Sud Quotidien : Le financement du logement comme le sujet sur les changements climatiques mobilisent tous les acteurs et spécialistes présents à ce conseil de Nairobi. Qu’est-ce qu’on peut retenir de tous ces échanges ?
Daniel Biau : Disons que récemment le monde a été touché par plusieurs crises majeures : la crise alimentaire, la crise pétrolière. Et ensuite la question des changements climatiques est apparue dans les médias d’une façon assez spectaculaire. Cela, alors que nous savions qu’il y avait des changements climatiques depuis au moins 30 ans. Mais tout d’un coup, les médias se sont emparés du sujet parce qu’il y a eu pas mal d’accidents climatiques, de sécheresse, de famine etc. Donc, le climat lié à l’énergie et tout ce va avec lié à l’alimentation. L’impact du climat sur les productions agricoles est évidemment énorme. Et celui de l’énergie sur le climat est aussi énorme. D’où l’importance du sujet traité par le conseil d’administration d’Onu Habitat. Mais, en fait, c’était un sujet secondaire. Le sujet principal de ce conseil d’administration, c’est bien le financement du logement. Parce que comme vous le savez, le financement du logement a déclenché la crise financière internationale par ce qu’on appelle le crédit hypothécaire aux Etats-Unis qui a explosé en 2007 et qui a mis un an à se déclarer. Mais, la crise a bien commencé pendant l’été 2007 et s’est transformée en crise financière au cours de l’automne 2008. Et voilà pourquoi le sujet a été traité comme préoccupation principale de ce 22ème conseil. Mais, loin d’avoir apporté des réponses, on s’est posé des questions. Et c’est après qu’on va aborder la question du financement du logement.
Et quel est l’état des lieux qu’on peut faire aujourd’hui dans le monde, autant en occident qu’en Afrique bien plus démunie en la matière ?
Dans le monde en général, le problème du logement bute sur le même problème : l’aspect financier. Le financement du logement est au centre de toute politique du logement. Par ce financement, on entend les incitations publiques, aussi financement privé et celui fait par les ménages. C’est le noyau dur. Sans financement de l’Etat, vous n’avez pas une politique du logement tout simplement. Dans certains pays, en Amérique latine par exemple, le logement relève du ministère de l’Economie et des Finances. Pour eux, la dimension financière l’emporte sur le reste, même s’il faut bien sûr tenir compte de la dimension spatiale. Mais le financement est essentiel…
« Au niveau technique… il nous faut deux choses : d’abord une volonté de changer et d’améliorer la situation et d’autre part, l’écoute de ce que les Nations Unies disent. »
Y a t il aujourd’hui de bonnes pratiques ou des modèles en matière de politiques du logement ?
Il y a, en effet, de nombreuses et bonnes pratiques dans le monde. Déjà, en Afrique même, un pays qui est très en pointe en matière de politique du logement, la Tunisie. Un autre pays qui a fait beaucoup de progrès, l’Afrique du sud, comme également, le Maroc et l’Egypte. On peut aussi citer certains pays d’Afrique de l’Ouest. Le principe est de pouvoir développer les incitations publiques. Par exemple, l’erreur des Américains a été de vouloir tout investir dans le logement sans aucune garantie pour aussi aider le logement locatif et pour les couches à faibles revenus. Dans tous les pays du nord, comme en Allemagne la moitié de la population est locataire. Alors, ce n’est pas tout le monde qui est locataire. Or aux Etats-Unis, une majorité d’Américains restent locataires, mais pas aidés par l’Etat. C’est aussi le cas en Afrique où nombre de locataires ne sont pas aidés du tout par l’Etat. Ce qui fait que le secteur locatif en Afrique est clandestin. Ici à Nairobi, dans le plus bidonville d’Afrique, à Kibera, nous avons en gros quelque 600.000 personnes parmi lesquelles, 90% des gens sont locataires. Ce qui veut dire que ce sont les petits propriétaires privés qui en profitent et offrent des logements de très mauvaise qualité. Et, ce secteur est encore ignoré par l’Etat. Il faut s’occuper autant de la propriété que du locatif. Il faut aussi s’occuper du logement neuf, mais aussi des quartiers existants. Pour dire qu’une bonne politique du logement devrait être multidimensionnelle. Il ne s’agit pas seulement de privilégier une banque de l’habitat ou des parcelles assainies, il faut qu’elle soit complète et demande comme l’Afrique du Sud le démontre un gros effort financier de l’Etat. Si l’Etat n’a pas de ligne budgétaire, on ne peut pas faire de politique du logement pour aider le ministre chargé de la tutelle.
