Dans sa dernière édition de Francoscopie (Larousse, 2002), le sociologue Gérard Mermet livre des chiffres qui inquiètent : 32 % des Français déjeunent sans se mettre à table, 37 % mangent et boivent en marchant dans la rue au moins une fois par mois. Peu à peu, nous nous habituons à prendre nos repas n’importe où, n’importe quand. Ce jeune homme calme ses fringales pendant ses deux heures de trajet quotidien en avalant chips, sandwichs, gâteaux et barres chocolatées, disponibles dans le distributeur du quai de la gare. Cette mère de famille picore en préparant le dîner des enfants et finit leur assiette, « parce qu’on ne va pas jeter ».
Certains attaquent un solide apéritif avant de passer à table, d’autres savourent quelques carrés de chocolat après le dîner en regardant la télé. Le "snacking" (terme anglais dérivé du mot "snack", qui signifie "en-cas", on parle aussi de "home picking" pour le grignotage à la maison) s’immisce dans toutes les sphères de notre vie. Désormais, on grignote comme on respire.
Pourquoi tant de haine
Le snacking fait l’unanimité… contre lui, tant sur le plan de la santé que sur ceux du comportement et du jugement moral. Le nutritionniste lui impute tous les maux, à commencer par l’obésité qui mène au diabète gras en passant par la case cholestérol. A l’heure où la surcharge pondérale – et plus particulièrement l’obésité massive – augmente en France, la coïncidence entre surpoids et grignotage justifie et amplifie l’inquiétude du corps médical. De son côté, le psy voit dans le grignotage une compulsion qui fait le lit de futures névroses alimentaires. Pour certains spécialistes, il peut refléter un mal-être et devenir d’autant plus culpabilisant que la préoccupation santé liée à l’alimentation va croissant.
"Grignoter" serait alors un euphémisme destiné à minorer l’anarchie alimentaire pour la rendre plus acceptable aux yeux de l’entourage et des intéressés. Enfin, les Français eux-mêmes rejettent le grignotage. Dans une étude du socio-anthropologue Jean-Pierre Poulain consacrée à leur comportement alimentaire (Penser l’alimentation, Privat, 2002), 52 % considèrent que manger entre les repas est « vraiment mauvais », et 81 %, que le grignotage peut être « source de problèmes pour la santé ».
Grignoter, moi ? Jamais !
Difficile, dans un tel contexte, de ne pas se sentir coupable de grignoter. Donc, on finit par nier. « Manger entre les repas, moi ? Jamais ! » Or, c’est la non-perception du grignotage qui pose les vrais problèmes. Si notre équilibre personnel tourne autour de 1 800 calories par jour, peu importe de les répartir en trois, quatre ou six prises, du moment que le besoin est satisfait. Mais si nous n’admettons pas grignoter, nous oublions de comptabiliser les en-cas.
On l’aura compris, le danger c’est de grignoter entre les repas – l’addition repas plus en-cas penche alors rapidement en faveur du surpoids – ou de faire du grignotage son mode d’alimentation principal, voire exclusif. Car, à moins d’être un as en nutrition, cette multiplication des prises alimentaires mène droit au déséquilibre. Il est déjà difficile de répartir correctement ses apports nutritionnels sur trois repas, alors équilibrer jusqu’à huit prises alimentaires par jour relève de la mission impossible. D’autant qu’à la décharge du grignoteur amnésique, les marques de snacks se donnent bien du mal pour que leurs produits passent inaperçus à la consommation. Les portions sont toutes petites et très denses (un maximum de calories pour un minimum de poids) de façon à ne pas être trop"impliquantes". Résultat : on en mange plus et on risque la surcharge pondérale.
Et si l’on assumait ?
Outre le problème lié à l’addition inconsciente des repas et du grignotage, se pose la question du comportement. Lorsque l’on nie grignoter, l’acte devient machinal et la perception de la faim, de l’envie et de la satiété se confondent, explique Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute spécialiste des troubles du comportement alimentaire. On plonge la main dans le paquet de chips, que l’on finit sans s’en apercevoir. Le grignotage correspond alors souvent à un comportement de fuite : les pensées et les émotions du moment se révèlent pénibles ; manger en regardant la télé ou en lisant des futilités permet de faire écran et de soulager la tension. Cette absence de perception de l’acte de manger favorise l’installation d’automatismes – je prends mon train, j’achète des chips ; je regarde la télé, je mange du chocolat –, générant des désordres alimentaires susceptibles de conduire au surpoids. Donnant raison aux empêcheurs de grignoter en rond.
Le grignoteur a donc tout intérêt à admettre et à assumer son grignotage. Celui-ci peut se révéler utile dans bien des situations, et, s’il est bien compris et bien intégré, il n’implique pas de troubles psychologiques ou de santé. « Le grignotage ne pose guère de problème dans la mesure où l’on attend d’avoir faim à nouveau pour manger », assure Gérard Apfeldorfer. De son côté, Matty Chiva, professeur de psychologie à Paris-X et spécialiste des pratiques alimentaires, rappelle que les données épidémiologiques concernant l’impact du grignotage sur la santé restent rares et que l’on trouve actuellement plus d’opinions que de faits établis.
