Dans la capitale, Robert Diouf s’initie d’abord à la mécanique avant de renouer avec la lutte. Cette « mise au vert » a duré quatre ans, avant que la lutte ne prenne définitivement le dessus. Le voilà parti pour une carrière exceptionnelle, forte de son registre technique fouillé, sa puissance athlétique, mais surtout sa détermination à faire le vide autour de lui, au contact d’autres jeunes lutteurs de la capitale, dont les supporters n’avaient que leurs yeux pour pleurer après le passage de l’ « ouragan » Robert.
Ses débuts à Dakar furent assez laborieux, surtout en notoriété. Pas grand de taille, ni assez costaud, Robert Diouf n’a jamais dépassé 100 kg, mais était résistant.
Révélé au grand public par les exploits retentissants réalisés au cours de ces compétitions nocturnes, Robert Diouf attise les appétits des promoteurs de l’époque, tombés sous le charme de son immense talent et sa popularité, qui en avaient fait le « seigneur des mbapatts ». Il n’en fallait pas plus pour en faire l’ «homme à abattre. Qui pour réussir cette mission ?
Le choix se porta sur un lutteur lébou mis en selle par les responsables de la lutte dans la région du Cap Vert d’alors, pour un combat en lutte avec frappe. Le cachet s’élevait à 150 francs Cfa. Qu’à cela ne tienne. Robert Diouf n’avait qu’un seul objectif : poursuivre son ascension vers le sommet de l’arène. Ce premier « examen de passage » réussi avec brio, le natif de Fadiouth avait désormais toute la latitude de se faire davantage un nom dans l’arène.
Cette victoire permit au vainqueur de prendre du galon et d’entamer son ascension vers le sommet. L’avènement de Robert Diouf a coïncidé avec la montée en puissance d’un champion venu du lointain Pakao, Mamadou Sakho dit Double Less, fort de ses mensurations hors normes, bien servi par un gabarit imposant.
Le Seigneur de Joal revient sur les trois rencontres avec Double Less.
« A l’époque, pendant l’hivernage, on interdisait les festivités avec les tam-tams. Alors, on prenait des pots de tomate pour en faire des tam-tams de fortune. C’était au célèbre quartier de Robinet Lassana. Il y avait un «mbapatt» et j’étais venu en spectateur. Double Less était de la partie et il avait terrassé tous les lutteurs. Il était géant, fort et j’ai dit à mes amis que je pouvais le terrasser. Mais ils n’étaient pas convaincus et ne voulaient pas que je participe au «mbapatt».
Ma tante habitait à côté et j’y ai pris un pagne, pour en faire un «nguimb». Mais feu Abdou Diop, qui était un de mes fervents supporteurs, arrache le pagne. Finalement, je l’ai contourné et une petite fille est allée me chercher un pagne. Et quand je l’ai défié, personne n’en revenait. On avait démarré notre carrière en lutte avec frappe, mais en ce temps, il était plus coté que moi. Double Less était le favori, mais n’avait pas l’intelligence, ni tactique ni technique pour me battre».
«Après l’avoir bien observé, je lui prends la main et pénètre sa garde. J’étais rapide dans les enchaînements ; je lui fais une ceinture arrière («weur ndomba»). Ayant assuré une bonne prise, je l’attire vers moi et serre au niveau du ventre. C’est très douloureux. C’est au moment où il veut desserrer l’étau que j’en profite pour lui faire un croc-en- jambe avant et de le pousser à terre. C’était le désarroi de son côté, il n’en revenait pas.
Ce jour-là, j’ai reçu beaucoup de cadeaux et d’argent. Ne pouvant pas digérer la défaite, il fit des pieds et des mains pour m’affronter en lutte avec frappe, quelques mois après sa défaite en «mbapatt». Mais mes amis de toujours, Cheikh Diop, feu Mamadou Ndao et Sérigne Ndiaye, ne voulaient pas du combat.»
