Moins d'un mois après son élection à l'Assemblée nationale française, Jean-François Mbaye a accepté de recevoir "Afrique Connection" dans son bureau pour une interview. De ses origines sénégalaises à ses ambitions futures, en passant par ses premiers pas dans le mouvement de La République En Marche (LREM), la poussée de la diversité à l'Assemblée, la politique au Sénégal et en Afrique, etc., le député de de la deuxième circonscription du Val-de-Marne a répondu toutes nos questions. Sans langue de bois!
AFRIQUE CONNECTION: Quel sentiment vous a animé à chaud, lorsqu'au soir du 18 juin dernier, vous êtes élu député dans la deuxième circonscription du Val-de-Marne ?
JEAN-FRANÇOIS MBAYE: Un sentiment de fierté. C'est beaucoup de responsabilité, une prise de conscience énorme, quand on arrive au Palais Bourbon. En même temps, on a un sentiment d'appartenance à cette République qui nous a donnés notre chance. On mesure l'engagement envers ceux qui nous font confiance.
Si on remonte le temps jusqu'à 13-14 mois en arrière, est-ce que vous-vous imaginiez à l'époque que vous pourriez être là où vous êtes assis aujourd'hui, dans ce bureau à l'Assemblée nationale ?
« À mon adhésion dans ce mouvement, en avril 2016, je ne m'imaginais pas me retrouver le 21 juin 2017 à l'assemblée nationale »
Ah non ! À 13- 14 mois en arrière, on s'imaginait déjà élire un Président de la République. On était au début du mouvement. Ce mouvement-là a été un appel à tous ces jeunes, à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui ne se retrouvaient plus dans l'offre politique telle qu'elle était produite.
C'est un mouvement qui se voulait d'abord un mouvement citoyen. Quand on participe à la construction d'un projet, la valorisation de certaines idées, finalement on se retrouve à se demander comment on peut servir autrement nos concitoyens. Puis on a eu la chance de pouvoir bénéficier d'une investiture. À mon adhésion dans ce mouvement, en avril 2016, je ne m'imaginais pas me retrouver le 21 juin 2017 à l'assemblée nationale.
Qu'est-ce qui vous a séduit chez Emmanuel Macron au point de vous engager à ses côtés ?
Je pense que ce qui m'a séduit en premier, c'est la démarche. J'ai toujours pensé que la politique du 21e siècle n'était non plus une politique d'idéologie mais une politique basée sur un projet. Et en ça, la démarche d'Emmanuel Macron a tout son sens. Il nous a d'abord parlé de projet. Un projet qui a été pensé, qui a été porté par nous-mêmes. Je rappelle qu'on a fait la grande marche. Et ça c'était une démarche innovante.
Expliquez-nous comment s'est déroulée cette fameuse grande marche...
La grande marche, c'était cet élan de citoyens d'hommes et de femmes qui s'est manifesté dans toute la France à travers les porte-à-porte pour justement recueillir l'avis de nos concitoyens sur les problématiques de notre société. C'était pendant l'été 2016. À la suite de cette grande marche, il y a une restitution qui a été faite par Emmanuel Macron à travers Strasbourg, Le Mans et Montpellier. C'est une démarche qui était particulièrement innovante. C'était faire de la politique autrement.
On a souvent entendu dire qu'Emmanuel Macron a apporté un souffle nouveau dans le paysage politique français, notamment dans la problématique de la diversité. Est-ce que, personnellement, vous avez ressenti cela dès le début ?
Absolument ! Je pense que la grande originalité, c'est qu'Emmanuel Macron nous a permis de nous dire, nous enfants issus de la diversité, en fait vous avez votre chance, votre chance est là, il faut la saisir.
Et votre chance, je vais vous aider parce que finalement, je suis un peu comme vous, je ne suis pas un politicien né, j'ai eu la chance d'accéder à des postes à responsabilité, mais ces postes vous pouvez vous aussi y accéder, vous pouvez incarnez ce renouveau-là, et vous pouvez concrétisez ce vent d'espoir qui s'est levé.
