Au printemps dernier, je suis tombée folle amoureuse. Ca m'était déjà arrivé, mais jamais à ce point. Là, on parle vraiment du genre d'histoire super clichée qu'on trouve dans les comédies romantiques hollywoodiennes, qui pour moi n'existaient pas dans la vraie vie... Eh bien, aujourd'hui, je comprends mieux les chansons d'amour!
Je ne savais pas qu'il était possible pour deux personnes d'être aussi compatibles, à tant de niveaux. Dans n'importe quelle situation, on a toujours une référence aux Simpsons sur le bout de la langue. Nos étagères croulent sous les livres de poésie. On aime les câlins "en cuillère", mais en alternant qui dort dans le dos de l'autre. On ne veut pas d'enfants. On adore les chiens, et on est plutôt ambivalents vis-à-vis des chats (bon, d'accord, on va plutôt dire qu'on en a horreur). On communique de manière directe et ouverte.
Du coup, on n'a jamais nourri de rancœurs, ni connu de conflit sérieux. On se fait rire sans arrêt. L'un de nos passe-temps consiste à se regarder dans les yeux en soupirant d'aise ou en gloussant. Bon, vous voyez le tableau: on est le genre de couple qui dégoûte tout le monde. J'ai trouvé mon alter ego, et cette relation n'implique ni compromis ni sacrifice de ma part.
Sauf en ce qui concerne son sexe.
J'ai fait mon coming-out il y a plus de dix ans, et mon identité lesbienne a façonné une grande partie de ma vie: à la fac, je travaillais au bureau LGBT. Mes articles tournent en général autour de la cause homosexuelle. Sur le bras, je me suis fait faire un tatouage lesbien, fait par une lesbienne sur le canapé d'une troisième lesbienne pendant la Gay Pride. Je présente une émission satirique queer et féministe, Man Haters ("On déteste les hommes").
La majorité de mon one-woman-show tourne autour de l'identité sexuelle. En gros, je suis homo à 300%! Tomber amoureuse d'un homme, c'est en quelque sorte mon pire cauchemar (mon chéri l'a un peu mal pris quand je lui ai dit ça. On se demande bien pourquoi!) Cette relation m'a forcée à réévaluer toute mon identité, et à gérer mon coming-out en repartant de zéro.
J'ai fait mon coming-out il y a plus de dix ans, et mon identité lesbienne a façonné une grande partie de ma vie.
Que signifie mon identité queer, maintenant que je vis une relation monogame avec un homme cisgenre? Avant notre rencontre, j'assumais complètement mon homosexualité. Rejeter les hommes qui me draguaient, me donnait un sentiment de puissance. Dès ma préadolescence, je m'imaginais faire l'amour avec d'autres femmes et j'avais des coups de cœur pour mes copines. Au lycée, j'ai loué tous les films indépendants et d'autres pays de mon magasin de vidéo parce qu'on y voyait souvent des scènes de sexe entre deux femmes. Je me suis toujours sentie homosexuelle. C'est mon identité. Et puis un jour, j'ai rencontré ce garçon. Il n'est pas comme les autres. Il est doux, drôle, sensible, honnête, intelligent et super séduisant. Il me soutient, il a une âme de poète. Je ne m'étais encore jamais sentie aussi proche de quelqu'un d'autre.
Je suis toujours queer. Rien n'a vraiment changé en moi. La majorité de mes amis le sont aussi. J'évolue toujours dans des milieux queer, et je participe à des événements LGBT. Mais, par le passé, si je fréquentais des lieux LGBT, c'était surtout pour chercher une partenaire ou pouvoir montrer sans crainte des signes d'affection à ma compagne du moment.
Aujourd'hui, je ne suis plus en recherche et je peux sans crainte embrasser mon petit ami, lui tenir la main ou le serrer dans mes bras en public. Pourtant, je me surprends encore à sursauter nerveusement quand il me prend la main, avant de me souvenir qu'en tant que couple hétéro en apparence, nous n'attirons en rien les regards.
D'un seul coup, j'ai le privilège de passer pour une hétérosexuelle. C'est une impression bizarre, qui me met mal à l'aise. Je ne suis pas et ne serai jamais hétéro, mais je ne peux pas nier qu'il est très pratique, que les autres n'en sachent rien.
Je ne pensais pas que je connaîtrais une telle intimité avec un partenaire masculin. Je croyais que le charme des relations queer résidait en partie dans cette capacité à parler d'absolument tout. Une partie de moi allait jusqu'à penser – avec un peu de suffisance, je l'admets – que les relations queer étaient plus profondes, et même... eh bien, mieux, tout simplement.