Ainsi, la seule conséquence indiscutablement imputable au grignotage est… l’augmentation des caries, la moindre prise alimentaire provoquant des sécrétions acides qui attaquent l’émail.
C'est bon... aussi pour la santé
On a longtemps nommé – et donc accepté – le grignotage en fonction de son contenu et de son horaire : le "goûter", plutôt sucré, vers le milieu de l’après-midi et pour les enfants. Le "casse-croûte", souvent matinal, plutôt salé et incluant du vin ou de la bière. "L’apéritif" enfin, summum du grignotage institutionnalisé.
En dehors de ces pauses "légales", certaines personnes sont fortement encouragées à fractionner leurs repas. Donc à grignoter. Les seniors le font volontairement, pour lutter contre la dénutrition ; les femmes enceintes, spontanément, en fin de grossesse. Quant aux enfants, ils doivent manger plus souvent que les adultes pour assurer leur croissance (l’école leur donne, par exemple, un en-cas à 10 heures en maternelle).
Enfin, dans le cadre d’un régime amaigrissant, de nombreux médecins recommandent de fractionner les prises alimentaires pour mieux distinguer la faim de la satiété et, à terme, mieux gérer sa consommation. Le grignotage au service de la ligne !
De nouvelles envies
De plus en plus de grignoteurs recherchent une nourriture bonne pour la santé. A Paris, quelques lieux de restauration rapide misent sur ces nouvelles envies.
>> La Ferme Opéra offre un système unique en son genre de restauration rapide à base d’aliments bio, naturels, provenant de petites productions artisanales, transformés sur place, le jour même. Tout est ultrafrais, seules les saisons déterminent le choix des plats du jour. Quiches, gâteaux, laitages, fruits, légumes, sur place ou à emporter. 55, rue Saint-Roch, 75001 Paris.
>> Le Bar à soupe, lancé par Anne-Catherine Bley, ne désemplit pas : « La soupe c’est le fast-food anti-McDo : sain, léger, rapide, sans gras, qui mise sur les légumes. Les gens adorent mais ils n’ont jamais le temps d’en préparer. » D’où le succès immédiat du service vente à emporter. Deux adresses : 33, rue de Charonne, 75011 Paris ; 5, rue Hérold, 75001 Paris.
>> Monoprix, qui a créé avant tout le monde les premiers rayons de consommation rapide, a déjà anticipé l’envie de sain. L’enseigne développe une offre importante de snacks frais : jus de fruits pressés, sandwichs, salades, fruits, légumes à croquer, yaourts.
>> En hausse aussi, le nombre de salades composées et de yaourts proposés dans les boulangeries, cafétérias et autres sandwicheries.
Certains attaquent un solide apéritif avant de passer à table, d’autres savourent quelques carrés de chocolat après le dîner en regardant la télé. Le "snacking" (terme anglais dérivé du mot "snack", qui signifie "en-cas", on parle aussi de "home picking" pour le grignotage à la maison) s’immisce dans toutes les sphères de notre vie. Désormais, on grignote comme on respire.
Pourquoi tant de haine
Le snacking fait l’unanimité… contre lui, tant sur le plan de la santé que sur ceux du comportement et du jugement moral. Le nutritionniste lui impute tous les maux, à commencer par l’obésité qui mène au diabète gras en passant par la case cholestérol. A l’heure où la surcharge pondérale – et plus particulièrement l’obésité massive – augmente en France, la coïncidence entre surpoids et grignotage justifie et amplifie l’inquiétude du corps médical. De son côté, le psy voit dans le grignotage une compulsion qui fait le lit de futures névroses alimentaires. Pour certains spécialistes, il peut refléter un mal-être et devenir d’autant plus culpabilisant que la préoccupation santé liée à l’alimentation va croissant.
"Grignoter" serait alors un euphémisme destiné à minorer l’anarchie alimentaire pour la rendre plus acceptable aux yeux de l’entourage et des intéressés. Enfin, les Français eux-mêmes rejettent le grignotage. Dans une étude du socio-anthropologue Jean-Pierre Poulain consacrée à leur comportement alimentaire (Penser l’alimentation, Privat, 2002), 52 % considèrent que manger entre les repas est « vraiment mauvais », et 81 %, que le grignotage peut être « source de problèmes pour la santé ».
Grignoter, moi ? Jamais !
Difficile, dans un tel contexte, de ne pas se sentir coupable de grignoter. Donc, on finit par nier. « Manger entre les repas, moi ? Jamais ! » Or, c’est la non-perception du grignotage qui pose les vrais problèmes. Si notre équilibre personnel tourne autour de 1 800 calories par jour, peu importe de les répartir en trois, quatre ou six prises, du moment que le besoin est satisfait. Mais si nous n’admettons pas grignoter, nous oublions de comptabiliser les en-cas.