On dirait que vous parlez du Sénégal. Il semble quand notre pays depuis que la Caisse Centrale de Coopération économique (Ccce) a disparu, le financement du logement n’a plus jamais été bien géré par l’Etat ? La Banque de l’Habitat qui a pris le relais ne fait pas dans le social ? Elle s’adresse aux gens qui ont des moyens, un bon revenu. Or ici on parle de logement social ? Alors comment, simplement ?
Oui ! Bien sûr. La plupart des sociétés immobilières africaines, même si ce ne sont pas toutes, visent les couches moyennes ou supérieures. Elles ne s’intéressent absolument pas aux 50% les plus pauvres à qui il est souvent difficile d’offrir un logement. Il faut qu’ils s’investissent eux-mêmes. Les incitations de l’Etat en matière financière ne sont pas souvent 10 à 15%. C’est bien sûr une erreur de construire des logements et d’en faire cadeau aux gens. Parce que là aussi on aurait qu’une toute petite minorité de privilégiés. On veut faire des incitations qui encouragent les gens à investir eux-mêmes. Ces gens, ce sont évidemment, les personnes nanties comme les petits investisseurs. Dans un pays comme le Sénégal, vous avez la diaspora qui aime bien investir dans le logement. Il faut les encourager.
C’est très bon qu’un travailleur migrant revenu dans son pays, puisse construire cinq ou six logements pour les louer. Pour faire baisser les prix du logement, il faut accroître l’offre ; on ne peut baisser les prix si on n’a pas assez de logements. La pénurie d’investissement qu’on remarque dans les villes africaines a pour conséquence de rendre plus cher le logement. La preuve que ce sont les petits investisseurs qui devraient être plus soutenus et en ce moment, votre logeur n’est pas un promoteur immobilier mais un individu comme vous. C’est un gars qui gagne plus un peu plus que vous. Il faut encourager la petite propriété. Ce serait essentiel pour l’Afrique que les gouvernements encouragent le petit investisseur à faire du logement locatif.
Cela voudrait-il dire concrètement que la promotion immobilière avec un investissement de l’Etat ou par les coopératives d’habitat a fait son temps.
Non ! Parce que quand je dis privé, cela peut être aussi coopératif. Je dis privé, parce que c’est plus simple, mais c’est dans la même logique. La question, c’est que les personnes les plus démunies ne peuvent pas accéder à la pleine propriété parce que c’est trop cher. Même un logement minimum va coûter quelque 5000 dollars au moins. Et, il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas s’offrir un tel luxe, même avec un prêt ou une quelconque bonification. Pour ceux qui sont en dessous, il faut aussi faire du locatif à bas prix. Cela aussi ne sert pas toujours les plus pauvres ; car quand vous ne faîtes que pour cette classe, certains seront tentés de revendre leur maison. Il faut donc avoir une stratégie globale et faire un logement pour tous et pour toutes les classes de la population. Et petit à petit, on y arrivera.
« Les pouvoirs centraux ne veulent pas donner du pouvoir aux pouvoirs locaux »
Là, nous entrons dans l’univers complexe des villes. Il est devenu de plus en plus difficile de se faire une belle vie en ville. Ainsi, après le rapport sur l’état des villes lancées à Nanjing au mois de novembre dernier, une nouvelle approche-programme par pays, a été annoncée ici à Nairobi jeudi 2 avril. Qu’est-ce qu’elle apporte de plus ?
C’est une approche de programmation pour habitat. Simplement pour mieux nous organiser en tant qu’habitat et nous tourner aux réalités des pays. Pour le monde entier, nous essayons de décliner cette programmation par pays. Ce n’est pas dans l’immédiat que cela se fera, mais selon les besoins des pays concernés.
Ces approches posent en réalité toute la complexité de vos rapports avec l’Etat. Onu Habitat travaille. Vous faites beaucoup de recherche. Et la question qui se pose est au niveau du partage. Qui doit faire le plaidoyer aujourd’hui ?
Nous avons énormément de moyens de dissémination malheureusement trop en anglais et pas assez en français. Cependant, nous diffusons beaucoup d’informations par Internet, les publications, les films etc. Mais, il faut reconnaître que tout cela n’est pas suffisant. Disons aussi que les gouvernements et les autorités locales sont bien au courant de ce que nous publions. Notre rôle n’est pas seulement à ce niveau, mais aussi dans les recommandations aux Etats membres comme l’attestent d’ailleurs les travaux de ce conseil d’administration d’Onu Habitat. Cela dans le but de les aider à améliorer leurs services et les lignes directrices pour une politique du logement pour tous. Ces approches pourraient être adaptées ou modifiées selon les pays à chaque étape. Et cela devient ainsi une politique nationale d’amélioration des services ; ce qui est essentiel, à mon avis.
