Le dernier rapport de Reporters sans frontières (Rsf) qui classe le sénégal à la 73ème position sur 172 pays ne donne pas une image reluisante de la situation de la presse au Sénégal. Ne pensez-vous pas que les conclusions sont exagérées ?
Je pense qu’ on ne peut pas dire de but en blanc que le rapport de Rsf, par les conclusions qu’il indique sur le Sénégal, est exagéré. Ce sont des professionnels. Ils ont des représentants à travers le monde, ils ont des critères sur la base desquels ils évaluent l’ensemble des pays du monde, et donc je crois que
l’objectivité et le professionnalisme de Rsf ne souffrent pas d’un doute. Je trouve que c’est trop facile de dire que c’est exagéré. Au contraire, nous devons nous regarder dans la glace. Qu’est-ce que Rsf a eu à dire qui nous
paraît exagéré ? Est-ce que les constatations faites par Rsf n’ont pas été relevées au Sénégal ? Ce sont des faits précis qu’il a soulevés. Il a souligné qu’au Sénégal, il y a des journaux qui ont été saccagés, personne ne le nie, les auteurs ont été impunis. Les locaux du groupe Walf ont été saccagés par des nervis identifiés, filmés, personne ne les a poursuivis. Rsf n’a rien inventé. Le saccage des quotidiens l’As et 24h Chrono est là. Des lampistes ont été condamnés puis graciés par le président de la République. Le commanditaire, Farba Senghor, cité par tous les lampistes et identifié par tout le monde, est resté impuni, Rsf ne l’a pas inventé. Quand des faits de ce genre ont été mis en exergue, le mieux est de voir quelle est leur cause et d’essayer de les corriger au lieu de faire la politique de l’autruche en nous disant qu’ils nous ont accusés à tort. Ce sont les mêmes paramètres et les mêmes critères qui sont utilisés au Sénégal, en Guinée, en Tanzanie, aux
Etats-Unis, en France ou ailleurs que Rsf a utilisés pour notre pays. Je pense que de ce côté-là, le débat n ‘a pas sa raison d’être.
Le Sénégal serait- il à la traîne par rapport aux autres pays de la sous-région ?
Je connais bien les pays de la sous-région pour la simple raison qu’il n’y a pas un seul pays africain que je n’aie pas parcouru ces douze derniers mois. J’y rencontre les professionnels de la communication, tant les travailleurs que les patrons de presse. Je reviens d’une rencontre à Bamako qui a regroupé l’ensemble des éditeurs des pays africains. Je peux vous dire que le Sénégal est de loin en régression par rapport à bon nombre de pays de la sous - région. Au moment où les gens font des avancées significatives dans les pays de la sous-région, le Sénégal stagne ou régresse. Aujourd’hui, on nous parle du nouveau chantier du code de la presse, mais des pays qui sont arrivés en démocratie, il y a moins de dix ans, ont aujourd’hui dépassé ce stade. Des pays comme le Togo, le Ghana, le
Nigeria, la Sierra Léone ont élaboré leur code depuis longtemps, de même que la Guinée, qui est en train de faire sa gestation démocratique. C’est vous dire que parfois nous faisons un peu de nombrilisme en ne regardant pas autour de nous pendant que les autres avancent. Il faut qu’on se regarde dans une glace et qu’on révise notre position et nos attitudes. Le Sénégal est en train d’être largué par les autres pays de la sous-région.
Actuellement , les investisseurs se tournent vers d’autres pays que le Sénégal, lequel n’a plus cette attractivité- là. Tous les investissements de la sous-région vont au Ghana. Malheureusement, encore une fois, je le répète, les pays de la région décollent. Regardez tout près la Gambie. Elle a certes ses travers sur le plan démocratique, mais au moins sur le plan économique, elle fait de petits efforts. Donc, franchement je voudrai que les gens essaient de dépasser certains clichés croyant que nous sommes les gens qui sont les plus en avance en Afrique. Franchement, cette situation n’existe plus. Parcourez le continent vous verrez que les autres pays sont mieux lotis que nous dans beaucoup de domaines.
La démocratie est-elle plus formelle que réelle à votre avis ?
Aujourd’hui, le dialogue politique n’existe pas entre l’opposition et le pouvoir en place. Alors que c’est un critère d’évaluation de la démocratie. Et pourtant dans d’autres pays, le dialogue est réel. Est-ce que vous avez entendu dans un des pays de la sous - région, une opposition boycotter des élections législatives ? Il n’y a qu’au Sénégal où cela a eu lieu. C’est au Sénégal où le Parlement est dominé de façon outrageante par le parti en place. Vous n’avez aucune opposition au Sénat, c’est le président de la République qui
a élu ses sénateurs, cela n’existe dans aucun pays africain. Et cela est-il un critère d’appréciation d’une bonne démocratie ? Allez à l’Assemblée nationale ! Combien y a- t-il de députés censés être de l’opposition ? Moins d’une dizaine pour une chambre de plus de 120 personnes. Par conséquent quel est le critère de démocratie dans une situation pareille ? Voilà la situation à laquelle nous assistons. Quand les Occidentaux nous disent que notre démocratie est en recul, nous ne voulons pas l’admettre, notre orgueil ne nous le permet pas. Mais les faits confortent ces constats -là. Nous sommes en retard, tant que nous sommes dans un système où il n’y a pas d’équilibre politique, que l’Assemblée nationale est ultra-dominée par le parti au pouvoir qui a une hégémonie à la limite anormale sur les institutions. La démocratie, si elle existe dans les textes, dans la réalité, elle est confrontée à des problèmes. Vous connaissez bien notre système judiciaire, c’est au Sénégal où la justice est la plus décriée dans la sous-région. Il faut se dire la vérité. Dans un pays où la justice est décriée, le système démocratique ne fonctionne pas ,notre système de liberté d’expression recule, vous voulez qu’on soit le pays le plus démocrate de la sous-région, je regrette. Il est important de citer des cas précis. Prenez le cas du Mali où il y a Amadou Toumani Touré qui a été élu démocratiquement. Avant lui, il y avait Alpha Oumar Konaré qui a fait deux mandats, à la fin desquels, il est parti. Le peuple malien a élu un nouveau président qui termine bientôt son second mandat, dans une situation de tranquillité et de paix sociale. Personne n’a contesté les élections dans ce pays. Même la Guinée Bissau qui est chancelante a un système de transition qui lui a permis d’organiser des élections acceptées. Quelle est la spécificité sénégalaise, je veux savoir ? On n’est en rien différents des
autres. Au contraire, ce sont les autres qui font des progrès. La Mauritanie a organisé des élections transparentes, en tout cas moins contestées que celles du Sénégal. Et nous, nous voulons être les chantres de la démocratie. Sur quoi nous fondons-nous pour le dire ? Je regrette.
