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L’ABROGATION DE LA LOI D’AMNISTIE, UN DELIRIUM JURIDIQUE

Rédigé par leral.net le Samedi 18 Janvier 2025 à 20:41 | | 0 commentaire(s)|

L’abrogation d’une loi – en particulier une loi d’amnistie – ne saurait être analysée uniquement à l’aune de la souveraineté législative. Elle suppose une prise en compte des implications sociales, économiques et morales sous-jacentes

Le crime projette une onde d’émotion dans la société en manifestant une rupture d'équilibre dans la vie sociale. Pour rééquilibrer Il nait sur la tête de l’auteur une dette de rachat. Mais parfois la société pardonne en graciant, parfois elle oublie en amnistiant. Rachat, oubli, pardon. La notion d’amnistie s’inscrit au cœur des systèmes juridiques modernes, reflétant un équilibre complexe entre la nécessité de sanctionner les infractions et la volonté de promouvoir une réconciliation nationale. Historiquement, l’amnistie trouve ses origines dans les pratiques de clémence[1] des souverains, étendue ensuite aux institutions modernes comme un outil d’apaisement sociopolitique. Elle ne trouve guère de justification autrement que dans sa reconnaissance en un instrument de paix sociale notamment en matière de conflit collectif[2]. Philosophiquement, elle repose sur des idées de pardon et de renouveau collectif, comme le soutient Hannah Arendt, qui souligne que l’amnistie constitue « une suspension temporaire de l’irruption du passé dans le présent ». Sociologiquement, elle s’impose souvent dans les contextes de transition ou de crise majeure, visant à cicatriser les fractures sociales. La clémence devient au fil du temps un instrument du droit, une sorte de monnaie d'échange pour remporter la victoire dans un conflit d'intérêts[3].

C’est le quatrième tiret de l’article 67 de la Constitution du 22 janvier 2001 en vigueur qui rappelle que « la loi fixe les règles concernant (…) l’amnistie »[4]. L’amnistie, comme son nom l’indique, est d’origine grecque : c’est l’oubli dans lequel le législateur veut qu’on laisse ce qui a été fait contre la loi. L’amnistie est une fiction en vertu de laquelle’ le législateur tient pour inexistants, non pas les faits qui se sont accomplis, mais leur caractère délictuel. [5]. Elle constitue un acte législatif par lequel sont effacées, jusqu’à leur souvenir même, une condamnation pénale prononcée et toutes poursuites judiciaires engagées pour des faits tombant sous le champ de la loi d’amnistie. Elle a pour effet de supprimer rétroactivement le caractère délictueux des faits auxquels elle se rapporte. Elle peut être accordée alors qu'aucune peine n'a encore été prononcée ou après une condamnation définitive. Celle-ci est alors effacée et aucune information ne figure au casier judiciaire des bénéficiaires de la mesure[6]. C’est acte du pouvoir souverain immunisant des personnes de toute poursuite pénale pour des crimes passés.

De son étymologie, du grec ancien, amnēstia, composé de a- (privation) et mnêstis (souvenir), elle signifie la défense de se souvenir ou, à l’inverse, obligation d’oublier[7]. Elle a pour vocation de rendre juridiquement inexistante l’infraction qu’elle vise, entraînant de ce fait l’extinction de l’action publique ainsi que l’effacement des condamnations, de leurs effets juridiques et de leurs conséquences, quelles qu’elles soient. Ce n’est pas que le législateur puisse supprimer des faits, mais c’est parce qu’il est en son pouvoir de leur ôter toute signification juridique[8]. L’individu bénéficiaire d’une amnistie est dès lors considéré comme n’ayant jamais été condamné. Cette spécificité confère à l’amnistie une portée qui relève exclusivement du domaine législatif, contrairement à la grâce présidentielle, laquelle, bien qu'effaçant les peines, maintient les incapacités juridiques résultant de la condamnation. Il reste que l’amnistie consiste en une mise en échec de la responsabilité pénale[9].

Cependant, la question de l’abrogation d’une loi d’amnistie soulève des défis théoriques et pratiques majeurs. Cette démarche, bien que théoriquement possible au regard des principes fondamentaux du droit, entre en contradiction avec les effets juridiques immédiats et irréversibles produits par une telle loi. Cet article examinera, dans une première partie, les bases juridiques de l’abrogation théorique et, dans une seconde partie, les conséquences juridiques et pratiques de cette tentative, en particulier à la lumière de l’article 6 du Code de procédure pénale.

