L’AS : Que peut-on entendre par vulnérabilité des enfants quand on parle de Sida ?
Dr Ngagne Mbaye : Les pays ont une définition très large. Chez certains, on compte dans cette catégorie les enfants qui sont dans des familles où il y a eu un adulte gravement malade du Sida pendant plusieurs mois. Mais ce qui est consensuel au Sénégal, ce sont des enfants dont les familles sont directement touchées par le virus du Sida. Que ces enfants soient eux-mêmes infectés ou pas, qu’ils soient orphelins ou non. On peut y ajouter les enfants dans les familles qui ont accueilli d’autres enfants rendus orphelins par le Vih Sida. Ceci s’explique par le fait que lorsqu’on accueille chez soi trois ou quatre enfants orphelins, cela devient une charge considérable pour la famille d’accueil qui a du mal à faire face aux divers problèmes. Et ces enfants peuvent voir leur accès à l’éducation, à la nutrition, au bien-être en général, compromis par le fait d’avoir accueilli d’autres enfants. Donc, il s’agit des enfants nés de parents biologiques vivant avec le Vih, qu’ils soient orphelins ou non, qu’ils soient infectés ou non.
Un enfant séropositif a-t-il des besoins nutritionnels plus importants que les autres ?
Traiter les enfants infectés, c’est d’abord leur donner à manger, à boire. Même l’enfant qui n’est pas infecté, s’il n’a pas une bonne alimentation, il risque de devenir immunodéprimé. Le volet nutritionnel est extrêmement important, d’autant plus que ces enfants vivent dans des familles généralement démunies, les gens n’y mangent pas. Les parents eux-mêmes ont des problèmes nutritionnels. De façon schématique, on peut dire que mettre un traitement antirétroviral chez certains enfants sans leur donner à manger, c’est un peu comme mettre de l’engrais et ne pas arroser une plante. On ne peut pas avoir un bénéfice optimal, et peut-être cela peut entraîner des effets délétères.
Il ne doit pas être facile d’annoncer à un enfant qu’il a le Sida…
Il y a tout un débat sur cette question. Mais ce qui est constant, c’est qu’il y a un âge mental, un âge psychologique. Ce qui est important, c’est que celui qui suit l’enfant doit se dire qu’il doit lui expliquer le plus tôt possible, parce que l’enfant a le droit de savoir et a besoin de savoir pour participer lui-même à son traitement. Par ailleurs, contrairement à ce que nous disons, l’annoncer à l’enfant, en nommant la maladie, ne me paraît jamais urgent. Par contre, il faut que l’enfant puisse comprendre sa situation dans le sens de participer à la prise en charge de sa maladie. Un enfant de trois ans doit comprendre qu’il doit aller chez le médecin, prendre ses comprimés pour pouvoir aller à l’école. Un adolescent de 14-15 ans doit comprendre qu’il doit se protéger sur le plan de sa vie sexuelle. Il y a une graduation de l’annonce qui n’est pas un moment, mais tout un processus qu’on adopte au besoin de savoir. Cela dit, on est d’accord qu’autour de 12-13 ans, l’enfant doit comprendre ce qu’est le Vih Sida.
Depuis 20 ans que vous vous occupez des enfants portant le virus du Sida, quel est le cas qui vous a le plus marqué ?
Il y a quelques années, je suivais une fille d’environ 10 ans qui a été amenée par sa grand-mère, très âgée, qui revenait d’un pays d’Afrique Centrale où elle vivait. La grand-mère paternelle avait perdu le père de l’enfant, décédé en Zambie. Sans savoir son statut, elle a récupéré l’enfant qui portait le virus et est revenue à Dakar. La mère, qui est d’origine Est Africaine, ne savait pas que son mari est mort du Sida, ni qu’elle portait le virus, encore moins que son enfant était infecté. Elle est allée en Afrique du Sud et s’est remariée. Elle a eu un accident et on lui a enlevé l’utérus. Ne pouvant plus avoir d’enfant, elle s’est mise sur les traces de l’unique fille qu’elle avait. Elle est partie en Zambie, en Afrique Centrale, s’est débrouillée pour venir au Sénégal, à Dakar, dans la banlieue où elle a fini par dénicher la grand-mère. Elles sont venues me voir toutes les trois, la fille était très malade. Il me fallait parler à la mère de la maladie de l’enfant, l’informer de son infection. Elle s’est battue pendant tout ce temps pour voir son enfant, et c’est pour apprendre qu’elle est en phase terminale. C’est un des cas qui m’ont beaucoup marqué.