Nous voilà encore sur la question du leadership municipal. La vérité est que toute cette théorie autour de la ville ne semble pas avoir de véritables relais dans les cités en Afrique. Les maires pour l’essentiel n’ont pas compris grand-chose. Quel est le profil du bon leader ?
C’est vrai qu’il y a un problème. Par exemple sur la décentralisation, il faut reconnaître que tous les pays du monde ont adopté les textes de la décentralisation. Mais reconnaissons qu’un certain nombre de pays ne les ont pas appliqués. Pourquoi. Pour deux raisons essentiellement. La première est liée à l’insuffisance de capacités. Parce que dans de nombreuses villes, il manque de ressources humaines capables de porter un tel programme. La seconde est une raison politique. C’est-à-dire que les pouvoirs centraux ne veulent pas donner du pouvoir aux pouvoirs locaux. Pour dire que ce sont la centralisation et le manque d’expertise au niveau municipal qui sont les problèmes. Heureusement que ce n’est pas le cas partout parce qu’il y a des pays qui se décentralisent. Il y en a d’autres aussi qui ont l’air centralisé et qui sont en fait très décentralisés. C’est le cas de la Chine. La Chine a la réputation de pays centralisé, mais, en réalité, c’est un pays très décentralisé. Le Kenya où nous sommes est un pays en voie de décentralisation, mais il n’arrive pas à la mettre en place faute de financement, de capacités. Pour vous montrer que l’Afrique francophone est plus décentralisée que l’Afrique anglophone. L’Amérique latine aussi est très décentralisée. Les pays arabes eux sont encore très centralisés. Cela dépend des régions. Les pays qui avancent le plus vite sont ceux qui se décentralisent le plus rapidement.
Il y a encore la question de la vie citoyenne. Le rôle des citoyens n’est pas toujours visible dans les villes or il s’agit de pouvoir corriger sinon accompagner les élus à la tête des villes. Quelles sont vos attentes ?
Le problème principal pour ce qu’on appelle la démocratie participative. C’est plus l’organisation de cette participation au niveau de la cité. L’organisation ne peut pas être spontanée. Selon moi, les élus doivent trouver des moyens d’aider les citoyens à jouer pleinement ce rôle. Comme le budget participatif en Amérique latine, il faut trouver des mécanismes pour amener les citoyens s’intéresser à la vie de la cité. Surtout en ces moments où l’on note un désenchantement de la démocratie traditionnelle. Non seulement en Afrique où cette forme de démocratie n’est pas la même qu’en Europe, et sur laquelle a été imposée la démocratie à l’occidentale. Mais, dans le Nord aussi où les citoyens ne se contentent pas du bulletin de vote seulement. Entre deux élections, ils peuvent avoir leur mot à dire. C’est tout ce mécanisme de démocratie participative où l’Amérique latine a une légère avance, qu’il faut développer pour que la voix des citoyens soit entendue de façon organisée. C’est difficile, bien entendu. Beaucoup de pays d’Europe ne parviennent pas à organiser cela, mais je crois que l’Afrique peut avoir à ce niveau un certain avantage. Grâce à la tradition du consensus, l’Afrique peut faire quelque chose.
« On aura de plus en plus de vote sanction. Au-delà du Sénégal, le principe est le même et il semble qu’on dise simplement « sortez les sortants ». »
Vous parlez de l’Afrique, venons donc au Sénégal où le parti au pouvoir et ses alliés (le Parti démocratique sénégalais) ont été fortement secoués lors des dernières élections locales du 22 mars perdant du coup les grandes villes comme Kaolack, Pikine, Saint-Louis, Dakar etc. Que vous inspire ce non des grandes villes aux élus du pouvoir ?
