Pourquoi un « acte 3 » de la décentralisation ?
Quel sens y a-t-il à donner un numéro d’ordre (Acte numéro 3) à une réforme dont le processus mouvementé remonte au 19ème siècle, plus précisément à 1872, date à laquelle Saint-Louis et Gorée accèdent au statut de communes de plein exercice ? Les mots ont un sens qu’il ne s’agit pas d’ignorer. Prononcer des mots suppose qu’on ait au moins pu y réfléchir avant, surtout venant d’un homme d’Etat. En mars 2013, le Président Macky Sall évoque un « acte 3 de la décentralisation », en résonnance avec l’idée énoncée de réformer le fonctionnement de nos collectivités locales, émise en conseil des ministres décentralisé le 07 juin 2012 à Saint-Louis. Ces mêmes mots ont été prononcés un an plus tôt par le Président de la République française, Monsieur François Hollande, et largement repris par la presse française lors de la campagne présidentielle française de 2012. Le Président de la République française faisait alors référence aux deux réformes d’envergure de la décentralisation française, à savoir celle de 1982 et celle de 2003 (1). A quelles autres réformes Monsieur Macky Sall faisait-il référence pour annoncer un troisième acte ? Ses conseillers et autres spécialistes souvent liés au pouvoir, ont par la suite, rétrospectivement, invoqué la réforme de 1972 qui créait les communautés rurales et la réforme de 1996 qui transfère, dans les textes du moins, neuf domaines de compétence, de l’Etat central aux collectivités locales. Les progrès notés avant l’Indépendance dans la création et la gestion de niveaux décentralisés et de niveaux déconcentrés, n’entrent-ils pas en ligne de compte ? Quid de la loi de 1966 qui établit le code de l’administration communale ? Qu’en est-il de la réforme de 1983 qui instaure l’intercommunalité et qui avait permis la mise en place de la communauté urbaine de Dakar ? Considérant les propos du Président de la République, on peut constater que le mimétisme demeure toujours la règle au Sénégal. Celui qui réfléchit au projet avant d’énoncer l’idée, n’est certainement comparable à celui qui reprend l’idée. Nous avons l’habitude de reprendre les idées des autres, très souvent sans réflexion approfondie. Le Conseil économique et social devient aussi environnemental après que d’autres en aient eu l’idée. La réforme du Conseil constitutionnel évoquée dans l’entre-deux tours de la dernière élection présidentielle, qui passerait de cinq à neuf membres, reprend les mêmes contours que le Conseil constitutionnel français.
Le problème fondamental de notre système politique et administratif, c’est qu’il est basé sur un mimétisme béat de l’appareil français, alors que nous n’avons ni les mêmes réalités ni les mêmes moyens. Même si c’était le cas, il faut savoir que la décentralisation française n’est pas le meilleur exemple. La France reste, en dépit de ses moyens et de la volonté politique supposée, un Etat encore très fortement centralisé. Au Sénégal cette énième réforme de la décentralisation devait être l’occasion de rompre avec le passé, de tout remettre à plat, de mettre en place un nouveau système politico-administratif, plus juste, plus équilibré, qui place le citoyen au centre, et qui tient compte de nos réalités territoriales ou géographiques, politiques, historiques, économiques, sociales et culturelles. Mais pour cela, il fallait une vision claire et de l’audace. Ce que la commission chargée de la mise en œuvre n’avait pas.
Une commission pour exécuter les propositions du Chef de l’Etat
On peut supposer que si le Président de la République confie une mission aussi importante que la réforme de la décentralisation à une commission, c’est parce qu’il jugeait que celle-ci maîtriserait mieux cette question que son gouvernement. Autrement le Ministère chargé des collectivités locales aurait mené cette réforme. La commission a travaillé durant quelques mois et a rendu son rapport. A quoi a-t-on assisté au final ? A la reprise par la commission de toutes les propositions du Chef de l’Etat. Le Président voulait la suppression de la Région collectivité locale, c’est fait. Le Président voulait une communalisation intégrale, c’est fait. Le Président voulait la consécration des départements en collectivités locales, c’est fait. Quelle proposition novatrice de la commission ? Aucune ! Le plus grave, c’est que la commission reprend presque mot pour mot, la loi de 1996. Le nouveau Code général des collectivités locales, voté par l’Assemblée national le 19 décembre 2013 est une reprise intégrale de celui de 1996. On n’y note juste la suppression de « Région », remplacée par « Département » et quelques inversions de phrases ou d’articles. Si sa mission était uniquement de nous servir du réchauffé, des étudiants en première année de géographie, de droit et d’économie, auraient parfaitement pu faire l’affaire. Pour faire bonne figure on leur adjoindrait quelques étudiants de deuxième année. La jeunesse aidant, peut-être auraient-ils été plus inspirés, donc plus audacieux ? Une véritable réforme se doit d’être courageuse, quitte à déplaire au Chef de l’Etat et aux partis politiques. Une réforme doit être pensée et menée pour le bien des populations et non pour maintenir les privilèges des politiques. Avec cette réforme, nous sommes dans la même continuité que 1996, c’est-à-dire la perpétuation de la mainmise des partis politiques et de leurs appareils sur les ressources locales.
Communauté rurale : changer de dénomination peut-il transformer le contenu ?