Deuxième défaite
Ce combat revanche, c’est feu Bassirou Diagne qui l’a monté. Il avait en tête un projet de partenariat avec une société de l’époque, Apollo TM, pour engager Robert Diouf, Mbaye Guèye, Mame Gorgui et Falaye Baldé dans des tournées dans la sous-région, avec chacun, un cachet d’un million de francs. Du jamais vu dans l’arène ! Le projet avortera et le manager de Robert Diouf, Cheikh Diop ayant eu écho de cette tractation, campa sur ses positions (cachet d’un million) quand il a été démarché pour la revanche contre Double Less.
Entre-temps, Pathé, le manager de Double Less, avait accepté un cachet de six cent mille francs (600.000 FCfa). Fin en affaires, Cheikh Diop obtiendra gain de cause pour un million de francs, ce qui fera de Robert Diouf, le premier millionnaire de l’arène. « Double Less, grand seigneur acceptera la donne, car il a avoué que son manager l’a engagé pour un premier combat à trente mille francs Cfa. Il ne rechignera pas sur les six cent mille, une forte somme à l’époque. Finalement, son cachet sera augmenté à neuf cent mille (900.000) FCfa».
«Pour cette rencontre, c’était lui aussi qui était le favori, car il alliait puissance et avait une bonne rallonge. Et quand il lutte, il pose une jambe devant et c’est celle de derrière qui dirige ses déplacements. C’est pourquoi Double Less était un adversaire difficile à manœuvrer. Par rapport à sa taille, il ne pouvait pas se déplacer rapidement. Après un round d’observation avec des balancements de bras, je lui envoie un direct qui l’ébranle. Il était énervé et quand je me suis déplacé, il m’a suivi aveuglement. Il a pensé que je l’attaquais dans les jambes, je mime l’action et il est entraîné par son poids. Je me saisis de son «daak», (gris-gris sous forme de lanière qui peut être porté par le lutteur et qui se situe au niveau de la poitrine). Après deux tentatives infructueuses, la troisième sera la bonne. Je tire de toutes mes forces, il s’affale à plat ventre.»
Match nul
«Voulant coûte que coûte prendre sa revanche, on se rencontre une nouvelle fois au stade Iba Mar Diop. La troisième confrontation était plus difficile que les deux précédentes. On disait qu’aucun lutteur n’avait de chance si Double Less l’attrape. Ce jour-là, il a tenté toutes sortes de prises. On s’est battu, on a tout tenté, mais personne ne pouvait battre son adversaire. Finalement, c’est Mbaye Guèye («Tigre de Fass») qui est descendu des tribunes, pour inciter les arbitres à arrêter le combat en ces termes : «Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient. Ce ne sont pas des esclaves, chacun a bien lutté, il faut arrêter», tonnait-il. Ce fut l’un des plus mémorables matches nuls de l’histoire de l’arène.»
La carrière de Robert Diouf est riche de 137 combats, 7 défaites, 118 victoires et 12 nuls.
Au plan international, Robert Diouf a remporté une médaille d'or lors des Championnats d'Afrique de lutte en 1969 en lutte libre et une médaille d'argent en 1971 en lutte gréco-romaine. Il a représenté le Sénégal en lutte libre et gréco-romaine aux Jeux olympiques de Montréal 1976 et en lutte libre aux Jeux olympiques de Munich 1972. Mohamed Ndiaye a été entraîneur de self combat et de judo durant de longues années à l’Ecole nationale de Police.
Son statut de «bête du travail» va crescendo quand il sera enrôlé à la police comme moniteur sportif. « Avant de me rendre à l’école de police, je faisais un footing matinal et, à 10 h, je prenais en main mes éléments au niveau de l’école. A midi, je me rendais en salle pour parfaire ma musculation, mais ce n’est pas de la même façon que les lutteurs actuels. L’après-midi, je me rendais à l’écurie sérère et les séances finissaient après la dernière prière du soir », se rappelle Robert Diouf, nostalgique.
