Sortir de la prison est-elle toujours synonyme d’amendement ? A entendre des spécialistes du comportement humain et du milieu carcéral, la réponse est, aujourd’hui, loin d’être affirmative. A leur avis, la prison a démontré ses limites et, par conséquent, peut rendre impossible l’amendement du délinquant.
Considéré comme le lieu par excellence de punition pour faire revenir les délinquants sur la bonne voie en les privant de liberté, la prison est aujourd’hui l’objet de débat sur son efficacité. Remplit-elle à merveille sa mission auprès de ses pensionnaires au ban de la société ? Les réponses de spécialistes interrogés abondent dans le même sens : la prison n’est plus le remède au mal de la délinquance. « Elle a déjà démontré ses limites depuis très longtemps », tonne, sans appel, Lahbib Ndiaye, psychosociologue. Kabir Ndiaye, conseiller juridique au Radi, un connaisseur des problèmes du milieu carcéral, enfonce le clou : « à mon avis, la prison est devenue une école de la délinquance. Des bandes de délinquants s’y forment et s’y constituent ». La prison joue chez le délinquant « un rôle beaucoup plus grave » et, le temps d’un séjour en cellule, elle formate un individu en « véritable délinquant » à sa sortie, ajoute Lahbib Ndiaye.
Dans une livraison du quotidien « Le Matin », Khalifa Samb, un ancien détenu de la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, décrit le milieu infernal de la prison de Rebeuss. Loi des caïds, insalubrité, promiscuité, drogue, armes en circulation. Gracié en 2006 après avoir purgé neuf ans sur une condamnation de dix ans, le bonhomme, à en croire l’article, est retourné en prison à trois reprises pour vente de chanvre indien. Se disant aujourd’hui repenti, il salue le travail abattu par l’actuel régisseur de la prison pour la réinsertion des détenus.
Le fait d’endurcir le délinquant a comme effet d’en faire presque un abonné de l’univers carcéral. La presse relaie souvent les condamnations à des peines fermes de récidivistes fraîchement sortis de prison à la faveur d’une grâce présidentielle ou à la fin d’une peine. D’ailleurs, la plupart des délinquants notoires de ce pays sont des habitués du milieu carcéral. Récemment, devant la barre, la bande à Alex et Ino était composée de plusieurs accusés qui avaient déjà fait la prison. Avant eux, il y a eu la bande à Pape Abdoulaye Fall alias « Palaye ».
« Palaye », 28 ans, a été condamné cette année pour la quatrième fois aux travaux forcés à perpétuité. Un bail indéfini avec la taule qui a, d’après Kabir Ndiaye, plusieurs limites.
La première cause à ces limites du rôle de la prison, c’est les moyens mis à disposition, estime Kabir Ndiaye. Ce qui fait que « l’emprisonnement cellulaire est pratiquement impossible avec cent détenus pour six cellules ». Ensuite, ajoute-t-il, il y a le problème de la prise en charge du personnel pénitentiaire qui est, à son avis, mal payé et qui vit dans une insécurité. « On ne peut pas prétendre améliorer les conditions de détention sans améliorer le traitement des gardes pénitentiaires », poursuit le conseiller juridique du Radi. Il préconise une revue à la hausse des salaires des agents de l’administration pénitentiaire pour « un bon fonctionnement des prisons ».
L’œil de la société
Pour le moment, la prison continue à afficher une laideur décrite par Kabir Ndiaye. « La promiscuité oblige les petits délinquants à cohabiter avec les grands, les risques de contamination et d’influence sont grands. Le délinquant qui entre dans une prison a de fortes chances d’en sortir plus dangereux. Les conditions de détention sont très dures (insalubrité, mauvaise alimentation, humidité des cellules...) et compliquent souvent l’amendement du détenu. Cet état de faits, explique les bagarres entre détenus, les évasions, les rebellions, le manque de confiance en soi. L’abandon de la part des parents constitue un des obstacles à l’amendement », cite-t-il entre autres maux du milieu carcéral. On est loin du rôle que Lahbib Ndiaye confère à ce milieu. « La prison doit servir de centre de rééducation sociale, un centre d’accompagnement psychosocial. La société doit pouvoir tendre la perche pour la réinsertion de ces gens », estime-t-il. Malheureusement, regrette Kabir Ndiaye, « l’œil de la société ne facilite pas la resocialisation d’un détenu qui est souvent marginalisé ».