Comment s'est passée votre campagne pour les Législatives ? Facile ? Plutôt facile ? Ou compliquée ?
Vous savez, les campagnes pour les Législatives sont toujours courtes. Elles se déroulent souvent après l'élection présidentielle. On était donc encore sur cette vague, cette dynamique de la présidentielle.
"Le mot diversité je ne l'utilise pas beaucoup. Je n'en fais pas état. Je suis député de la République, point. À charge aux autres de continuer à me définir comme étant député issu de la diversité"
Ça facilité les choses ?
Oui, effectivement, ça a facilité beaucoup les choses. Le fait d'être candidat de la majorité présidentielle et candidat de La République en Marche facilite davantage les choses. Parce que nos concitoyens votent en toute logique de la présidentielle.
Pour moi, à Créteil, la campagne n'a pas été tant difficile que ça. Parce que déjà c'est mon ancrage local. Je suis toujours conseiller de quartier au sein de la municipalité de Créteil, dans ce qu'on appelle la démocratie locale participative.
Par ailleurs, il se trouve que dans une autre ville de ma circonscription, Choisy-le-Roi, j'ai un ancrage plutôt culturel et sportif. Donc, on avait déjà cette petite visibilité. Je me suis donc appuyé sur cela. Puis, petit à petit, je me suis fais connaître du tissu associatif de Choisy-le-Roi, d'Orly, tous ces acteurs qui font finalement la vie des quartiers. Je peux être satisfait par ce qui a été fait par mes équipes.
Pensiez-vous que si Macron n'était pas élu président, que vous auriez eu cette chance d'être élu député?
J'aurais pu très bien porter ce projet-là, en dehors de l'étiquette de la LREM. Néanmoins, je suis assez fier de l'avoir incarné sous la bannière de la LREM, parce que c'est un projet qui va de l'avant, qui rassemble tout le monde. Maintenant, est-ce que j'aurais eu les mêmes chances qu’aujourd’hui ? Ça n'appartient qu'aux électeurs. Mais je pense qu'on a bénéficié de toute cette dynamique de la LREM.
Vous êtes député français, et vous avez des origines sénégalaises. Il y aura toujours cette propension à vous classer, vous et les autres députés d'origine étrangère, dans une catégorie du type « députés issus de la diversité ». Cette différenciation à outrance vous gêne t-elle à la limite, vous choque t-elle ?
Le mot diversité, je ne l'utilise pas beaucoup. Je n'en fais pas état. Je suis député de la République, point. À charge aux autres de continuer à me définir comme étant député issu de la diversité. Moi je ne me considère pas comme ça, je me considère comme Français.
Néanmoins -et je tiens à le préciser- je n'oublie pas mes origines. J'ai des origines sénégalaises. Et ça, je ne peux pas l'oublier, parce que c'est mon histoire. Et j'en suis fier. Je suis fier finalement d'appartenir à ce double « monde » et d'avoir cette double culture. Après, que l'on veuille me placer dans l'une ou l'autre des cases, cela n'engage que ceux qui le font. Moi je me considère aujourd'hui comme député français.
Justement, quels liens gardez-vous aujourd'hui avec le Sénégal ?
C'est des liens particuliers. Vous savez, je suis né à Dakar, j'ai passé ma scolarité à Dakar. Je suis arrivé en France en 1998. je suis un jeune dakarois, ça je ne le nie pas. J'ai des relations particulières avec mon pays d'origine, j'y ai encore de la famille. J'y allais régulièrement. J'y retournerai, maintenant peut-être moins. En tout cas, le contact sera toujours établi.
"Mon enfance était comme celle de tout enfant dakarois, de tout enfant de la Sicap. Entre l'assiduité à l'école, les moments de convivialité, les moments festifs.."
Voudriez-vous nous parler un peu de votre enfance à Dakar ?