Vous avez quand même eu des dénouements heureux ?
J’ai eu le cas d’une femme qui a eu 5 enfants décédés en bas âge et qui, à sa 6 ième grossesse, a fait le test et a su que c’est le Vih qui tuait ses enfants. Son dernier enfant, nous l’avons suivi jusqu’à 18 mois et il est séronégatif, mais c’est toute une histoire. Vous imaginez bien comment elle vit avec cet enfant, avec cette psychose de l’infection. Chaque fois que l’enfant s’enrhume ou fait une petite diarrhée, elle pense que c’est encore le signe. Il faudra la rassurer, l’aider. Et le jour où on lui a annoncé que son enfant était indemne, c’était un événement immense.
Quelle est l’espérance de vie d’un enfant séropositif ?
On ne peut pas le prédire. Je me dis que cet enfant vivra comme tous les enfants et il y a toutes les raisons de se dire que cet enfant deviendra un adulte, aura des enfants. Parce que j’ai eu en consultation des enfants vivant avec le Vih, dont je suis aujourd’hui les enfants. J’ai vu leurs parents à la naissance. En ce temps, on se disait que ce n’est pas la peine de s’investir dans ces enfants qu’on va perdre. Mais le traitement a complètement remanié le pronostic de la maladie. (…) Il faudrait cependant qu’il y ait quelqu’un qui s’engage à donner ces médicaments à ces enfants pendant longtemps jusqu’à ce qu’ils puissent acquérir leur autonomie pour l’accès au traitement. Ces personnes peuvent être le père, la mère. Le plus souvent, ils sont infectés et ont leurs propres problèmes. S’ils sont décédés, il faut trouver une personne de substitution. C’est la survie de l’enfant. On doit la dépasser et faire de ces enfants des gens importants qui peuvent contribuer à l’avenir de leur communauté. Pour cela, il faut un suivi psychologique. Très tôt, ces enfants sentent que quelque chose ne va pas, qu’ils sont différents des autres. Ils s’éveillent à la vie avec comme première information de taille : je vis avec le Vih.
Quelles sont les avancées en matière de prise en charge des orphelins et enfants vulnérables ? L’espoir est-il permis de ne plus voir la transmission mère-enfant ?
Nous avons toutes les raisons de croire que l’on peut éliminer la transmission mère-enfant. Lorsqu’on voit l’histoire du Vih de l’enfant, il y a eu en 20 ans des progrès que nous ne pouvions espérer. En 1990, on ne connaissait pas le taux de transmission, on se demandait à quel moment de la grossesse ou de l’allaitement intervient la transmission… Et brutalement, en 1994, on a trouvé qu’une molécule réduit la transmission. Le Sida est un fardeau africain et on se demandait comment faire pour accéder à cette molécule. Le protocole qui permettait de réduire de 33 à 8 % la transmission était un protocole euraméricain (...) ; on voyait cette affaire comme un mirage. En 1998, il y a eu un protocole allégé en Thaïlande, dans lequel on disait que les perfusions pendant la grossesse n’étaient pas nécessaires. Il fallait donner un taux de charge aux femmes enceintes. Ensuite, il y a eu en 1999 un protocole en Ouganda, pour lequel il suffit de donner un comprimé à la femme pendant le travail et à l’enfant dans les trois jours, une cuillérée de sirop et cela réduit de façon importante la transmission.