On l’aura compris, le danger c’est de grignoter entre les repas – l’addition repas plus en-cas penche alors rapidement en faveur du surpoids – ou de faire du grignotage son mode d’alimentation principal, voire exclusif. Car, à moins d’être un as en nutrition, cette multiplication des prises alimentaires mène droit au déséquilibre. Il est déjà difficile de répartir correctement ses apports nutritionnels sur trois repas, alors équilibrer jusqu’à huit prises alimentaires par jour relève de la mission impossible. D’autant qu’à la décharge du grignoteur amnésique, les marques de snacks se donnent bien du mal pour que leurs produits passent inaperçus à la consommation. Les portions sont toutes petites et très denses (un maximum de calories pour un minimum de poids) de façon à ne pas être trop"impliquantes". Résultat : on en mange plus et on risque la surcharge pondérale.
Et si l’on assumait ?
Outre le problème lié à l’addition inconsciente des repas et du grignotage, se pose la question du comportement. Lorsque l’on nie grignoter, l’acte devient machinal et la perception de la faim, de l’envie et de la satiété se confondent, explique Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute spécialiste des troubles du comportement alimentaire. On plonge la main dans le paquet de chips, que l’on finit sans s’en apercevoir. Le grignotage correspond alors souvent à un comportement de fuite : les pensées et les émotions du moment se révèlent pénibles ; manger en regardant la télé ou en lisant des futilités permet de faire écran et de soulager la tension. Cette absence de perception de l’acte de manger favorise l’installation d’automatismes – je prends mon train, j’achète des chips ; je regarde la télé, je mange du chocolat –, générant des désordres alimentaires susceptibles de conduire au surpoids. Donnant raison aux empêcheurs de grignoter en rond.
Le grignoteur a donc tout intérêt à admettre et à assumer son grignotage. Celui-ci peut se révéler utile dans bien des situations, et, s’il est bien compris et bien intégré, il n’implique pas de troubles psychologiques ou de santé. « Le grignotage ne pose guère de problème dans la mesure où l’on attend d’avoir faim à nouveau pour manger », assure Gérard Apfeldorfer. De son côté, Matty Chiva, professeur de psychologie à Paris-X et spécialiste des pratiques alimentaires, rappelle que les données épidémiologiques concernant l’impact du grignotage sur la santé restent rares et que l’on trouve actuellement plus d’opinions que de faits établis.
Ainsi, la seule conséquence indiscutablement imputable au grignotage est… l’augmentation des caries, la moindre prise alimentaire provoquant des sécrétions acides qui attaquent l’émail.
C'est bon... aussi pour la santé
On a longtemps nommé – et donc accepté – le grignotage en fonction de son contenu et de son horaire : le "goûter", plutôt sucré, vers le milieu de l’après-midi et pour les enfants. Le "casse-croûte", souvent matinal, plutôt salé et incluant du vin ou de la bière. "L’apéritif" enfin, summum du grignotage institutionnalisé.
En dehors de ces pauses "légales", certaines personnes sont fortement encouragées à fractionner leurs repas. Donc à grignoter. Les seniors le font volontairement, pour lutter contre la dénutrition ; les femmes enceintes, spontanément, en fin de grossesse. Quant aux enfants, ils doivent manger plus souvent que les adultes pour assurer leur croissance (l’école leur donne, par exemple, un en-cas à 10 heures en maternelle).
Enfin, dans le cadre d’un régime amaigrissant, de nombreux médecins recommandent de fractionner les prises alimentaires pour mieux distinguer la faim de la satiété et, à terme, mieux gérer sa consommation. Le grignotage au service de la ligne !
De nouvelles envies
De plus en plus de grignoteurs recherchent une nourriture bonne pour la santé. A Paris, quelques lieux de restauration rapide misent sur ces nouvelles envies.
>> La Ferme Opéra offre un système unique en son genre de restauration rapide à base d’aliments bio, naturels, provenant de petites productions artisanales, transformés sur place, le jour même. Tout est ultrafrais, seules les saisons déterminent le choix des plats du jour. Quiches, gâteaux, laitages, fruits, légumes, sur place ou à emporter. 55, rue Saint-Roch, 75001 Paris.
>> Le Bar à soupe, lancé par Anne-Catherine Bley, ne désemplit pas : « La soupe c’est le fast-food anti-McDo : sain, léger, rapide, sans gras, qui mise sur les légumes. Les gens adorent mais ils n’ont jamais le temps d’en préparer. » D’où le succès immédiat du service vente à emporter. Deux adresses : 33, rue de Charonne, 75011 Paris ; 5, rue Hérold, 75001 Paris.
>> Monoprix, qui a créé avant tout le monde les premiers rayons de consommation rapide, a déjà anticipé l’envie de sain. L’enseigne développe une offre importante de snacks frais : jus de fruits pressés, sandwichs, salades, fruits, légumes à croquer, yaourts.
>> En hausse aussi, le nombre de salades composées et de yaourts proposés dans les boulangeries, cafétérias et autres sandwicheries.