine et à la valeur de la femme. Et il nous semble, en ce sens, assez curieux que nos militantes féministes, pourtant si promptes à réclamer si bruyamment le respect des droits de la femme (« aq ak yèleefu jigéen »), lors des nombreux séminaires et colloques médiatisés, ne posent jamais le problème de la prostitution des femmes… Le fait de vendre son corps, comme n’importe quelle chair animale (bœuf, mouton, volaille etc.), à tout homme capable de mettre un prix, n’est-il pas l’un des actes les plus dégradants pour la condition féminine ? Est-ce une cause moins noble que leur combat pour la parité, contre l’excision, les violences, pour le droit au travail, la réglementation de la polygamie etc. ? Avez-vous jamais vu ou entendu une association sénégalaise de protection des droits des femmes, un membre éminent du « leadership féminin » tant vanté, ou même l’une des nombreuses associations sénégalaises de droits de l’homme, un élément représentatif de la société civile condamner explicitement et publiquement la légalité de la prostitution au Sénégal ? C’est donc dire que le suivisme idéologique et aveugle de ces élites aux œillères a fini de les transformer – il est malheureux de le constater – en caisses de résonance des problématiques occidentales et en serviles moutons de Panurge qui ne songent à poser un problème donné qu’après que leurs maîtres à penser se les aient déjà posés dans les agendas leur étant transmis et qu’ils se contentent d’exécuter avec un zèle n’ayant de pendant que leur strabisme intellectuel. C’est comme si les causes bénéficiant d’un plan de financement conséquent et pour lesquelles nos activistes locaux sont susceptibles d’être invités à des séminaires avec perdiems, constituaient de nos jours les seules bonnes causes méritant d’être défendues…
Que dire également des représentants du peuple, ces députés dont une partie, pourtant qualifiée de religieuse, fit récemment une entrée remarquée dans l’Hémicycle ? Parmi les idées débattues dans notre Assemblée par ces députés et les nombreux projets de loi soumis à leur appréciation, ne devraient-ils pas, au moins pour une fois, soulever ce problème de la prostitution avalisée et obliger l’exécutif à interdire formellement cette pratique dans notre pays ? Dans la même veine, l’insuffisance de l’implication des leaders religieux sur le terrain proprement juridique, en vue de défendre les valeurs socioreligieuses auprès des hommes politiques (qu’ils négligent le plus souvent au profit d’autres types d’intérêts moins essentiels), se doit d’être relevée pour expliquer le statu quo sur cette question. Une situation aggravée par l’absence d’une prise claire de responsabilité de ces acteurs religieux dans ces questions, mais également par l’approche restée globalement clientéliste et informelle de l’Etat envers les communautés religieuses, qu’il n’appréhende le plus souvent que sous l’angle de relais temporaires ou de viviers électoraux. Nous semble même ainsi déplorable le fait que les associations islamiques (comme la « Jamahatou Ibadou Rahman ») qui avait publiquement apporté leur soutien électoral (sous forme de « Ndigël non confrérique ») à l’actuel régime n’aient jusqu’ici, à notre connaissance, posé ce genre de préoccupations morales et religieuses comme contrepartie de leur soutien…
Quelques propositions
Tout ceci pour dire qu’il est largement temps que les pouvoirs publics clarifient davantage leur concept de « gestion responsable par les forces vives de la nation » des fléaux croissants de notre société, tels la prostitution, l’homosexualité, le libertinage etc. Pour ce faire, un ensemble d’actes devraient être envisagés et bien étudiés par l’Etat et tous les acteurs sociaux concernés, avant d’être mis en œuvre dans le cadre d’une approche plus volontariste de la moralité publique. A l’instar de ceux-ci :
- Interdiction pure et simple de la prostitution au Sénégal, en allant même plus loin que l’indécision actuelle des Etats occidentaux, en pénalisant aussi bien l’offre que la demande de « services sexuels ».