A son avis, une réinsertion socio-économique nécessite, de l’avis de Kabir Ndiaye, une intervention de l’Etat d’abord et des acteurs s’activant dans le milieu pénitentiaire, sans oublier les partenaires au développement peu enclins à appuyer les prisons.
D’autres modes de sanctions pour une meilleure réinsertion
Si la prison a démontré ses limites dans la réinsertion des délinquants comme le soutiennent certains, que faire à la place ? Des spécialistes suggèrent des travaux d’intérêt général pour faciliter cette réinsertion. Dans la mesure où les systèmes de sanction de notre société (marginalisation, exclusion) ont, eux aussi, étalé leurs limites.
La société humaine est régie par des normes pour son fonctionnement harmonieux. Ces normes, explique Lahbib Ndiaye, sont d’ordre juridique (la loi) et social que les gens acceptent comme étant la valeur qui régit la vie en commun. Leur violation entraîne des sanctions de divers ordres dont la plus connue est l’emprisonnement. Mais il arrive qu’une catégorie d’individus choisisse de ne plus respecter ce consensus.
« Ce sont des individus qui vivent en marge de la loi et des normes sociales. Tout ce qui est accepté comme étant règle ou conduite sociale, ils vivent en dehors. C’est pour cela qu’ils sont qualifiés de délinquants, c’est-à-dire des gens qui ont commis des actes à l’encontre de ce qui est établi comme norme », explique Lahbib Ndiaye, psychosociologue.
La sanction de pareilles violations vise à ramener l’individu dans le droit chemin. A côté de la prison, d’autres modes de punitions existent, comme la sanction pécuniaire (exemple l’amende), les travaux d’intérêt général. Constatant l’échec de la prison, Lahbib Ndiaye préconise d’explorer le champ de ce dernier type de sanction. « On a de plus en plus recours aux travaux d’intérêt général. C’est-à-dire, pour réparer la faute, l’individu fait par exemple un travail utile à la société. Dans certains pays, vous balayez la rue ou on vous oblige à enseigner dans les écoles pour que les enfants ne puissent pas reprendre comme vous une violation de la règle établie », explique-t-il.
L’Etat, garant du respect des lois, n’est pas le seul capable de sanctionner. La société dispose elle aussi de mécanismes pour « punir » un fautif, même si on constate leur recul. « Du point de vue sociale, la sanction peut être une réprobation de la société. Par exemple, il y a une manière d’agir dans les relations homme-femme qui n’est pas écrite, qui n’est pas codifiée. Il y a une sanction morale. On vous désigne comme un déviant, qui ne respecte pas la norme sociale. Cela peut aller jusqu’au bannissement comme ça se faisait avant. Des fois, on vous condamnait à vivre en dehors de la société », explique Lahbib Ndiaye.
L’indifférence est aussi un mode de sanction à l’encontre d’un individu enclin à ramer à contre-courant des règles préétablies par la société, ajoute Lahbib Ndiaye. « Les gens vous banalisent, vous marginalisent, elles pensent que vous n’êtes pas normal. On dit « dafa réw, dafa dof » (il est impoli, il est fou), quelqu’un qui ne comprend pas, incapable de cerner le bien et le mal. Est-ce qu’aujourd’hui cette réprobation a son efficacité ? On peut en discuter », dit-il.
Cependant, la marginalisation sociale peut pousser le déviant à persévérer dans son attitude jusqu’à défier la société. C’est là son principal inconvénient si la personne bannie se complaît dans sa situation. Elle est une réponse quand la société n’a plus de solution. Des fois, admet Lahbib Ndiaye, la marginalisation est une réaction de peur de la société. Conscient de cela, le délinquant est prompt à faire régner la terreur.
« On marginalise parce qu’on n’a pas de solution. Mais des fois, on a peur d’être victime de la foudre du délinquant. Ce qui fait qu’on a une certaine indifférence par rapport à son action. Et cela conduit le délinquant à légitimer sa démarche. Il va dire que les gens ont peur de moi, les gens m’ont marginalisé, je fais ce que je veux. C’est finalement sa loi contre celle de la communauté », poursuit le psychosociologue. En choisissant de marginaliser ou de faire la politique de l’autruche devant la terreur du délinquant, notre société se fait, sans le savoir, le complice de son bourreau.