Je crois que c’était un vote à l’Européenne où souvent on vote contre. Le principe est le même et il semble qu’on dise simplement « sortez les sortants ». Ce qui veut dire qu’on vote contre ceux qui gouvernent au cas où les nouveaux seraient meilleurs. Et après cinq ans après que les nouveaux aussi nous ont déçus, on les remplace à nouveau. C’est le vote sanction. Un fameux vote qui fait plaisir sur le coup, mais qui prouve parfois que les nouveaux venus ne sont pas meilleurs que les anciens. C’est ce que fait l’Europe tout le temps. Et il y a des cycles : un moment l’Europe était toute sociale démocratique contre les élites conservatrices. L’Amérique latine actuellement est pratiquement acquise aux socio démocrates ; à une époque, ils étaient tous conservateurs. C’est cette espèce de vagues qui fait que quand on est déçu on change de bords et ainsi de suite. Ce qui montre de fait que l’action des politiques sur l’économie est très limitée. C’est une réalité bien sûr qui dépasse le cadre de l’habitat, mais à une certaine époque, où le monde est globalisé, les crises internationales, sur l’énergie, l’alimentation, sont beaucoup plus influençantes que les politiques locales. Ce qui veut dire que quelque soit le gouvernement que vous avez au Sénégal et le souci de respecter les engagements, sa proximité avec les populations chaque fois qu’il y a une crise, est ballottée comme un feu de paille. Je me souviens de l’année 1981, j’étais dans le ministère du Logement en France, et lorsque François Mitterrand a été élu : il y avait un grand espoir de changement. Très rapidement au sein des ministères, on s’est rendu compte que notre seule marge de manœuvre n’était que pour l’année 81. La globalisation était à ses débuts et on s’est aperçu que notre marge de manœuvre n’était aussi que de 10%. Tout le reste était imposé de l’extérieur. A part les très grands pays qui ont un marché important comme l’Inde et la Chine, et possiblement le Brésil, les marges de manœuvre des politiciens se réduit. Pour dire qu’on aura de plus en plus de vote sanction.
Et pourtant la ville produit beaucoup de valeur économique. Elle a son économie propre ce que certains élus ne savent pas toujours. Dans le cas du Sénégal, qu’est-ce que vous avez envie de dire à tous ces nouveaux maires qui arrivent ?
Moi, j’ai envie de leur dire « Ecoutez-nous ». Nous savons ce qu’il faut faire. Nous avons l’expertise au niveau technique et nous savons comment gérer une ville. Comment établir des finances municipales. Comment préparer un plan d’urbanisme etc. Nous connaissons toutes les composantes de la vie urbaine. Ou encore comment développer une société des eaux capable de générer des bénéfices. Au niveau technique, nous savons bien sûr avec les experts nationaux, définir un plan d’action. Mais, je dis, il nous faut deux choses : d’abord une volonté de changer et d’améliorer la situation et d’autre part, l’écoute de ce que les Nations Unies disent. Il faut donc accepter les changements mais surtout de revenir sur la décentralisation…Les Nations Unies l’ont adoptée. Ce n’est pas le fruit du hasard ; mais le résultat de longues années de réflexions. Et si on décide de dire qu’on va changer la ville, il faut adopter de bonnes recettes et de les appliquer en évitant de faire n’importe quoi. Et c’est possible. Il y a des villes qui se développent beaucoup plus vite que d’autres à égalité de revenus. C’est cela qu’on veut vendre.
Ma dernière question porte sur les changements climatiques. Voilà un fardeau de plus qu’on va mettre sur le dos des villes. N’est-ce pas un peu trop quand même ?
Non, à mon avis les changements climatiques, on peut dire que c’est peut-être un bon alibi pour les villes. En ce qu’ils vont obliger les décideurs à prendre des décisions. Par exemple, en matière de transports, les villes africaines et bien d’autres d’Europe de l’est par exemple sont de plus en plus congestionnées. Les embouteillages sont monstrueux, et non seulement cela fait perdre de l’argent à l’économie, mais cela entraîne en même temps le changement climatique. Ce signal d’alarme permettra de développer des politiques de transport en commun et cela devrait être magnifique. Depuis 30 ans, on demande aux gens de laisser leur voiture chez eux, et aux gouvernements de mettre en place des transports publics (autobus, métros légers etc. voire des bicyclettes et des voies piétonnes) d’abandonner la voiture parce qu’il y aurait de moins en moins de place pour elle. A Paris, New York et Tokyo, si vous avez une voiture, c’est une punition. Vous êtes tellement taxés pour votre voiture qu’il faut la vendre. A côté des transports, s’ajoute également la climatisation en Afrique. Ce sujet aussi risque de devenir celui de tous les jours. Ici au Kenya on a amélioré les minibus, on a des réseaux beaucoup de mieux organisés et il y a moins de compétition et un peu plus d’organisation. Mais, c’est dans le secteur du bâtiment qu’il faut aussi des améliorations. On dit que 60 à 70% des gaz à effet de serre, sont émis dans les villes. Pour dire que les villes sont un enjeu très très important.
