Le 27 septembre 2002, le Sénégal se réveillait horrifié par un drame qui s’était produit la veille, au large des côtes gambiennes. Le « Joola », qui assurait la navette entre Dakar et la région de Casamance, avait fait naufrage. Une catastrophe maritime classée comme la plus grande tragédie de l’histoire du Sénégal et un des naufrages les plus tragiques du monde en temps de paix.
Le bilan officiel faisait état de 1863 morts (de 13 nationalités), pour un navire conçu pour le transport de 550 personnes. Le nombre de passagers officiellement embarqués est de 1928. Douze ans après, la douleur continue d’habiter les populations et familles de victimes. Cependant, le comportement des Sénégalais n’a pas beaucoup changé, surtout dans les transports.
Ziguinchor : Les familles des victimes reprennent goût à la vie
Les familles des victimes acceptent le destin et refusent la résignation. Veuves, orphelins et autres parents reconstruisent une nouvelle vie. Certains orphelins poursuivent leurs études, alors que d’autres, après leur formation, se battent pour une insertion socioprofessionnelle.
Les rayons du soleil illuminent le quartier « Yama Togne ». En face de la Chambre des métiers, sous l’ombre d’un fromager, près d’un ravin, des femmes vendent des légumes et friandises. D’autres se dirigent vers le marché Boucotte. A quelques mètres de là, 5 hommes devisent dans un atelier de mécanique. Kékouta Bâ, un jeune homme trapu aux épaules rondes, est dans une tenue dont les couleurs ont viré au noir. Depuis la matinée, il est sur pied. C’est dans cet espace qu’il gagne sa vie. A la différence des autres mécaniciens, il a perdu 2 parents dans le « Joola ». « Nous ne pourrons jamais oublier nos morts, surtout les disparus du « Joola ». Mais nous ne devons pas non plus oublier qu’il nous faut nous battre pour vivre », confesse-t-il. Tour à tour, des flots de souvenirs l’envahissent. Il se tait.
En amont de l’artère perpendiculaire, à l’entrée principale de l’hôpital de la Paix, d’autres familles préparent la commémoration. Dans l’enceinte d’une concession, sous le manguier, Ngoné Fall ne peut pas retenir ses larmes lorsque nous évoquons l’anniversaire du « Joola ». La dame a perdu un de ses fils et la mère de son époux. La tragédie est inoubliable. Malgré tout, elle s’est relevée et se bat pour améliorer les conditions de vie de sa famille. « Je fais du commerce pour aider mon mari. C’est dur de perdre des parents dans de telles circonstances », soutient-elle. Dans les rues de Boucotte Centre, comme dans d’autres foyers à « Yama Togne », les familles des victimes ne se comptent pas. « Toutes les familles sont victimes si nous nous référons à la famille africaine », souligne un sexagénaire.
La vie se poursuit
Mme Touré fait appel à un ses fils adoptifs, Youssou Mané. Cet adolescent rêve de devenir un électricien professionnel. A la disparition de sa mère dans le bateau, alors qu’il avait à peine 12 ans et était en classe de CM2 à l’école Ahmadou Barry, le jeune garçon n’a pu poursuivre ses études. « Je n’ai pas bénéficié de la bourse des pupilles de la nation, mais aujourd’hui, je fais une formation en électricité », confie-t-il. Le jeune garçon n’avait pas le choix. Sa mère, rapportent les voisins, avait toujours refusé de croiser les bras. « C’était une grande commerçante », raconte une dame. A Boucotte Centre, Khadiatou Touré, une vieille dame, est chargée de l’éducation du jeune Papa Alphousseiny. Le jeune garçon orphelin de mère est aujourd’hui en classe de seconde. « Papa Alphouseyni a perdu sa maman et son frère. Depuis lors, il poursuit ses études. Tout se passe bien sur ce plan. Nous prions pour qu’il en soit ainsi pour le reste de sa carrière », raconte la mère adoptive. Il en est de même pour Amy Collé Diba, une autre orpheline au quartier Djirigor, dans la zone de Grand-Dakar. Au moment du drame, elle avait 18 ans. Elle a arrêté les études en classe de première, au Lycée Dignabo, pour ensuite suivre une formation en hôtellerie. Après plusieurs stages, elle est à la recherche d’un emploi. Son aîné Khady Diba regrette la division de certaines familles après la tragédie.
Liaison maritime : De l’ordre à bord d’Aline Sitoé Diatta
Sur une longue file, les passagers en partance pour Dakar viennent enregistrer leurs bagages avant l’embarcation. Plusieurs centaines de valises, des sacs remplis de marchandises et de produits de consommation sont enregistrés et pesés avant d’être convoyés par des charriots dans les soutes du navire Aline Sitoé Diatta. La section fret de la gare maritime de Ziguinchor est l’une des étapes les plus importantes avant le départ du bateau. Des produits agricoles en passant aux fruits de mer, tout y passe. Des étiquettes sur lesquelles sont marquées « fragile » ou « congélation » permettent de deviner la nature de la marchandise. Il ne faut surtout pas dépasser les 200 tonnes de fret, capacité d’absorption du navire. « D’ailleurs, le commandant lui-même sait combien de tonnes il porte en passagers et fret », signale Moustapha Macandiang, le chef de la gare maritime de Ziguinchor. Durant les périodes de récolte des mangues, le fret peut avoisiner les 100 tonnes. Mais en 2002, plusieurs commerçants ayant été emportés, les échanges commerciaux entre Dakar et Ziguinchor sont au ralenti. Oumy Bâ, vendeuse de fruits et d’autres produits agricoles, est nostalgique de la période du « Joola ». « C’était une période faste », souligne-t-elle. « Avant, il m’arrivait de rentrer à la maison avec 50 à 100.000 FCfa de bénéfices, mais aujourd’hui, c’est à peine que je peux avoir 15.000 FCfa », dit Georgette Mendy, commerçante. De nombreux commerçants estiment que les horaires du bateau ne les arrangent pas. Mais, indique Moustapha Mancadiang, le changement est intervenu depuis la réhabilitation de l’escale de Carabane. Le choix de l’heure est « technique ».