Entretien réalisé par Hadja Diaw GAYE l'asquotidien
Dr Ngagne Mbaye : Les pays ont une définition très large. Chez certains, on compte dans cette catégorie les enfants qui sont dans des familles où il y a eu un adulte gravement malade du Sida pendant plusieurs mois. Mais ce qui est consensuel au Sénégal, ce sont des enfants dont les familles sont directement touchées par le virus du Sida. Que ces enfants soient eux-mêmes infectés ou pas, qu’ils soient orphelins ou non. On peut y ajouter les enfants dans les familles qui ont accueilli d’autres enfants rendus orphelins par le Vih Sida. Ceci s’explique par le fait que lorsqu’on accueille chez soi trois ou quatre enfants orphelins, cela devient une charge considérable pour la famille d’accueil qui a du mal à faire face aux divers problèmes. Et ces enfants peuvent voir leur accès à l’éducation, à la nutrition, au bien-être en général, compromis par le fait d’avoir accueilli d’autres enfants. Donc, il s’agit des enfants nés de parents biologiques vivant avec le Vih, qu’ils soient orphelins ou non, qu’ils soient infectés ou non.
Un enfant séropositif a-t-il des besoins nutritionnels plus importants que les autres ?
Traiter les enfants infectés, c’est d’abord leur donner à manger, à boire. Même l’enfant qui n’est pas infecté, s’il n’a pas une bonne alimentation, il risque de devenir immunodéprimé. Le volet nutritionnel est extrêmement important, d’autant plus que ces enfants vivent dans des familles généralement démunies, les gens n’y mangent pas. Les parents eux-mêmes ont des problèmes nutritionnels. De façon schématique, on peut dire que mettre un traitement antirétroviral chez certains enfants sans leur donner à manger, c’est un peu comme mettre de l’engrais et ne pas arroser une plante. On ne peut pas avoir un bénéfice optimal, et peut-être cela peut entraîner des effets délétères.
Il ne doit pas être facile d’annoncer à un enfant qu’il a le Sida…
Il y a tout un débat sur cette question. Mais ce qui est constant, c’est qu’il y a un âge mental, un âge psychologique. Ce qui est important, c’est que celui qui suit l’enfant doit se dire qu’il doit lui expliquer le plus tôt possible, parce que l’enfant a le droit de savoir et a besoin de savoir pour participer lui-même à son traitement. Par ailleurs, contrairement à ce que nous disons, l’annoncer à l’enfant, en nommant la maladie, ne me paraît jamais urgent. Par contre, il faut que l’enfant puisse comprendre sa situation dans le sens de participer à la prise en charge de sa maladie. Un enfant de trois ans doit comprendre qu’il doit aller chez le médecin, prendre ses comprimés pour pouvoir aller à l’école. Un adolescent de 14-15 ans doit comprendre qu’il doit se protéger sur le plan de sa vie sexuelle. Il y a une graduation de l’annonce qui n’est pas un moment, mais tout un processus qu’on adopte au besoin de savoir. Cela dit, on est d’accord qu’autour de 12-13 ans, l’enfant doit comprendre ce qu’est le Vih Sida.
Depuis 20 ans que vous vous occupez des enfants portant le virus du Sida, quel est le cas qui vous a le plus marqué ?
Il y a quelques années, je suivais une fille d’environ 10 ans qui a été amenée par sa grand-mère, très âgée, qui revenait d’un pays d’Afrique Centrale où elle vivait. La grand-mère paternelle avait perdu le père de l’enfant, décédé en Zambie. Sans savoir son statut, elle a récupéré l’enfant qui portait le virus et est revenue à Dakar. La mère, qui est d’origine Est Africaine, ne savait pas que son mari est mort du Sida, ni qu’elle portait le virus, encore moins que son enfant était infecté. Elle est allée en Afrique du Sud et s’est remariée. Elle a eu un accident et on lui a enlevé l’utérus. Ne pouvant plus avoir d’enfant, elle s’est mise sur les traces de l’unique fille qu’elle avait. Elle est partie en Zambie, en Afrique Centrale, s’est débrouillée pour venir au Sénégal, à Dakar, dans la banlieue où elle a fini par dénicher la grand-mère. Elles sont venues me voir toutes les trois, la fille était très malade. Il me fallait parler à la mère de la maladie de l’enfant, l’informer de son infection. Elle s’est battue pendant tout ce temps pour voir son enfant, et c’est pour apprendre qu’elle est en phase terminale. C’est un des cas qui m’ont beaucoup marqué.