- Accompagner cette mesure par une politique sociale destinée à réinsérer les prostituées consentantes dans le tissu socioprofessionnel. La collaboration du Ministère de la Santé et de l’Action sociale, dans le cadre de la stratégie des pouvoirs publics actuels de prise en charge des couches vulnérables, serait d’un grand apport dans cette démarche.
- Meilleur contrôle du contenu de nos médias (pour protéger aussi bien les couches jeunes qu’adultes) en luttant contre la pornographie manifeste ou déguisée sur internet (surtout celle infestant la majorité des sites web populaires), la course contre l’obscénité, dans les télévisions publiques et privées (qu’attend notre justice pour inculper, pour « corruption illicite » de notre jeunesse, les propriétaires des télévisions « boul khool », les organisateurs des défilés obscènes etc. ?)
- Intégrer les valeurs morales et religieuses dans notre système éducatif, en nous appropriant les enseignements et les nobles principes légués par les grandes figures religieuses du pays, qui s’avèrent de loin plus efficaces chez le peuple que les cours théoriques de civisme que l’on s’échine depuis des années à lui inculquer, à coup de levées de couleurs et d’hymne national, sans succès.
- Implication officielle des acteurs religieux dans les organes publics de lutte contre l’immoralité, comme le CNRA qui, il faut le rappeler, compte actuellement tous les corps de métiers culturels (écrivains, comédiens, artistes etc.) mais aucun acteur religieux, musulman ou chrétien. Il serait même souhaitable de renforcer cettte dynamique, en mettant en place, à l’instar des pays développés, une commission de (bio)éthique où tous les segments de notre société se retrouveront pour réfléchir sur les défis moraux, actuels et à venir, auxquels notre pays sera de plus en plus confronté.
- Organiser au besoin un référendum pour trancher définitivement la question du choix des citoyens sénégalais pour ou contre la légalisation des pratiques dégradantes comme la prostitution etc.
Dans l’attente d’une réflexion approfondie sur les présentes propositions que nous soumettons à votre haute autorité, en vue de leur concrétisation pour le progrès moral de notre nation (« Yoonu Yekkatiku »), veuillez agréer, Madame le Ministre, l’assurance de toute notre considération.
En réalité, Madame le Ministre, votre démarche pose en filigrane (et c’est ce qui la rend digne d’intérêt à nos yeux) le problème plus global de la moralité publique et de nos valeurs, dans un cadre républicain et laïque tel que le nôtre. Problème qui, au-delà des mineurs, intègre, de façon plus élargie, les valeurs auxquelles s’identifie, pour l’essentiel, la nation ayant produit lesdits mineurs (parents, acteurs politiques, religieux, médiatiques etc.) En effet, erreur ne saurait être plus grande – et vous semblez l’avoir heureusement compris – de confiner stricto sensu le problème du « vagabondage » des jeunes dans un cadre purement légal. Son ampleur n’étant, en général, que le reflet d’une certaine réalité sociologique, qui prend ses sources dans des eaux autrement plus profondes…
La prostitution est-elle, selon l’Etat, un « droit » réservé aux majeurs ?
Nous sommes bien d’accord avec vous, Madame le Ministre, lorsque vous soutenez que les premiers acteurs sont les parents. Mais, une question assez triviale que nous serions tentés de nous poser et de vous poser est, comment des parents sans valeurs peuvent-ils en donner à leurs enfants ? En termes plus clairs, si l’Etat du Sénégal, cette institution que vous représentiez dans cette rencontre, autorise aujourd’hui les citoyens majeurs (donc les parents) à s’adonner légalement à la prostitution, sous des conditions uniquement administratives, comment peut-il valablement exiger de ces mêmes citoyens qu’ils inculquent des valeurs contraires à leurs enfants ? Sachant surtout que le débat posé, lorsqu’il fait explicitement appel aux valeurs (morales), ne saurait donner un cachet absolument immoral à une pratique légalement acceptée par nos institutions politiques et juridiques (même si, nous le savons, d’aucuns récusent le fait que la logique du Droit puisse être celle de la morale).