L’une des mesures jugée par les défenseurs de la nouvelle réforme comme étant la plus importante, voire révolutionnaire, c’est la transformation des communautés rurales et des communes d’arrondissement en communes de plein exercice. Les communautés rurales sont créées par la loi de 1972 dans le but de favoriser la mobilisation communautaire au sein d’entités qui ont des intérêts communs, qui ont souvent la même histoire, la même appartenance culturelle et linguistique. Leur particularité était qu’elles concerneraient des communautés du Sénégal profond, de la campagne. Dans notre copie forcenée de l’appareil politique et administratif français, les communautés rurales, apparaissaient comme la seule invention sénégalaise originale. Leur ruralité devait être considérée comme un atout qui les différencierait des citadins. Les sociétés, les rythmes de vie, l’économie, parfois les croyances ne sont pas les mêmes que dans les espaces urbanisés, même si, bien sûr, les interdépendances sont nombreuses. Les communautés rurales étaient ainsi distinguées pour une meilleure prise en considération de leurs spécificités et de leurs besoins. Veut-on gommer, dans le Sénégal d’aujourd’hui les différences entre la ville et la campagne ? Qu’est-ce que l’appellation de commune apporterait de nouveau aux anciennes communautés rurales ? En réalité, il semblerait que c’est le mot rural qu’on veut éliminer du vocabulaire, après l’éviction du terme « paysan » Cette réalité rurale et paysanne qui a été une dynamique culturelle, économique et sociale forte, porteuse d’avenir comme le témoigne le livre de Paul Pélissier, au titre évocateur, « Les paysans du Sénégal. Les paysages agraires du Cayor à la Casamance », a complétement été minorée au profit de la ville. Les campagnes, sur lesquelles reposait l’économie sénégalaise, n’ont jamais reçu les investissements nécessaires à leur développement et à l’épanouissement de leurs habitants. La conséquence, c’est qu’au-delà des cataclysmes naturels, les campagnes se sont vidées parce qu’on n’a pas su redynamiser leur économie par une volonté politique affirmée. Aujourd’hui encore, quand on parle de « retour à l’agriculture » ou « retour à la terre », on a l’impression que c’est surtout pour culpabiliser tous ces ruraux qui abandonnent leurs villages pour les chimères de la ville. On peut utiliser tous les mots qu’on veut, prononcer autant de vœux qu’on sait dès le départ pieux, mais tant que les avantages comparatifs resteront en défaveur de la campagne, la plupart de ses habitants, les plus jeunes notamment, voudront partir ailleurs. Pour arrêter ce phénomène et maintenir les populations rurales, il ne s’agit pas seulement de changer de dénomination administrative, mais de faire en sorte que l’énorme effort depuis l’Indépendance (mais bien avant aussi) consenti par les ruraux dans la croissance et le développement économique de notre pays, leur soit en partie retourné. La communauté rurale a toute sa place dans le fonctionnement de notre administration, quitte à agréger un certain nombre d’entre-elles pour les rendre viables. Ce qui est une honte par contre, c’est de ne pas accroitre ses compétences et surtout de ne pas lui avoir octroyé les moyens nécessaires à son impulsion. Malheureusement la nouvelle réforme ne répond pas à la question des moyens, donc, communauté rurale ou commune, la réalité de nos campagnes ne se verra pas modifiée par cette décentralisation molle.
Remettre à plat notre architecture politico-administrative
« Territorialisation de l’action publique », « gestion de proximité » : ces expressions sont utilisées comme les alibis suprêmes qui devraient inciter le citoyen sénégalais à adhérer entièrement à la politique de décentralisation et au découpage administratif du pays. Mais quelles réalités recouvrent ces expressions ? Nous ne reviendrons pas ici sur les conditionnalités des bailleurs de fonds internationaux dont la confiance envers les gouvernements centraux s’est largement érodée depuis les années 1970, et qui ont promu la décentralisation, la gestion dite de proximité, en valeurs démocratiques pour pallier les insuffisances des pouvoirs centralisés. La territorialisation est expliquée comme la mise en œuvre des politiques de développement, non plus au niveau national, mais local. La gestion de proximité met cette politique aux mains d’acteurs locaux, sensés, en raison de leur supposée proximité avec les populations, mieux appréhender les besoins de leurs concitoyens. En réalité, ces expressions ne sont que des slogans qui ne traduisent aucun changement de pratiques dans la méthode gouvernementale encore moins dans la vie des populations. La territorialisation a d’ailleurs toujours existé, notamment à travers les Plans de développement économique et social, nationaux et régionaux. Pourquoi donc toujours insister sur ce terme si ce n’est pour jeter la poudre aux yeux du citoyen, en présentant l’ancien comme neuf et plus performant ? Quant à la gestion dite de proximité dont on nous vante les mérites depuis 1996, comment se manifeste-t-elle sur le terrain ? Les maires d’arrondissement sont-ils aussi proches de leurs concitoyens et de leurs besoins comme on aurait pu s’y attendre ? Il n’est pas difficile de répondre à cette question. La proximité n’a jamais été constatée entre les élus et leurs populations. Rares sont les maires et autres élus reconnus ou reconnaissables par leurs concitoyens, à l’exception des têtes d’affiches qu’on voit dans les médias. La plupart ne connait pas le visage de leurs élus. Quant à la proximité des actions ou réalisations, on peut se demander quelles actions majeures les communes d’arrondissement ont réalisé ? Quand bien même il y’aurait tel ou tel autre investissement, n’aurait-il pas pu être réalisé par la commune-ville (en cas de non existence de la commune d’arrondissement) ? En vérité, les Dakarois ont bien constaté le travail nocif des mairies d’arrondissement. Le manque de ressources obligeant, les communes d’arrondissement ont multiplié ces deux dernières décennies, les espaces commerciaux : les surfaces des marchés ont été étendues, des écoles, des dispensaires et autres lieux publics cernés de toutes parts par des cantines, de nouveaux espaces commerciaux installés au détriment de bâtiments publics, de jardins ou d’aires de jeux. Les mairies d’arrondissement ont largement contribué à l’encombrement de la capitale, par cette cantinisation qui ne pouvait être que sauvage. Pourquoi ne pas avoir tiré le bilan de cette gestion, certes proche (là du coup la gestion est proche puisque la cantine se trouve devant notre porte), mais chaotique, avant de les maintenir dans la nouvelle réforme ? L’absence de moyens qui justifiait la cantinisation de la région urbaine de Dakar (communes de Pikine, Guédiawaye, Rufisque, Bargny, Dakar) va justifier l’aggravation du phénomène avec leur érection en communes de plein exercice. Comment avec de nouvelles responsabilités, de nouveaux pouvoirs, les communes vont-elles créer de nouvelles ressources pour se financer ? En seront-elles capables ?