De nos envoyés spéciaux Maguette NDONG et Idrissa SANE
Le Comité d’initiative réclame toujours un Musée-mémorial du « Joola »
Lors d’une conférence de presse tenue la semaine dernière à Dakar, Nassardine Aïdara, président du Comité d’initiative pour l’érection du Mémorial-Musée le Joola, a décliné les 5 demandes des familles de victimes qui, dit-il, ne sont pas encore prises en charge par les autorités étatiques. Il s’agit de faire du 26 septembre, une journée nationale du souvenir, à travers une loi ; d’ériger, sur la corniche Ouest, dans un processus transparent, un mémorial comprenant un musée et un centre de recherche sur la sécurité humaine ; la prévention des risques et catastrophes et le renflouement du bateau.
Ndiol Maka SECK
Recueillement et panel prévus à Dakar
Pour la commémoration du 12è anniversaire du douloureux événement, le président de l’Association des victimes du « Joola », Idrissa Diallo, invite toutes les familles à se réunir, aujourd’hui, à 9 h, au cimetière des naufragés du « Joola », à Mbao, pour des séances de prières et de recueillement.
Ce rassemblement sera suivi d’un panel, à 15h 30, à la Place du Souvenir, sur le thème : « Orphelins et rescapés du « Joola », 12 ans après ». A 17 h 30 à la même place, la cérémonie officielle présidée par les membres du gouvernement.
Idrissa Diallo a salué l’intérêt que le chef de l’Etat porte aux familles de victimes du naufrage du bateau le « Joola ». Il s’est dit satisfait de la démarche que celui-ci a adoptée, lors du dernier Conseil des ministres. Le président Macky Sall a demandé que les orphelins et rescapés du « Joola » soient effectivement pris en charge par le gouvernement.
Amy DIENG (stagiaire)
Cimetière le « JOOLA » de MBAO : Un lieu de mémoire de moins en moins fréquenté
Douze années après le naufrage du bateau le « Joola », le cimetière de Mbao, un des endroits qui abritent les victimes, reste peu visité. Reclus dans son calme et sa quiétude, il ne fait plus l’objet de grandes fréquentations.
Silence ! Le cimetière qui abrite une partie des victimes du naufrage du bateau le « Joola » n’attire plus. Presque pas de bruits de pas comme durant les premières années. Les victimes, issues de différentes religions, de provenances sociales diverses, sont unies par un naufrage, celui du « Joola » en l’occurrence, dans un repos éternel.
Logé au cœur de la banlieue dakaroise, dans la réserve forestière de Mbao, le cimetière des naufragés du bateau le « Joola », navire qui assurait la liaison maritime Dakar-Ziguinchor, compte 139 victimes non identifiées qui ont péri un soir du 26 septembre 2002. Ce naufrage est l’une des plus grandes tragédies maritimes de l’histoire, sinon la plus grande, eu égard, au nombre de victimes. Cette perte collective avait alors fini de plonger, dans un émoi général, toute une nation.
Une fois le portail franchi, une piste latéritique d’une centaine de mètres s’offre au visiteur. Elle mène vers une rangée de sépultures. Seul le gazouillement des oiseaux, mêlé à l’éphémère bruissement des arbres, sont perceptibles, rendant, de fait, les vrombissements des véhicules, sur la Route nationale 1, très perceptibles. Les tombeaux sont répartis dans trois compartiments différents. Espace public à nul autre comparable, le cimetière est un lieu de mémoire collective où l’intimité et la spiritualité de chacun doivent être respectées. Il peut aussi renforcer le sentiment d’identité et d’appartenance à une même et unique communauté : celle des êtres humains. Le cimetière le « Joola » abritant des victimes non identifiées, des personnes issues de différentes religions peuvent venir s’y recueillir, sans distinction aucune.
Des familles déplorent l’entretien et le manque de commodités (bancs, poubelles). Narcisse Ndiaye, trouvé sur les lieux, a perdu un membre de sa famille dans le naufrage. Même s’il n’est pas sûr que son parent est inhumé ici, il vient parfois s’y recueillir. « Je ne sais pas si mon parent est inhumé ici ou non, mais dès que j’y viens, je suis animé par un sentiment spécial, profond, indescriptible qui me dit qu’une partie de moi repose ici », dit-il. « Les autorités doivent davantage veiller au bon entretien de cet endroit plein d’histoire », lance t-il.
Oumar BA
Irrégularites, vices de construction, négligences : Ces manquements qui ont fait sombrer le « Joola »
Le naufrage du « Joola » a affecté le peuple sénégalais qui se pose toujours des questions sur les causes réelles du drame. Selon un rapport, ces manquements sont liés à des irrégularités, des vices de construction et des négligences.
Le « Joola » réalisait 2 liaisons par semaine à partir de la capitale, les mardis et vendredis aux alentours de 20 h, et 2 autres à partir de Ziguinchor les jeudis et dimanches vers 13 h. Le voyage durait 13 heures. Cette liaison permettait de sortir la Casamance de l’isolement. Le « Joola », surchargé de plus de 3 fois le nombre normal de passagers, s’est retourné, un peu avant 23 heures de ce 26 septembre, en moins de 10 minutes, au large de la Gambie, à environ 40 km de la côte. Seuls 2 canots pneumatiques de sauvetage ont pu être ouverts, plusieurs heures après le naufrage. Certains passagers se sont réfugiés sur la coque du navire retourné, mais l’immense majorité a été piégée à l’intérieur ou s’est noyée. Les pêcheurs présents sur place ne sont intervenus que le lendemain matin au lever du jour. Les secours officiels ne sont arrivés qu’en fin d’après-midi.