QUAND LA SOCIETE LAISSE FAIRE LES MALFAITEURS : Une indifférence généralisée propice à la délinquance
Une attitude inexplicable, la société assiste sans piper mot sur des actes délictuels graves pouvant même coûter la vie à des innocents. Cette position égoïste voire lâche cache, au-delà de la peur, un manque de prise en charge de l’individu par sa société. Et quand celle-ci s’apitoie sur le sort d’un fautif, elle se projette elle-même dans la délinquance. « Nous sommes tous de potentiels délinquants », selon un psychosociologue.
L’indifférence de plus en plus grandissante de la société face à certains actes délictuels pose problème. Qu’est-ce qui explique cette attitude consistant à croiser les bras quand des agresseurs détroussent les passagers d’un car de transport en commun ? Comment justifier ce manque de réaction quand le voisin crie au voleur au milieu de la nuit ? La peur ? La lâcheté ? En tout cas, la conséquence à de pareilles attitudes pousse « le délinquant à penser que sa loi doit être celle de tout le monde », prévient Lahbib Ndiaye.
Ce comportement « amorphe » de notre société s’explique par une sorte d’égoïsme. « On se dit que ‘’ce n’est pas moi’’, ‘’il faut que ça touche ma famille pour que je réagisse’’. Mais si on ne réagit pas, ça cause du tort à la société. Lorsque le mal vient, on pense que ça s’arrête chez le voisin. Des fois, quand vous êtes agressé dans la rue, on ne vous défend pas, parce qu’on pense que c’est vous qu’on agresse. C’est une société qui ne favorise pas la prise en charge globale de l’individu », explique le psychosociologue.
Autre bizarrerie à l’endroit des personnes qui ont choisi de violer la loi, c’est cette propension des gens à compatir au sort réservé à un fautif pour ne pas dire son absolution. « Généralement, lorsqu’on sanctionne un délinquant, il y a une partie de la société qui n’est pas d’accord », se désole Lahbib Ndiaye. En réalité, explique-t-il, ce comportement nous permet de nous projeter dans notre « future attitude de délinquant ». « Cela veut dire que je conçois dans ma vie que je peux être demain un délinquant, un déviant ». Lahbib Ndiaye est catégorique sur cette attitude : « nous sommes de potentiels délinquants ».
« Notre comportement visant à absoudre et à justifier les comportements des délinquants, c’est comme si nous nous projetions dans ces délinquants. Si nous n’avons pas de reproches à nous faire, si nous sommes sûrs que les sanctions sont justes méritées, pourquoi s’apitoyer. On entendra que les plus grands délinquants ont le soutien psychologique de la population. C’est inconcevable quand un « car rapide » tue des gens, on ne s’apitoie pas sur le sort des morts mais sur le chauffeur lynché. Celui qui répond est beaucoup plus sanctionné que celui qui commet la faute », se désole le psychosociologue. L’absence ou le rejet de la sanction engendre l’impunité, de l’avis de Lahbib Ndiaye.
Lahbib Ndiaye préconise d’aller au-delà : « savoir l’origine du comportement » ayant valu à l’individu une peine de prison ferme. « Est-ce du fait de l’individu ou bien est-ce la société qui a poussé l’individu à aller de la sorte », demande-t-il. Une interrogation qui remet sur la table la responsabilité même de la société.
LAHBIB NDIAYE, PSYCHOSOCIOLOGIE : “ Il faut une refondation morale ”
Selon le psychosociologue Lahbib Ndiaye, notre société souffre de la « culture de l’impunité », du « ma tey » (je m’en f...). L’absence de sanction, assure-t-il, généralise l’impunité. « Finalement, chacun pense qu’il a le droit de se comporter comme il veut », se désole-t-il. La cause de cette situation, c’est l’absence d’une règle sociale traversant tous les corps de la société et qui est respectée par tous pour jouer le rôle de fondement des normes sociales. « Chacun veut tirer son épingle du jeu à sa manière, en marchant, s’il le faut, sur le cadavre des autres. Quand tu veux sanctionner quelqu’un, on te dit il n’est pas le seul. Finalement, on accepte cette situation d’impunité », déplore Lahbib Ndiaye. Par conséquent, « le délit, c’est être bon, droit, gentil, sérieux ». Les rôles se retrouvent alors inversés et le délinquant devient... celui qui respecte les normes sociales. Puisque « le vrai délinquant bénéficie de l’excuse d’être un délinquant, le vertueux doit céder la place ». Finalement, regrette-t-il, il n’y a plus de culture de la vertu. « Notre société va à la déliquescence », avertit-il.
