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ET SI ON SE PAYAIT LE LUXE DU SILENCE ?

Rédigé par leral.net le Samedi 29 Mars 2025 à 00:32 | | 0 commentaire(s)|

"Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle."

Lors de ses rares sorties, le khalife général des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, conseille toujours le silence. Il ne crie pas, il ne gesticule pas, il ne lance pas son message dans une tirade enflammée sur un plateau télé. Non, il recommande simplement le silence. Et dans un pays où tout le monde parle en même temps, où chacun coupe la parole à l’autre avant même qu’il ait fini sa phrase, où il faut hausser le ton pour exister, ce conseil a quelque chose de révolutionnaire. Mais qui l’entendra ? Le Sénégal bruisse de paroles inutiles.

Dès l’aube, le premier boubou froissé dans la rue s’accompagne d’un flot de commentaires. À la maison, la télévision crache des débats où les chroniqueurs s’étripent à coups de certitudes. Les radios matinales prennent le relais, et voilà que des animateurs s’époumonent sur l’actualité comme si leur vie en dépendait. Dans les transports, le chauffeur de car rapide a son mot à dire sur la politique du pays, le marchand ambulant aussi, et bien sûr, son client ne peut pas laisser passer ça sans répliquer. Sur WhatsApp, dans les groupes de famille, dans les groupes d’amis, chacun balance son analyse – souvent erronée – comme un expert auto-proclamé. Et puis il y a les réseaux sociaux, ce grand défouloir, où celui qui crie le plus fort pense avoir raison par défaut.

Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle. Mieux : tout le monde crie. Il ne s’agit plus de convaincre mais d’écraser l’autre sous un flot de paroles. Peu importe si elles sont vides. Pourtant, ceux qui savent parlent peu. C’est une constante. Le professeur Cheikh Anta Diop, lorsqu’il s’exprimait, pesait chaque mot comme s’il engageait sa vie. On l’écoutait religieusement. Aujourd’hui, l’effet est inverse : plus un individu parle, moins on l’écoute. Parce que tout le monde parle en même temps. Parce que la parole s’est dévaluée à force d’être galvaudée. Victor Hugo, ce bavard de génie, écrivait que « au commencement était le verbe ». C’est vrai. Mais le verbe est aussi source de malheurs. Une parole de trop et une amitié vole en éclats. Une déclaration malheureuse et une nation s’embrase. Des propos inconsidérés et des carrières s’effondrent. Les hommes politiques en savent quelque chose : à force de trop parler, ils finissent toujours par se trahir. Mais l’excès de parole ne nuit pas qu’aux puissants.

Il abîme les liens du quotidien. Une parole mal placée, un mot plus haut que l’autre, et voilà deux voisins qui se tournent le dos pour le reste de leur vie. Un message mal interprété, une phrase sortie de son contexte, et c’est une famille qui se déchire. L’époque est à la susceptibilité exacerbée, et dans un monde où chacun a son mot à dire, personne ne veut faire l’effort de comprendre l’autre. Serigne Babacar Sy Mansour a raison. Il faut réapprendre à se taire. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire (c’est le cas de le dire). Se taire demande un effort. Cela suppose d’écouter, d’accepter que l’autre ait quelque chose à dire. Or, dans une société où chacun se considère comme le centre du monde, l’écoute est une vertu en voie de disparition. Le silence, pourtant, est un luxe. Il permet de réfléchir avant de parler, de ne pas gaspiller sa parole comme une monnaie de singe. Il donne du poids à ce qui est dit. Un silence bien placé peut avoir plus d’effet qu’un discours de deux heures.

C’est d’ailleurs une arme redoutable. Un homme politique qui se tait quand on attend de lui une réaction fait trembler plus d’un adversaire. Un chef d’entreprise qui garde le silence au lieu de répondre à une rumeur lui donne une importance qu’aucun démenti n’aurait pu lui conférer. Mais le silence ne sert pas qu’à impressionner. Il protège. Il empêche de dire une bêtise qui nous suivra toute une vie. Il permet d’éviter des conflits inutiles. Il épargne à l’esprit les agressions sonores incessantes du monde moderne. Bien sûr, tout le monde ne peut pas se taire. Mais entre le silence absolu et le vacarme permanent, il y a un juste milieu. Il y a la parole réfléchie, la parole pesée, la parole rare et précieuse. En attendant, le bruit continue. Les voix s’entrechoquent, les débats s’enveniment, la cacophonie règne. Et, dans ce grand fracas, la vérité, elle, se tait. 

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Alioune


Source : https://www.seneplus.com/opinions/et-si-se-payait-...