Je suis toujours queer. Rien n'a vraiment changé en moi.
A ma grande surprise, notre relation n'est pas tellement différente de celles que j'ai connues par le passé avec des partenaires queer. Nous parlons bel et bien de tout; je ne lui cache rien. Il est toujours là pour moi.
Au bout de quelques semaines, je me suis fait poser un stérilet, l'un des moments les plus douloureux de ma vie. Je l'ai gardé pendant six mois de cauchemar absolu. Je souffrais de crampes quotidiennes, parfois si intenses qu'il m'arrivait de me réveiller en larmes. Mes autres symptômes étaient un spotting constant, des infections et des problèmes d'angoisse.
La société (et mes trois frères) m'avait appris que les hommes étaient dégoûtés par les pertes menstruelles, les maux de ventre et tout autre sujet lié de près ou de loin aux "problèmes féminins". Nombre de mes amies hétérosexuelles cachent à leurs conjoints leurs difficultés liées aux règles ou à la contraception, pour ne pas les gêner.
J'ai toujours été stupéfaite, et même attristée, que tant de mes connaissances soient mal à l'aise à l'idée d'évoquer la réalité de leurs corps avec leur conjoint. Je craignais que mon sang, mes douleurs – mon corps, tout simplement! – ne dégoûtent mon mec ou ne deviennent un tue-l'amour à ses yeux.
A ma grande surprise, il m'écoute, me soutient et me témoigne de la compassion. En toute situation. On dirait presque qu'il tient à moi et veut que je lui dise franchement quand je ne me sens pas bien! Comme un amour véritable. Qui l'eût cru? Il ne cesse de m'étonner et de m'émerveiller, et je me pose mille questions sur les hommes, les relations sentimentales, le fait d'être queer, l'amour.
Une partie de moi allait jusqu'à penser – avec un peu de suffisance, je l'admets – que les relations queer étaient plus profondes, et même... eh bien, mieux, tout simplement.
Au début de notre relation, je cherchais juste une liaison passagère, sans attachement. Après avoir vécu deux ruptures en un an, j'avais décidé de préserver mon cœur en le fermant durablement. Sortir avec un type sans me projeter, sans y mettre aucune émotion, me semblait idéal. Je pourrais coucher sans craindre de m'attacher, cette MST aussi terrifiante qu'incurable. Après tout, j'étais lesbienne. Je ne pourrais jamais tomber amoureuse d'un mec, voyons!
Comme quoi, les choses ne se déroulent jamais comme prévu. Dès le deuxième rendez-vous, j'ai su que j'allais au-devant de gros problèmes. Ce type avait tout ce que je ne pensais jamais trouver chez un homme, et ça me déconcertait.
C'était tout nouveau et un peu effrayant, mais également merveilleux, et tellement naturel! Il était trop parfait pour le quitter, et je suis heureuse d'être restée! Notre relation est la plus saine, la plus simple, la plus évidente de ma vie. Même si je dois gérer la grande nouveauté de la contraception, et la question de continuer à revendiquer mon homosexualité alors que tout le monde me croit hétéro.
Sa famille est au courant de notre relation, mais l'idée de les rencontrer me terrifie. Pourtant, en général, les parents de mes partenaires m'aiment bien: je suis chaleureuse, sociable, toujours prête à filer un coup de main pour la vaisselle.
Mais s'ils tapaient mon nom sur Google et tombaient sur mon spectacle, avec mes vannes trash sur la vie d'une lesbienne? S'ils prenaient mon petit ami à part pour lui dire qu'ils n'apprécient pas qu'il sorte avec une gouine qui aborde franchement les thèmes du sexe et de la dépression sur internet?
Je n'ai pas de secrets pour mon chéri; il sait que je suis lesbienne, lit mes articles et assiste à mes spectacles. Je sais qu'il ne me quittera pas, même si ses parents n'approuvent pas notre relation. Je sais que ça ne devrait me faire ni chaud ni froid, mais je suis tout de même inquiète. Est-ce qu'ils me trouveront assez bien pour lui, ou est-ce qu'ils me jugeront trop extravagante, trop ouvertement queer? C'est une angoisse nouvelle pour moi, et ça me perturbe.
Mon amie queer Karla Elena Garcia est, elle aussi, tombée amoureuse d'un homme cisgenre l'année dernière, et elle m'a témoigné son soutien et son amitié. Je conclus cet article sur ces paroles magnifiques, qu'elle a récemment publiées sur Facebook, et qui résument de manière poignante toute la beauté, la complexité et l'intensité de l'identité queer.
Ash Fisher