Notre passé de modèle extraordinaire de la démocratie ne fait plus recette.
Pendant que nous étions dans la démocratie, les autres étaient dans la dictature. Mais ces gens se sont réveillés et sont en train de nous damer le pion. Justement, c’est là qu’ il faut faire attention. Parce qu’il faut se dire que celui qui n’avance pas recule. Nous sommes en train de régresser, de stagner, de piétiner. Les autres avancent, c’est la raison pour laquelle cela se ressent dans notre classement.
On va aborder un autre volet. Si vous nous parlez un peu de votre reconversion. Comment le greffier de formation, que vous êtes ,est-il devenu journaliste ?
C’est tout simple. Je n’ai pas fait de formation en journalisme. J’ai commencé ma vie active comme greffier. J’étais diplômé du Centre de Formation et de Perfectionnement administratifs (CFPA) option gestion judiciaire. J’ai été le major de ma promotion en 1985. Je dois vous dire, toute modestie à part, que j’ai été un sujet très brillant durant toutes mes études, des primaires aux études supérieures. J’ai toujours été le premier de ma classe. Malheureusement le destin a voulu que je sois issu d’une famille de paysans, une famille très modeste, qui n’avait pas les moyens de me permettre de poursuivre des études longues. J’ai dû les arrêter pour intégrer la fonction publique comme greffier. Il s’est trouvé par la suite que la situation de fonctionnaire de la justice comme greffier ne me convenait pas, parce que je ne gagnais pas suffisamment ma vie. J’ai profité du programme de départ volontaire pour démissionner en 1989 de mes fonctions de greffier. Je suis entré dans le privé puisque j’ai continué mes humanités en droit. J’ai commencé dans les Ong comme coordonnateur de programmes, ensuite j’ai intégré l’agence américaine Usaid. Je collaborais avec Walfadjri pendant que j’étais dans les Ong. Des amis en l’occurrence Tidiane Kassé, qui était le responsable de la rédaction de Walfadjri, avait apprécié les contributions que je faisais à l’époque. Il les avait trouvées intéressantes. Il avait pensé qu’en faisant des papiers sous forme de chronique judiciaire, je pourrais apporter quelque chose à son journal. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler comme pigiste à Walfadjri. Je l’ai fait pendant neuf ans. Parallèlement, je travaillais dans les Ong. C’est comme ça que je suis venu dans le journalisme. Je signais sous un pseudonyme (Moussa Sarr, ndlr) que tout le monde connaissait. Et, j’ai fini par prendre goût à la chose.
Vous êtes devenu greffier par hasard ? Etais-ce une passion ou aspiriez-vous à être magistrat ?
Non. En fait, je n’ai pas cherché à être greffier. C’est un ami qui, en classe de terminale, m’avait conseillé de faire le concours du CFPA, disant même qu’il était prêt à déposer pour moi. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que c’est parce que, la bourse était garantie. Vous voyez comment on raisonnait. A l’époque, on avait une bourse entière qui s’élevait à 24000 francs et un emploi garanti après la formation. On devenait fonctionnaire par la suite. Cet ami qui a pris la peine de déposer mon dossier de candidature , Adama Kane, travaille dans les assurances. Il est le grand-frère de Mamadou Ibra Kane, Directeur de la Rfm. J’ai postulé à ce concours sans grand intérêt. D’ailleurs, je l’ai réussi sans le savoir. Je suivais mes cours à la faculté quand mes camarades m’ont annoncé la nouvelle disant que je risquais d’être remplacé ou de me retrouver sur la liste d’attente. J’ai hésité un moment puis j’y suis
allé. Je n’avais aucune idée des filières qui étaient là-bas. Je ne savais rien de cette école. Pour vous dire que le destin existe. J’y suis allé et j’ai trouvé qu’il ne restait qu’une filière, celle de greffier. Puisqu’un de mes oncle était greffier en chef, Massamba Diagne, et que c’était celui qui avait le mieux réussi dans notre famille, c’était une référence. Cela m’a encouragé à aller dans ce sens. C’est ainsi que j’ai choisi ce métier .
Quel est le métier qui vous faisait rêver alors ?
En réalité, moi, j’avais pensé faire des études longues pour être un professeur agrégé. C’est à cela que je pensais, bien qu’à l’époque, je n’avais pas de plan de carrière très précis. Quand je faisais la classe de terminale, j’ai été
sélectionné pour une bourse du Fonds d’aide à la coopération (Fac). Je devais faire des études de lettres supérieures en France. Vous savez pourquoi je ne suis pas parti en France ? C’est très simple. J’ai constitué mon dossier à l’époque, j’étais à l’école Malick Sy de Thiès. Dans le dossier, il y avait un document lié à ma situation sociale que je devais retirer à la préfecture. Mais une fois sur place, on m’envoie au commissariat central pour déposer une demande pour l’obtention de la pièce qui allait compléter mon dossier. Je tombe sur un inspecteur qui me fait courir jusqu’au jour de la clôture du dossier. Je m’en ouvre à lui. Peut-être que je m’étais énervé ou que la façon de lui parler ne lui plaisait pas, un policier me dit «tu parles à un policier sur ce ton-là, mettez le au gnouf !» On m’envoie au violon, j’y reste le matin jusqu’à 15h 30 passées, alors que l’ambassade de France devrait fermer ses portes à 17h. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Quand le commissaire central de Thiès m’a vu, il a demandé les raisons de ma présence sur les lieux. Il a écouté les différentes versions. Désabusé, il a signé de sa main un formulaire pour que je puisse déposer à la préfecture, mais j’étais déjà forclos. Voilà comment j’ai perdu cette bourse. Mais c’est peut-être le destin.
Cela a dû vous affecter ?
J’étais frustré puisqu’à l’époque, mon plus grand rêve c’était de poursuivre des études supérieures en France. Il y avait aussi un système d’émulation qui se faisait dans les écoles. On cherchait à être primé au concours général. On avait de l’admiration pour ces grands noms qui récoltaient de grands prix au concours général et qui ont eu la chance d’étudier en France. Nous aussi, nous pensions que nous aurions cette opportunité. Nous ne voyions pas notre destin au Sénégal.