Mame Aly Konte
Source SudQuotidien
Daniel Biau : Disons que récemment le monde a été touché par plusieurs crises majeures : la crise alimentaire, la crise pétrolière. Et ensuite la question des changements climatiques est apparue dans les médias d’une façon assez spectaculaire. Cela, alors que nous savions qu’il y avait des changements climatiques depuis au moins 30 ans. Mais tout d’un coup, les médias se sont emparés du sujet parce qu’il y a eu pas mal d’accidents climatiques, de sécheresse, de famine etc. Donc, le climat lié à l’énergie et tout ce va avec lié à l’alimentation. L’impact du climat sur les productions agricoles est évidemment énorme. Et celui de l’énergie sur le climat est aussi énorme. D’où l’importance du sujet traité par le conseil d’administration d’Onu Habitat. Mais, en fait, c’était un sujet secondaire. Le sujet principal de ce conseil d’administration, c’est bien le financement du logement. Parce que comme vous le savez, le financement du logement a déclenché la crise financière internationale par ce qu’on appelle le crédit hypothécaire aux Etats-Unis qui a explosé en 2007 et qui a mis un an à se déclarer. Mais, la crise a bien commencé pendant l’été 2007 et s’est transformée en crise financière au cours de l’automne 2008. Et voilà pourquoi le sujet a été traité comme préoccupation principale de ce 22ème conseil. Mais, loin d’avoir apporté des réponses, on s’est posé des questions. Et c’est après qu’on va aborder la question du financement du logement.
Et quel est l’état des lieux qu’on peut faire aujourd’hui dans le monde, autant en occident qu’en Afrique bien plus démunie en la matière ?
Dans le monde en général, le problème du logement bute sur le même problème : l’aspect financier. Le financement du logement est au centre de toute politique du logement. Par ce financement, on entend les incitations publiques, aussi financement privé et celui fait par les ménages. C’est le noyau dur. Sans financement de l’Etat, vous n’avez pas une politique du logement tout simplement. Dans certains pays, en Amérique latine par exemple, le logement relève du ministère de l’Economie et des Finances. Pour eux, la dimension financière l’emporte sur le reste, même s’il faut bien sûr tenir compte de la dimension spatiale. Mais le financement est essentiel…
« Au niveau technique… il nous faut deux choses : d’abord une volonté de changer et d’améliorer la situation et d’autre part, l’écoute de ce que les Nations Unies disent. »
Y a t il aujourd’hui de bonnes pratiques ou des modèles en matière de politiques du logement ?
Il y a, en effet, de nombreuses et bonnes pratiques dans le monde. Déjà, en Afrique même, un pays qui est très en pointe en matière de politique du logement, la Tunisie. Un autre pays qui a fait beaucoup de progrès, l’Afrique du sud, comme également, le Maroc et l’Egypte. On peut aussi citer certains pays d’Afrique de l’Ouest. Le principe est de pouvoir développer les incitations publiques. Par exemple, l’erreur des Américains a été de vouloir tout investir dans le logement sans aucune garantie pour aussi aider le logement locatif et pour les couches à faibles revenus. Dans tous les pays du nord, comme en Allemagne la moitié de la population est locataire. Alors, ce n’est pas tout le monde qui est locataire. Or aux Etats-Unis, une majorité d’Américains restent locataires, mais pas aidés par l’Etat. C’est aussi le cas en Afrique où nombre de locataires ne sont pas aidés du tout par l’Etat. Ce qui fait que le secteur locatif en Afrique est clandestin. Ici à Nairobi, dans le plus bidonville d’Afrique, à Kibera, nous avons en gros quelque 600.000 personnes parmi lesquelles, 90% des gens sont locataires. Ce qui veut dire que ce sont les petits propriétaires privés qui en profitent et offrent des logements de très mauvaise qualité. Et, ce secteur est encore ignoré par l’Etat. Il faut s’occuper autant de la propriété que du locatif. Il faut aussi s’occuper du logement neuf, mais aussi des quartiers existants. Pour dire qu’une bonne politique du logement devrait être multidimensionnelle. Il ne s’agit pas seulement de privilégier une banque de l’habitat ou des parcelles assainies, il faut qu’elle soit complète et demande comme l’Afrique du Sud le démontre un gros effort financier de l’Etat. Si l’Etat n’a pas de ligne budgétaire, on ne peut pas faire de politique du logement pour aider le ministre chargé de la tutelle.
