Par Ciré Aw Le problème, au Sénégal, ce ne sont …
The post De la liberté d’expression à la responsabilité médiatique : vers une éthique de la communication first appeared on Le Témoin.
Par Ciré Aw
Le problème, au Sénégal, ce ne sont pas seulement les dérapages verbaux récurrents aux conséquences fâcheuses, c’est surtout la propension à permettre à des personnes incompétentes et manipulatrices, de traiter publiquement de sujets qu’elles ne maîtrisent pas.
Les médias sénégalais sont aujourd’hui remplis de chroniqueurs incompétents et opportunistes, qui instrumentalisent l’espace public, au détriment de la vérité et de la cohésion sociale. “La parole est la plus puissante des armes. Elle peut construire ou détruire, tout dépend de celui qui l’utilise.” disait Platon, soulignant le pouvoir de la parole dans la société. En effet, les propos irrespectueux de Soumboulou Bathily dans l’émission "Ngonal" à la TFM, taxant nos parents originaires des villages de “kaw kaw”, de mal civilisés ou de malpropres et les propos scandaleux de l’animatrice de la 7TV, Adja Astou Cissé, accusant les vieux de l’ethnie peulhe, d’être des pédophiles ou des violeurs, pour avoir épousé des jeunes filles, de l’homme politique Tahirou Sall, stigmatisant la communauté peulhe guinéenne et les qualifiant de “voleurs de boulot et envahisseurs”, montrent à suffisance que nos médias sont colonisés par des arrivistes, des opportunistes et des amateurs. Ces individus constituent un véritable danger pour la paix sociale, car leurs discours alimentent les tensions et fracturent la société.
“La parole peut être plus efficace que la violence, et un leader doit utiliser son discours pour créer un monde de paix et d’unité,” soulignait Mahatma Gandhi. Cette réalité est d’autant plus frappante dans un pays où un mot imprudent ou malveillant, peut avoir des répercussions profondes. En vérité, la prise de parole en public est si risquée, qu’il importe d’en mesurer la portée et les conséquences. Un mot inapproprié, des propos irréfléchis deviennent vite des sources de trouble de l’ordre public et provoquent des maux profonds au sein de la collectivité. Ces discours peuvent déstabiliser un pays, désagréger une nation, et cela parfois de façon irréversible. De plus, les fausses informations, les manipulations et les mensonges proférés par certains intervenants dans les médias ne font qu’attiser le désordre public, heurter la sensibilité des honnêtes citoyens et pervertir le peuple.
Les propos outranciers de cette animatrice de la 7TV stigmatisant toute une communauté et les accusant de violeurs sont certes d’une gravité extrême. Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est la naïveté avec laquelle elle a lâché ses insanités, ainsi que la désinvolture et la légèreté avec lesquelles ses codébateurs ont cautionné ses dires injurieux et diffamatoires. Ce qui est encore plus alarmant dans cette affaire, dont la principale concernée a fait son mea culpa, c’est surtout le fait que ce dérapage langagier s’inscrive dans une longue liste de forfaitures discursives dans l’espace médiatique. Cela prouve qu’au Sénégal, les prises de parole débridées et hasardeuses dans les médias deviennent un véritable danger, surtout quand on sait que nous avons un peuple impulsif et facilement manipulable. “L’art de la parole est celui qui nous permet de réconcilier et de bâtir, pas de diviser,” disait Nelson Mandela, un principe qui devrait guider nos leaders.
Certains chroniqueurs, à l’instar de Badara Gadiaga de l’émission “Jakarloo “ de la TFM,Abdou Nguer de la Sen TV, se permettent d’accuser les autorités de menteurs sans preuve tangible, alimentant ainsi la méfiance et la confusion au sein de l’opinion publique. De tels comportements ne devraient pas rester impunis, car ils participent à la déliquescence de la parole publique et à l’instauration d’un climat de défiance permanent. “La responsabilité d’un leader n’est pas seulement de gouverner, mais aussi de savoir s’exprimer d’une manière qui inspire confiance et espoir chez les citoyens,” soulignait John F. Kennedy, ce qui implique que la parole des autorités doit incarner un modèle de discernement et de responsabilité.
De plus, les hommes impertinents qui cherchent à vaincre un débat par la manipulation emploient diverses stratégies : la désinformation, en diffusant de fausses nouvelles pour influencer l’opinion ; la caricature, en déformant les propos de leurs adversaires pour les ridiculiser ; la victimisation, en prétendant être persécutés pour éviter la contradiction ; et l’usage d’arguments fallacieux pour détourner l’attention des réels enjeux du débat. Ces techniques ne font qu’empoisonner le climat démocratique et décourager les débats constructifs.
L’éthique de la communication comme remède
Face à ces dérives, l’éthique de la communication développée par Jürgen Habermas offre des pistes de solution. Selon lui, le discours public doit reposer sur la rationalité communicative, où les échanges sont fondés sur des arguments solides et non sur la manipulation ou l’émotion. Cela implique que toute prise de parole publique devrait respecter certaines conditions :
L’égalité et l’inclusion dans le débat : Chaque intervenant doit avoir la possibilité de s’exprimer, mais dans le respect des règles du dialogue rationnel.
L’honnêteté et la transparence : Les discours doivent être exempts de manipulations, de mensonges ou de volonté de nuire.
La recherche du consensus : Le but du débat n’est pas d’écraser l’autre par des artifices rhétoriques, mais d’aboutir à une vérité partagée.
Si ces principes étaient appliqués aux débats médiatiques sénégalais, nous assisterions à une nette amélioration de la qualité du discours public et à un climat social plus apaisé.
On doit certes promouvoir la liberté d’opinion et d’expression dans une société démocratique, mais il faut tout de même veiller à ce que ce droit n’outrepasse pas les limites de la décence et ne remette pas en péril la quiétude sociale. À ce propos, il importe de nous approprier les très sages dires du philosophe anglais John Stuart Mill : “Le droit de lancer mon poing ne m’autorise pas à écraser le nez du voisin”, une façon de réaffirmer que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres.
Mon propos n’est pas la promotion de la censure ou une invite à la marginalisation d’une catégorie de citoyens dans la participation au débat démocratique. Il vise simplement à appeler à plus de responsabilité et de circonspection dans nos discours. Je milite pour un assainissement de l’espace médiatique, afin que les professionnels de la presse extirpent de leur corporation la « mauvaise graine ». Les communicateurs de profession et de vocation (journalistes, animateurs) doivent faire preuve de plus de responsabilité et de discernement lorsqu’ils s’expriment en public.
L’importance de la prise de parole en public est si bien comprise par certains guides religieux, autorités politiques et autorités traditionnelles consciencieuses, que leurs discours sont soigneusement peaufinés par des porte-paroles, des griots ou des chargés de communication avant d’être livrés au public.
Bref, il convient de comprendre que parler en public n’est pas un acte anodin. Autant dire avec l’Imam Ali ibn Talib (PSL) que “La parole est un remède. Le peu de parole peut sauver, le trop de parole peut nuire.”
The post De la liberté d’expression à la responsabilité médiatique : vers une éthique de la communication first appeared on Le Témoin.
Source : https://letemoin.sn/2025/03/24/de-la-liberte-dexpr...