La gestion nautique et commerciale du navire M/S « Le Joola » était, à la date du naufrage, essentiellement concentrée entre les mains de la Marine nationale (armateur et gestionnaire) depuis que la tutelle exercée jusqu’alors par le ministère des Transports (devenu simple autorité de contrôle) avait été supprimée le 7 décembre 1995. La succession de 5 graves avaries en mer, courant 2001 avait conduit à l’immobilisation du navire jusqu’à sa remise en service à la va-vite le 10 septembre 2002 et une demande officielle du ministre des Transports, présentée le 18 juillet 2001 au Premier ministre, tendant à ce qu’il lui soit de nouveau confié la gestion civile de ce navire. La Commission d’enquête approfondie, mise en place après le naufrage, relevait, dans ses conclusions, bon nombre d’«irrégularités» qui ont conduit au naufrage. Ces «irrégularités» sont notées à «tous les niveaux de la gestion du « Joola », en particulier à partir de décembre 1995, date à laquelle la gestion du navire a été confiée, par le Premier ministre de l’époque, à la Marine nationale». La surcharge croissante de passagers, le non-arrimage des marchandises (fret), et la non-maîtrise, par l’équipage, du dossier de stabilité du navire et la violation répétée, par l’exploitant, des normes de sécurité, sont cités au nombre de ces irrégularités.
Irrégularités
Les conclusions du rapport n’épargnent aucun démembrement de la gestion du navire. Tout naturellement, l’équipage dont la «non-maîtrise du bord» semble être toute désignée comme la première des coupables. «… C’est sous l’effet conjugué d’un mauvais plan de chargement (défaut de ballastage, surcharge de passagers dans les superstructures, peu de fret dans le garage) et des conditions météorologiques défavorables (vent et pluie) que le navire a gîté (s’est incliné à bâbord)», lit-on à la page 85 du rapport.
Cette situation est à mettre en liaison, à en croire les membres de la Commission, avec «l’incurie du commandant du bateau qui n’a jamais, selon les informations recueillies, procédé aux calculs de stabilité préalables à tout appareillage de navire». Des causes indirectes et lointaines sont décelées par la Commission qui n’épargne ni le constructeur, ni les politiques encore moins la direction de la Marine marchande. Au constructeur, il est reproché des «vices de construction : la position des ballasts centraux ne facilitait pas le redressement rapide du navire en cas d’inclinaison (gîte)». Il s’y ajoute que les «hublots du navire situés sur le pont principal étant bas, cette situation était de nature à favoriser l’envahissement par l’eau en cas de gîte égal ou supérieur à 20 °».
Vices de construction
En confiant la gestion du «Joola » à la Marine nationale, les politiques ont oublié de s’assurer que «l’équipage militaire embarqué à bord ne remplissait pas les conditions requises sur le plan international». Pire, le personnel navigant de la Marine ne pouvait s’enorgueillir de détenir les brevets requis pour le commandement d’un navire marchand (de passagers). Le retard dans les actions de sauvetage s’explique par l’absence d’alerte du fait de la «défectuosité des équipements radio du navire et des équipements de sauvetage du Joola (radeaux cerclés et sanglés, système de largage hydrostatique de ces mêmes radeaux)». Les autorités sénégalaises ont apporté des sanctions, à la lumière du rapport, notamment dans les rangs de l’Armée nationale.
Il y a eu aussi des négligences coupables. Les négligences imputées à «la chaîne de commandement du M/S «Le Joola», de la marine nationale et de l’armée de l’air, responsables respectivement de la conduite du bateau, du suivi et de l’assistance en mer, de l’alerte, de la recherche et du sauvetage des navires en détresse, ont été des éléments déterminants dans le naufrage du bateau et l’efficacité des opérations de sauvetage d’éventuels rescapés».
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE
Mme Aïssatou DIAGNE MBAYE, Directrice de l’Office National des Pupilles de la Nation : « 701 enfants mineurs bénéficient d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa »
Outre l’assistance psychologique et sociale, 701 mineurs orphelins de victimes du naufrage du bateau le « Joola », bénéficient actuellement du statut de pupilles de la nation et d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa. Devenus majeurs, ces fils de victimes du Joola sont également accompagnés par l’Etat dans leurs études, formation et insertion dans la vie active.
Le président de la République a salué, hier, en Conseil des ministres, la mémoire des victimes du tragique naufrage du bateau Le Joola survenu il y a douze ans. A cet égard, Macky Sall, marquant toute sa solidarité aux rescapés, a demandé au gouvernement d’accentuer les efforts consentis pour la prise en charge effective des orphelins et rescapés du naufrage.
Actuellement, selon Mme Aïssatou Diagne Mbaye, directrice de l’Office national des pupilles de la nation, « 701 orphelins mineurs de victimes du naufrage du bateau le « Joola » bénéficient du statut de pupille de la nation et d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa ». Ces orphelins, précise Mme Mbaye, sont également accompagnés sur le plan psychologique. Ainsi, la directrice de l’Office national des pupilles de la nation révèle qu’une colonie de vacances en Gambie a été organisée cette année pour les 60 meilleurs élèves parmi ces orphelins des victimes du « Joola ». Ces élèves pupilles de la nation sélectionnés pour cette colonie de vacances en Gambie, précise-t-elle, sont venus de Dakar, Ziguinchor, Koungheul, Oussouye, Bignona, Fatick, etc.
