J'ouvre les yeux et je regarde autour de moi. Assis à mon chevet, maman et papa pleurent ! Ma sœur Cindy pose ses yeux immenses sur moi et me demande de sa voix douce si ça va. Quelle drôle de question ! Qu'est-ce que je fais là ?
J'ai eu un accident de voiture. Je me souviens à présent. Pour la première fois, ce soir de janvier 2014, je me suis laissé convaincre de ne pas prendre ma voiture. On s'était donné rendez-vous chez des amis pour ensuite aller danser en boîte. Rien ne s'est passé comme prévu. Et voilà qu'on se retrouve à monter à six dans la même voiture. Je n'aime pas ça, mais je ne veux pas faire ma relou et jouer à la fille parano comme on dit.
Je suis la seule à ne pas avoir bu d'alcool, alors je propose de conduire, mais on me dit non. Celui qui prend le volant a bu, mais, à lui, on confie les clés et accessoirement nos vies. Ma meilleure amie, Julie, reçoit alors un coup de fil de sa sœur jumelle. "J'ai un mauvais pressentiment", lui dit-elle. Il y a beaucoup de brouillard ce soir sur les routes et elle s'inquiète, avec raison. Mon amie Julie la rassure. La boîte n'est pas loin. On lui téléphone en arrivant.
Il y a énormément de brouillard. Franchement, c'est une purée de pois. Moi, je ne dépasserais pas les 60 km/h. Mais le conducteur appuie sur le champignon, j'ai les yeux rivés sur le cadran de vitesse. Sur une route à 110, il roule à 170 ! Il est dingue. Je me sens prisonnière du véhicule. Je dis à ma copine Julie : "Il va vite, j'ai peur. Il faut qu'il ralentisse." On lui demande de ralentir, mais il n'en fait rien.Il n'a jamais vraiment ralenti, même arrivé en ville. A 500 mètres de la boîte, naïvement, je me dis : « C'est bon, on arrive, je vois les lumières du club. Tout va bien se passer... » Et là, j'entends le conducteur dire : « Oh, merde ! » Il vient de taper le rond-point à 150 km/h et je sens qu'on part. Il y a le premier tonneau et puis, plus rien... J'ai perdu connaissance. On m'a transférée en urgence à l'hôpital d'Amiens.
Ma moelle épinière a été comprimée, je ne sens plus mes jambes. Je suis devenue paraplégique à 22 ans, parce que je voulais aller danser. J'étais sobre, l'analyse toxicologique n'a pas trouvé le moindre gramme d'alcool dans mon sang. Sobre, j'étais la seule à être attachée à l'arrière du véhicule, j'ai demandé à conduire, j'ai demandé au conducteur de ralentir et, aujourd'hui, je suis la seule en fauteuil...
A l'hôpital, pimpante et maquillée, à chaque visite, je fanfaronne : "Désolée, si je ne me lève pas pour vous saluer, mais le cœur y est !" La situation est déjà assez tragique, je ne veux pas que mes visiteurs dépriment en venant me voir ! Dès que j'ai un peu repris mes esprits, j'ai réclamé ma trousse de maquillage et mon lisseur.
Longtemps, je me suis dit : "Si j'avais gardé ma voiture, si je n'avais pas changé de place, si j'avais refusé de monter..." Mais on ne change pas le présent avec des si... Je n'ai pas envie de croire au destin. Ça signifierait que j'accepte ce qui s'est passé, que j'accepte ce que le conducteur a fait et, ça, je ne l'accepterai jamais ! Le conducteur m'a volé ma vie, il me l'a détruite. Après trois semaines d'hôpital, je pars dans un centre de rééducation et de réadaptation. Je place beaucoup d'espoir dans ce mot « rééducation », j'y vois la possibilité de remarcher. Je ne me doute pas que je vais y rester un an. Et que les épreuves ne font que commencer. Mais je suis prête.
closer