Quel témoignage pouvez-apporter sur Alioune Diop ?
Cheikh Tidiane Gadio-Je n’ai malheureusement pas eu la chance de connaître personnellement Alioune Diop. J’en étais très malheureux parce qu’on a vécu ensemble à Paris pendant une certaine période. J’allais souvent à Présence Africaine avec mon ami Gagnesir Diallo qui a fait d’ailleurs une brillante contribution tout de suite. Et Alioune est mort à Paris au moment où nous avions créé une nouvelle revue panafricaine qui s’appelait « Jonction ». Et je crois que c’est dans l’éditorial du premier ou deuxième numéro que le Professeur Bouba Diop rendait compte de la mort d’Alioune Diop et lui rendait un brillant hommage. Par la suite en fréquentant Présence Africaine, nous avons compris l’ampleur du travail qu’il a abattu pour les peuples noirs en général et pour le continent africain en particulier. Sa forme de panafricanisme nous a semblé la plus appropriée. Chacun d’entre nous, dans son domaine, la science, la culture, les technologies, le journalisme, la politique, doit trouver son angle, sa porte d’entrée dans le combat global des peuples africains pour leur dignité et leur unité politique. Sous ce rapport Alioune Diop a fait un immense travail.
Quel était le degré de son engagement pour l’Afrique ?
J’étais très touché à la question de savoir quelles sont les œuvres d’Alioune Diop qui sont enseignées dans les écoles africaines ? J’ai tout de suite pensé à ce que le Professeur Bocoum a expliqué. Il est rare de trouver des africains aussi peu égoïstes qu’Alioune Diop qui accepte de mettre son talent sous le boisseau pour promouvoir les autres talents. Si Alioune Diop n’existait, ou s’il n’avait pas créé Présence Africaine et cette tribune, le Congrès des artistes intellectuels et écrivains noirs, peut-être qu’on aurait jamais pu bénéficier de l’immense savoir d’un professeur comme Cheikh Anta Diop qui lui a d’ailleurs rendu un hommage émouvant. Celui-ci le considérait comme son héros, son mentor, quelqu’un pour qui il avait une immense adoration. David M Diop, le grand poète, beau-frère d’Alioune Diop marié à sa grande sœur, lui avait écrit une très belle lettre quand les intellectuels africains avaient décidé de se rendre en Guinée pour son peuple après l’indépendance. Cette lettre est très émouvante. Si mes souvenirs sont corrects, le dernier ouvrage de Cheikh Anta Diop a été dédié à Alioune Diop qui s’était effacé pour permettre à d’autres talents d’éclore et de servir la cause de l’Afrique. Je trouve que l’Afrique n’a pas fait justice à Alioune Diop et ce centenaire est une très belle occasion pour réparer cette erreur historique.
Quel rôle a-t-il pu jouer pour la renaissance africaine ?
Je vais signaler une autre erreur historique qui personnellement me fait froid au dos et me fait très mal. C’est quand dans le débat sur la renaissance africaine, on attribue au Président Thabo Mbéki, pour qui j’ai un immense respect, la paternité de la renaissance africaine. C’est une immense tristesse car les acteurs sont encore là et on se permet d’oublier, et parfois volontairement. Et Cheikh Anta Diop et Alioune Diop sont les véritables pères, non seulement de la renaissance africaine, mais même du concept. Cheikh Anta Diop a écrit un article en 1948 sur la renaissance africaine, et on vient aujourd’hui nous dire que le Président Thabo Mbéki dans les années 90 a lancé le concept de renaissance africaine. Ce n’est pas bien. La renaissance africaine est un concept extrêmement sérieux à mon avis qu’il ne faudrait pas qu’on parle de religion et autre pour tout ramener à une statue ou à un monument. Tel que c’est parti maintenant, avec les aspects négatifs de ce débat, on risque de noyer un concept qui est central pour la survie des peuples africains. La Chine, l’Inde et le Brésil ont réussi leur renaissance. L’Europe l’avait fait depuis longtemps. L’Amérique, c’est clair. Il n’y a que l’Afrique qui en est à ce combat de la renaissance. Et c’est extrêmement important. Donc, il ne faut pas qu’on mélange les genres et qu’on garde un œil sur l’essentiel. Cheikh Anta, par les activités intellectuelles, Alioune Diop, par son soutien aux universitaires, aux intellectuels, aux chercheurs africains, sont les véritables pères du mouvement de la renaissance africaine qui était d’abord un mouvement culturel. Imaginez les Padmore, les Senghor, les Césaire, les Cheikh Anta qui se retrouvaient autour de la table du même homme, il fallait que celui-ci fusse un grand homme pour avoir tous ces gens avec tout le respect qu’ils avaient pour lui. Les nationalistes angolais, mozambicains, tous ceux qui ont fait Paris étaient autour d’Alioune Diop pour puiser dans sa sagesse. J’espère que le centenaire permettra de lui rendre cet hommage. Il faut lire Frédéric Grahmel, un ami ivoirien, qui a écrit un livre de biographie sur Alioune Diop. C’est un ouvrage qui peut les jeunesses africaines à s’approprier l’œuvre d’Alioune Diop. Mais profitons de centenaire, des colloques, des rencontres pour découvrir un homme qui ne mérite pas d’être enterré comme ça sous les sédiments de l’histoire africaine avec tout ce qu’il a fait pour le continent. Il a donné sa vie, mort trop tôt à 70 ans.