Suivi psychologique et social
« Ces orphelins des victimes du Joola et pupilles de la Nation, une fois devenus majeurs sont également soutenuspar l’Etat. Dix parmi eux devenus bacheliers en 2013, ont bénéficié d’un ordinateur portable. Ils ont été accompagnés pour leur inscription dans les universités ou écoles supérieures privées du pays ainsi que pour l’obtention d’une bourse entière d’étudiant… », a affirmé Aïssatou Diagne Mbaye. Cette année, 10 autres nouveaux bacheliers parmi les orphelins des victimes du « Joola » seront également dotés d’un ordinateur portable et accompagnés dans la poursuite de leurs études supérieures. D’autre part, 40 orphelins de victimes du « Joola », ont été inscrits en 2013, dans une formation de moniteurs de collectivités éducatives. Et cette année, selon Mme Mbaye, 70 orphelins du « Joola » ont bénéficié d’une formation en Informatique. Un partenariat a été noué par l’Office national des pupilles de la nation avec des Ecoles privées de formation dans ce sens. « Nous les accompagnons aussi à s’insérer dans le milieu du travail. On ne les lâche pas… », a tenu à préciser la directrice de l’Office national des pupilles de la nation.
Omar DIOUF
Surcharges dans les bus, refus d’emprunter les passerelles : Les mauvais comportements persistent encore
Le 26 septembre 2002, le bateau le « Joola », sombrait au large des côtes gambiennes, emportant plusieurs passagers. Le drame avait traumatisé plus d’un. Pour un temps, les Sénégalais avaient essayé de changer de comportements. Très vite, les vieilles habitudes ont repris.
Trouvé à Dieuppeul 3, Maniang Faye, assis dans un fauteuil aux abords de la route, indique que les comportements des Sénégalais, depuis le naufrage du bateau, n’ont aucunement changé. Les véhicules de transport sont toujours bondés. «Les minibus et bus continuent de faire la surcharge», déplore-t-il. A l’en croire, les responsabilités sont partagées. En effet, Maniang Faye indexe aussi bien les passagers que les chauffeurs de ces véhicules. « Les passagers s’engouffrent dans ces minibus sans même se soucier des dangers encourus », regrette-t-il. Mariama Togola, couturière, embouche la même trompette. « Il ne peut y avoir de changement de comportements tant que les mentalités ne changent pas », argue-t-elle.
Pour Mariama, les causes du naufrage le « Joola » sont oubliées par les Sénégalais. « Le traumatisme qu’avait causé ce drame chez eux a disparu avec le temps. J’avoue que je suis sidérée quand je vois une femme qui porte son enfant au dos, se mettre sur les marches de la porte entre-ouverte d’un minibus. C’est inimaginable», lance-t-elle, regrettant que les conducteurs acceptent cela, car mus par leur intérêt d’engranger en fin de journée de gros bénéfices. Elle appelle aux forces de l’ordre afin que ces pratiques cessent.
Vendeur de viande, Mamadou Diallo dit ne jamais oublier le naufrage du «Joola ». «Le 26 septembre me rappelle toujours ce drame qui m’a fait perdre un neveu. Il comptait beaucoup pour moi », confie-t-il. Mamadou Diallo reconnaît que ce drame, qui a emporté un nombre inconnu de vies en raison du surplus de passagers à bord, ne semble guère ébranler les Sénégalais qui adoptent toujours des comportements « inacceptables ».
Aussi, dit-il ne pas comprendre comment les gens peuvent s’entasser dans les bus et minibus comme des pots de sardines avec des portes qui ne se ferment pas.
Mais, ce qui écœure le plus M. Diallo, c’est le refus des piétons à emprunter les passerelles de l’autoroute et de la Voie de dégagement nord (Vdn). « Ils le font parfois délibérément alors que les passerelles ont été construites pour leur sécurité », dénonce-t-il. Comme lui, nombreux sont les Dakarois qui réprouvent de tels actes qui sont à l’origine de nombreux accidents sur ces voies (autoroute et Vdn), malgré la grande sensibilisation menée par les autorités étatiques dans les médias.
Maguette Guèye DIEDHIOU
Patrice AUVRAY, rescapé français : « Nous n’avons pas le droit d’oublier »
Le 26 septembre est désormais, comme disait le romancier Marouba Fall, une date repère dans la trame des faits qui structurent l’histoire de notre pays. A cette date, en 2002, avait sombré, au large de la Gambie, le « Joola », le navire qui assurait la liaison maritime Dakar-Ziguinchor. 12 ans après, le souvenir est encore vivace. Patrice Auvray, un survivant, nous replonge dans ce drame.
Le bilan est lourd : plus de 1.863 passagers qui avaient pris place à bord de ce bateau périssent. Ce qui fait de ce naufrage la plus grande catastrophe maritime civile de tous les temps. 64 rescapés ont également été répertoriés. 12 ans aujourd’hui, jour pour jour, les souvenirs restent vivaces. Patrice Auvray a vécu le drame. Ce rescapé français assume aujourd’hui pleinement ce devoir de témoignage. « Beaucoup de rescapés n’ont pas cette capacité de témoigner. Ils ont très mal dans leur âme. Ils sont isolés dans leurs familles et ont beaucoup de difficultés. En qui ce me concerne, je me suis consacré à mon devoir de témoignage pendant toutes ces années. J’ai conscience de ce devoir social et je l’accepte », a-t-il expliqué.
Conscient également que seuls les écrits peuvent résister au temps, Patrice Auvray a consacré les 10 ans de sa vie qui ont suivi le drame à rédiger un livre de témoignage intitulé: « Souviens-toi du Joola ». « Cela a été terrible pour nous de vivre l’événement. On préférerait oublier, comme beaucoup de gens c’est plus simple, mais nous n’avons pas le droit de le faire », a-t-il estimé.
Revenant sur les circonstances de l’accident, il a fait savoir que le naufrage s’est passé très vite. Le bateau s’est retourné entre 5 et 10 minutes. De ce fait, beaucoup n’ont pas eu le temps de réagir. La plupart des usagers, ainsi enfermés dans la salle du bas, n’avaient aucune chance de survivre.
Il indexe à la fois la surcharge, le mauvais état du bateau, l’incurie et beaucoup d’autres choses qu’on aurait pu facilement éviter. « C’est la somme de toutes ces choses qui a provoqué le naufrage », affirme-t-il, estimant qu’il aurait pu être « évité ». Le rescapé appelle l’Etat à assumer sa part de responsabilité en s’occupant des orphelins, des familles de victimes et des rescapés. Il souhaite également que justice soit rendue. C’est pourquoi il a porté plainte contre X en France.