Sous ce rapport, un détail nous semblant, bien qu’à posteriori, assez choquant dans la démarche du séminaire de Saly-Portudal, est la restriction délibérément portée sur les mineurs dans ce combat, mais nullement sur les futurs adultes et les futurs bâtisseurs de ce pays qu’ils sont appelés à devenir. En effet, sans renier la pertinence de la notion de majorité juridique et sexuelle, ni l’évidente vulnérabilité des couches les plus jeunes, ne peut-on trouver scandaleux que, sans aucun état d’âme, la République soit un jour appelée à garantir et à protéger les droits de ces mêmes mineurs à s’engager librement dans la « prostitution et le vagabondage »? Ceci, à partir du premier jour même de leur majorité, à la seule condition de se procurer un carnet sanitaire dûment visé par les services administratifs compétents. Un message subliminal lancé par ce séminaire à nos mineurs nous semble ainsi être (sans extrapoler) : « De grâce, attendez au moins d’être majeurs pour vous prostituer ! Patientez justes quelques années pour que la République vous autorise à racoler dans les rues et à squatter librement les coins mal famés pour y trouver des clients, en parfaite conformité avec nos lois…»
Le seul argument des préjudices psychologiques subis par les mineurs pour restreindre l’interdiction de la prostitution à leur niveau, bien que compréhensible sous un certain rapport, mérite ainsi, malgré son apparente évidence, d’être relativisé. Ces mêmes dommages psychologiques se retrouvant, quoique dans des proportions différentes, chez les prostituées majeures, qui font l’objet d’une traite ignominieuse et sont très souvent sujettes à une dégradation morale, psychologique et physique contraire à la dignité humaine la plus élémentaire. De même, la relativisation sociale croissante du concept de « majorité sexuelle», accentuée par l’accès plus précoce des jeunes d’aujourd’hui à la sexualité et aux contenus médiatiques licencieux, ne manque pas d’ouvrir des brèches de nature à remettre en cause, dans l’avenir, cette rigidité de la barrière entre minorité et majorité sexuelle sur laquelle se fonde un pan essentiel de ces lois .
Un autre amalgame susceptible d’être relevé dans la démarche de l’Etat est la contradiction de celle-ci avec le caractère théoriquement laïque (pour ne pas dire laïciste) de notre république, qui n’est pas officiellement censée promouvoir, du moins dans les textes, des valeurs socioreligieuses particulières. Même celles auxquelles s’identifie l’essentiel de notre nation. Une république qui, en se fondant sur une approche transposée des droits humains, se résumant au principe « ma liberté ne s’arrête que là où commence celle des autres », est censée favoriser la liberté sexuelle, même celle des jeunes. A travers, par exemple, une politique hardie de contraception à large échelle, qui met actuellement à la disposition de tout jeune sénégalais un préservatif bon marché et de toute jeune sénégalaise des pilules contraceptives ou du lendemain, à travers des campagnes médiatiques sensibilisatrices et incitatrices, gracieusement subventionnées par nos bailleurs. Ceci, par le biais des chevaux de Troie que constituent la lutte contre le Sida, le combat contre les grossesses précoces et non désirées, la maîtrise par les filles de leur corps et de leur sexualité, en vue essentiellement d’une meilleure productivité scolaire et professionnelle etc. D’autres initiatives publiques pour encadrer les prostituées (appelées, dans le jargon administratif, « Travailleuses du Sexe » ou TS), dans le cadre de la lutte contre le Sida et de la prise en charge des IST, sous forme de « paquets de services » spécifiques, nous semblent également, malgré leur vocation humanitaire, de nature à encourager cette pratique, mais nullement à la décourager par la mise en place d’une assistance sociale conséquente, destinée à réinsérer définitivement ces TS dans le tissu socioprofessionnel.