Une réforme ambitieuse aurait réfléchi au remodelage total de notre architecture territoriale. Si la proposition de supprimer la Région collectivité locale nous semble être une bonne idée, celle-ci n’ayant jamais rempli son rôle de catalyseur du développement économique et social à la base, son remplacement par des conseils départementaux est décevant, car il est malheureux de constater que nous restons dans les mêmes logiques. Finalement on fait une nouvelle réforme pour que rien ne change, pour maintenir les équilibres. Ce sont les mêmes qui siégeaient dans les conseils régionaux qui vont se rabattre dans les conseils départements, les budgets de fonctionnement vont toujours tourner autour de 70 % et plus. Si les départements sont les espaces les plus pertinents de « la territorialisation des politiques publiques » comme le prétendent les défenseurs de la réforme, pourquoi la classe politique dans son ensemble avait rejeté le projet de « provincialisation » du Président Wade, qui pourtant, épouse les mêmes contours ? L’argument consistant à dire que cela diviserait les Sénégalais ne tiendrait plus, alors qu’à l’heure actuelle ce sont les mêmes arguments qui sont utilisés pour défendre le département, c’est-à-dire, la même unité géographique, historique, culturel et/ou linguistique (Bignona département = Fogny province). Comme par enchantement ce qui était porteur de désordre devient source d’espérance ?
La territorialisation et la gestion de proximité ne sont pas une question de « petitesse », d’agrandissement ou de réduction des échelles de mise en pratique des politiques publiques, mais une question de vision, de compétences et de moyens. La compréhension étroite de la territorialisation et de la gestion de proximité a conduit nos gouvernants à morceler le pays en une multitude d’entités administratives dont la plupart n’a aucune cohérence politique et économique. Le Sénégal compte actuellement 14 régions, 44 départements (préfectures) subdivisés en 133 arrondissements (sous-préfectures), 115 communes (urbaines), dont 46 communes d’arrondissement (43 à Dakar et 3 à Thiès), et 370 communautés rurales. Et le morcellement va encore s’accentuer, conditionné par une vision erronée de la gestion de proximité et de la territorialisation. A ce rythme, si nous suivons la logique des décideurs et des spécialistes officiels de la décentralisation et de l’aménagement du territoire, bientôt le cadre pertinent de « territorialisation de l’action publique » risque de descendre au niveau du quartier et du village, érigés en collectivités locales. Pourtant, la plupart, si ce n’est toutes les collectivités locales, disent ne pas avoir les moyens pour fonctionner normalement. La solution aurait été de mutualiser les moyens, en regroupant un certain nombre d’entre elles. Le terme « mutualiser » (les moyens, les compétences) est souvent employé dans le Code général des collectivités locales. Le meilleur moyen de mutualiser ne serait-il pas de les regrouper ?
La réduction du nombre de régions administratives a été préconisée pour revenir à sept comme au moment de l’Indépendance. Il est effectivement légitime de penser que des régions qui ont la même histoire, une certaine unité linguistique et/ou culturelle, les mêmes potentialités économiques, doivent constituer un même et unique ensemble : la Casamance, le Sine Saloum, la région du Fleuve, etc. Le gouvernement parle pour le moment de « pôles de développement économique et social » regroupant plusieurs régions administratives, sans préciser si les régions actuelles seront abolies ou pas. Cette imprécision relève-t-elle de l’ambiguïté classique de l’Etat quand il s’agit de découpage territorial ou plus grave encore, traduit-elle une carence dans la conception du cadre territorial projeté ? L’audace aujourd’hui reviendrait à revoir à la baisse le nombre de régions administratives. Mais pas seulement. Il était temps avec une nouvelle réforme de la décentralisation, à défaut de les supprimer, de revoir à la baisse le nombre des communes d’arrondissement. 43 communes d’arrondissement pour une région urbaine aussi étriquée que Dakar, c’est démesuré. Souvenons-nous de 1996 : lors de la promulgation de la loi instaurant la réforme de la décentralisation et le découpage administratif, la plupart des partis d’opposition avaient manifesté leur refus. Après les élections locales de 1997, plus aucun bruit à ce propos. Serait-ce parce que, d’un coup, les entités nouvellement créées, instituées en collectivités locales (régions et communes d’arrondissement), avaient montré leur efficacité ? La réponse n’est pas à chercher du côté l’efficacité des collectivités locales, mais plutôt dans la représentation des partis politiques au sein des instances locales. Un parti ou un mouvement politique, même peu reconnu par les populations, peut facilement avoir des élus au niveau communal, notamment par le biais des alliances ou autres. Mais est-ce pour le bénéfice des quartiers et de leurs habitants ? Le combat des partis politiques, au pouvoir comme dans l’opposition, est de faire élire leurs membres, même sachant que les collectivités locales engloutiront l’essentiel de leur budget en dépenses de fonctionnement. Ce qui nous fait dire que cette décentralisation est pour les politiques et non pour les citoyens et leur bien-être. La réforme de 1996 a permis d’entretenir une classe politique et bureaucratique locale et nationale, le nouveau Code général des collectivités locales, reste dans la même continuité. Le débat sur les candidatures indépendantes (rejetées par l’Assemblée nationale) le confirme. En effet, au lieu de promouvoir les acteurs à la base, les compétences locales, pour résumer, les communautés de base pour un développement endogène, cette décentralisation à la sénégalaise, promeut les politiciens professionnels au niveau national et local. La « démocratie participative » reste dans ce contexte un vœu pieux. D’ailleurs, à lire les sections « participation citoyenne » du Code général des collectivités locales, on est en droit de se demander si ses auteurs savent ce qui cette expression signifie. Le fait est que le citoyen ordinaire est complétement exclu de fonctionnement des collectivités locales.