Le bilan officiel faisait état de 1863 morts (de 13 nationalités), pour un navire conçu pour le transport de 550 personnes. Le nombre de passagers officiellement embarqués est de 1928. Douze ans après, la douleur continue d’habiter les populations et familles de victimes. Cependant, le comportement des Sénégalais n’a pas beaucoup changé, surtout dans les transports.
Ziguinchor : Les familles des victimes reprennent goût à la vie
Les familles des victimes acceptent le destin et refusent la résignation. Veuves, orphelins et autres parents reconstruisent une nouvelle vie. Certains orphelins poursuivent leurs études, alors que d’autres, après leur formation, se battent pour une insertion socioprofessionnelle.
Les rayons du soleil illuminent le quartier « Yama Togne ». En face de la Chambre des métiers, sous l’ombre d’un fromager, près d’un ravin, des femmes vendent des légumes et friandises. D’autres se dirigent vers le marché Boucotte. A quelques mètres de là, 5 hommes devisent dans un atelier de mécanique. Kékouta Bâ, un jeune homme trapu aux épaules rondes, est dans une tenue dont les couleurs ont viré au noir. Depuis la matinée, il est sur pied. C’est dans cet espace qu’il gagne sa vie. A la différence des autres mécaniciens, il a perdu 2 parents dans le « Joola ». « Nous ne pourrons jamais oublier nos morts, surtout les disparus du « Joola ». Mais nous ne devons pas non plus oublier qu’il nous faut nous battre pour vivre », confesse-t-il. Tour à tour, des flots de souvenirs l’envahissent. Il se tait.
En amont de l’artère perpendiculaire, à l’entrée principale de l’hôpital de la Paix, d’autres familles préparent la commémoration. Dans l’enceinte d’une concession, sous le manguier, Ngoné Fall ne peut pas retenir ses larmes lorsque nous évoquons l’anniversaire du « Joola ». La dame a perdu un de ses fils et la mère de son époux. La tragédie est inoubliable. Malgré tout, elle s’est relevée et se bat pour améliorer les conditions de vie de sa famille. « Je fais du commerce pour aider mon mari. C’est dur de perdre des parents dans de telles circonstances », soutient-elle. Dans les rues de Boucotte Centre, comme dans d’autres foyers à « Yama Togne », les familles des victimes ne se comptent pas. « Toutes les familles sont victimes si nous nous référons à la famille africaine », souligne un sexagénaire.
La vie se poursuit
Mme Touré fait appel à un ses fils adoptifs, Youssou Mané. Cet adolescent rêve de devenir un électricien professionnel. A la disparition de sa mère dans le bateau, alors qu’il avait à peine 12 ans et était en classe de CM2 à l’école Ahmadou Barry, le jeune garçon n’a pu poursuivre ses études. « Je n’ai pas bénéficié de la bourse des pupilles de la nation, mais aujourd’hui, je fais une formation en électricité », confie-t-il. Le jeune garçon n’avait pas le choix. Sa mère, rapportent les voisins, avait toujours refusé de croiser les bras. « C’était une grande commerçante », raconte une dame. A Boucotte Centre, Khadiatou Touré, une vieille dame, est chargée de l’éducation du jeune Papa Alphousseiny. Le jeune garçon orphelin de mère est aujourd’hui en classe de seconde. « Papa Alphouseyni a perdu sa maman et son frère. Depuis lors, il poursuit ses études. Tout se passe bien sur ce plan. Nous prions pour qu’il en soit ainsi pour le reste de sa carrière », raconte la mère adoptive. Il en est de même pour Amy Collé Diba, une autre orpheline au quartier Djirigor, dans la zone de Grand-Dakar. Au moment du drame, elle avait 18 ans. Elle a arrêté les études en classe de première, au Lycée Dignabo, pour ensuite suivre une formation en hôtellerie. Après plusieurs stages, elle est à la recherche d’un emploi. Son aîné Khady Diba regrette la division de certaines familles après la tragédie.
Liaison maritime : De l’ordre à bord d’Aline Sitoé Diatta
Sur une longue file, les passagers en partance pour Dakar viennent enregistrer leurs bagages avant l’embarcation. Plusieurs centaines de valises, des sacs remplis de marchandises et de produits de consommation sont enregistrés et pesés avant d’être convoyés par des charriots dans les soutes du navire Aline Sitoé Diatta. La section fret de la gare maritime de Ziguinchor est l’une des étapes les plus importantes avant le départ du bateau. Des produits agricoles en passant aux fruits de mer, tout y passe. Des étiquettes sur lesquelles sont marquées « fragile » ou « congélation » permettent de deviner la nature de la marchandise. Il ne faut surtout pas dépasser les 200 tonnes de fret, capacité d’absorption du navire. « D’ailleurs, le commandant lui-même sait combien de tonnes il porte en passagers et fret », signale Moustapha Macandiang, le chef de la gare maritime de Ziguinchor. Durant les périodes de récolte des mangues, le fret peut avoisiner les 100 tonnes. Mais en 2002, plusieurs commerçants ayant été emportés, les échanges commerciaux entre Dakar et Ziguinchor sont au ralenti. Oumy Bâ, vendeuse de fruits et d’autres produits agricoles, est nostalgique de la période du « Joola ». « C’était une période faste », souligne-t-elle. « Avant, il m’arrivait de rentrer à la maison avec 50 à 100.000 FCfa de bénéfices, mais aujourd’hui, c’est à peine que je peux avoir 15.000 FCfa », dit Georgette Mendy, commerçante. De nombreux commerçants estiment que les horaires du bateau ne les arrangent pas. Mais, indique Moustapha Mancadiang, le changement est intervenu depuis la réhabilitation de l’escale de Carabane. Le choix de l’heure est « technique ».