On dirait que vous parlez du Sénégal. Il semble quand notre pays depuis que la Caisse Centrale de Coopération économique (Ccce) a disparu, le financement du logement n’a plus jamais été bien géré par l’Etat ? La Banque de l’Habitat qui a pris le relais ne fait pas dans le social ? Elle s’adresse aux gens qui ont des moyens, un bon revenu. Or ici on parle de logement social ? Alors comment, simplement ?
Oui ! Bien sûr. La plupart des sociétés immobilières africaines, même si ce ne sont pas toutes, visent les couches moyennes ou supérieures. Elles ne s’intéressent absolument pas aux 50% les plus pauvres à qui il est souvent difficile d’offrir un logement. Il faut qu’ils s’investissent eux-mêmes. Les incitations de l’Etat en matière financière ne sont pas souvent 10 à 15%. C’est bien sûr une erreur de construire des logements et d’en faire cadeau aux gens. Parce que là aussi on aurait qu’une toute petite minorité de privilégiés. On veut faire des incitations qui encouragent les gens à investir eux-mêmes. Ces gens, ce sont évidemment, les personnes nanties comme les petits investisseurs. Dans un pays comme le Sénégal, vous avez la diaspora qui aime bien investir dans le logement. Il faut les encourager.
C’est très bon qu’un travailleur migrant revenu dans son pays, puisse construire cinq ou six logements pour les louer. Pour faire baisser les prix du logement, il faut accroître l’offre ; on ne peut baisser les prix si on n’a pas assez de logements. La pénurie d’investissement qu’on remarque dans les villes africaines a pour conséquence de rendre plus cher le logement. La preuve que ce sont les petits investisseurs qui devraient être plus soutenus et en ce moment, votre logeur n’est pas un promoteur immobilier mais un individu comme vous. C’est un gars qui gagne plus un peu plus que vous. Il faut encourager la petite propriété. Ce serait essentiel pour l’Afrique que les gouvernements encouragent le petit investisseur à faire du logement locatif.
Cela voudrait-il dire concrètement que la promotion immobilière avec un investissement de l’Etat ou par les coopératives d’habitat a fait son temps.
Non ! Parce que quand je dis privé, cela peut être aussi coopératif. Je dis privé, parce que c’est plus simple, mais c’est dans la même logique. La question, c’est que les personnes les plus démunies ne peuvent pas accéder à la pleine propriété parce que c’est trop cher. Même un logement minimum va coûter quelque 5000 dollars au moins. Et, il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas s’offrir un tel luxe, même avec un prêt ou une quelconque bonification. Pour ceux qui sont en dessous, il faut aussi faire du locatif à bas prix. Cela aussi ne sert pas toujours les plus pauvres ; car quand vous ne faîtes que pour cette classe, certains seront tentés de revendre leur maison. Il faut donc avoir une stratégie globale et faire un logement pour tous et pour toutes les classes de la population. Et petit à petit, on y arrivera.
« Les pouvoirs centraux ne veulent pas donner du pouvoir aux pouvoirs locaux »
Là, nous entrons dans l’univers complexe des villes. Il est devenu de plus en plus difficile de se faire une belle vie en ville. Ainsi, après le rapport sur l’état des villes lancées à Nanjing au mois de novembre dernier, une nouvelle approche-programme par pays, a été annoncée ici à Nairobi jeudi 2 avril. Qu’est-ce qu’elle apporte de plus ?
C’est une approche de programmation pour habitat. Simplement pour mieux nous organiser en tant qu’habitat et nous tourner aux réalités des pays. Pour le monde entier, nous essayons de décliner cette programmation par pays. Ce n’est pas dans l’immédiat que cela se fera, mais selon les besoins des pays concernés.
Ces approches posent en réalité toute la complexité de vos rapports avec l’Etat. Onu Habitat travaille. Vous faites beaucoup de recherche. Et la question qui se pose est au niveau du partage. Qui doit faire le plaidoyer aujourd’hui ?
Nous avons énormément de moyens de dissémination malheureusement trop en anglais et pas assez en français. Cependant, nous diffusons beaucoup d’informations par Internet, les publications, les films etc. Mais, il faut reconnaître que tout cela n’est pas suffisant. Disons aussi que les gouvernements et les autorités locales sont bien au courant de ce que nous publions. Notre rôle n’est pas seulement à ce niveau, mais aussi dans les recommandations aux Etats membres comme l’attestent d’ailleurs les travaux de ce conseil d’administration d’Onu Habitat. Cela dans le but de les aider à améliorer leurs services et les lignes directrices pour une politique du logement pour tous. Ces approches pourraient être adaptées ou modifiées selon les pays à chaque étape. Et cela devient ainsi une politique nationale d’amélioration des services ; ce qui est essentiel, à mon avis.