Pour éviter d’en arriver là, il faut une « refondation morale basée sur une acceptation d’un pacte social sur lequel tout le monde est jugé en fonction du respect de ces valeurs. Si on fait la promotion de la médiocrité et du vice, on ne convaincra pas les autres à respecter les normes. On doit faire le nivellement par le haut », suggère Lahbib Ndiaye.
AVIS DES SENEGALAIS : Améliorer la prison pour une meilleure réinsertion
Selon Babacar Guèye, professeur dans un lycée de la place, la prison n’est pas une solution pour gérer un délinquant. Nombreux, dira M. Guèye, sont des jeunes qui récidivent après leur séjour en prison. L’enseignant d’ajouter que la solution serait plutôt une réinsertion sociale. Celle-ci, d’après lui, passe par la création de structures de recasement, d’épanouissement, porteuses de projets qui éloigneront les jeunes du milieu de la violence. « A mon avis, la stigmatisation de la prison et l’isolement des prisonniers constituent une frustration pour le mis en cause qui nourrit tout le temps un sentiment de culpabilité. Le comportement de certaines familles ne facilite pas la réinsertion d’un délinquant. Souvent, il est mal vu et mal traité par la société qui le regarde d’un mauvais œil. Cette situation nous renseigne sur le degré de responsabilité des uns et des autres », ajoute Babacar Guèye. Mme Kourafy Sakho n’est pas de cet avis. Pour elle, la prison peut être une solution à la délinquance si seulement si elle joue son rôle d’éducation. « La prison doit être un lieu de punition mais aussi d’inculquer aux détenus les règles de fonctionnement de la société. Toutefois, elle doit répondre à des normes. Une capacité d’accueil suffisante et des gardes pénitentiaires bien conscients de leur profession », indique-t-elle.
La solution qui vaille, selon elle, c’est de créer des conditions de réinsertion pouvant permettre à ces jeunes, une fois sortis de prison, de pouvoir s’occuper. Sur ce, l’Etat est interpellé au premier chef, conclut-elle.
Abondant dans le même sens, Pape Momar Diagne, Secrétaire général de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl) de la commune d’arrondissement de Pikine-Ouest, déclare que la prison doit être la dernière solution. « L’influence négative des médiats et l’école de la rue font qu’aujourd’hui, la délinquance est devenue un phénomène de société. Je pense que l’Etat gagnerait mieux à contrôler tout ce qui ce passe sur nos petits écrans si l’on sait que le Sénégalais aime copier et souvent, il le fait très mal ». Kabir Ndiaye du Radi interpelle, lui aussi, l’Etat à améliorer les conditions de détention pour offrir au détenu plus de chances de pouvoir se réinsérer dans la société à sa sortie. « Le système carcéral est un processus qui commence depuis le mandat de dépôt jusqu’à la libération. Malheureusement, l’accueil des détenus est parfois défaillant. Or c’est un moment fort important pour quelqu’un qui, pour la première fois de sa vie, entre dans ce monde fermé qui peut négativement impacter toute sa vie durant. L’insuffisance dans la prise en charge des détenus, les maisons d’arrêt vétustes, le manque de sanitaires et d’hygiène malgré les efforts déployés par les régisseurs font que le système ne marche pas », estime-t-il. Il préconise des prisons adaptées « qui permettent d’humaniser la détention ». Mais aussi d’appliquer des peines alternatives issues de la réforme de 2000 consistant à donner un travail d’intérêt général au détenu.
M. Ndiaye suggère aussi de sensibiliser les juges sur l’approche communautaire et revaloriser le statut des gardes pénitentiaires. De même, poursuit notre interlocuteur, il faut faciliter l’accès aux fonds dégagés chaque année par l’Assemblée nationale aux détenus et leur permettre d’avoir un conseil pour la défense de leurs droits.
