Elle s’est tue, l’âme de Gorée, elle ne chantera plus la longue errance du peuple noir sur la route qui mène à son destin. Boubacar Joseph Ndiaye est parti, hier vendredi 6 février, il avait 87 ans. Et elle se sentira bien seule, dans la nuit de son histoire, sa Maison des Esclaves bien-aimée. Car il l’aimait, de ces amours sans condition où l’on ne sait vivre que pour l’autre, fidèle à lui, à « nous ». Il en parlait avec passion, sans se laisser contenir par la raison ou par le temps. Sa rage de Gorée n’avait pris aucune ride, son discours avait su demeurer le même au fil des années : il résistait sans faiblir, car il y croyait, à la facile tentation de l’oubli qui dissimule ou embellit, et donne une coloration plus douce, bien plus agréable à l’histoire. Le récit que reprenait sa voix n’avait pas cet arrière-goût de ces tragédies diluées à dessein, avec quelques entailles et retouches qui donneraient à l’ensemble le ton bienveillant de la version officielle. Ses mots à lui refusaient de se conformer, ils auraient voulu qu’ils ne le pourraient pas, parce que son cœur parlait trop fort. Il ne voulait pas de cette indifférence teintée de mépris qui devait faire de la Traite des Noirs une énième brûlure au second degré. Non, il ne voulait pas…
On ne les compte plus les milliers d’élèves qui, portés par le son de sa voix, avaient marché sur les pas de leurs ancêtres noirs, « arrachés », disait celui que l’on appelait affectueusement Jo, à leurs familles, à la terre qu’ils avaient tant aimée. Car il en parlait si bien, avec les mêmes mots si souvent, simples et forts, ce qui donnait à son discours l’univoque texture de la vérité. On venait pour lui, revenait encore, l’oreille guettant une phrase, une tournure de pensée, la rigueur de la voix et le tumulte de la passion. La bouche se surprenait alors lorsqu’elle savait reprendre le texte avec lui, preuve, s’il en fallait, qu’il n’avait pas changé et que l’on retrouvait encore un ami, l’âme des lieux.
Il ne se suffisait pas aux mots, allait bien au-delà de la réalité qu’ils savaient façonner. Il leur donnait corps entre les chaînes que ses doigts serraient avec violence, témoins malgré eux de l’insoutenable horreur, funestes objets transitionnels qui le laissaient ballotter de-ci, de-là. Tout au fond des infâmes cellules, l’écho reprenait la longue complainte de ses frères, et c’est son souffle qui leur répondait. Sur le seuil de la Porte du voyage sans retour, il revivait sa tragédie à lui.
Né à Rufisque en 1922, l’ancien Conservateur de la Maison des Esclaves de Gorée, fonction qu’il assumera pendant près de 40 ans, était aussi un ancien tirailleur qui participera à la Seconde Guerre mondiale et à celle d’Indochine. C’est à l’Hôpital principal de Dakar qu’il décèdera des suites d’une longue maladie. La voix s’est tue…
source sud quotidien
On ne les compte plus les milliers d’élèves qui, portés par le son de sa voix, avaient marché sur les pas de leurs ancêtres noirs, « arrachés », disait celui que l’on appelait affectueusement Jo, à leurs familles, à la terre qu’ils avaient tant aimée. Car il en parlait si bien, avec les mêmes mots si souvent, simples et forts, ce qui donnait à son discours l’univoque texture de la vérité. On venait pour lui, revenait encore, l’oreille guettant une phrase, une tournure de pensée, la rigueur de la voix et le tumulte de la passion. La bouche se surprenait alors lorsqu’elle savait reprendre le texte avec lui, preuve, s’il en fallait, qu’il n’avait pas changé et que l’on retrouvait encore un ami, l’âme des lieux.
Il ne se suffisait pas aux mots, allait bien au-delà de la réalité qu’ils savaient façonner. Il leur donnait corps entre les chaînes que ses doigts serraient avec violence, témoins malgré eux de l’insoutenable horreur, funestes objets transitionnels qui le laissaient ballotter de-ci, de-là. Tout au fond des infâmes cellules, l’écho reprenait la longue complainte de ses frères, et c’est son souffle qui leur répondait. Sur le seuil de la Porte du voyage sans retour, il revivait sa tragédie à lui.
Né à Rufisque en 1922, l’ancien Conservateur de la Maison des Esclaves de Gorée, fonction qu’il assumera pendant près de 40 ans, était aussi un ancien tirailleur qui participera à la Seconde Guerre mondiale et à celle d’Indochine. C’est à l’Hôpital principal de Dakar qu’il décèdera des suites d’une longue maladie. La voix s’est tue…
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