De nos envoyés spéciaux Maguette NDONG et Idrissa SANE
Le Comité d’initiative réclame toujours un Musée-mémorial du « Joola »
Lors d’une conférence de presse tenue la semaine dernière à Dakar, Nassardine Aïdara, président du Comité d’initiative pour l’érection du Mémorial-Musée le Joola, a décliné les 5 demandes des familles de victimes qui, dit-il, ne sont pas encore prises en charge par les autorités étatiques. Il s’agit de faire du 26 septembre, une journée nationale du souvenir, à travers une loi ; d’ériger, sur la corniche Ouest, dans un processus transparent, un mémorial comprenant un musée et un centre de recherche sur la sécurité humaine ; la prévention des risques et catastrophes et le renflouement du bateau.
Ndiol Maka SECK
Recueillement et panel prévus à Dakar
Pour la commémoration du 12è anniversaire du douloureux événement, le président de l’Association des victimes du « Joola », Idrissa Diallo, invite toutes les familles à se réunir, aujourd’hui, à 9 h, au cimetière des naufragés du « Joola », à Mbao, pour des séances de prières et de recueillement.
Ce rassemblement sera suivi d’un panel, à 15h 30, à la Place du Souvenir, sur le thème : « Orphelins et rescapés du « Joola », 12 ans après ». A 17 h 30 à la même place, la cérémonie officielle présidée par les membres du gouvernement.
Idrissa Diallo a salué l’intérêt que le chef de l’Etat porte aux familles de victimes du naufrage du bateau le « Joola ». Il s’est dit satisfait de la démarche que celui-ci a adoptée, lors du dernier Conseil des ministres. Le président Macky Sall a demandé que les orphelins et rescapés du « Joola » soient effectivement pris en charge par le gouvernement.
Amy DIENG (stagiaire)
Cimetière le « JOOLA » de MBAO : Un lieu de mémoire de moins en moins fréquenté
Douze années après le naufrage du bateau le « Joola », le cimetière de Mbao, un des endroits qui abritent les victimes, reste peu visité. Reclus dans son calme et sa quiétude, il ne fait plus l’objet de grandes fréquentations.
Silence ! Le cimetière qui abrite une partie des victimes du naufrage du bateau le « Joola » n’attire plus. Presque pas de bruits de pas comme durant les premières années. Les victimes, issues de différentes religions, de provenances sociales diverses, sont unies par un naufrage, celui du « Joola » en l’occurrence, dans un repos éternel.
Logé au cœur de la banlieue dakaroise, dans la réserve forestière de Mbao, le cimetière des naufragés du bateau le « Joola », navire qui assurait la liaison maritime Dakar-Ziguinchor, compte 139 victimes non identifiées qui ont péri un soir du 26 septembre 2002. Ce naufrage est l’une des plus grandes tragédies maritimes de l’histoire, sinon la plus grande, eu égard, au nombre de victimes. Cette perte collective avait alors fini de plonger, dans un émoi général, toute une nation.
Une fois le portail franchi, une piste latéritique d’une centaine de mètres s’offre au visiteur. Elle mène vers une rangée de sépultures. Seul le gazouillement des oiseaux, mêlé à l’éphémère bruissement des arbres, sont perceptibles, rendant, de fait, les vrombissements des véhicules, sur la Route nationale 1, très perceptibles. Les tombeaux sont répartis dans trois compartiments différents. Espace public à nul autre comparable, le cimetière est un lieu de mémoire collective où l’intimité et la spiritualité de chacun doivent être respectées. Il peut aussi renforcer le sentiment d’identité et d’appartenance à une même et unique communauté : celle des êtres humains. Le cimetière le « Joola » abritant des victimes non identifiées, des personnes issues de différentes religions peuvent venir s’y recueillir, sans distinction aucune.
Des familles déplorent l’entretien et le manque de commodités (bancs, poubelles). Narcisse Ndiaye, trouvé sur les lieux, a perdu un membre de sa famille dans le naufrage. Même s’il n’est pas sûr que son parent est inhumé ici, il vient parfois s’y recueillir. « Je ne sais pas si mon parent est inhumé ici ou non, mais dès que j’y viens, je suis animé par un sentiment spécial, profond, indescriptible qui me dit qu’une partie de moi repose ici », dit-il. « Les autorités doivent davantage veiller au bon entretien de cet endroit plein d’histoire », lance t-il.
Oumar BA
Irrégularites, vices de construction, négligences : Ces manquements qui ont fait sombrer le « Joola »
Le naufrage du « Joola » a affecté le peuple sénégalais qui se pose toujours des questions sur les causes réelles du drame. Selon un rapport, ces manquements sont liés à des irrégularités, des vices de construction et des négligences.
Le « Joola » réalisait 2 liaisons par semaine à partir de la capitale, les mardis et vendredis aux alentours de 20 h, et 2 autres à partir de Ziguinchor les jeudis et dimanches vers 13 h. Le voyage durait 13 heures. Cette liaison permettait de sortir la Casamance de l’isolement. Le « Joola », surchargé de plus de 3 fois le nombre normal de passagers, s’est retourné, un peu avant 23 heures de ce 26 septembre, en moins de 10 minutes, au large de la Gambie, à environ 40 km de la côte. Seuls 2 canots pneumatiques de sauvetage ont pu être ouverts, plusieurs heures après le naufrage. Certains passagers se sont réfugiés sur la coque du navire retourné, mais l’immense majorité a été piégée à l’intérieur ou s’est noyée. Les pêcheurs présents sur place ne sont intervenus que le lendemain matin au lever du jour. Les secours officiels ne sont arrivés qu’en fin d’après-midi.