DOSSIER RÉALISE PAR MALICK CISS ET TATA SANE
Source: Le Soleil
Considéré comme le lieu par excellence de punition pour faire revenir les délinquants sur la bonne voie en les privant de liberté, la prison est aujourd’hui l’objet de débat sur son efficacité. Remplit-elle à merveille sa mission auprès de ses pensionnaires au ban de la société ? Les réponses de spécialistes interrogés abondent dans le même sens : la prison n’est plus le remède au mal de la délinquance. « Elle a déjà démontré ses limites depuis très longtemps », tonne, sans appel, Lahbib Ndiaye, psychosociologue. Kabir Ndiaye, conseiller juridique au Radi, un connaisseur des problèmes du milieu carcéral, enfonce le clou : « à mon avis, la prison est devenue une école de la délinquance. Des bandes de délinquants s’y forment et s’y constituent ». La prison joue chez le délinquant « un rôle beaucoup plus grave » et, le temps d’un séjour en cellule, elle formate un individu en « véritable délinquant » à sa sortie, ajoute Lahbib Ndiaye.
Dans une livraison du quotidien « Le Matin », Khalifa Samb, un ancien détenu de la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, décrit le milieu infernal de la prison de Rebeuss. Loi des caïds, insalubrité, promiscuité, drogue, armes en circulation. Gracié en 2006 après avoir purgé neuf ans sur une condamnation de dix ans, le bonhomme, à en croire l’article, est retourné en prison à trois reprises pour vente de chanvre indien. Se disant aujourd’hui repenti, il salue le travail abattu par l’actuel régisseur de la prison pour la réinsertion des détenus.
Le fait d’endurcir le délinquant a comme effet d’en faire presque un abonné de l’univers carcéral. La presse relaie souvent les condamnations à des peines fermes de récidivistes fraîchement sortis de prison à la faveur d’une grâce présidentielle ou à la fin d’une peine. D’ailleurs, la plupart des délinquants notoires de ce pays sont des habitués du milieu carcéral. Récemment, devant la barre, la bande à Alex et Ino était composée de plusieurs accusés qui avaient déjà fait la prison. Avant eux, il y a eu la bande à Pape Abdoulaye Fall alias « Palaye ».
« Palaye », 28 ans, a été condamné cette année pour la quatrième fois aux travaux forcés à perpétuité. Un bail indéfini avec la taule qui a, d’après Kabir Ndiaye, plusieurs limites.
La première cause à ces limites du rôle de la prison, c’est les moyens mis à disposition, estime Kabir Ndiaye. Ce qui fait que « l’emprisonnement cellulaire est pratiquement impossible avec cent détenus pour six cellules ». Ensuite, ajoute-t-il, il y a le problème de la prise en charge du personnel pénitentiaire qui est, à son avis, mal payé et qui vit dans une insécurité. « On ne peut pas prétendre améliorer les conditions de détention sans améliorer le traitement des gardes pénitentiaires », poursuit le conseiller juridique du Radi. Il préconise une revue à la hausse des salaires des agents de l’administration pénitentiaire pour « un bon fonctionnement des prisons ».
L’œil de la société
Pour le moment, la prison continue à afficher une laideur décrite par Kabir Ndiaye. « La promiscuité oblige les petits délinquants à cohabiter avec les grands, les risques de contamination et d’influence sont grands. Le délinquant qui entre dans une prison a de fortes chances d’en sortir plus dangereux. Les conditions de détention sont très dures (insalubrité, mauvaise alimentation, humidité des cellules...) et compliquent souvent l’amendement du détenu. Cet état de faits, explique les bagarres entre détenus, les évasions, les rebellions, le manque de confiance en soi. L’abandon de la part des parents constitue un des obstacles à l’amendement », cite-t-il entre autres maux du milieu carcéral. On est loin du rôle que Lahbib Ndiaye confère à ce milieu. « La prison doit servir de centre de rééducation sociale, un centre d’accompagnement psychosocial. La société doit pouvoir tendre la perche pour la réinsertion de ces gens », estime-t-il. Malheureusement, regrette Kabir Ndiaye, « l’œil de la société ne facilite pas la resocialisation d’un détenu qui est souvent marginalisé ».