D’ailleurs, même pour les inscriptions à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, nous le faisions simplement pour le principe. Je ne me voyais pas au sénégal mais on ne peut rien contre le destin. J’avais aussi la possibilité de faire le concours du Cesti, mais je ne l’ai pas fait. Cela ne m’a jamais tenté. J’avais de bonnes chances de le réussir mais peut -être, c’est par cette voie détournée que je devais atterrir dans le journalisme.
Vous donnez raison à ceux qui pensent que ce ne sont pas les écoles de journalisme qui forment les grands journalistes ?
Le journalisme est un métier assez ouvert. Certes, il faut une formation de base très importante. Les écoles de formation sont utiles et indispensables. On ne peut pas embrasser une carrière sans faire la formation. Je n’ai pas fait d’école de journalisme mais je peux dire que j’ai fait une formation de journaliste dans les rédactions. Quand j’étais à Walfadjri, Tidiane Kassé me passait ses cours du Cesti pour me permettre d’avoir les rudiments de la profession. Je les relisais. J’étais bien encadré à l’époque par Tidiane Kassé, Abdourahmane Camara, Mademba Ndiaye. Ils faisaient des critiques sur mes articles. Je voyais un peu ce qui a été changé quand mes papiers étaient retouchés. Ils m’aidaient. Ils étaient assez généreux avec moi. Avec le temps, on acquiert certaines aptitudes et certaines compétences mais, je dis que la formation est nécessaire. Mais c’est important d’avoir aussi un certain background, une certaine culture générale. De plus en plus, je pense que pour être un bon journaliste, il faut avoir un profil spécialisé dans un domaine précis. Quand vous avez connaissance d’une matière, vous en parlez, pas avec autorité, mais d’une voix plus crédible. La spécialisation se fait par une formation mais aussi par le fait qu’on développe un certain centre d’intérêt.
Un greffier qui est devenu patron de presse. Ils sont nombreux à s’interroger sur l’origine de votre fortune ?
Je pense que c’est une question qui n’est pas tabou pour moi parce que je suis le seul, je crois, à répondre à cette question qui revient à chaque interview.
Juste les Américains qui sont derrière vous ?
Moi je n’ai pas de complexe de dire que des Américains sont derrière moi et m’appuient. Effectivement, il y a des Américains qui m’ont appuyé pour développer mes activités. En 2006, j’ai bénéficié d’un appui très conséquent d’une Ong américaine qui s’appelle Média Développement Loan Fund. Ils m’ont identifié comme quelqu’un qui a du courage et qui prend des initiatives dans un environnement économique difficile pour la presse. Leur mode d’intervention consiste à aider une entreprise de presse qui se trouve dans des zones où l’exercice du métier de journalisme est difficile. Donc il n’y a aucun mystère par rapport à cela. J’ai publié des communiqués en ce sens. Ils ont été au Sénégal. Ils ont rencontré l’ensemble des patrons de presse mais ils ont estimé que c’est avec moi qu’ils devaient travailler et c’est moi qu’ils ont choisi.
Certains disent que vous bénéficiez d’un autre soutien financier ?
Je n’ai pas de souvenance de cette affirmation. Si quelqu’un l’a dit qu’il le prouve et me dise qui me soutient. Je ne mettrai pas à répondre aux mauvaises langues anonymes. Je peux vous dire une chose, moi je suis entièrement transparent. Je suis le seul patron de presse qui dit d’où il tient sa fortune. Tous les ans, je réunis l’ensemble de mon personnel pour lui présenter le bilan de mes activités leur disant voilà ce que nous avons engagé comme recettes, ce que nous avons engagé comme dépenses. Je ne pense pas que nous soyons nombreux à être aussi transparents. Maintenant si des gens veulent chercher autre chose, qu’ils aillent le chercher ailleurs, libres à eux de divaguer. J’attends de voir quelqu’un, qui s’identifie, m’interpeller sur la question, je lui répondrai.
Au niveau national, vos relations ne vous soutiennent-elles pas ?
Vous connaissez bien mes relations. Je suis le seul à dire que je ne dois rien à qui que ce soit ici, ni aux gens du pouvoir, ni à ceux de l’opposition. Personne ne m’a jamais démenti. Combien de fois j’ai eu à dire haut et fort, à la radio, à la télévision, que je ne dois rien à personne. Et puis, vous n’êtes pas sans savoir que dans ce pays, rien ne peut se cacher. Si les gens vous donnent de l’argent, ils vont le dire. Je clame haut et fort que personne ne m’a rien donné, personne ne m’a aidé. Ecrivez-le dans votre journal, vous
n’aurez pas de démenti.
L’affaire de corruption vous opposant au ministre Thierno Lô peut faire douter certains esprits…
Mais quel esprit ? Ce sont les esprits troublés que cela peut faire douter .
Qu’est-ce qui s’est passé dans cette affaire ? J’ai trouvé que Thierno Lô a certainement eu un comportement indélicat, j ai voulu qu’on m’éclaircisse dans cette situation-là. Je me suis ouvert au chef de l’Etat sénégalais en lui disant : «si jamais vous avez donné de l’argent à Thierno Lô pour moi, considérez que je ne le lui ai pas demandé et qu’il ne m’a rien donné.» Wade nous a convoqués avec des témoins estimant qu’il a bien remis de l’argent à Thierno Lô pour moi. Si j’avais reçu de l’argent, admettez que je n’allais pas l’étaler sur la place publique. C’est moi qui ai saisi la commission de lutte contre la corruption pour enquêter sur cette affaire. Cette commission a fait une enquête et a déposé des conclusions. Donc s’il y a quelqu’un qui veut la transparence, je pense bien que c’est moi. Moi qui ai fait éclater le scandale et qui ai porté plainte. Que voulez-vous que je fasse d’autres ? Mes pouvoirs se limitent à cela. Je ne peux que dénoncer ou porter plainte. Si l’Etat veut régler le problème à sa façon, c’est son problème. Si j’avais quelque chose à me reprocher, je pense que je ne l’aurais pas fait.
Votre groupe de presse est logé à Yoff, non loin d’un autre confrère, mais les relations avec votre voisin ne sont pas très tendres ?
Mon voisin, qui c’est ce voisin ?