Après une riche carrière sportive, Robert Diouf s’est retiré à Joal, où il vit entouré de sa famille.
Source : Omar Sharif Ndao « Au-delà des millions et des Passions »
#SobelDione
Ses débuts à Dakar furent assez laborieux, surtout en notoriété. Pas grand de taille, ni assez costaud, Robert Diouf n’a jamais dépassé 100 kg, mais était résistant.
Révélé au grand public par les exploits retentissants réalisés au cours de ces compétitions nocturnes, Robert Diouf attise les appétits des promoteurs de l’époque, tombés sous le charme de son immense talent et sa popularité, qui en avaient fait le « seigneur des mbapatts ». Il n’en fallait pas plus pour en faire l’ «homme à abattre. Qui pour réussir cette mission ?
Le choix se porta sur un lutteur lébou mis en selle par les responsables de la lutte dans la région du Cap Vert d’alors, pour un combat en lutte avec frappe. Le cachet s’élevait à 150 francs Cfa. Qu’à cela ne tienne. Robert Diouf n’avait qu’un seul objectif : poursuivre son ascension vers le sommet de l’arène. Ce premier « examen de passage » réussi avec brio, le natif de Fadiouth avait désormais toute la latitude de se faire davantage un nom dans l’arène.
Cette victoire permit au vainqueur de prendre du galon et d’entamer son ascension vers le sommet. L’avènement de Robert Diouf a coïncidé avec la montée en puissance d’un champion venu du lointain Pakao, Mamadou Sakho dit Double Less, fort de ses mensurations hors normes, bien servi par un gabarit imposant.
Le Seigneur de Joal revient sur les trois rencontres avec Double Less.
« A l’époque, pendant l’hivernage, on interdisait les festivités avec les tam-tams. Alors, on prenait des pots de tomate pour en faire des tam-tams de fortune. C’était au célèbre quartier de Robinet Lassana. Il y avait un «mbapatt» et j’étais venu en spectateur. Double Less était de la partie et il avait terrassé tous les lutteurs. Il était géant, fort et j’ai dit à mes amis que je pouvais le terrasser. Mais ils n’étaient pas convaincus et ne voulaient pas que je participe au «mbapatt».
Ma tante habitait à côté et j’y ai pris un pagne, pour en faire un «nguimb». Mais feu Abdou Diop, qui était un de mes fervents supporteurs, arrache le pagne. Finalement, je l’ai contourné et une petite fille est allée me chercher un pagne. Et quand je l’ai défié, personne n’en revenait. On avait démarré notre carrière en lutte avec frappe, mais en ce temps, il était plus coté que moi. Double Less était le favori, mais n’avait pas l’intelligence, ni tactique ni technique pour me battre».
«Après l’avoir bien observé, je lui prends la main et pénètre sa garde. J’étais rapide dans les enchaînements ; je lui fais une ceinture arrière («weur ndomba»). Ayant assuré une bonne prise, je l’attire vers moi et serre au niveau du ventre. C’est très douloureux. C’est au moment où il veut desserrer l’étau que j’en profite pour lui faire un croc-en- jambe avant et de le pousser à terre. C’était le désarroi de son côté, il n’en revenait pas.
Ce jour-là, j’ai reçu beaucoup de cadeaux et d’argent. Ne pouvant pas digérer la défaite, il fit des pieds et des mains pour m’affronter en lutte avec frappe, quelques mois après sa défaite en «mbapatt». Mais mes amis de toujours, Cheikh Diop, feu Mamadou Ndao et Sérigne Ndiaye, ne voulaient pas du combat.»