La philosophie NTS (Nouveau Type de Sénégalais), désormais plus ou moins tacitement promue par les nouveaux pouvoirs publics, qui, idéologiquement parlant, remet en cause les schémas traditionnels de l’autorité (même parentale), la neutralité bienveillante de l’Etat envers les récurrents « troubles à l’ordre public sexuel », pourtant médiatisés (« miss jongoma », danseuses obscènes etc.), la prolifération des contenus à caractère érotique, visibles par les mineurs, dans tous nos médias (audiovisuels, virtuels etc.) sous le silence complice du CNRA et de la loi… Tout cela nous semble constituer des actes éminemment parlants qui traduisent, si besoin en était encore, à notre sens, la distance entre cette prétention (laïque à la française) de notre République et nos valeurs socioreligieuses de « kersa », de « soutoura » etc. que nous refusons jusqu’à présent d’assumer ouvertement et de préserver.
La prostitution doit être formellement interdite par les lois sénégalaises
Aussi la vraie question, Madame le Ministre, méritant d’être posée nous semble plutôt être celle-ci : comment peut-on encore accepter la légalisation officielle de la « prostitution et du vagabondage des majeurs » dans un pays qui, quoi que l’on dise, est composé d’une population à plus de 95% croyante ? Un questionnement d’autant plus judicieux que le débat sur l’interdiction de la prostitution a été déjà posé dans d’autres pays considérés traditionnellement (et souvent aveuglément) comme « plus avancés » en matière de droits humains. A l’instar de certains pays occidentaux, comme la Suède et la Norvège, où le recours aux services de prostituées (maintenant qualifié de « traite des femmes ») est désormais pénalisé par des amendes et des peines de prison, avec des résultats étonnants. De même que l’Islande où, en plus de la pénalisation, un accompagnement social (aide au logement, assistance juridique etc.) est proposé aux prostituées désirant se recycler et réintégrer le tissu social, avec l’aval de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) qui salua cette initiative, car de nature à combattre le «trafic d’êtres humains». D’autres pays comme la Finlande, l’Angleterre, le Pays-de-Galles, l’Ecosse, la France etc. ont, soit, commencé assez timidement à élaborer des lois en ce sens, soit, lancé un débat public où de plus en plus d’acteurs de tous ordres soutiennent ouvertement des initiatives légales en vue d’éradiquer ou de limiter au moins l’ampleur de la prostitution dans leur société.<br />
L’argument de l’hypocrisie sénégalaise pour promouvoir l’immoralité
Les contre-arguments habituellement servis chez nous, par des intellectuels de seconde main et autres blogueurs du dimanche, pour s’opposer à cette pénalisation de la prostitution au Sénégal, sont souvent d’une légèreté et d’une superficialité pour le moins effarantes. A l’instar de l’argument passe-partout, aussi démagogique que de plus en plus populaire (sans que l’on comprenne réellement pourquoi), que nous avons dénommé « l’argument de l’hypocrisie sénégalaise ». Argument régulièrement brandi dans des articles, dans des fora sur le web etc., dont les auteurs défendent avec fanfaronnade toutes sortes de dérives morales, en invoquant avec un aplomb désarmant l’ « hypocrisie » de notre société. Une société qui, à travers le raisonnement simpliste de ceux que nous appelons « hypocritistes », n’aurait ainsi point le droit de dénoncer une quelconque immoralité, du seul fait qu’il y existe d’autres actes plus graves, ou que ces derniers sont même quelques fois l’œuvre de membres de l’élite politique, religieuse, intellectuelle etc. Avec comme formules choc favorites : « Balayez d’abord devant votre propre porte », « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché jette la première pierre », « Bou niou kenn sonal », « Y a pire dans ce pays que vous auriez mieux fait de dénoncer » etc. Dans le cas de la prostitution, par exemple, le phénomène du « mbaraan » et d’autres comportements déviants (non formellement proscrits par la loi) sont ainsi invoqués par ces pourfendeurs pour mieux soutenir leur théorie de l’hypocrisie de notre société (qui n’est, en principe, ni meilleure ni pire que d’autres sociétés, car ayant aussi bien ses valeurs que ses antivaleurs).