Présence Africaine n’étant plus ce qu’elle était quelle alternative proposez-vous pour relancer le combat ?
Avant l’alternative, il faut peut-être d’abord reconnaître le rôle de Présence africaine. Alioune avait créé la société africaine de culture. A l’époque l’angle d’attaque pour défendre les peuples africains, c’était la culture, parce que les gens nous disent que, selon la philosophie de Hegel, nous sommes des êtres à l’état brut, que nous n’avons ni culture ni civilisation. Ce n’est pas étonnant que le premier grand ouvrage de Cheikh Anta Diop ait été titré « Nations nègres et cultures » parce que l’enjeu était le débat culturel. Donc, il faut d’abord connaître Alioune Diop. Les journalistes africains dans les 50 dernières années ont tout fait pour créer des journaux africains à Paris. Tous ont échoué. Il n’y a que « Jeune Afrique » qui survécu. Mais avant Jeune Afrique, il y a eu la revue Présence africaine. Donc, Alioune a réussi un pari tellement immense qu’il semble difficile à reproduire. Il faut d’abord lui rendre hommage. Sa femme est mieux indiquée pour le dire. C’est une héroïne du combat culturel africain. Après le décès de son mari, elle a poursuivi le travail. Pendant trente ans Présence africaine a tenu alors que tout le monde disait qu’elle serait fermée deux après. Elle a réussi de maintenir Présence africaine. Mais il faut dire qu’il y a eu plusieurs tentatives de déménager Présence africaine sur le continent africain. Je pense que l’Union africaine, les chefs d’Etat africains n’ont pas tenu leur rôle par rapport à l’immensité de la contribution d’Alioune Diop. Ils auraient dû aider sa femme, aider la revue et les maisons d’édition Présence africaine, et la librairie pour que le combat d’Alioune Diop soit récompensée à sa juste valeur.
Aujourd’hui, 50 ans après le projet Présence africaine, la jeunesse semble être désorientée…
Il faut qu’on révise les concepts. C’est facile de dire que la jeunesse africaine est désorientée. Mais elle est désorientée par rapport à quelle orientation ? Si l’orientation de départ n’était pas bonne, c’est bien qu’elle soit désorientée, soit désaxée de cette orientation. J’entends les gens souvent dire que nous avons une jeunesse désorientée. Il faut nous dire désorientée par rapport à quel repère, par rapport à quelle valeur. Si la jeunesse africaine s’est appropriée de l’œuvre de Cheikh Anta Diop, de N’krumah, d’Alioune Diop, et qu’elle cette ligne pour faire autre chose, peut être qu’on peut parler de jeunesse désaxée, etc. Le problème est que résister à la mondialisation est un combat perdu d’avance. Ce qu’il faut, c’est quand on regarde la mondialisation et les éléments culturels nouveaux qui émergent et qui dominent le monde, qu’on puisse dire : ça c’est la contribution de l’Afrique. A mon avis, c’est ça la force et notre jeunesse l’a compris avant les dirigeants politiques. Elle s’est engagée à fond, mais est-ce que nous lui avons donnée les armes nécessaires pour pouvoir donner une grande contribution authentiquement africaine ? C’est la question à la quelle il faut répondre.