A son avis, une réinsertion socio-économique nécessite, de l’avis de Kabir Ndiaye, une intervention de l’Etat d’abord et des acteurs s’activant dans le milieu pénitentiaire, sans oublier les partenaires au développement peu enclins à appuyer les prisons.
D’autres modes de sanctions pour une meilleure réinsertion
Si la prison a démontré ses limites dans la réinsertion des délinquants comme le soutiennent certains, que faire à la place ? Des spécialistes suggèrent des travaux d’intérêt général pour faciliter cette réinsertion. Dans la mesure où les systèmes de sanction de notre société (marginalisation, exclusion) ont, eux aussi, étalé leurs limites.
La société humaine est régie par des normes pour son fonctionnement harmonieux. Ces normes, explique Lahbib Ndiaye, sont d’ordre juridique (la loi) et social que les gens acceptent comme étant la valeur qui régit la vie en commun. Leur violation entraîne des sanctions de divers ordres dont la plus connue est l’emprisonnement. Mais il arrive qu’une catégorie d’individus choisisse de ne plus respecter ce consensus.
« Ce sont des individus qui vivent en marge de la loi et des normes sociales. Tout ce qui est accepté comme étant règle ou conduite sociale, ils vivent en dehors. C’est pour cela qu’ils sont qualifiés de délinquants, c’est-à-dire des gens qui ont commis des actes à l’encontre de ce qui est établi comme norme », explique Lahbib Ndiaye, psychosociologue.
La sanction de pareilles violations vise à ramener l’individu dans le droit chemin. A côté de la prison, d’autres modes de punitions existent, comme la sanction pécuniaire (exemple l’amende), les travaux d’intérêt général. Constatant l’échec de la prison, Lahbib Ndiaye préconise d’explorer le champ de ce dernier type de sanction. « On a de plus en plus recours aux travaux d’intérêt général. C’est-à-dire, pour réparer la faute, l’individu fait par exemple un travail utile à la société. Dans certains pays, vous balayez la rue ou on vous oblige à enseigner dans les écoles pour que les enfants ne puissent pas reprendre comme vous une violation de la règle établie », explique-t-il.
L’Etat, garant du respect des lois, n’est pas le seul capable de sanctionner. La société dispose elle aussi de mécanismes pour « punir » un fautif, même si on constate leur recul. « Du point de vue sociale, la sanction peut être une réprobation de la société. Par exemple, il y a une manière d’agir dans les relations homme-femme qui n’est pas écrite, qui n’est pas codifiée. Il y a une sanction morale. On vous désigne comme un déviant, qui ne respecte pas la norme sociale. Cela peut aller jusqu’au bannissement comme ça se faisait avant. Des fois, on vous condamnait à vivre en dehors de la société », explique Lahbib Ndiaye.
L’indifférence est aussi un mode de sanction à l’encontre d’un individu enclin à ramer à contre-courant des règles préétablies par la société, ajoute Lahbib Ndiaye. « Les gens vous banalisent, vous marginalisent, elles pensent que vous n’êtes pas normal. On dit « dafa réw, dafa dof » (il est impoli, il est fou), quelqu’un qui ne comprend pas, incapable de cerner le bien et le mal. Est-ce qu’aujourd’hui cette réprobation a son efficacité ? On peut en discuter », dit-il.
Cependant, la marginalisation sociale peut pousser le déviant à persévérer dans son attitude jusqu’à défier la société. C’est là son principal inconvénient si la personne bannie se complaît dans sa situation. Elle est une réponse quand la société n’a plus de solution. Des fois, admet Lahbib Ndiaye, la marginalisation est une réaction de peur de la société. Conscient de cela, le délinquant est prompt à faire régner la terreur.
« On marginalise parce qu’on n’a pas de solution. Mais des fois, on a peur d’être victime de la foudre du délinquant. Ce qui fait qu’on a une certaine indifférence par rapport à son action. Et cela conduit le délinquant à légitimer sa démarche. Il va dire que les gens ont peur de moi, les gens m’ont marginalisé, je fais ce que je veux. C’est finalement sa loi contre celle de la communauté », poursuit le psychosociologue. En choisissant de marginaliser ou de faire la politique de l’autruche devant la terreur du délinquant, notre société se fait, sans le savoir, le complice de son bourreau.