Parbleu ! Les sénégalais doivent-ils être considérés comme des « hypocrites » chaque fois qu’ils critiqueront des dérives constatées dans leur société, juste parce qu’il en est de plus graves ou qu’il existe parmi eux des citoyens censés être des modèles de vertu qui tombent dans ces dérives ? Quoique l’objectif théorique de toute condamnation ou proscription soit qu’elle puisse être un jour appliquée par tous et à tous, sans aucune sorte de discrimination ou partialité injuste, basée sur le pouvoir, l’origine ou la classe, l’existence dans toutes les sociétés du monde de règles dont l’application concrète ne peut être étendue à tous, du fait des privilèges, faveurs légalement injustifiées ou pressions diverses, ne saurait toutefois remettre en cause la légitimité, en tant que telle, de ladite condamnation. Du moins tant que celle-ci contribuera à jouer le rôle lui étant dévolu de barrière et de garde-fou destinés à limiter le chaos et l’immoralité d’une société. Et que l’on aura toujours à cœur d’annihiler progressivement les inégalités et vides constatés dans sa mise en œuvre, à travers une meilleure organisation politique, juridique et sociale.
A titre d’exemple, l’on sait bien que le vol existe dans toutes les sociétés et que les formes de vol les plus préjudiciables pour la société sont en général le fait des puissants. Mais accepterons-nous pour autant l’abrogation des lois sur le vol, du seul fait de leur prétendue « hypocrisie », car risquant de faire condamner le modeste voleur de poules plus que les riches escrocs à col blanc ? Quel remède que de préconiser la suppression d’un principe moral du simple fait qu’il se trouve des sujets ne consentant pas à se l’appliquer eux-mêmes ! Cette question de la loi de deux poids et deux mesures (ou du premier jeteur de pierre, appelé à balayer d’abord devant sa propre porte) se trouve ainsi, à notre sens, assez mal posée. Car elle aurait du plutôt porter sur les différentes voies possibles permettant de mieux démocratiser les mécanismes du système judiciaire et le rendre plus conforme à nos valeurs. Lui permettant ainsi de résorber peu à peu les champs de non-droit et d’éviter les exceptions immunitaires actuelles, plutôt que de les affaiblir pour installer, à la place, un chaos qui serait même beaucoup plus néfaste pour les plus faibles. Elle devrait également, au plan social, s’orienter plutôt sur la manière de mieux choisir nos modèles et références (en politique, en religion etc.), pour ne plus laisser des imposteurs amalgamer et usurper impunément nos valeurs fondamentales.
Le fait que tous les juges ne soient pas des saints ne devrait point mener, que l’on sache, vers la dissolution de la Constitution à laquelle ils sont censés veiller ! L’existence de médecins fumeurs ne doit pas, non plus, conduire à mitiger les conséquences médicales du tabagisme aux yeux du public. La présence de tartuffes parmi les religieux signifie-t-elle que les principes moraux défendus dans leurs sermons et prêches soient caduques pour autant, au point de dénigrer leurs contenus pour cause d’ « hypocrisie » (même si la duplicité de ces derniers restera naturellement condamnable) ? Les Chrétiens accepteraient-ils que l’institution de l’Eglise soit dissoute du seul fait de l’existence de prêtres pédophiles ? Tous ceux qui invoquent, souvent de mauvaise foi, il faut en convenir, cet argument de l’« hypocrisie » consentiraient-ils à se l’appliquer eux-mêmes avec assez de rigueur, en refusant, par exemple, de porter plainte pour vol, sachant qu’il existe d’autres actes autrement plus graves (comme le meurtre) dans leur propre société, et peut être même chez les juges et avocats appelés à s’occuper de leur dossier ? Une chose est un principe, une autre sera l’intégrité des hommes appelés à l’appliquer. Car tout principe, en tant qu’élément transcendant, est naturellement appelé à primer sur le sujet immanent appelé à le matérialiser ou à l’incarner. La dérogation de ce dernier au dit principe ne remettant nullement en cause, pour tout acteur clairvoyant, la validité impersonnelle du principe. Doit-on dévaloriser le principe de l’autorité parentale, du simple fait qu’il existe des parents pédophiles ? Doit-on déprécier le principe du mariage, du fait de l’existence de femmes ou époux adultères ? Doit-on remettre en cause la noblesse de l’enseignement juste à cause de professeurs indélicats qui abusent de leurs élèves ?