Cheikh Tidiane Gadio-Je n’ai malheureusement pas eu la chance de connaître personnellement Alioune Diop. J’en étais très malheureux parce qu’on a vécu ensemble à Paris pendant une certaine période. J’allais souvent à Présence Africaine avec mon ami Gagnesir Diallo qui a fait d’ailleurs une brillante contribution tout de suite. Et Alioune est mort à Paris au moment où nous avions créé une nouvelle revue panafricaine qui s’appelait « Jonction ». Et je crois que c’est dans l’éditorial du premier ou deuxième numéro que le Professeur Bouba Diop rendait compte de la mort d’Alioune Diop et lui rendait un brillant hommage. Par la suite en fréquentant Présence Africaine, nous avons compris l’ampleur du travail qu’il a abattu pour les peuples noirs en général et pour le continent africain en particulier. Sa forme de panafricanisme nous a semblé la plus appropriée. Chacun d’entre nous, dans son domaine, la science, la culture, les technologies, le journalisme, la politique, doit trouver son angle, sa porte d’entrée dans le combat global des peuples africains pour leur dignité et leur unité politique. Sous ce rapport Alioune Diop a fait un immense travail.
Quel était le degré de son engagement pour l’Afrique ?
J’étais très touché à la question de savoir quelles sont les œuvres d’Alioune Diop qui sont enseignées dans les écoles africaines ? J’ai tout de suite pensé à ce que le Professeur Bocoum a expliqué. Il est rare de trouver des africains aussi peu égoïstes qu’Alioune Diop qui accepte de mettre son talent sous le boisseau pour promouvoir les autres talents. Si Alioune Diop n’existait, ou s’il n’avait pas créé Présence Africaine et cette tribune, le Congrès des artistes intellectuels et écrivains noirs, peut-être qu’on aurait jamais pu bénéficier de l’immense savoir d’un professeur comme Cheikh Anta Diop qui lui a d’ailleurs rendu un hommage émouvant. Celui-ci le considérait comme son héros, son mentor, quelqu’un pour qui il avait une immense adoration. David M Diop, le grand poète, beau-frère d’Alioune Diop marié à sa grande sœur, lui avait écrit une très belle lettre quand les intellectuels africains avaient décidé de se rendre en Guinée pour son peuple après l’indépendance. Cette lettre est très émouvante. Si mes souvenirs sont corrects, le dernier ouvrage de Cheikh Anta Diop a été dédié à Alioune Diop qui s’était effacé pour permettre à d’autres talents d’éclore et de servir la cause de l’Afrique. Je trouve que l’Afrique n’a pas fait justice à Alioune Diop et ce centenaire est une très belle occasion pour réparer cette erreur historique.
Quel rôle a-t-il pu jouer pour la renaissance africaine ?
Je vais signaler une autre erreur historique qui personnellement me fait froid au dos et me fait très mal. C’est quand dans le débat sur la renaissance africaine, on attribue au Président Thabo Mbéki, pour qui j’ai un immense respect, la paternité de la renaissance africaine. C’est une immense tristesse car les acteurs sont encore là et on se permet d’oublier, et parfois volontairement. Et Cheikh Anta Diop et Alioune Diop sont les véritables pères, non seulement de la renaissance africaine, mais même du concept. Cheikh Anta Diop a écrit un article en 1948 sur la renaissance africaine, et on vient aujourd’hui nous dire que le Président Thabo Mbéki dans les années 90 a lancé le concept de renaissance africaine. Ce n’est pas bien. La renaissance africaine est un concept extrêmement sérieux à mon avis qu’il ne faudrait pas qu’on parle de religion et autre pour tout ramener à une statue ou à un monument. Tel que c’est parti maintenant, avec les aspects négatifs de ce débat, on risque de noyer un concept qui est central pour la survie des peuples africains. La Chine, l’Inde et le Brésil ont réussi leur renaissance. L’Europe l’avait fait depuis longtemps. L’Amérique, c’est clair. Il n’y a que l’Afrique qui en est à ce combat de la renaissance. Et c’est extrêmement important. Donc, il ne faut pas qu’on mélange les genres et qu’on garde un œil sur l’essentiel. Cheikh Anta, par les activités intellectuelles, Alioune Diop, par son soutien aux universitaires, aux intellectuels, aux chercheurs africains, sont les véritables pères du mouvement de la renaissance africaine qui était d’abord un mouvement culturel. Imaginez les Padmore, les Senghor, les Césaire, les Cheikh Anta qui se retrouvaient autour de la table du même homme, il fallait que celui-ci fusse un grand homme pour avoir tous ces gens avec tout le respect qu’ils avaient pour lui. Les nationalistes angolais, mozambicains, tous ceux qui ont fait Paris étaient autour d’Alioune Diop pour puiser dans sa sagesse. J’espère que le centenaire permettra de lui rendre cet hommage. Il faut lire Frédéric Grahmel, un ami ivoirien, qui a écrit un livre de biographie sur Alioune Diop. C’est un ouvrage qui peut les jeunesses africaines à s’approprier l’œuvre d’Alioune Diop. Mais profitons de centenaire, des colloques, des rencontres pour découvrir un homme qui ne mérite pas d’être enterré comme ça sous les sédiments de l’histoire africaine avec tout ce qu’il a fait pour le continent. Il a donné sa vie, mort trop tôt à 70 ans.