QUAND LA SOCIETE LAISSE FAIRE LES MALFAITEURS : Une indifférence généralisée propice à la délinquance
Une attitude inexplicable, la société assiste sans piper mot sur des actes délictuels graves pouvant même coûter la vie à des innocents. Cette position égoïste voire lâche cache, au-delà de la peur, un manque de prise en charge de l’individu par sa société. Et quand celle-ci s’apitoie sur le sort d’un fautif, elle se projette elle-même dans la délinquance. « Nous sommes tous de potentiels délinquants », selon un psychosociologue.
L’indifférence de plus en plus grandissante de la société face à certains actes délictuels pose problème. Qu’est-ce qui explique cette attitude consistant à croiser les bras quand des agresseurs détroussent les passagers d’un car de transport en commun ? Comment justifier ce manque de réaction quand le voisin crie au voleur au milieu de la nuit ? La peur ? La lâcheté ? En tout cas, la conséquence à de pareilles attitudes pousse « le délinquant à penser que sa loi doit être celle de tout le monde », prévient Lahbib Ndiaye.
Ce comportement « amorphe » de notre société s’explique par une sorte d’égoïsme. « On se dit que ‘’ce n’est pas moi’’, ‘’il faut que ça touche ma famille pour que je réagisse’’. Mais si on ne réagit pas, ça cause du tort à la société. Lorsque le mal vient, on pense que ça s’arrête chez le voisin. Des fois, quand vous êtes agressé dans la rue, on ne vous défend pas, parce qu’on pense que c’est vous qu’on agresse. C’est une société qui ne favorise pas la prise en charge globale de l’individu », explique le psychosociologue.
Autre bizarrerie à l’endroit des personnes qui ont choisi de violer la loi, c’est cette propension des gens à compatir au sort réservé à un fautif pour ne pas dire son absolution. « Généralement, lorsqu’on sanctionne un délinquant, il y a une partie de la société qui n’est pas d’accord », se désole Lahbib Ndiaye. En réalité, explique-t-il, ce comportement nous permet de nous projeter dans notre « future attitude de délinquant ». « Cela veut dire que je conçois dans ma vie que je peux être demain un délinquant, un déviant ». Lahbib Ndiaye est catégorique sur cette attitude : « nous sommes de potentiels délinquants ».
« Notre comportement visant à absoudre et à justifier les comportements des délinquants, c’est comme si nous nous projetions dans ces délinquants. Si nous n’avons pas de reproches à nous faire, si nous sommes sûrs que les sanctions sont justes méritées, pourquoi s’apitoyer. On entendra que les plus grands délinquants ont le soutien psychologique de la population. C’est inconcevable quand un « car rapide » tue des gens, on ne s’apitoie pas sur le sort des morts mais sur le chauffeur lynché. Celui qui répond est beaucoup plus sanctionné que celui qui commet la faute », se désole le psychosociologue. L’absence ou le rejet de la sanction engendre l’impunité, de l’avis de Lahbib Ndiaye.
Lahbib Ndiaye préconise d’aller au-delà : « savoir l’origine du comportement » ayant valu à l’individu une peine de prison ferme. « Est-ce du fait de l’individu ou bien est-ce la société qui a poussé l’individu à aller de la sorte », demande-t-il. Une interrogation qui remet sur la table la responsabilité même de la société.
LAHBIB NDIAYE, PSYCHOSOCIOLOGIE : “ Il faut une refondation morale ”
Selon le psychosociologue Lahbib Ndiaye, notre société souffre de la « culture de l’impunité », du « ma tey » (je m’en f...). L’absence de sanction, assure-t-il, généralise l’impunité. « Finalement, chacun pense qu’il a le droit de se comporter comme il veut », se désole-t-il. La cause de cette situation, c’est l’absence d’une règle sociale traversant tous les corps de la société et qui est respectée par tous pour jouer le rôle de fondement des normes sociales. « Chacun veut tirer son épingle du jeu à sa manière, en marchant, s’il le faut, sur le cadavre des autres. Quand tu veux sanctionner quelqu’un, on te dit il n’est pas le seul. Finalement, on accepte cette situation d’impunité », déplore Lahbib Ndiaye. Par conséquent, « le délit, c’est être bon, droit, gentil, sérieux ». Les rôles se retrouvent alors inversés et le délinquant devient... celui qui respecte les normes sociales. Puisque « le vrai délinquant bénéficie de l’excuse d’être un délinquant, le vertueux doit céder la place ». Finalement, regrette-t-il, il n’y a plus de culture de la vertu. « Notre société va à la déliquescence », avertit-il.