Mon enfance était comme celle de tout enfant dakarois, de tout enfant de la Sicap. Entre l'assiduité à l'école, les moments de convivialité, les moments festifs...J'ai vécu une enfance particulièrement heureuse, celle que je devais vivre ; celle que mes parents ont imaginé pour moi avec mes frères et sœurs
J'imagine que vous suivez avec intérêt l'actualité politique au Sénégal, même si c'est avec une certaine distance. Qu'en pensez-vous ?
Oui je la suis de loin, mais je la suis quand même. Je pense qu'on devrait aussi pouvoir repenser les choses au Sénégal profondément différemment, mais aussi dans tous ces pays africains où il y a une certaine consolidation de la politique, à travers des visages qui sont là depuis des décennies.
Vous savez, ce qu'il y a de plus dangereux pour un citoyen c'est de toujours voter pour la même personne, et contre la même personne. Et ça, il faut que ça cesse. Dans certains pays africains, je pense qu'on a tué la démocratie, parce qu'on ne veut pas s'ouvrir au renouvellement, au renouveau.
« Moi, je veux voir à l'Assemblée nationale à Dakar des jeunes et des femmes issus des quartiers, issus de la société civile»
C'est un appel au renouvellement des générations en Afrique ?
Il faut un renouvellement total des générations. Il faut renouveler, repenser les choses en Afrique. Profondément. Pas en superficie. Ça passe d'abord par un changement total des mentalités, des pratiques. Moi, je veux voir à l'Assemblée nationale à Dakar, des jeunes et des femmes issus des quartiers, issus de la société civile. Il faut que cela se fasse. Il faut des représentants du peuple. Sinon on ne s'en sortira jamais. Il faut qu'au Sénégal, dans beaucoup de nos pays africains, que la politique soit une histoire de projet. Arrêtons la politique de l'idéologie, faisons la politique de projet : projet pour le peuple, projet pour la zone Afrique, etc.
Ça pourrait-être un de vos chevaux de bataille dans la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale dont vous êtes membre ?
Oui ! J'ai cette conviction chevillée au corps que le rayonnement de nos pays africains passera par le renouvellement des pratiques et des visages. Il n'y a que comme ça qu'on obtiendra une certaine stabilité et qu'enfin, on fera en sorte que les projets pour les peuples africains soient des projets durables, concrets. Faisons la politique autrement.
Moi, j'invite vraiment les chefs d’État africains à laisser tomber leurs idéologies gauche, droite, socialiste, et à partir sur du projet humain. En partant de cela, il y a aura un renouvellement, il y aura aussi une diversité d'idées et de sensibilités; et les populations se sentiront vraiment représentées.
Vous êtes au début de votre carrière politique, dans vos premières semaines à l'Assemblée. Comment appréhendez-vous la suite de votre carrière ? Vous la vivez au jour le jour ?
Nous avons cinq ans déjà pour réussir la mission qui nous a été confié, il faut la réussir bien. À mi-mandat ou juste avant ces cinq ans, on pourra s'auto- évaluer, faire un bilan, faire ce qu'on appelle un examen de conscience et voir ce qui a marché, ce qui n'a pas fonctionné, ce qui est à améliorer, ce qui est à retirer.
Ensuite, quand on aura présenté tout cela à nos concitoyens, aux électeurs, on pourra légitimement se poser la question de l'après: est-ce qu'on continue ou est-ce qu'on s'arrête ? Pour l'instant, la question ne se pose pas. On a un travail à faire, il faut le faire très bien. Après, c'est aux électeurs de décider si oui ou non, la confiance a été parfaitement respectée, si le contrat a été respecté, ou est-ce qu'il y a des imperfections qui font que le lien de confiance a été rompu.
« II était de mon devoir de montrer l’exemple en tant que parlementaire en démissionnant de mon ancienne activité professionnelle »
Nous sommes au tout début de cette législature. Comment s'est passé vos premiers jours à l'Assemblée, votre intégration ?
Très intense en termes d'activités, de tâches administratives à faire, d'obligations à remplir. Je dois dire que finalement, ça s'est passé dans une ambiance sereine avec un personnel de l'Assemblée qui nous a accueilli chaleureusement, qui nous a guidés.