Présence Africaine n’étant plus ce qu’elle était quelle alternative proposez-vous pour relancer le combat ?
Avant l’alternative, il faut peut-être d’abord reconnaître le rôle de Présence africaine. Alioune avait créé la société africaine de culture. A l’époque l’angle d’attaque pour défendre les peuples africains, c’était la culture, parce que les gens nous disent que, selon la philosophie de Hegel, nous sommes des êtres à l’état brut, que nous n’avons ni culture ni civilisation. Ce n’est pas étonnant que le premier grand ouvrage de Cheikh Anta Diop ait été titré « Nations nègres et cultures » parce que l’enjeu était le débat culturel. Donc, il faut d’abord connaître Alioune Diop. Les journalistes africains dans les 50 dernières années ont tout fait pour créer des journaux africains à Paris. Tous ont échoué. Il n’y a que « Jeune Afrique » qui survécu. Mais avant Jeune Afrique, il y a eu la revue Présence africaine. Donc, Alioune a réussi un pari tellement immense qu’il semble difficile à reproduire. Il faut d’abord lui rendre hommage. Sa femme est mieux indiquée pour le dire. C’est une héroïne du combat culturel africain. Après le décès de son mari, elle a poursuivi le travail. Pendant trente ans Présence africaine a tenu alors que tout le monde disait qu’elle serait fermée deux après. Elle a réussi de maintenir Présence africaine. Mais il faut dire qu’il y a eu plusieurs tentatives de déménager Présence africaine sur le continent africain. Je pense que l’Union africaine, les chefs d’Etat africains n’ont pas tenu leur rôle par rapport à l’immensité de la contribution d’Alioune Diop. Ils auraient dû aider sa femme, aider la revue et les maisons d’édition Présence africaine, et la librairie pour que le combat d’Alioune Diop soit récompensée à sa juste valeur.
Aujourd’hui, 50 ans après le projet Présence africaine, la jeunesse semble être désorientée…
Il faut qu’on révise les concepts. C’est facile de dire que la jeunesse africaine est désorientée. Mais elle est désorientée par rapport à quelle orientation ? Si l’orientation de départ n’était pas bonne, c’est bien qu’elle soit désorientée, soit désaxée de cette orientation. J’entends les gens souvent dire que nous avons une jeunesse désorientée. Il faut nous dire désorientée par rapport à quel repère, par rapport à quelle valeur. Si la jeunesse africaine s’est appropriée de l’œuvre de Cheikh Anta Diop, de N’krumah, d’Alioune Diop, et qu’elle cette ligne pour faire autre chose, peut être qu’on peut parler de jeunesse désaxée, etc. Le problème est que résister à la mondialisation est un combat perdu d’avance. Ce qu’il faut, c’est quand on regarde la mondialisation et les éléments culturels nouveaux qui émergent et qui dominent le monde, qu’on puisse dire : ça c’est la contribution de l’Afrique. A mon avis, c’est ça la force et notre jeunesse l’a compris avant les dirigeants politiques. Elle s’est engagée à fond, mais est-ce que nous lui avons donnée les armes nécessaires pour pouvoir donner une grande contribution authentiquement africaine ? C’est la question à la quelle il faut répondre.