Baba Tandian qui dispose comme vous d’une entreprise de presse et d’une imprimerie…
Je vais vous dire une chose simple. Vous avez entendu Tandian s’en prendre à moi à travers certains journaux ou radios, et jamais personne ne m’a entendu. Je considère que je choisis mes alter ego. Je ne permets pas à n’importe qui de se hisser à ma hauteur. Si j’ai à croiser le fer avec des gens, je choisis ceux avec qui je vais le faire. Donc, c’est ce qui fait que mon attitude dans cette affaire a été toujours de le mépriser. Quand les gens avaient estimé faire la paix, j’avais clairement dit que je ne m’assoirai pas avec lui. Il n’est pas mon alter ego. C’est cela ma ligne de conduite. Je n’ai jamais accepté de m’asseoir avec lui. Aujourd’hui, si vous me posez la question et que je refuse de répondre, c’est comme si je me débine. Je vais me faire violence pour vous dire que je n’ai aucun problème personnel avec Tandian. Ce qui s’est passé, c’est que Tandian a été candidat à la tête de la fédération de basket. Il était en adversité avec un autre camp. Le journal Quotidien a traité la compétition de façon impartiale. Tandian a été élu et il a considéré que le traitement du Quotidien lui a été défavorable. Après son élection, il a posé des actes que les gens ont considérés comme étant des frasques. Notre journal en a parlé. D’autres organes de presse n’en parlaient pas jusqu’à présent. Mais le Quotidien continue d’en parler. Tandian considère que ce sont des attaques dirigées que moi j’ai orchestrées. Quand il a commencé à m’attaquer. J’ai dit aux journalistes du Quotidien, que je ne répondrai pas à Tandian, mais que cela ne vous empêche de parler du basket. Continuez d’en parler aussi longtemps qu’il y aura des choses à dire sur le basket. Ne vous préoccupez pas de ce qu’il va dire ou va faire. Et donc, ils en parlent librement et ils vont continuer à le faire. Peut-être que c’est le Quotidien qui se distingue le plus, mais aujourd’hui, tout le monde parle des frasques de Tandian.
Mais c’est le Quotidien qui a ouvert le bal en tirant sur lui dans ses différentes éditions…
Je ne sais pas si c’est le Quotidien qui a ouvert le bal mais les gens ont travaillé de façon professionnelle et responsable. Ils ont tendu le micro à toutes les parties, quand les gens ont eu des griefs à poser, ils l’ont fait.
Comme on le fait avec les autres, ce n’est pas parce que Tandian est patron de presse qu’on va passer outre. Que ça soit clair. J’ai dit aux journalistes du Quotidien, de faire correctement leur travail. Le reste je m’en balance.
Quel est réellement le nœud du problème entre Tandian et vous ? Vous continuez à vous lancer des piques par voix de presse ?
Je vous ai dit que je n’ai aucun problème avec lui. C’est parti de sa candidature à la tête de la fédération sénégalaise de basket. Avant , quand il me voyait, il me faisait l’accolade.
Que s’est-il passé alors ?
C’est parce qu’il y a le traitement sur les scandales de la fédération de basket. Et il n’en était pas content du Quotidien. Il pensait peut-être que c’est parce qu’il est mon ami que les gens n’allaient pas faire de traitement défavorable. Je regrette. Cela ne se fera pas comme ça. Cela ne s’est jamais fait ainsi et ne se fera jamais ainsi. Je laisse l’entière responsabilité à l’équipe du Quotidien, son entière liberté aussi pour faire son boulot et je n’ai pas à me plaindre.
Et si on parlait un peu de la situation de la presse sénégalaise, pensez-vous qu’elle est libre ?
Totalement libre, c’est l’une des presses les plus libres que je sache. Les gens ont réglé leur indépendance économique. Ils ne se laissent pas distraire. Quiconque le fait, c’est parce qu’il l’a voulu. Les gens ont les moyens d’être libres et indépendants. Maintenant, il y a des contraintes et des exigences. Tu te coupes de certaines relations, de certaines faveurs, de certains avantages indus. C’est un prix à payer pour être libre et indépendant mais qui veut faire son travail sérieusement, a les moyens de le faire au Sénégal.
Mais pensez-vous qu’on ait réellement une presse libre avec ces patrons de presse qui jouent souvent les mercenaires ?
Je ne me considère pas comme tel et j’ai du respect pour mes collègues de la presse pour les considérer comme tel. Maintenant si vous avez des faits précis, il faut les citer qu’on en parle. Mais je dis, encore une fois, la presse a les moyens d’être libre. Quiconque veut être libre et indépendant a les moyens de le faire. Maintenant chacun a son tempérament. Et puis, il n’y a pas d’angélisme à faire dans ce domaine-là. La presse au Sénégal n’est pas différente de la presse aux Etats-Unis ou en France ou ailleurs. Il y a des gens qui ont leur
accointance politique, religieuse ou économique. On trouve du tout dans la presse, que cela soit au Sénégal ou ailleurs. Il n’y a pas de spécificité sénégalaise. Nous sommes des humains, nous exerçons le métier de journaliste au même titre que tous les autres journalistes dans le monde.
Parlons de la situation précaire des reporters !
C’est une réalité qui est là et qui est objective. Certains jeunes reporters vivent des situations difficiles. Ce n’est pas le cas pour d’autres, puisqu’il y a des entreprises où les reporters sont bien lotis. Ils sont payés de façon décente. Il y a des reporters et des responsables qui ont un niveau de traitement supérieur à ce que la Convention collective prévoit. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. D’autres n’ont pas cette faveur, mais aussi, c’est une responsabilité partagée. Il y a des patrons de presse qui n’ont pas les moyens de mettre les employés dans de bonnes conditions de travail, c’est
aussi la responsabilité du journaliste qui accepte de travailler dans ces conditions-là. Si vous avez la possibilité d’aller ailleurs et que vous préférez rester dans ces conditions, c’est de votre responsabilité. J’entends des journalistes dire qu’ils sont restés 10 mois sans salaire et ils continuent à aller travailler, mais qu’est-ce qui les maintient dans ce boulot ? Et pourtant, ils ont des charges. Soit ils arrêtent de travailler, soit ils cherchent ailleurs, soit ils restent et assument. Je pense que c’est une question de responsabilité individuelle. Cela ne dédouane pas les patrons de presse mais aussi il y a une part de responsabilité de ceux qui travaillent là-bas. Mais encore une fois, les entreprises de presse à l’image des autres entreprises, ne sont pas logées à la même enseigne. Chacun essaie de tirer son épingle du jeu. La situation est différente d’une entreprise à une autre. Il ne faut pas généraliser.