De la même manière, l’argument du mal nécessaire, c’est-à-dire l’existence d’une demande incompressible de « services sexuels », pour légitimer la marchandisation de la femme sénégalaise est tout simplement inhumain et irresponsable. Dans la simple mesure où, non seulement toute nation responsable se doit de faire un choix clair dans l’échelle de ses valeurs et de ses intérêts, mais la stratégie du « containment » des vices, par des lois laxistes, a des limites (comme le prouve l’interdiction légale de l’usage de la drogue, malgré l’existence d’une demande en ce sens etc.). L’on peut aussi en dire de même de l’argument de la pauvreté des femmes qui sont, selon les tenants de cet argument, obligées de vendre leurs corps « pour vivre et faire vivre leurs familles ». Cet argument pouvant être réinvoqué à souhait pour légitimer tous les crimes et toutes les déviances auxquels les hommes peuvent s’adonner, sous le simple prétexte de nourrir leurs familles : trafics de drogue, agressions, homosexualité etc. L’aggravation de la clandestinité de la prostitution, au cas où elle serait interdite, ne nous semble pas non plus un argument valable, du fait qu’il n’existe nulle part au monde une proscription que des hommes ne tenteront de contourner pour leurs propres intérêts ou passions. Il suffit à ceux qui soutiennent ce genre d’arguments d’imaginer leur propre mère, soeur ou fille leur opposer ces arguments pour justifier le fait qu’elles puissent s’engager dans cette activité, pour se rendre de leur évidente mauvaise foi…
Où sont passées nos féministes ?
Une solution à même de vous aider, Madame, à mieux régler le problème de la prostitution des jeunes est que, à défaut de pouvoir éradiquer complètement ce phénomène, l’Etat interdise complètement la prostitution au Sénégal et ne cautionne pas ainsi chez les adultes une pratique qu’elle est censée combattre chez les plus jeunes. La prostitution constituant, à nos yeux, une atteinte flagrante aux droits de l’homme, à la dignité humaine et à la valeur de la femme. Et il nous semble, en ce sens, assez curieux que nos militantes féministes, pourtant si promptes à réclamer si bruyamment le respect des droits de la femme (« aq ak yèleefu jigéen »), lors des nombreux séminaires et colloques médiatisés, ne posent jamais le problème de la prostitution des femmes… Le fait de vendre son corps, comme n’importe quelle chair animale (bœuf, mouton, volaille etc.), à tout homme capable de mettre un prix, n’est-il pas l’un des actes les plus dégradants pour la condition féminine ? Est-ce une cause moins noble que leur combat pour la parité, contre l’excision, les violences, pour le droit au travail, la réglementation de la polygamie etc. ? Avez-vous jamais vu ou entendu une association sénégalaise de protection des droits des femmes, un membre éminent du « leadership féminin » tant vanté, ou même l’une des nombreuses associations sénégalaises de droits de l’homme, un élément représentatif de la société civile condamner explicitement et publiquement la légalité de la prostitution au Sénégal ? C’est donc dire que le suivisme idéologique et aveugle de ces élites aux œillères a fini de les transformer – il est malheureux de le constater – en caisses de résonance des problématiques occidentales et en serviles moutons de Panurge qui ne songent à poser un problème donné qu’après que leurs maîtres à penser se les aient déjà posés dans les agendas leur étant transmis et qu’ils se contentent d’exécuter avec un zèle n’ayant de pendant que leur strabisme intellectuel. C’est comme si les causes bénéficiant d’un plan de financement conséquent et pour lesquelles nos activistes locaux sont susceptibles d’être invités à des séminaires avec perdiems, constituaient de nos jours les seules bonnes causes méritant d’être défendues…