Le Palais Bourbon est un endroit qui ne nous était pas familier, parce que nous avions toutes et tous des activités dans la société civile, et que là on se retrouve dans l'administration et dans la haute administration.
Cela a constitué un bouleversement dans notre mode de fonctionnement aussi bien privé que professionnel. Parce qu'il a fallu régler ses obligations professionnelles, à savoir si on continue où on démissionne. Pour ma part, avant que vous ne me posiez la question, j'ai choisi de démissionner de mon activité professionnelle.
Parce que vous ne pouvez pas mener les deux mêmes en temps ?
Je ne m'autorise pas d'avoir une double activité professionnelle. Les Français nous ont, encore une fois, fait confiance pour assurer une mission. Il faut s'y consacrer à 100 %.
Pourquoi vous n'avez pas voulu prendre une disponibilité ?
J’ai fait le choix de me consacrer entièrement à mon activité politique dans le respect des convictions qui sont les miennes. De plus, je considère qu’au moment où l’on s’apprête à examiner le projet de loi sur le rétablissement de la confiance en la vie politique et publique, il était de mon devoir de montrer l’exemple en tant que parlementaire, en démissionnant de mon ancienne activité professionnelle.
La forte poussée de la diversité à l'Assemblée nationale a été saluée. Est-ce une fierté supplémentaire pour vous d’appartenir à cette génération, à ce fait marquant dans l'histoire de République ?
Oui c'est une très grosse fierté de se dire que cette page de l'histoire va s'écrire avec nous. J'en suis très fier. Je disais dans un de mes discours à l'entre-deux tours que, finalement j'étais fier pour deux raisons. Il y a déjà cette raison évoquée. Mais je suis fier aussi en raison de cette belle histoire entre la France et le Sénégal. Cette belle histoire, je la connais.
Je sais qu'un Président- poète et académicien sénégalais, Léopold Sédar Senghor, a instruit de jeunes lycéens, a siégé à l'Assemblée nationale française. C'est donc une double fierté de savoir que Léopold Sédar Senghor a pu écrire une page de l'histoire sous la IVe République, et qu'aujourd'hui, sous la Ve République, le Sénégal a un autre enfant franco-sénégalais qui participe à cet élan, à cet espoir.
« Peut-être que dans quelques années, nous verrons un Obama français qui émergera peut-être des rangs des députés de la LREM. »
Vous me faites une une comparaison à Senghor, et si moi je vous faisais une transition vers Obama ?
(Sourire) La comparaison est flatteuse. Je la reçois néanmoins avec beaucoup d’humilité.
La question est : est-ce que, à la lumière de cette forte poussée de la diversité à l'Assemblée nationale française, on peut maintenant commencer à rêver d'un Obama français ?
Cette Assemblée est constituée de femmes et d’hommes aux parcours professionnels différents, aux sensibilités différentes. Donc, effectivement, peut-être qu'un jour, il y aura un Obama français à l’Élysée. Peut-être d'ailleurs que cet Obama français on l'a déjà trouvé en la personne d'Emmanuel Macron, parce que le parcours d'Emmanuel Macron n'est pas celui d'un politicien.
Cet Obama français, il pourrait aussi s'appeler Jean-François Mbaye dans cinq ou dix ans ?
Qui sait ! Vous savez, dans la vie, il faut être ambitieux. Il faut avoir beaucoup de réserve et de retenue certes, mais il faut être ambitieux. Aujourd'hui, l'ambition et l'audace m'ont amené à être député de la République française. Travaillons, puis on verra. Jaurès avait dit, à ce titre-là, qu'il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une foi inébranlable pour l'avenir. Continuons à avoir cette foi inébranlable pour l'avenir. Et, qui sait, peut-être que dans quelques années, nous verrons un Obama français qui émergera peut-être des rangs des députés de la LREM.
Propos recueillis par Thierno DIALLO pour afriqueconnection.com