Propos recueillis par
Salif Samb et Ndèye Rama
Source: Xalimasn.com/Icone Magazine
Je pense qu’ on ne peut pas dire de but en blanc que le rapport de Rsf, par les conclusions qu’il indique sur le Sénégal, est exagéré. Ce sont des professionnels. Ils ont des représentants à travers le monde, ils ont des critères sur la base desquels ils évaluent l’ensemble des pays du monde, et donc je crois que
l’objectivité et le professionnalisme de Rsf ne souffrent pas d’un doute. Je trouve que c’est trop facile de dire que c’est exagéré. Au contraire, nous devons nous regarder dans la glace. Qu’est-ce que Rsf a eu à dire qui nous
paraît exagéré ? Est-ce que les constatations faites par Rsf n’ont pas été relevées au Sénégal ? Ce sont des faits précis qu’il a soulevés. Il a souligné qu’au Sénégal, il y a des journaux qui ont été saccagés, personne ne le nie, les auteurs ont été impunis. Les locaux du groupe Walf ont été saccagés par des nervis identifiés, filmés, personne ne les a poursuivis. Rsf n’a rien inventé. Le saccage des quotidiens l’As et 24h Chrono est là. Des lampistes ont été condamnés puis graciés par le président de la République. Le commanditaire, Farba Senghor, cité par tous les lampistes et identifié par tout le monde, est resté impuni, Rsf ne l’a pas inventé. Quand des faits de ce genre ont été mis en exergue, le mieux est de voir quelle est leur cause et d’essayer de les corriger au lieu de faire la politique de l’autruche en nous disant qu’ils nous ont accusés à tort. Ce sont les mêmes paramètres et les mêmes critères qui sont utilisés au Sénégal, en Guinée, en Tanzanie, aux
Etats-Unis, en France ou ailleurs que Rsf a utilisés pour notre pays. Je pense que de ce côté-là, le débat n ‘a pas sa raison d’être.
Le Sénégal serait- il à la traîne par rapport aux autres pays de la sous-région ?
Je connais bien les pays de la sous-région pour la simple raison qu’il n’y a pas un seul pays africain que je n’aie pas parcouru ces douze derniers mois. J’y rencontre les professionnels de la communication, tant les travailleurs que les patrons de presse. Je reviens d’une rencontre à Bamako qui a regroupé l’ensemble des éditeurs des pays africains. Je peux vous dire que le Sénégal est de loin en régression par rapport à bon nombre de pays de la sous - région. Au moment où les gens font des avancées significatives dans les pays de la sous-région, le Sénégal stagne ou régresse. Aujourd’hui, on nous parle du nouveau chantier du code de la presse, mais des pays qui sont arrivés en démocratie, il y a moins de dix ans, ont aujourd’hui dépassé ce stade. Des pays comme le Togo, le Ghana, le
Nigeria, la Sierra Léone ont élaboré leur code depuis longtemps, de même que la Guinée, qui est en train de faire sa gestation démocratique. C’est vous dire que parfois nous faisons un peu de nombrilisme en ne regardant pas autour de nous pendant que les autres avancent. Il faut qu’on se regarde dans une glace et qu’on révise notre position et nos attitudes. Le Sénégal est en train d’être largué par les autres pays de la sous-région.
Actuellement , les investisseurs se tournent vers d’autres pays que le Sénégal, lequel n’a plus cette attractivité- là. Tous les investissements de la sous-région vont au Ghana. Malheureusement, encore une fois, je le répète, les pays de la région décollent. Regardez tout près la Gambie. Elle a certes ses travers sur le plan démocratique, mais au moins sur le plan économique, elle fait de petits efforts. Donc, franchement je voudrai que les gens essaient de dépasser certains clichés croyant que nous sommes les gens qui sont les plus en avance en Afrique. Franchement, cette situation n’existe plus. Parcourez le continent vous verrez que les autres pays sont mieux lotis que nous dans beaucoup de domaines.
La démocratie est-elle plus formelle que réelle à votre avis ?
Aujourd’hui, le dialogue politique n’existe pas entre l’opposition et le pouvoir en place. Alors que c’est un critère d’évaluation de la démocratie. Et pourtant dans d’autres pays, le dialogue est réel. Est-ce que vous avez entendu dans un des pays de la sous - région, une opposition boycotter des élections législatives ? Il n’y a qu’au Sénégal où cela a eu lieu. C’est au Sénégal où le Parlement est dominé de façon outrageante par le parti en place. Vous n’avez aucune opposition au Sénat, c’est le président de la République qui
a élu ses sénateurs, cela n’existe dans aucun pays africain. Et cela est-il un critère d’appréciation d’une bonne démocratie ? Allez à l’Assemblée nationale ! Combien y a- t-il de députés censés être de l’opposition ? Moins d’une dizaine pour une chambre de plus de 120 personnes. Par conséquent quel est le critère de démocratie dans une situation pareille ? Voilà la situation à laquelle nous assistons. Quand les Occidentaux nous disent que notre démocratie est en recul, nous ne voulons pas l’admettre, notre orgueil ne nous le permet pas. Mais les faits confortent ces constats -là. Nous sommes en retard, tant que nous sommes dans un système où il n’y a pas d’équilibre politique, que l’Assemblée nationale est ultra-dominée par le parti au pouvoir qui a une hégémonie à la limite anormale sur les institutions. La démocratie, si elle existe dans les textes, dans la réalité, elle est confrontée à des problèmes. Vous connaissez bien notre système judiciaire, c’est au Sénégal où la justice est la plus décriée dans la sous-région. Il faut se dire la vérité. Dans un pays où la justice est décriée, le système démocratique ne fonctionne pas ,notre système de liberté d’expression recule, vous voulez qu’on soit le pays le plus démocrate de la sous-région, je regrette. Il est important de citer des cas précis. Prenez le cas du Mali où il y a Amadou Toumani Touré qui a été élu démocratiquement. Avant lui, il y avait Alpha Oumar Konaré qui a fait deux mandats, à la fin desquels, il est parti. Le peuple malien a élu un nouveau président qui termine bientôt son second mandat, dans une situation de tranquillité et de paix sociale. Personne n’a contesté les élections dans ce pays. Même la Guinée Bissau qui est chancelante a un système de transition qui lui a permis d’organiser des élections acceptées. Quelle est la spécificité sénégalaise, je veux savoir ? On n’est en rien différents des
autres. Au contraire, ce sont les autres qui font des progrès. La Mauritanie a organisé des élections transparentes, en tout cas moins contestées que celles du Sénégal. Et nous, nous voulons être les chantres de la démocratie. Sur quoi nous fondons-nous pour le dire ? Je regrette.