Dans le même ordre d’idées, on peut se demander si notre organisation administrative n’est pas archaïque. Le Sénégal est institué en différents ordres administratifs hiérarchisés : Région, Département, Arrondissement. Quelle pertinence y a-t-il actuellement à maintenir les arrondissements (sous-préfectures) au nombre huit dans la région de Dakar ? Les réalités d’hier qui pouvaient les justifier sont-elles les vérités d’aujourd’hui ? Il est temps d’oser évoluer. Le monde change, notre organisation administrative doit évoluer ! Nous disons dans ce pays que nous sommes pauvres et pourtant nous savons chercher les moyens de gaspiller nos maigres ressources. Mutualiser ! Pour cela il faut avoir le courage nécessaire pour réduire le nombre de collectivités locales ainsi que les entités administratives (régions, départements, arrondissements).
Les ressources du Sénégal sont limitées. On le dit assez souvent, mais en est-on vraiment conscient ? Le Fonds de dotation de la décentralisation va fonctionner comme avant, plus ou moins. Ce fonds n’a pas assez de moyens pour gérer son propre fonctionnement, donc c’est superflu de penser que les 3,5 % de la Tva seront respectés et que cet argent ira effectivement aux collectivités locales. En tout état de cause, pour impulser leur développement, les collectivités locales devront chercher d’autres ressources que ce fonds ou le Fonds d’équipement des collectivités locales. Mais puisque les politiques ont beaucoup d’imagination, les « centres commerciaux » vont continuer de proliférer…
Conclusion : le gouvernement sensibilise… y’a rien à ajouter
Depuis l’annonce par le Président de la République de la réforme de la décentralisation, cette question a beaucoup été débattue dans la presse. Des spécialistes reconnus (Docteur Djibril Diop à plusieurs reprises et avec Alé Badara Sy sur le site www.dakaractu.com du mardi 15 octobre 2013) ont attiré l’attention du gouvernement quant aux risques de rater cette réforme. Le gouvernement a maintenu le cap. Le ministère chargé des collectivités locales a même mené des campagnes de « sensibilisation » avant la mise en place de la commission, pendant ses travaux et après le vote à l’Assemblée nationale. Des journalistes ont même été sensibilisés pour qu’ils sensibilisent. Il (le gouvernement) continue de « sensibiliser » « Sensibiliser » : d’après le dictionnaire Le petit Larousse Illustré : « rendre sensible, réceptif à quelque chose. » Dès le départ, le gouvernement était convaincu du bien-fondé de ses « propositions » Aucun débat, à ses yeux, n’était utile. Là où il aurait fallu tenir compte des avis des uns et des autres, politiques, opérateurs économiques et socio-culturels, société civile, populations, experts officiels mais aussi non officiels, dans un large débat contradictoire, on s’est contenté de « sensibiliser » Les élections locales auront lieu en juin ou à une autre date, qu’importe. Les conseils départementaux et municipaux (y compris dans les campagnes) se mettront en place. Les partis politiques compteront chacun leur nombre d’élus, se congratulant ou se déchirant. Et la vie va continuer. Les collectivités locales vont se plaindre de leur manque de moyens, elles utiliseront pour la plupart plus de 70% de leur budget pour fonctionner, souvent plus, le reste pour faire du social, beaucoup de social pour maintenir une clientèle, et le dérisoire pour construire tous les 5 ans une maison des femmes ou une case de santé ou goudronner une route ou installer l’éclairage public sur telle voie. Les citoyens vont également continuer à se plaindre, de l’état calamiteux des routes, des inondations, de l’insalubrité, du manque d’éclairage, des problèmes de sécurité, et en dernier recours, faire appel à … l’Etat, qui tant bien que mal, comme c’est le cas aujourd’hui, essaiera de répondre à ces besoins. Avec cette réforme, le gouvernement effectue un léger toilettage du Code pour que rien ne change. On le perçoit d’ailleurs nettement à travers le débat sur les prochaines élections. Celui-ci porte, comme par le passé, non pas sur des projets ou des programmes, mais sur des personnes.
Nous pensons en définitive que l’idée de départ était bonne, qu’il fallait une réforme en profondeur. Mais la méthode utilisée est mauvaise, son contenu est donc mauvais et ce sont les populations qui vont en payer le prix fort, avec des taxes (parfois fantômes : elles existent ces taxes, le citoyen les paye sans le savoir, il ne voit pas où c’est inscrit) qui augmentent sans cesse, sans que leur environnement ne s’améliore. La véritable réforme de la décentralisation, faite pour les populations, pour le développement économique et social des villes et des campagnes, on l’attend encore...