Deuxième défaite
Ce combat revanche, c’est feu Bassirou Diagne qui l’a monté. Il avait en tête un projet de partenariat avec une société de l’époque, Apollo TM, pour engager Robert Diouf, Mbaye Guèye, Mame Gorgui et Falaye Baldé dans des tournées dans la sous-région, avec chacun, un cachet d’un million de francs. Du jamais vu dans l’arène ! Le projet avortera et le manager de Robert Diouf, Cheikh Diop ayant eu écho de cette tractation, campa sur ses positions (cachet d’un million) quand il a été démarché pour la revanche contre Double Less.
Entre-temps, Pathé, le manager de Double Less, avait accepté un cachet de six cent mille francs (600.000 FCfa). Fin en affaires, Cheikh Diop obtiendra gain de cause pour un million de francs, ce qui fera de Robert Diouf, le premier millionnaire de l’arène. « Double Less, grand seigneur acceptera la donne, car il a avoué que son manager l’a engagé pour un premier combat à trente mille francs Cfa. Il ne rechignera pas sur les six cent mille, une forte somme à l’époque. Finalement, son cachet sera augmenté à neuf cent mille (900.000) FCfa».
«Pour cette rencontre, c’était lui aussi qui était le favori, car il alliait puissance et avait une bonne rallonge. Et quand il lutte, il pose une jambe devant et c’est celle de derrière qui dirige ses déplacements. C’est pourquoi Double Less était un adversaire difficile à manœuvrer. Par rapport à sa taille, il ne pouvait pas se déplacer rapidement. Après un round d’observation avec des balancements de bras, je lui envoie un direct qui l’ébranle. Il était énervé et quand je me suis déplacé, il m’a suivi aveuglement. Il a pensé que je l’attaquais dans les jambes, je mime l’action et il est entraîné par son poids. Je me saisis de son «daak», (gris-gris sous forme de lanière qui peut être porté par le lutteur et qui se situe au niveau de la poitrine). Après deux tentatives infructueuses, la troisième sera la bonne. Je tire de toutes mes forces, il s’affale à plat ventre.»
Match nul
«Voulant coûte que coûte prendre sa revanche, on se rencontre une nouvelle fois au stade Iba Mar Diop. La troisième confrontation était plus difficile que les deux précédentes. On disait qu’aucun lutteur n’avait de chance si Double Less l’attrape. Ce jour-là, il a tenté toutes sortes de prises. On s’est battu, on a tout tenté, mais personne ne pouvait battre son adversaire. Finalement, c’est Mbaye Guèye («Tigre de Fass») qui est descendu des tribunes, pour inciter les arbitres à arrêter le combat en ces termes : «Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient. Ce ne sont pas des esclaves, chacun a bien lutté, il faut arrêter», tonnait-il. Ce fut l’un des plus mémorables matches nuls de l’histoire de l’arène.»
La carrière de Robert Diouf est riche de 137 combats, 7 défaites, 118 victoires et 12 nuls.
Au plan international, Robert Diouf a remporté une médaille d'or lors des Championnats d'Afrique de lutte en 1969 en lutte libre et une médaille d'argent en 1971 en lutte gréco-romaine. Il a représenté le Sénégal en lutte libre et gréco-romaine aux Jeux olympiques de Montréal 1976 et en lutte libre aux Jeux olympiques de Munich 1972. Mohamed Ndiaye a été entraîneur de self combat et de judo durant de longues années à l’Ecole nationale de Police.
Son statut de «bête du travail» va crescendo quand il sera enrôlé à la police comme moniteur sportif. « Avant de me rendre à l’école de police, je faisais un footing matinal et, à 10 h, je prenais en main mes éléments au niveau de l’école. A midi, je me rendais en salle pour parfaire ma musculation, mais ce n’est pas de la même façon que les lutteurs actuels. L’après-midi, je me rendais à l’écurie sérère et les séances finissaient après la dernière prière du soir », se rappelle Robert Diouf, nostalgique.
Après une riche carrière sportive, Robert Diouf s’est retiré à Joal, où il vit entouré de sa famille.
Source : Omar Sharif Ndao « Au-delà des millions et des Passions »
#SobelDione