Notre passé de modèle extraordinaire de la démocratie ne fait plus recette.
Pendant que nous étions dans la démocratie, les autres étaient dans la dictature. Mais ces gens se sont réveillés et sont en train de nous damer le pion. Justement, c’est là qu’ il faut faire attention. Parce qu’il faut se dire que celui qui n’avance pas recule. Nous sommes en train de régresser, de stagner, de piétiner. Les autres avancent, c’est la raison pour laquelle cela se ressent dans notre classement.
On va aborder un autre volet. Si vous nous parlez un peu de votre reconversion. Comment le greffier de formation, que vous êtes ,est-il devenu journaliste ?
C’est tout simple. Je n’ai pas fait de formation en journalisme. J’ai commencé ma vie active comme greffier. J’étais diplômé du Centre de Formation et de Perfectionnement administratifs (CFPA) option gestion judiciaire. J’ai été le major de ma promotion en 1985. Je dois vous dire, toute modestie à part, que j’ai été un sujet très brillant durant toutes mes études, des primaires aux études supérieures. J’ai toujours été le premier de ma classe. Malheureusement le destin a voulu que je sois issu d’une famille de paysans, une famille très modeste, qui n’avait pas les moyens de me permettre de poursuivre des études longues. J’ai dû les arrêter pour intégrer la fonction publique comme greffier. Il s’est trouvé par la suite que la situation de fonctionnaire de la justice comme greffier ne me convenait pas, parce que je ne gagnais pas suffisamment ma vie. J’ai profité du programme de départ volontaire pour démissionner en 1989 de mes fonctions de greffier. Je suis entré dans le privé puisque j’ai continué mes humanités en droit. J’ai commencé dans les Ong comme coordonnateur de programmes, ensuite j’ai intégré l’agence américaine Usaid. Je collaborais avec Walfadjri pendant que j’étais dans les Ong. Des amis en l’occurrence Tidiane Kassé, qui était le responsable de la rédaction de Walfadjri, avait apprécié les contributions que je faisais à l’époque. Il les avait trouvées intéressantes. Il avait pensé qu’en faisant des papiers sous forme de chronique judiciaire, je pourrais apporter quelque chose à son journal. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler comme pigiste à Walfadjri. Je l’ai fait pendant neuf ans. Parallèlement, je travaillais dans les Ong. C’est comme ça que je suis venu dans le journalisme. Je signais sous un pseudonyme (Moussa Sarr, ndlr) que tout le monde connaissait. Et, j’ai fini par prendre goût à la chose.
Vous êtes devenu greffier par hasard ? Etais-ce une passion ou aspiriez-vous à être magistrat ?
Non. En fait, je n’ai pas cherché à être greffier. C’est un ami qui, en classe de terminale, m’avait conseillé de faire le concours du CFPA, disant même qu’il était prêt à déposer pour moi. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que c’est parce que, la bourse était garantie. Vous voyez comment on raisonnait. A l’époque, on avait une bourse entière qui s’élevait à 24000 francs et un emploi garanti après la formation. On devenait fonctionnaire par la suite. Cet ami qui a pris la peine de déposer mon dossier de candidature , Adama Kane, travaille dans les assurances. Il est le grand-frère de Mamadou Ibra Kane, Directeur de la Rfm. J’ai postulé à ce concours sans grand intérêt. D’ailleurs, je l’ai réussi sans le savoir. Je suivais mes cours à la faculté quand mes camarades m’ont annoncé la nouvelle disant que je risquais d’être remplacé ou de me retrouver sur la liste d’attente. J’ai hésité un moment puis j’y suis
allé. Je n’avais aucune idée des filières qui étaient là-bas. Je ne savais rien de cette école. Pour vous dire que le destin existe. J’y suis allé et j’ai trouvé qu’il ne restait qu’une filière, celle de greffier. Puisqu’un de mes oncle était greffier en chef, Massamba Diagne, et que c’était celui qui avait le mieux réussi dans notre famille, c’était une référence. Cela m’a encouragé à aller dans ce sens. C’est ainsi que j’ai choisi ce métier .
Quel est le métier qui vous faisait rêver alors ?
En réalité, moi, j’avais pensé faire des études longues pour être un professeur agrégé. C’est à cela que je pensais, bien qu’à l’époque, je n’avais pas de plan de carrière très précis. Quand je faisais la classe de terminale, j’ai été
sélectionné pour une bourse du Fonds d’aide à la coopération (Fac). Je devais faire des études de lettres supérieures en France. Vous savez pourquoi je ne suis pas parti en France ? C’est très simple. J’ai constitué mon dossier à l’époque, j’étais à l’école Malick Sy de Thiès. Dans le dossier, il y avait un document lié à ma situation sociale que je devais retirer à la préfecture. Mais une fois sur place, on m’envoie au commissariat central pour déposer une demande pour l’obtention de la pièce qui allait compléter mon dossier. Je tombe sur un inspecteur qui me fait courir jusqu’au jour de la clôture du dossier. Je m’en ouvre à lui. Peut-être que je m’étais énervé ou que la façon de lui parler ne lui plaisait pas, un policier me dit «tu parles à un policier sur ce ton-là, mettez le au gnouf !» On m’envoie au violon, j’y reste le matin jusqu’à 15h 30 passées, alors que l’ambassade de France devrait fermer ses portes à 17h. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Quand le commissaire central de Thiès m’a vu, il a demandé les raisons de ma présence sur les lieux. Il a écouté les différentes versions. Désabusé, il a signé de sa main un formulaire pour que je puisse déposer à la préfecture, mais j’étais déjà forclos. Voilà comment j’ai perdu cette bourse. Mais c’est peut-être le destin.
Cela a dû vous affecter ?
J’étais frustré puisqu’à l’époque, mon plus grand rêve c’était de poursuivre des études supérieures en France. Il y avait aussi un système d’émulation qui se faisait dans les écoles. On cherchait à être primé au concours général. On avait de l’admiration pour ces grands noms qui récoltaient de grands prix au concours général et qui ont eu la chance d’étudier en France. Nous aussi, nous pensions que nous aurions cette opportunité. Nous ne voyions pas notre destin au Sénégal.