La gestion nautique et commerciale du navire M/S « Le Joola » était, à la date du naufrage, essentiellement concentrée entre les mains de la Marine nationale (armateur et gestionnaire) depuis que la tutelle exercée jusqu’alors par le ministère des Transports (devenu simple autorité de contrôle) avait été supprimée le 7 décembre 1995. La succession de 5 graves avaries en mer, courant 2001 avait conduit à l’immobilisation du navire jusqu’à sa remise en service à la va-vite le 10 septembre 2002 et une demande officielle du ministre des Transports, présentée le 18 juillet 2001 au Premier ministre, tendant à ce qu’il lui soit de nouveau confié la gestion civile de ce navire. La Commission d’enquête approfondie, mise en place après le naufrage, relevait, dans ses conclusions, bon nombre d’«irrégularités» qui ont conduit au naufrage. Ces «irrégularités» sont notées à «tous les niveaux de la gestion du « Joola », en particulier à partir de décembre 1995, date à laquelle la gestion du navire a été confiée, par le Premier ministre de l’époque, à la Marine nationale». La surcharge croissante de passagers, le non-arrimage des marchandises (fret), et la non-maîtrise, par l’équipage, du dossier de stabilité du navire et la violation répétée, par l’exploitant, des normes de sécurité, sont cités au nombre de ces irrégularités.
Irrégularités
Les conclusions du rapport n’épargnent aucun démembrement de la gestion du navire. Tout naturellement, l’équipage dont la «non-maîtrise du bord» semble être toute désignée comme la première des coupables. «… C’est sous l’effet conjugué d’un mauvais plan de chargement (défaut de ballastage, surcharge de passagers dans les superstructures, peu de fret dans le garage) et des conditions météorologiques défavorables (vent et pluie) que le navire a gîté (s’est incliné à bâbord)», lit-on à la page 85 du rapport.
Cette situation est à mettre en liaison, à en croire les membres de la Commission, avec «l’incurie du commandant du bateau qui n’a jamais, selon les informations recueillies, procédé aux calculs de stabilité préalables à tout appareillage de navire». Des causes indirectes et lointaines sont décelées par la Commission qui n’épargne ni le constructeur, ni les politiques encore moins la direction de la Marine marchande. Au constructeur, il est reproché des «vices de construction : la position des ballasts centraux ne facilitait pas le redressement rapide du navire en cas d’inclinaison (gîte)». Il s’y ajoute que les «hublots du navire situés sur le pont principal étant bas, cette situation était de nature à favoriser l’envahissement par l’eau en cas de gîte égal ou supérieur à 20 °».
Vices de construction
En confiant la gestion du «Joola » à la Marine nationale, les politiques ont oublié de s’assurer que «l’équipage militaire embarqué à bord ne remplissait pas les conditions requises sur le plan international». Pire, le personnel navigant de la Marine ne pouvait s’enorgueillir de détenir les brevets requis pour le commandement d’un navire marchand (de passagers). Le retard dans les actions de sauvetage s’explique par l’absence d’alerte du fait de la «défectuosité des équipements radio du navire et des équipements de sauvetage du Joola (radeaux cerclés et sanglés, système de largage hydrostatique de ces mêmes radeaux)». Les autorités sénégalaises ont apporté des sanctions, à la lumière du rapport, notamment dans les rangs de l’Armée nationale.
Il y a eu aussi des négligences coupables. Les négligences imputées à «la chaîne de commandement du M/S «Le Joola», de la marine nationale et de l’armée de l’air, responsables respectivement de la conduite du bateau, du suivi et de l’assistance en mer, de l’alerte, de la recherche et du sauvetage des navires en détresse, ont été des éléments déterminants dans le naufrage du bateau et l’efficacité des opérations de sauvetage d’éventuels rescapés».
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE
Mme Aïssatou DIAGNE MBAYE, Directrice de l’Office National des Pupilles de la Nation : « 701 enfants mineurs bénéficient d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa »
Outre l’assistance psychologique et sociale, 701 mineurs orphelins de victimes du naufrage du bateau le « Joola », bénéficient actuellement du statut de pupilles de la nation et d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa. Devenus majeurs, ces fils de victimes du Joola sont également accompagnés par l’Etat dans leurs études, formation et insertion dans la vie active.
Le président de la République a salué, hier, en Conseil des ministres, la mémoire des victimes du tragique naufrage du bateau Le Joola survenu il y a douze ans. A cet égard, Macky Sall, marquant toute sa solidarité aux rescapés, a demandé au gouvernement d’accentuer les efforts consentis pour la prise en charge effective des orphelins et rescapés du naufrage.
Actuellement, selon Mme Aïssatou Diagne Mbaye, directrice de l’Office national des pupilles de la nation, « 701 orphelins mineurs de victimes du naufrage du bateau le « Joola » bénéficient du statut de pupille de la nation et d’une allocation mensuelle de 25.000 FCfa ». Ces orphelins, précise Mme Mbaye, sont également accompagnés sur le plan psychologique. Ainsi, la directrice de l’Office national des pupilles de la nation révèle qu’une colonie de vacances en Gambie a été organisée cette année pour les 60 meilleurs élèves parmi ces orphelins des victimes du « Joola ». Ces élèves pupilles de la nation sélectionnés pour cette colonie de vacances en Gambie, précise-t-elle, sont venus de Dakar, Ziguinchor, Koungheul, Oussouye, Bignona, Fatick, etc.
Suivi psychologique et social
« Ces orphelins des victimes du Joola et pupilles de la Nation, une fois devenus majeurs sont également soutenuspar l’Etat. Dix parmi eux devenus bacheliers en 2013, ont bénéficié d’un ordinateur portable. Ils ont été accompagnés pour leur inscription dans les universités ou écoles supérieures privées du pays ainsi que pour l’obtention d’une bourse entière d’étudiant… », a affirmé Aïssatou Diagne Mbaye. Cette année, 10 autres nouveaux bacheliers parmi les orphelins des victimes du « Joola » seront également dotés d’un ordinateur portable et accompagnés dans la poursuite de leurs études supérieures. D’autre part, 40 orphelins de victimes du « Joola », ont été inscrits en 2013, dans une formation de moniteurs de collectivités éducatives. Et cette année, selon Mme Mbaye, 70 orphelins du « Joola » ont bénéficié d’une formation en Informatique. Un partenariat a été noué par l’Office national des pupilles de la nation avec des Ecoles privées de formation dans ce sens. « Nous les accompagnons aussi à s’insérer dans le milieu du travail. On ne les lâche pas… », a tenu à préciser la directrice de l’Office national des pupilles de la nation.