(1) En France aussi c’est un non-sens de parler d’un acte 3. La décentralisation est un long processus et les réformes de 1982 et de 2003 ne sont que des étapes, certes importantes, parmi d’autres : lire à ce propos Thomas Frinault, « La décentralisation : retour sur deux siècles de réformes », Métropolitiques, 1er octobre 2012. URL : http://www.metropolitiques.eu/La-decentralisation-retour-sur.html
Docteur Youssouph SANE
Géographe
Contact : youssouph.sane@yahoo.fr
Quel sens y a-t-il à donner un numéro d’ordre (Acte numéro 3) à une réforme dont le processus mouvementé remonte au 19ème siècle, plus précisément à 1872, date à laquelle Saint-Louis et Gorée accèdent au statut de communes de plein exercice ? Les mots ont un sens qu’il ne s’agit pas d’ignorer. Prononcer des mots suppose qu’on ait au moins pu y réfléchir avant, surtout venant d’un homme d’Etat. En mars 2013, le Président Macky Sall évoque un « acte 3 de la décentralisation », en résonnance avec l’idée énoncée de réformer le fonctionnement de nos collectivités locales, émise en conseil des ministres décentralisé le 07 juin 2012 à Saint-Louis. Ces mêmes mots ont été prononcés un an plus tôt par le Président de la République française, Monsieur François Hollande, et largement repris par la presse française lors de la campagne présidentielle française de 2012. Le Président de la République française faisait alors référence aux deux réformes d’envergure de la décentralisation française, à savoir celle de 1982 et celle de 2003 (1). A quelles autres réformes Monsieur Macky Sall faisait-il référence pour annoncer un troisième acte ? Ses conseillers et autres spécialistes souvent liés au pouvoir, ont par la suite, rétrospectivement, invoqué la réforme de 1972 qui créait les communautés rurales et la réforme de 1996 qui transfère, dans les textes du moins, neuf domaines de compétence, de l’Etat central aux collectivités locales. Les progrès notés avant l’Indépendance dans la création et la gestion de niveaux décentralisés et de niveaux déconcentrés, n’entrent-ils pas en ligne de compte ? Quid de la loi de 1966 qui établit le code de l’administration communale ? Qu’en est-il de la réforme de 1983 qui instaure l’intercommunalité et qui avait permis la mise en place de la communauté urbaine de Dakar ? Considérant les propos du Président de la République, on peut constater que le mimétisme demeure toujours la règle au Sénégal. Celui qui réfléchit au projet avant d’énoncer l’idée, n’est certainement comparable à celui qui reprend l’idée. Nous avons l’habitude de reprendre les idées des autres, très souvent sans réflexion approfondie. Le Conseil économique et social devient aussi environnemental après que d’autres en aient eu l’idée. La réforme du Conseil constitutionnel évoquée dans l’entre-deux tours de la dernière élection présidentielle, qui passerait de cinq à neuf membres, reprend les mêmes contours que le Conseil constitutionnel français.
Le problème fondamental de notre système politique et administratif, c’est qu’il est basé sur un mimétisme béat de l’appareil français, alors que nous n’avons ni les mêmes réalités ni les mêmes moyens. Même si c’était le cas, il faut savoir que la décentralisation française n’est pas le meilleur exemple. La France reste, en dépit de ses moyens et de la volonté politique supposée, un Etat encore très fortement centralisé. Au Sénégal cette énième réforme de la décentralisation devait être l’occasion de rompre avec le passé, de tout remettre à plat, de mettre en place un nouveau système politico-administratif, plus juste, plus équilibré, qui place le citoyen au centre, et qui tient compte de nos réalités territoriales ou géographiques, politiques, historiques, économiques, sociales et culturelles. Mais pour cela, il fallait une vision claire et de l’audace. Ce que la commission chargée de la mise en œuvre n’avait pas.
Une commission pour exécuter les propositions du Chef de l’Etat
On peut supposer que si le Président de la République confie une mission aussi importante que la réforme de la décentralisation à une commission, c’est parce qu’il jugeait que celle-ci maîtriserait mieux cette question que son gouvernement. Autrement le Ministère chargé des collectivités locales aurait mené cette réforme. La commission a travaillé durant quelques mois et a rendu son rapport. A quoi a-t-on assisté au final ? A la reprise par la commission de toutes les propositions du Chef de l’Etat. Le Président voulait la suppression de la Région collectivité locale, c’est fait. Le Président voulait une communalisation intégrale, c’est fait. Le Président voulait la consécration des départements en collectivités locales, c’est fait. Quelle proposition novatrice de la commission ? Aucune ! Le plus grave, c’est que la commission reprend presque mot pour mot, la loi de 1996. Le nouveau Code général des collectivités locales, voté par l’Assemblée national le 19 décembre 2013 est une reprise intégrale de celui de 1996. On n’y note juste la suppression de « Région », remplacée par « Département » et quelques inversions de phrases ou d’articles. Si sa mission était uniquement de nous servir du réchauffé, des étudiants en première année de géographie, de droit et d’économie, auraient parfaitement pu faire l’affaire. Pour faire bonne figure on leur adjoindrait quelques étudiants de deuxième année. La jeunesse aidant, peut-être auraient-ils été plus inspirés, donc plus audacieux ? Une véritable réforme se doit d’être courageuse, quitte à déplaire au Chef de l’Etat et aux partis politiques. Une réforme doit être pensée et menée pour le bien des populations et non pour maintenir les privilèges des politiques. Avec cette réforme, nous sommes dans la même continuité que 1996, c’est-à-dire la perpétuation de la mainmise des partis politiques et de leurs appareils sur les ressources locales.
Communauté rurale : changer de dénomination peut-il transformer le contenu ?