Pour éviter d’en arriver là, il faut une « refondation morale basée sur une acceptation d’un pacte social sur lequel tout le monde est jugé en fonction du respect de ces valeurs. Si on fait la promotion de la médiocrité et du vice, on ne convaincra pas les autres à respecter les normes. On doit faire le nivellement par le haut », suggère Lahbib Ndiaye.
AVIS DES SENEGALAIS : Améliorer la prison pour une meilleure réinsertion
Selon Babacar Guèye, professeur dans un lycée de la place, la prison n’est pas une solution pour gérer un délinquant. Nombreux, dira M. Guèye, sont des jeunes qui récidivent après leur séjour en prison. L’enseignant d’ajouter que la solution serait plutôt une réinsertion sociale. Celle-ci, d’après lui, passe par la création de structures de recasement, d’épanouissement, porteuses de projets qui éloigneront les jeunes du milieu de la violence. « A mon avis, la stigmatisation de la prison et l’isolement des prisonniers constituent une frustration pour le mis en cause qui nourrit tout le temps un sentiment de culpabilité. Le comportement de certaines familles ne facilite pas la réinsertion d’un délinquant. Souvent, il est mal vu et mal traité par la société qui le regarde d’un mauvais œil. Cette situation nous renseigne sur le degré de responsabilité des uns et des autres », ajoute Babacar Guèye. Mme Kourafy Sakho n’est pas de cet avis. Pour elle, la prison peut être une solution à la délinquance si seulement si elle joue son rôle d’éducation. « La prison doit être un lieu de punition mais aussi d’inculquer aux détenus les règles de fonctionnement de la société. Toutefois, elle doit répondre à des normes. Une capacité d’accueil suffisante et des gardes pénitentiaires bien conscients de leur profession », indique-t-elle.
La solution qui vaille, selon elle, c’est de créer des conditions de réinsertion pouvant permettre à ces jeunes, une fois sortis de prison, de pouvoir s’occuper. Sur ce, l’Etat est interpellé au premier chef, conclut-elle.
Abondant dans le même sens, Pape Momar Diagne, Secrétaire général de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl) de la commune d’arrondissement de Pikine-Ouest, déclare que la prison doit être la dernière solution. « L’influence négative des médiats et l’école de la rue font qu’aujourd’hui, la délinquance est devenue un phénomène de société. Je pense que l’Etat gagnerait mieux à contrôler tout ce qui ce passe sur nos petits écrans si l’on sait que le Sénégalais aime copier et souvent, il le fait très mal ». Kabir Ndiaye du Radi interpelle, lui aussi, l’Etat à améliorer les conditions de détention pour offrir au détenu plus de chances de pouvoir se réinsérer dans la société à sa sortie. « Le système carcéral est un processus qui commence depuis le mandat de dépôt jusqu’à la libération. Malheureusement, l’accueil des détenus est parfois défaillant. Or c’est un moment fort important pour quelqu’un qui, pour la première fois de sa vie, entre dans ce monde fermé qui peut négativement impacter toute sa vie durant. L’insuffisance dans la prise en charge des détenus, les maisons d’arrêt vétustes, le manque de sanitaires et d’hygiène malgré les efforts déployés par les régisseurs font que le système ne marche pas », estime-t-il. Il préconise des prisons adaptées « qui permettent d’humaniser la détention ». Mais aussi d’appliquer des peines alternatives issues de la réforme de 2000 consistant à donner un travail d’intérêt général au détenu.
M. Ndiaye suggère aussi de sensibiliser les juges sur l’approche communautaire et revaloriser le statut des gardes pénitentiaires. De même, poursuit notre interlocuteur, il faut faciliter l’accès aux fonds dégagés chaque année par l’Assemblée nationale aux détenus et leur permettre d’avoir un conseil pour la défense de leurs droits.
DOSSIER RÉALISE PAR MALICK CISS ET TATA SANE
Source: Le Soleil