Omar DIOUF
Surcharges dans les bus, refus d’emprunter les passerelles : Les mauvais comportements persistent encore
Le 26 septembre 2002, le bateau le « Joola », sombrait au large des côtes gambiennes, emportant plusieurs passagers. Le drame avait traumatisé plus d’un. Pour un temps, les Sénégalais avaient essayé de changer de comportements. Très vite, les vieilles habitudes ont repris.
Trouvé à Dieuppeul 3, Maniang Faye, assis dans un fauteuil aux abords de la route, indique que les comportements des Sénégalais, depuis le naufrage du bateau, n’ont aucunement changé. Les véhicules de transport sont toujours bondés. «Les minibus et bus continuent de faire la surcharge», déplore-t-il. A l’en croire, les responsabilités sont partagées. En effet, Maniang Faye indexe aussi bien les passagers que les chauffeurs de ces véhicules. « Les passagers s’engouffrent dans ces minibus sans même se soucier des dangers encourus », regrette-t-il. Mariama Togola, couturière, embouche la même trompette. « Il ne peut y avoir de changement de comportements tant que les mentalités ne changent pas », argue-t-elle.
Pour Mariama, les causes du naufrage le « Joola » sont oubliées par les Sénégalais. « Le traumatisme qu’avait causé ce drame chez eux a disparu avec le temps. J’avoue que je suis sidérée quand je vois une femme qui porte son enfant au dos, se mettre sur les marches de la porte entre-ouverte d’un minibus. C’est inimaginable», lance-t-elle, regrettant que les conducteurs acceptent cela, car mus par leur intérêt d’engranger en fin de journée de gros bénéfices. Elle appelle aux forces de l’ordre afin que ces pratiques cessent.
Vendeur de viande, Mamadou Diallo dit ne jamais oublier le naufrage du «Joola ». «Le 26 septembre me rappelle toujours ce drame qui m’a fait perdre un neveu. Il comptait beaucoup pour moi », confie-t-il. Mamadou Diallo reconnaît que ce drame, qui a emporté un nombre inconnu de vies en raison du surplus de passagers à bord, ne semble guère ébranler les Sénégalais qui adoptent toujours des comportements « inacceptables ».
Aussi, dit-il ne pas comprendre comment les gens peuvent s’entasser dans les bus et minibus comme des pots de sardines avec des portes qui ne se ferment pas.
Mais, ce qui écœure le plus M. Diallo, c’est le refus des piétons à emprunter les passerelles de l’autoroute et de la Voie de dégagement nord (Vdn). « Ils le font parfois délibérément alors que les passerelles ont été construites pour leur sécurité », dénonce-t-il. Comme lui, nombreux sont les Dakarois qui réprouvent de tels actes qui sont à l’origine de nombreux accidents sur ces voies (autoroute et Vdn), malgré la grande sensibilisation menée par les autorités étatiques dans les médias.
Maguette Guèye DIEDHIOU
Patrice AUVRAY, rescapé français : « Nous n’avons pas le droit d’oublier »
Le 26 septembre est désormais, comme disait le romancier Marouba Fall, une date repère dans la trame des faits qui structurent l’histoire de notre pays. A cette date, en 2002, avait sombré, au large de la Gambie, le « Joola », le navire qui assurait la liaison maritime Dakar-Ziguinchor. 12 ans après, le souvenir est encore vivace. Patrice Auvray, un survivant, nous replonge dans ce drame.
Le bilan est lourd : plus de 1.863 passagers qui avaient pris place à bord de ce bateau périssent. Ce qui fait de ce naufrage la plus grande catastrophe maritime civile de tous les temps. 64 rescapés ont également été répertoriés. 12 ans aujourd’hui, jour pour jour, les souvenirs restent vivaces. Patrice Auvray a vécu le drame. Ce rescapé français assume aujourd’hui pleinement ce devoir de témoignage. « Beaucoup de rescapés n’ont pas cette capacité de témoigner. Ils ont très mal dans leur âme. Ils sont isolés dans leurs familles et ont beaucoup de difficultés. En qui ce me concerne, je me suis consacré à mon devoir de témoignage pendant toutes ces années. J’ai conscience de ce devoir social et je l’accepte », a-t-il expliqué.
Conscient également que seuls les écrits peuvent résister au temps, Patrice Auvray a consacré les 10 ans de sa vie qui ont suivi le drame à rédiger un livre de témoignage intitulé: « Souviens-toi du Joola ». « Cela a été terrible pour nous de vivre l’événement. On préférerait oublier, comme beaucoup de gens c’est plus simple, mais nous n’avons pas le droit de le faire », a-t-il estimé.
Revenant sur les circonstances de l’accident, il a fait savoir que le naufrage s’est passé très vite. Le bateau s’est retourné entre 5 et 10 minutes. De ce fait, beaucoup n’ont pas eu le temps de réagir. La plupart des usagers, ainsi enfermés dans la salle du bas, n’avaient aucune chance de survivre.
Il indexe à la fois la surcharge, le mauvais état du bateau, l’incurie et beaucoup d’autres choses qu’on aurait pu facilement éviter. « C’est la somme de toutes ces choses qui a provoqué le naufrage », affirme-t-il, estimant qu’il aurait pu être « évité ». Le rescapé appelle l’Etat à assumer sa part de responsabilité en s’occupant des orphelins, des familles de victimes et des rescapés. Il souhaite également que justice soit rendue. C’est pourquoi il a porté plainte contre X en France.