L’une des mesures jugée par les défenseurs de la nouvelle réforme comme étant la plus importante, voire révolutionnaire, c’est la transformation des communautés rurales et des communes d’arrondissement en communes de plein exercice. Les communautés rurales sont créées par la loi de 1972 dans le but de favoriser la mobilisation communautaire au sein d’entités qui ont des intérêts communs, qui ont souvent la même histoire, la même appartenance culturelle et linguistique. Leur particularité était qu’elles concerneraient des communautés du Sénégal profond, de la campagne. Dans notre copie forcenée de l’appareil politique et administratif français, les communautés rurales, apparaissaient comme la seule invention sénégalaise originale. Leur ruralité devait être considérée comme un atout qui les différencierait des citadins. Les sociétés, les rythmes de vie, l’économie, parfois les croyances ne sont pas les mêmes que dans les espaces urbanisés, même si, bien sûr, les interdépendances sont nombreuses. Les communautés rurales étaient ainsi distinguées pour une meilleure prise en considération de leurs spécificités et de leurs besoins. Veut-on gommer, dans le Sénégal d’aujourd’hui les différences entre la ville et la campagne ? Qu’est-ce que l’appellation de commune apporterait de nouveau aux anciennes communautés rurales ? En réalité, il semblerait que c’est le mot rural qu’on veut éliminer du vocabulaire, après l’éviction du terme « paysan » Cette réalité rurale et paysanne qui a été une dynamique culturelle, économique et sociale forte, porteuse d’avenir comme le témoigne le livre de Paul Pélissier, au titre évocateur, « Les paysans du Sénégal. Les paysages agraires du Cayor à la Casamance », a complétement été minorée au profit de la ville. Les campagnes, sur lesquelles reposait l’économie sénégalaise, n’ont jamais reçu les investissements nécessaires à leur développement et à l’épanouissement de leurs habitants. La conséquence, c’est qu’au-delà des cataclysmes naturels, les campagnes se sont vidées parce qu’on n’a pas su redynamiser leur économie par une volonté politique affirmée. Aujourd’hui encore, quand on parle de « retour à l’agriculture » ou « retour à la terre », on a l’impression que c’est surtout pour culpabiliser tous ces ruraux qui abandonnent leurs villages pour les chimères de la ville. On peut utiliser tous les mots qu’on veut, prononcer autant de vœux qu’on sait dès le départ pieux, mais tant que les avantages comparatifs resteront en défaveur de la campagne, la plupart de ses habitants, les plus jeunes notamment, voudront partir ailleurs. Pour arrêter ce phénomène et maintenir les populations rurales, il ne s’agit pas seulement de changer de dénomination administrative, mais de faire en sorte que l’énorme effort depuis l’Indépendance (mais bien avant aussi) consenti par les ruraux dans la croissance et le développement économique de notre pays, leur soit en partie retourné. La communauté rurale a toute sa place dans le fonctionnement de notre administration, quitte à agréger un certain nombre d’entre-elles pour les rendre viables. Ce qui est une honte par contre, c’est de ne pas accroitre ses compétences et surtout de ne pas lui avoir octroyé les moyens nécessaires à son impulsion. Malheureusement la nouvelle réforme ne répond pas à la question des moyens, donc, communauté rurale ou commune, la réalité de nos campagnes ne se verra pas modifiée par cette décentralisation molle.
Remettre à plat notre architecture politico-administrative
« Territorialisation de l’action publique », « gestion de proximité » : ces expressions sont utilisées comme les alibis suprêmes qui devraient inciter le citoyen sénégalais à adhérer entièrement à la politique de décentralisation et au découpage administratif du pays. Mais quelles réalités recouvrent ces expressions ? Nous ne reviendrons pas ici sur les conditionnalités des bailleurs de fonds internationaux dont la confiance envers les gouvernements centraux s’est largement érodée depuis les années 1970, et qui ont promu la décentralisation, la gestion dite de proximité, en valeurs démocratiques pour pallier les insuffisances des pouvoirs centralisés. La territorialisation est expliquée comme la mise en œuvre des politiques de développement, non plus au niveau national, mais local. La gestion de proximité met cette politique aux mains d’acteurs locaux, sensés, en raison de leur supposée proximité avec les populations, mieux appréhender les besoins de leurs concitoyens. En réalité, ces expressions ne sont que des slogans qui ne traduisent aucun changement de pratiques dans la méthode gouvernementale encore moins dans la vie des populations. La territorialisation a d’ailleurs toujours existé, notamment à travers les Plans de développement économique et social, nationaux et régionaux. Pourquoi donc toujours insister sur ce terme si ce n’est pour jeter la poudre aux yeux du citoyen, en présentant l’ancien comme neuf et plus performant ? Quant à la gestion dite de proximité dont on nous vante les mérites depuis 1996, comment se manifeste-t-elle sur le terrain ? Les maires d’arrondissement sont-ils aussi proches de leurs concitoyens et de leurs besoins comme on aurait pu s’y attendre ? Il n’est pas difficile de répondre à cette question. La proximité n’a jamais été constatée entre les élus et leurs populations. Rares sont les maires et autres élus reconnus ou reconnaissables par leurs concitoyens, à l’exception des têtes d’affiches qu’on voit dans les médias. La plupart ne connait pas le visage de leurs élus. Quant à la proximité des actions ou réalisations, on peut se demander quelles actions majeures les communes d’arrondissement ont réalisé ? Quand bien même il y’aurait tel ou tel autre investissement, n’aurait-il pas pu être réalisé par la commune-ville (en cas de non existence de la commune d’arrondissement) ? En vérité, les Dakarois ont bien constaté le travail nocif des mairies d’arrondissement. Le manque de ressources obligeant, les communes d’arrondissement ont multiplié ces deux dernières décennies, les espaces commerciaux : les surfaces des marchés ont été étendues, des écoles, des dispensaires et autres lieux publics cernés de toutes parts par des cantines, de nouveaux espaces commerciaux installés au détriment de bâtiments publics, de jardins ou d’aires de jeux. Les mairies d’arrondissement ont largement contribué à l’encombrement de la capitale, par cette cantinisation qui ne pouvait être que sauvage. Pourquoi ne pas avoir tiré le bilan de cette gestion, certes proche (là du coup la gestion est proche puisque la cantine se trouve devant notre porte), mais chaotique, avant de les maintenir dans la nouvelle réforme ? L’absence de moyens qui justifiait la cantinisation de la région urbaine de Dakar (communes de Pikine, Guédiawaye, Rufisque, Bargny, Dakar) va justifier l’aggravation du phénomène avec leur érection en communes de plein exercice. Comment avec de nouvelles responsabilités, de nouveaux pouvoirs, les communes vont-elles créer de nouvelles ressources pour se financer ? En seront-elles capables ?