Que dire également des représentants du peuple, ces députés dont une partie, pourtant qualifiée de religieuse, fit récemment une entrée remarquée dans l’Hémicycle ? Parmi les idées débattues dans notre Assemblée par ces députés et les nombreux projets de loi soumis à leur appréciation, ne devraient-ils pas, au moins pour une fois, soulever ce problème de la prostitution avalisée et obliger l’exécutif à interdire formellement cette pratique dans notre pays ? Dans la même veine, l’insuffisance de l’implication des leaders religieux sur le terrain proprement juridique, en vue de défendre les valeurs socioreligieuses auprès des hommes politiques (qu’ils négligent le plus souvent au profit d’autres types d’intérêts moins essentiels), se doit d’être relevée pour expliquer le statu quo sur cette question. Une situation aggravée par l’absence d’une prise claire de responsabilité de ces acteurs religieux dans ces questions, mais également par l’approche restée globalement clientéliste et informelle de l’Etat envers les communautés religieuses, qu’il n’appréhende le plus souvent que sous l’angle de relais temporaires ou de viviers électoraux. Nous semble même ainsi déplorable le fait que les associations islamiques (comme la « Jamahatou Ibadou Rahman ») qui avait publiquement apporté leur soutien électoral (sous forme de « Ndigël non confrérique ») à l’actuel régime n’aient jusqu’ici, à notre connaissance, posé ce genre de préoccupations morales et religieuses comme contrepartie de leur soutien…
Quelques propositions
Tout ceci pour dire qu’il est largement temps que les pouvoirs publics clarifient davantage leur concept de « gestion responsable par les forces vives de la nation » des fléaux croissants de notre société, tels la prostitution, l’homosexualité, le libertinage etc. Pour ce faire, un ensemble d’actes devraient être envisagés et bien étudiés par l’Etat et tous les acteurs sociaux concernés, avant d’être mis en œuvre dans le cadre d’une approche plus volontariste de la moralité publique. A l’instar de ceux-ci :
- Interdiction pure et simple de la prostitution au Sénégal, en allant même plus loin que l’indécision actuelle des Etats occidentaux, en pénalisant aussi bien l’offre que la demande de « services sexuels ».
- Accompagner cette mesure par une politique sociale destinée à réinsérer les prostituées consentantes dans le tissu socioprofessionnel. La collaboration du Ministère de la Santé et de l’Action sociale, dans le cadre de la stratégie des pouvoirs publics actuels de prise en charge des couches vulnérables, serait d’un grand apport dans cette démarche.
- Meilleur contrôle du contenu de nos médias (pour protéger aussi bien les couches jeunes qu’adultes) en luttant contre la pornographie manifeste ou déguisée sur internet (surtout celle infestant la majorité des sites web populaires), la course contre l’obscénité, dans les télévisions publiques et privées (qu’attend notre justice pour inculper, pour « corruption illicite » de notre jeunesse, les propriétaires des télévisions « boul khool », les organisateurs des défilés obscènes etc. ?)
- Intégrer les valeurs morales et religieuses dans notre système éducatif, en nous appropriant les enseignements et les nobles principes légués par les grandes figures religieuses du pays, qui s’avèrent de loin plus efficaces chez le peuple que les cours théoriques de civisme que l’on s’échine depuis des années à lui inculquer, à coup de levées de couleurs et d’hymne national, sans succès.
- Implication officielle des acteurs religieux dans les organes publics de lutte contre l’immoralité, comme le CNRA qui, il faut le rappeler, compte actuellement tous les corps de métiers culturels (écrivains, comédiens, artistes etc.) mais aucun acteur religieux, musulman ou chrétien. Il serait même souhaitable de renforcer cettte dynamique, en mettant en place, à l’instar des pays développés, une commission de (bio)éthique où tous les segments de notre société se retrouveront pour réfléchir sur les défis moraux, actuels et à venir, auxquels notre pays sera de plus en plus confronté.
- Organiser au besoin un référendum pour trancher définitivement la question du choix des citoyens sénégalais pour ou contre la légalisation des pratiques dégradantes comme la prostitution etc.
Dans l’attente d’une réflexion approfondie sur les présentes propositions que nous soumettons à votre haute autorité, en vue de leur concrétisation pour le progrès moral de notre nation (« Yoonu Yekkatiku »), veuillez agréer, Madame le Ministre, l’assurance de toute notre considération.