Vous avez quand même eu des dénouements heureux ?
J’ai eu le cas d’une femme qui a eu 5 enfants décédés en bas âge et qui, à sa 6 ième grossesse, a fait le test et a su que c’est le Vih qui tuait ses enfants. Son dernier enfant, nous l’avons suivi jusqu’à 18 mois et il est séronégatif, mais c’est toute une histoire. Vous imaginez bien comment elle vit avec cet enfant, avec cette psychose de l’infection. Chaque fois que l’enfant s’enrhume ou fait une petite diarrhée, elle pense que c’est encore le signe. Il faudra la rassurer, l’aider. Et le jour où on lui a annoncé que son enfant était indemne, c’était un événement immense.
Quelle est l’espérance de vie d’un enfant séropositif ?
On ne peut pas le prédire. Je me dis que cet enfant vivra comme tous les enfants et il y a toutes les raisons de se dire que cet enfant deviendra un adulte, aura des enfants. Parce que j’ai eu en consultation des enfants vivant avec le Vih, dont je suis aujourd’hui les enfants. J’ai vu leurs parents à la naissance. En ce temps, on se disait que ce n’est pas la peine de s’investir dans ces enfants qu’on va perdre. Mais le traitement a complètement remanié le pronostic de la maladie. (…) Il faudrait cependant qu’il y ait quelqu’un qui s’engage à donner ces médicaments à ces enfants pendant longtemps jusqu’à ce qu’ils puissent acquérir leur autonomie pour l’accès au traitement. Ces personnes peuvent être le père, la mère. Le plus souvent, ils sont infectés et ont leurs propres problèmes. S’ils sont décédés, il faut trouver une personne de substitution. C’est la survie de l’enfant. On doit la dépasser et faire de ces enfants des gens importants qui peuvent contribuer à l’avenir de leur communauté. Pour cela, il faut un suivi psychologique. Très tôt, ces enfants sentent que quelque chose ne va pas, qu’ils sont différents des autres. Ils s’éveillent à la vie avec comme première information de taille : je vis avec le Vih.
Quelles sont les avancées en matière de prise en charge des orphelins et enfants vulnérables ? L’espoir est-il permis de ne plus voir la transmission mère-enfant ?
Nous avons toutes les raisons de croire que l’on peut éliminer la transmission mère-enfant. Lorsqu’on voit l’histoire du Vih de l’enfant, il y a eu en 20 ans des progrès que nous ne pouvions espérer. En 1990, on ne connaissait pas le taux de transmission, on se demandait à quel moment de la grossesse ou de l’allaitement intervient la transmission… Et brutalement, en 1994, on a trouvé qu’une molécule réduit la transmission. Le Sida est un fardeau africain et on se demandait comment faire pour accéder à cette molécule. Le protocole qui permettait de réduire de 33 à 8 % la transmission était un protocole euraméricain (...) ; on voyait cette affaire comme un mirage. En 1998, il y a eu un protocole allégé en Thaïlande, dans lequel on disait que les perfusions pendant la grossesse n’étaient pas nécessaires. Il fallait donner un taux de charge aux femmes enceintes. Ensuite, il y a eu en 1999 un protocole en Ouganda, pour lequel il suffit de donner un comprimé à la femme pendant le travail et à l’enfant dans les trois jours, une cuillérée de sirop et cela réduit de façon importante la transmission.
Entretien réalisé par Hadja Diaw GAYE l'asquotidien