Une réforme ambitieuse aurait réfléchi au remodelage total de notre architecture territoriale. Si la proposition de supprimer la Région collectivité locale nous semble être une bonne idée, celle-ci n’ayant jamais rempli son rôle de catalyseur du développement économique et social à la base, son remplacement par des conseils départementaux est décevant, car il est malheureux de constater que nous restons dans les mêmes logiques. Finalement on fait une nouvelle réforme pour que rien ne change, pour maintenir les équilibres. Ce sont les mêmes qui siégeaient dans les conseils régionaux qui vont se rabattre dans les conseils départements, les budgets de fonctionnement vont toujours tourner autour de 70 % et plus. Si les départements sont les espaces les plus pertinents de « la territorialisation des politiques publiques » comme le prétendent les défenseurs de la réforme, pourquoi la classe politique dans son ensemble avait rejeté le projet de « provincialisation » du Président Wade, qui pourtant, épouse les mêmes contours ? L’argument consistant à dire que cela diviserait les Sénégalais ne tiendrait plus, alors qu’à l’heure actuelle ce sont les mêmes arguments qui sont utilisés pour défendre le département, c’est-à-dire, la même unité géographique, historique, culturel et/ou linguistique (Bignona département = Fogny province). Comme par enchantement ce qui était porteur de désordre devient source d’espérance ?
La territorialisation et la gestion de proximité ne sont pas une question de « petitesse », d’agrandissement ou de réduction des échelles de mise en pratique des politiques publiques, mais une question de vision, de compétences et de moyens. La compréhension étroite de la territorialisation et de la gestion de proximité a conduit nos gouvernants à morceler le pays en une multitude d’entités administratives dont la plupart n’a aucune cohérence politique et économique. Le Sénégal compte actuellement 14 régions, 44 départements (préfectures) subdivisés en 133 arrondissements (sous-préfectures), 115 communes (urbaines), dont 46 communes d’arrondissement (43 à Dakar et 3 à Thiès), et 370 communautés rurales. Et le morcellement va encore s’accentuer, conditionné par une vision erronée de la gestion de proximité et de la territorialisation. A ce rythme, si nous suivons la logique des décideurs et des spécialistes officiels de la décentralisation et de l’aménagement du territoire, bientôt le cadre pertinent de « territorialisation de l’action publique » risque de descendre au niveau du quartier et du village, érigés en collectivités locales. Pourtant, la plupart, si ce n’est toutes les collectivités locales, disent ne pas avoir les moyens pour fonctionner normalement. La solution aurait été de mutualiser les moyens, en regroupant un certain nombre d’entre elles. Le terme « mutualiser » (les moyens, les compétences) est souvent employé dans le Code général des collectivités locales. Le meilleur moyen de mutualiser ne serait-il pas de les regrouper ?
La réduction du nombre de régions administratives a été préconisée pour revenir à sept comme au moment de l’Indépendance. Il est effectivement légitime de penser que des régions qui ont la même histoire, une certaine unité linguistique et/ou culturelle, les mêmes potentialités économiques, doivent constituer un même et unique ensemble : la Casamance, le Sine Saloum, la région du Fleuve, etc. Le gouvernement parle pour le moment de « pôles de développement économique et social » regroupant plusieurs régions administratives, sans préciser si les régions actuelles seront abolies ou pas. Cette imprécision relève-t-elle de l’ambiguïté classique de l’Etat quand il s’agit de découpage territorial ou plus grave encore, traduit-elle une carence dans la conception du cadre territorial projeté ? L’audace aujourd’hui reviendrait à revoir à la baisse le nombre de régions administratives. Mais pas seulement. Il était temps avec une nouvelle réforme de la décentralisation, à défaut de les supprimer, de revoir à la baisse le nombre des communes d’arrondissement. 43 communes d’arrondissement pour une région urbaine aussi étriquée que Dakar, c’est démesuré. Souvenons-nous de 1996 : lors de la promulgation de la loi instaurant la réforme de la décentralisation et le découpage administratif, la plupart des partis d’opposition avaient manifesté leur refus. Après les élections locales de 1997, plus aucun bruit à ce propos. Serait-ce parce que, d’un coup, les entités nouvellement créées, instituées en collectivités locales (régions et communes d’arrondissement), avaient montré leur efficacité ? La réponse n’est pas à chercher du côté l’efficacité des collectivités locales, mais plutôt dans la représentation des partis politiques au sein des instances locales. Un parti ou un mouvement politique, même peu reconnu par les populations, peut facilement avoir des élus au niveau communal, notamment par le biais des alliances ou autres. Mais est-ce pour le bénéfice des quartiers et de leurs habitants ? Le combat des partis politiques, au pouvoir comme dans l’opposition, est de faire élire leurs membres, même sachant que les collectivités locales engloutiront l’essentiel de leur budget en dépenses de fonctionnement. Ce qui nous fait dire que cette décentralisation est pour les politiques et non pour les citoyens et leur bien-être. La réforme de 1996 a permis d’entretenir une classe politique et bureaucratique locale et nationale, le nouveau Code général des collectivités locales, reste dans la même continuité. Le débat sur les candidatures indépendantes (rejetées par l’Assemblée nationale) le confirme. En effet, au lieu de promouvoir les acteurs à la base, les compétences locales, pour résumer, les communautés de base pour un développement endogène, cette décentralisation à la sénégalaise, promeut les politiciens professionnels au niveau national et local. La « démocratie participative » reste dans ce contexte un vœu pieux. D’ailleurs, à lire les sections « participation citoyenne » du Code général des collectivités locales, on est en droit de se demander si ses auteurs savent ce qui cette expression signifie. Le fait est que le citoyen ordinaire est complétement exclu de fonctionnement des collectivités locales.