Nous voilà encore sur la question du leadership municipal. La vérité est que toute cette théorie autour de la ville ne semble pas avoir de véritables relais dans les cités en Afrique. Les maires pour l’essentiel n’ont pas compris grand-chose. Quel est le profil du bon leader ?
C’est vrai qu’il y a un problème. Par exemple sur la décentralisation, il faut reconnaître que tous les pays du monde ont adopté les textes de la décentralisation. Mais reconnaissons qu’un certain nombre de pays ne les ont pas appliqués. Pourquoi. Pour deux raisons essentiellement. La première est liée à l’insuffisance de capacités. Parce que dans de nombreuses villes, il manque de ressources humaines capables de porter un tel programme. La seconde est une raison politique. C’est-à-dire que les pouvoirs centraux ne veulent pas donner du pouvoir aux pouvoirs locaux. Pour dire que ce sont la centralisation et le manque d’expertise au niveau municipal qui sont les problèmes. Heureusement que ce n’est pas le cas partout parce qu’il y a des pays qui se décentralisent. Il y en a d’autres aussi qui ont l’air centralisé et qui sont en fait très décentralisés. C’est le cas de la Chine. La Chine a la réputation de pays centralisé, mais, en réalité, c’est un pays très décentralisé. Le Kenya où nous sommes est un pays en voie de décentralisation, mais il n’arrive pas à la mettre en place faute de financement, de capacités. Pour vous montrer que l’Afrique francophone est plus décentralisée que l’Afrique anglophone. L’Amérique latine aussi est très décentralisée. Les pays arabes eux sont encore très centralisés. Cela dépend des régions. Les pays qui avancent le plus vite sont ceux qui se décentralisent le plus rapidement.
Il y a encore la question de la vie citoyenne. Le rôle des citoyens n’est pas toujours visible dans les villes or il s’agit de pouvoir corriger sinon accompagner les élus à la tête des villes. Quelles sont vos attentes ?
Le problème principal pour ce qu’on appelle la démocratie participative. C’est plus l’organisation de cette participation au niveau de la cité. L’organisation ne peut pas être spontanée. Selon moi, les élus doivent trouver des moyens d’aider les citoyens à jouer pleinement ce rôle. Comme le budget participatif en Amérique latine, il faut trouver des mécanismes pour amener les citoyens s’intéresser à la vie de la cité. Surtout en ces moments où l’on note un désenchantement de la démocratie traditionnelle. Non seulement en Afrique où cette forme de démocratie n’est pas la même qu’en Europe, et sur laquelle a été imposée la démocratie à l’occidentale. Mais, dans le Nord aussi où les citoyens ne se contentent pas du bulletin de vote seulement. Entre deux élections, ils peuvent avoir leur mot à dire. C’est tout ce mécanisme de démocratie participative où l’Amérique latine a une légère avance, qu’il faut développer pour que la voix des citoyens soit entendue de façon organisée. C’est difficile, bien entendu. Beaucoup de pays d’Europe ne parviennent pas à organiser cela, mais je crois que l’Afrique peut avoir à ce niveau un certain avantage. Grâce à la tradition du consensus, l’Afrique peut faire quelque chose.
« On aura de plus en plus de vote sanction. Au-delà du Sénégal, le principe est le même et il semble qu’on dise simplement « sortez les sortants ». »
Vous parlez de l’Afrique, venons donc au Sénégal où le parti au pouvoir et ses alliés (le Parti démocratique sénégalais) ont été fortement secoués lors des dernières élections locales du 22 mars perdant du coup les grandes villes comme Kaolack, Pikine, Saint-Louis, Dakar etc. Que vous inspire ce non des grandes villes aux élus du pouvoir ?