D’ailleurs, même pour les inscriptions à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, nous le faisions simplement pour le principe. Je ne me voyais pas au sénégal mais on ne peut rien contre le destin. J’avais aussi la possibilité de faire le concours du Cesti, mais je ne l’ai pas fait. Cela ne m’a jamais tenté. J’avais de bonnes chances de le réussir mais peut -être, c’est par cette voie détournée que je devais atterrir dans le journalisme.
Vous donnez raison à ceux qui pensent que ce ne sont pas les écoles de journalisme qui forment les grands journalistes ?
Le journalisme est un métier assez ouvert. Certes, il faut une formation de base très importante. Les écoles de formation sont utiles et indispensables. On ne peut pas embrasser une carrière sans faire la formation. Je n’ai pas fait d’école de journalisme mais je peux dire que j’ai fait une formation de journaliste dans les rédactions. Quand j’étais à Walfadjri, Tidiane Kassé me passait ses cours du Cesti pour me permettre d’avoir les rudiments de la profession. Je les relisais. J’étais bien encadré à l’époque par Tidiane Kassé, Abdourahmane Camara, Mademba Ndiaye. Ils faisaient des critiques sur mes articles. Je voyais un peu ce qui a été changé quand mes papiers étaient retouchés. Ils m’aidaient. Ils étaient assez généreux avec moi. Avec le temps, on acquiert certaines aptitudes et certaines compétences mais, je dis que la formation est nécessaire. Mais c’est important d’avoir aussi un certain background, une certaine culture générale. De plus en plus, je pense que pour être un bon journaliste, il faut avoir un profil spécialisé dans un domaine précis. Quand vous avez connaissance d’une matière, vous en parlez, pas avec autorité, mais d’une voix plus crédible. La spécialisation se fait par une formation mais aussi par le fait qu’on développe un certain centre d’intérêt.
Un greffier qui est devenu patron de presse. Ils sont nombreux à s’interroger sur l’origine de votre fortune ?
Je pense que c’est une question qui n’est pas tabou pour moi parce que je suis le seul, je crois, à répondre à cette question qui revient à chaque interview.
Juste les Américains qui sont derrière vous ?
Moi je n’ai pas de complexe de dire que des Américains sont derrière moi et m’appuient. Effectivement, il y a des Américains qui m’ont appuyé pour développer mes activités. En 2006, j’ai bénéficié d’un appui très conséquent d’une Ong américaine qui s’appelle Média Développement Loan Fund. Ils m’ont identifié comme quelqu’un qui a du courage et qui prend des initiatives dans un environnement économique difficile pour la presse. Leur mode d’intervention consiste à aider une entreprise de presse qui se trouve dans des zones où l’exercice du métier de journalisme est difficile. Donc il n’y a aucun mystère par rapport à cela. J’ai publié des communiqués en ce sens. Ils ont été au Sénégal. Ils ont rencontré l’ensemble des patrons de presse mais ils ont estimé que c’est avec moi qu’ils devaient travailler et c’est moi qu’ils ont choisi.
Certains disent que vous bénéficiez d’un autre soutien financier ?
Je n’ai pas de souvenance de cette affirmation. Si quelqu’un l’a dit qu’il le prouve et me dise qui me soutient. Je ne mettrai pas à répondre aux mauvaises langues anonymes. Je peux vous dire une chose, moi je suis entièrement transparent. Je suis le seul patron de presse qui dit d’où il tient sa fortune. Tous les ans, je réunis l’ensemble de mon personnel pour lui présenter le bilan de mes activités leur disant voilà ce que nous avons engagé comme recettes, ce que nous avons engagé comme dépenses. Je ne pense pas que nous soyons nombreux à être aussi transparents. Maintenant si des gens veulent chercher autre chose, qu’ils aillent le chercher ailleurs, libres à eux de divaguer. J’attends de voir quelqu’un, qui s’identifie, m’interpeller sur la question, je lui répondrai.
Au niveau national, vos relations ne vous soutiennent-elles pas ?
Vous connaissez bien mes relations. Je suis le seul à dire que je ne dois rien à qui que ce soit ici, ni aux gens du pouvoir, ni à ceux de l’opposition. Personne ne m’a jamais démenti. Combien de fois j’ai eu à dire haut et fort, à la radio, à la télévision, que je ne dois rien à personne. Et puis, vous n’êtes pas sans savoir que dans ce pays, rien ne peut se cacher. Si les gens vous donnent de l’argent, ils vont le dire. Je clame haut et fort que personne ne m’a rien donné, personne ne m’a aidé. Ecrivez-le dans votre journal, vous
n’aurez pas de démenti.
L’affaire de corruption vous opposant au ministre Thierno Lô peut faire douter certains esprits…
Mais quel esprit ? Ce sont les esprits troublés que cela peut faire douter .
Qu’est-ce qui s’est passé dans cette affaire ? J’ai trouvé que Thierno Lô a certainement eu un comportement indélicat, j ai voulu qu’on m’éclaircisse dans cette situation-là. Je me suis ouvert au chef de l’Etat sénégalais en lui disant : «si jamais vous avez donné de l’argent à Thierno Lô pour moi, considérez que je ne le lui ai pas demandé et qu’il ne m’a rien donné.» Wade nous a convoqués avec des témoins estimant qu’il a bien remis de l’argent à Thierno Lô pour moi. Si j’avais reçu de l’argent, admettez que je n’allais pas l’étaler sur la place publique. C’est moi qui ai saisi la commission de lutte contre la corruption pour enquêter sur cette affaire. Cette commission a fait une enquête et a déposé des conclusions. Donc s’il y a quelqu’un qui veut la transparence, je pense bien que c’est moi. Moi qui ai fait éclater le scandale et qui ai porté plainte. Que voulez-vous que je fasse d’autres ? Mes pouvoirs se limitent à cela. Je ne peux que dénoncer ou porter plainte. Si l’Etat veut régler le problème à sa façon, c’est son problème. Si j’avais quelque chose à me reprocher, je pense que je ne l’aurais pas fait.
Votre groupe de presse est logé à Yoff, non loin d’un autre confrère, mais les relations avec votre voisin ne sont pas très tendres ?
Mon voisin, qui c’est ce voisin ?