Dans le même ordre d’idées, on peut se demander si notre organisation administrative n’est pas archaïque. Le Sénégal est institué en différents ordres administratifs hiérarchisés : Région, Département, Arrondissement. Quelle pertinence y a-t-il actuellement à maintenir les arrondissements (sous-préfectures) au nombre huit dans la région de Dakar ? Les réalités d’hier qui pouvaient les justifier sont-elles les vérités d’aujourd’hui ? Il est temps d’oser évoluer. Le monde change, notre organisation administrative doit évoluer ! Nous disons dans ce pays que nous sommes pauvres et pourtant nous savons chercher les moyens de gaspiller nos maigres ressources. Mutualiser ! Pour cela il faut avoir le courage nécessaire pour réduire le nombre de collectivités locales ainsi que les entités administratives (régions, départements, arrondissements).
Les ressources du Sénégal sont limitées. On le dit assez souvent, mais en est-on vraiment conscient ? Le Fonds de dotation de la décentralisation va fonctionner comme avant, plus ou moins. Ce fonds n’a pas assez de moyens pour gérer son propre fonctionnement, donc c’est superflu de penser que les 3,5 % de la Tva seront respectés et que cet argent ira effectivement aux collectivités locales. En tout état de cause, pour impulser leur développement, les collectivités locales devront chercher d’autres ressources que ce fonds ou le Fonds d’équipement des collectivités locales. Mais puisque les politiques ont beaucoup d’imagination, les « centres commerciaux » vont continuer de proliférer…
Conclusion : le gouvernement sensibilise… y’a rien à ajouter
Depuis l’annonce par le Président de la République de la réforme de la décentralisation, cette question a beaucoup été débattue dans la presse. Des spécialistes reconnus (Docteur Djibril Diop à plusieurs reprises et avec Alé Badara Sy sur le site www.dakaractu.com du mardi 15 octobre 2013) ont attiré l’attention du gouvernement quant aux risques de rater cette réforme. Le gouvernement a maintenu le cap. Le ministère chargé des collectivités locales a même mené des campagnes de « sensibilisation » avant la mise en place de la commission, pendant ses travaux et après le vote à l’Assemblée nationale. Des journalistes ont même été sensibilisés pour qu’ils sensibilisent. Il (le gouvernement) continue de « sensibiliser » « Sensibiliser » : d’après le dictionnaire Le petit Larousse Illustré : « rendre sensible, réceptif à quelque chose. » Dès le départ, le gouvernement était convaincu du bien-fondé de ses « propositions » Aucun débat, à ses yeux, n’était utile. Là où il aurait fallu tenir compte des avis des uns et des autres, politiques, opérateurs économiques et socio-culturels, société civile, populations, experts officiels mais aussi non officiels, dans un large débat contradictoire, on s’est contenté de « sensibiliser » Les élections locales auront lieu en juin ou à une autre date, qu’importe. Les conseils départementaux et municipaux (y compris dans les campagnes) se mettront en place. Les partis politiques compteront chacun leur nombre d’élus, se congratulant ou se déchirant. Et la vie va continuer. Les collectivités locales vont se plaindre de leur manque de moyens, elles utiliseront pour la plupart plus de 70% de leur budget pour fonctionner, souvent plus, le reste pour faire du social, beaucoup de social pour maintenir une clientèle, et le dérisoire pour construire tous les 5 ans une maison des femmes ou une case de santé ou goudronner une route ou installer l’éclairage public sur telle voie. Les citoyens vont également continuer à se plaindre, de l’état calamiteux des routes, des inondations, de l’insalubrité, du manque d’éclairage, des problèmes de sécurité, et en dernier recours, faire appel à … l’Etat, qui tant bien que mal, comme c’est le cas aujourd’hui, essaiera de répondre à ces besoins. Avec cette réforme, le gouvernement effectue un léger toilettage du Code pour que rien ne change. On le perçoit d’ailleurs nettement à travers le débat sur les prochaines élections. Celui-ci porte, comme par le passé, non pas sur des projets ou des programmes, mais sur des personnes.
Nous pensons en définitive que l’idée de départ était bonne, qu’il fallait une réforme en profondeur. Mais la méthode utilisée est mauvaise, son contenu est donc mauvais et ce sont les populations qui vont en payer le prix fort, avec des taxes (parfois fantômes : elles existent ces taxes, le citoyen les paye sans le savoir, il ne voit pas où c’est inscrit) qui augmentent sans cesse, sans que leur environnement ne s’améliore. La véritable réforme de la décentralisation, faite pour les populations, pour le développement économique et social des villes et des campagnes, on l’attend encore...
(1) En France aussi c’est un non-sens de parler d’un acte 3. La décentralisation est un long processus et les réformes de 1982 et de 2003 ne sont que des étapes, certes importantes, parmi d’autres : lire à ce propos Thomas Frinault, « La décentralisation : retour sur deux siècles de réformes », Métropolitiques, 1er octobre 2012. URL : http://www.metropolitiques.eu/La-decentralisation-retour-sur.html
Docteur Youssouph SANE
Géographe
Contact : youssouph.sane@yahoo.fr