Je crois que c’était un vote à l’Européenne où souvent on vote contre. Le principe est le même et il semble qu’on dise simplement « sortez les sortants ». Ce qui veut dire qu’on vote contre ceux qui gouvernent au cas où les nouveaux seraient meilleurs. Et après cinq ans après que les nouveaux aussi nous ont déçus, on les remplace à nouveau. C’est le vote sanction. Un fameux vote qui fait plaisir sur le coup, mais qui prouve parfois que les nouveaux venus ne sont pas meilleurs que les anciens. C’est ce que fait l’Europe tout le temps. Et il y a des cycles : un moment l’Europe était toute sociale démocratique contre les élites conservatrices. L’Amérique latine actuellement est pratiquement acquise aux socio démocrates ; à une époque, ils étaient tous conservateurs. C’est cette espèce de vagues qui fait que quand on est déçu on change de bords et ainsi de suite. Ce qui montre de fait que l’action des politiques sur l’économie est très limitée. C’est une réalité bien sûr qui dépasse le cadre de l’habitat, mais à une certaine époque, où le monde est globalisé, les crises internationales, sur l’énergie, l’alimentation, sont beaucoup plus influençantes que les politiques locales. Ce qui veut dire que quelque soit le gouvernement que vous avez au Sénégal et le souci de respecter les engagements, sa proximité avec les populations chaque fois qu’il y a une crise, est ballottée comme un feu de paille. Je me souviens de l’année 1981, j’étais dans le ministère du Logement en France, et lorsque François Mitterrand a été élu : il y avait un grand espoir de changement. Très rapidement au sein des ministères, on s’est rendu compte que notre seule marge de manœuvre n’était que pour l’année 81. La globalisation était à ses débuts et on s’est aperçu que notre marge de manœuvre n’était aussi que de 10%. Tout le reste était imposé de l’extérieur. A part les très grands pays qui ont un marché important comme l’Inde et la Chine, et possiblement le Brésil, les marges de manœuvre des politiciens se réduit. Pour dire qu’on aura de plus en plus de vote sanction.
Et pourtant la ville produit beaucoup de valeur économique. Elle a son économie propre ce que certains élus ne savent pas toujours. Dans le cas du Sénégal, qu’est-ce que vous avez envie de dire à tous ces nouveaux maires qui arrivent ?
Moi, j’ai envie de leur dire « Ecoutez-nous ». Nous savons ce qu’il faut faire. Nous avons l’expertise au niveau technique et nous savons comment gérer une ville. Comment établir des finances municipales. Comment préparer un plan d’urbanisme etc. Nous connaissons toutes les composantes de la vie urbaine. Ou encore comment développer une société des eaux capable de générer des bénéfices. Au niveau technique, nous savons bien sûr avec les experts nationaux, définir un plan d’action. Mais, je dis, il nous faut deux choses : d’abord une volonté de changer et d’améliorer la situation et d’autre part, l’écoute de ce que les Nations Unies disent. Il faut donc accepter les changements mais surtout de revenir sur la décentralisation…Les Nations Unies l’ont adoptée. Ce n’est pas le fruit du hasard ; mais le résultat de longues années de réflexions. Et si on décide de dire qu’on va changer la ville, il faut adopter de bonnes recettes et de les appliquer en évitant de faire n’importe quoi. Et c’est possible. Il y a des villes qui se développent beaucoup plus vite que d’autres à égalité de revenus. C’est cela qu’on veut vendre.
Ma dernière question porte sur les changements climatiques. Voilà un fardeau de plus qu’on va mettre sur le dos des villes. N’est-ce pas un peu trop quand même ?
Non, à mon avis les changements climatiques, on peut dire que c’est peut-être un bon alibi pour les villes. En ce qu’ils vont obliger les décideurs à prendre des décisions. Par exemple, en matière de transports, les villes africaines et bien d’autres d’Europe de l’est par exemple sont de plus en plus congestionnées. Les embouteillages sont monstrueux, et non seulement cela fait perdre de l’argent à l’économie, mais cela entraîne en même temps le changement climatique. Ce signal d’alarme permettra de développer des politiques de transport en commun et cela devrait être magnifique. Depuis 30 ans, on demande aux gens de laisser leur voiture chez eux, et aux gouvernements de mettre en place des transports publics (autobus, métros légers etc. voire des bicyclettes et des voies piétonnes) d’abandonner la voiture parce qu’il y aurait de moins en moins de place pour elle. A Paris, New York et Tokyo, si vous avez une voiture, c’est une punition. Vous êtes tellement taxés pour votre voiture qu’il faut la vendre. A côté des transports, s’ajoute également la climatisation en Afrique. Ce sujet aussi risque de devenir celui de tous les jours. Ici au Kenya on a amélioré les minibus, on a des réseaux beaucoup de mieux organisés et il y a moins de compétition et un peu plus d’organisation. Mais, c’est dans le secteur du bâtiment qu’il faut aussi des améliorations. On dit que 60 à 70% des gaz à effet de serre, sont émis dans les villes. Pour dire que les villes sont un enjeu très très important.
Mame Aly Konte
Source SudQuotidien