Baba Tandian qui dispose comme vous d’une entreprise de presse et d’une imprimerie…
Je vais vous dire une chose simple. Vous avez entendu Tandian s’en prendre à moi à travers certains journaux ou radios, et jamais personne ne m’a entendu. Je considère que je choisis mes alter ego. Je ne permets pas à n’importe qui de se hisser à ma hauteur. Si j’ai à croiser le fer avec des gens, je choisis ceux avec qui je vais le faire. Donc, c’est ce qui fait que mon attitude dans cette affaire a été toujours de le mépriser. Quand les gens avaient estimé faire la paix, j’avais clairement dit que je ne m’assoirai pas avec lui. Il n’est pas mon alter ego. C’est cela ma ligne de conduite. Je n’ai jamais accepté de m’asseoir avec lui. Aujourd’hui, si vous me posez la question et que je refuse de répondre, c’est comme si je me débine. Je vais me faire violence pour vous dire que je n’ai aucun problème personnel avec Tandian. Ce qui s’est passé, c’est que Tandian a été candidat à la tête de la fédération de basket. Il était en adversité avec un autre camp. Le journal Quotidien a traité la compétition de façon impartiale. Tandian a été élu et il a considéré que le traitement du Quotidien lui a été défavorable. Après son élection, il a posé des actes que les gens ont considérés comme étant des frasques. Notre journal en a parlé. D’autres organes de presse n’en parlaient pas jusqu’à présent. Mais le Quotidien continue d’en parler. Tandian considère que ce sont des attaques dirigées que moi j’ai orchestrées. Quand il a commencé à m’attaquer. J’ai dit aux journalistes du Quotidien, que je ne répondrai pas à Tandian, mais que cela ne vous empêche de parler du basket. Continuez d’en parler aussi longtemps qu’il y aura des choses à dire sur le basket. Ne vous préoccupez pas de ce qu’il va dire ou va faire. Et donc, ils en parlent librement et ils vont continuer à le faire. Peut-être que c’est le Quotidien qui se distingue le plus, mais aujourd’hui, tout le monde parle des frasques de Tandian.
Mais c’est le Quotidien qui a ouvert le bal en tirant sur lui dans ses différentes éditions…
Je ne sais pas si c’est le Quotidien qui a ouvert le bal mais les gens ont travaillé de façon professionnelle et responsable. Ils ont tendu le micro à toutes les parties, quand les gens ont eu des griefs à poser, ils l’ont fait.
Comme on le fait avec les autres, ce n’est pas parce que Tandian est patron de presse qu’on va passer outre. Que ça soit clair. J’ai dit aux journalistes du Quotidien, de faire correctement leur travail. Le reste je m’en balance.
Quel est réellement le nœud du problème entre Tandian et vous ? Vous continuez à vous lancer des piques par voix de presse ?
Je vous ai dit que je n’ai aucun problème avec lui. C’est parti de sa candidature à la tête de la fédération sénégalaise de basket. Avant , quand il me voyait, il me faisait l’accolade.
Que s’est-il passé alors ?
C’est parce qu’il y a le traitement sur les scandales de la fédération de basket. Et il n’en était pas content du Quotidien. Il pensait peut-être que c’est parce qu’il est mon ami que les gens n’allaient pas faire de traitement défavorable. Je regrette. Cela ne se fera pas comme ça. Cela ne s’est jamais fait ainsi et ne se fera jamais ainsi. Je laisse l’entière responsabilité à l’équipe du Quotidien, son entière liberté aussi pour faire son boulot et je n’ai pas à me plaindre.
Et si on parlait un peu de la situation de la presse sénégalaise, pensez-vous qu’elle est libre ?
Totalement libre, c’est l’une des presses les plus libres que je sache. Les gens ont réglé leur indépendance économique. Ils ne se laissent pas distraire. Quiconque le fait, c’est parce qu’il l’a voulu. Les gens ont les moyens d’être libres et indépendants. Maintenant, il y a des contraintes et des exigences. Tu te coupes de certaines relations, de certaines faveurs, de certains avantages indus. C’est un prix à payer pour être libre et indépendant mais qui veut faire son travail sérieusement, a les moyens de le faire au Sénégal.
Mais pensez-vous qu’on ait réellement une presse libre avec ces patrons de presse qui jouent souvent les mercenaires ?
Je ne me considère pas comme tel et j’ai du respect pour mes collègues de la presse pour les considérer comme tel. Maintenant si vous avez des faits précis, il faut les citer qu’on en parle. Mais je dis, encore une fois, la presse a les moyens d’être libre. Quiconque veut être libre et indépendant a les moyens de le faire. Maintenant chacun a son tempérament. Et puis, il n’y a pas d’angélisme à faire dans ce domaine-là. La presse au Sénégal n’est pas différente de la presse aux Etats-Unis ou en France ou ailleurs. Il y a des gens qui ont leur
accointance politique, religieuse ou économique. On trouve du tout dans la presse, que cela soit au Sénégal ou ailleurs. Il n’y a pas de spécificité sénégalaise. Nous sommes des humains, nous exerçons le métier de journaliste au même titre que tous les autres journalistes dans le monde.
Parlons de la situation précaire des reporters !
C’est une réalité qui est là et qui est objective. Certains jeunes reporters vivent des situations difficiles. Ce n’est pas le cas pour d’autres, puisqu’il y a des entreprises où les reporters sont bien lotis. Ils sont payés de façon décente. Il y a des reporters et des responsables qui ont un niveau de traitement supérieur à ce que la Convention collective prévoit. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. D’autres n’ont pas cette faveur, mais aussi, c’est une responsabilité partagée. Il y a des patrons de presse qui n’ont pas les moyens de mettre les employés dans de bonnes conditions de travail, c’est
aussi la responsabilité du journaliste qui accepte de travailler dans ces conditions-là. Si vous avez la possibilité d’aller ailleurs et que vous préférez rester dans ces conditions, c’est de votre responsabilité. J’entends des journalistes dire qu’ils sont restés 10 mois sans salaire et ils continuent à aller travailler, mais qu’est-ce qui les maintient dans ce boulot ? Et pourtant, ils ont des charges. Soit ils arrêtent de travailler, soit ils cherchent ailleurs, soit ils restent et assument. Je pense que c’est une question de responsabilité individuelle. Cela ne dédouane pas les patrons de presse mais aussi il y a une part de responsabilité de ceux qui travaillent là-bas. Mais encore une fois, les entreprises de presse à l’image des autres entreprises, ne sont pas logées à la même enseigne. Chacun essaie de tirer son épingle du jeu. La situation est différente d’une entreprise à une autre. Il ne faut pas généraliser.
Propos recueillis par
Salif Samb et Ndèye Rama
Source: Xalimasn.com/Icone Magazine