Possibilité théorique de l’abrogation d’une loi d’amnistie

L’abrogation des lois d’amnistie, bien qu’enracinée dans le principe de souveraineté législative, soulève des interrogations complexes au carrefour du droit public et du droit pénal. Si, en théorie, une loi d’amnistie peut être abrogée par une autre loi, sa nature exceptionnelle, effaçant juridiquement les infractions et leurs conséquences, impose des limites substantielles. Entre respect des principes fondamentaux tels que la sécurité juridique et impossibilité de rétroactivité, cette problématique illustre les tensions entre la souplesse de l’édifice législatif et la stabilité nécessaire au droit.

Le principe de l'abrogation et la souveraineté législative

L’abrogation d’une loi, qui correspond à la suppression de son caractère exécutoire pour l’avenir, constitue une manifestation essentielle du droit législatif et repose sur le principe fondamental du parallélisme des formes. Ce principe, pierre angulaire du droit public, énonce que l’acte juridique qui a instauré une norme légale ne peut être modifié ou abrogé que par un autre acte de nature équivalente ou supérieure dans la hiérarchie des normes. Cette règle, profondément enracinée dans le système normatif, vise à garantir la cohérence et la stabilité de l’ordre juridique tout en encadrant les prérogatives du pouvoir législatif.

En vertu de ce principe, une loi adoptée par le Parlement – qu’il s’agisse d’une loi ordinaire, organique ou spécifique, telle qu’une loi d’amnistie – ne peut être abrogée que par une autre loi adoptée suivant une procédure respectant les mêmes formes ou des formes plus contraignantes. Cela reflète une application directe du principe de souveraineté parlementaire, qui permet au législateur d’adapter en permanence le cadre normatif à l’évolution des besoins sociaux, économiques ou politiques de la société. Cette souveraineté s’exerce dans les limites des mécanismes constitutionnels, qui encadrent à la fois les conditions d’adoption des lois et celles de leur abrogation.

Cependant, l’abrogation d’une loi – en particulier une loi d’amnistie – ne saurait être analysée uniquement à l’aune de la souveraineté législative. Elle soulève des enjeux juridiques complexes qui exigent une articulation entre différents principes du droit public. Parmi ces principes, la sécurité juridique joue un rôle crucial. Celle-ci implique que les citoyens puissent avoir confiance dans la stabilité des normes juridiques applicables à leurs droits et obligations. L’abrogation d’une loi d’amnistie, notamment, peut poser problème si elle remet en question des situations juridiques acquises ou des droits déjà consolidés, ce qui pourrait engendrer une insécurité pour les justiciables. Ainsi, le Conseil constitutionnel, garant de la hiérarchie des normes et du respect des principes constitutionnels, veille à ce que l’abrogation des lois ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à la sécurité juridique.

Par ailleurs, le principe de continuité de la loi impose au législateur de ne pas altérer arbitrairement des normes en vigueur. Une loi d’amnistie, par exemple, répond souvent à un contexte politique ou social spécifique (réconciliation nationale, pardon politique, etc.) et son abrogation pourrait symboliquement ou matériellement contredire ces objectifs initiaux. En pratique, l’abrogation d’une telle loi nécessite un examen approfondi des conséquences juridiques, sociales et politiques, ce qui explique que le législateur encadre souvent ces processus de manière précise dans les textes.

Un autre enjeu réside dans le contrôle juridictionnel de l’abrogation. En principe, le juge n’a pas le pouvoir de censurer l’abrogation d’une loi, qui relève de la compétence exclusive du législateur. Cependant, cette compétence n’est pas absolue. Le juge constitutionnel ou administratif peut être amené à examiner si l’abrogation respecte les normes constitutionnelles ou les engagements internationaux souscrits par l’État, tels que la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, une loi d’abrogation qui porterait atteinte de manière disproportionnée à des droits fondamentaux ou à des principes tels que la non-rétroactivité des lois pénales (article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) pourrait être censurée.

Enfin, il convient de rappeler que l’abrogation d’une loi n’est pas nécessairement expresse. Elle peut être tacite, lorsqu’une nouvelle loi rend matériellement impossible l’application de la précédente, créant ainsi une incompatibilité normative. Cependant, une abrogation tacite peut être source de confusion et d’incertitude juridique, ce qui justifie une préférence pour des abrogations expresses, clairement énoncées dans un dispositif législatif.

En somme, l’abrogation d’une loi, bien qu’elle repose sur le principe du parallélisme des formes, s’inscrit dans une dialectique entre souveraineté législative, sécurité juridique, continuité des normes et respect des engagements constitutionnels et internationaux. Ce processus, loin d’être une simple formalité technique, mobilise des enjeux juridiques, politiques et sociétaux qui nécessitent une rigueur et une réflexion approfondie dans la conduite de l’action législative. Comme le souligne le professeur Georges Vedel, « La loi, expression de la volonté générale, ne peut être modifiée que par elle-même, mais cette modification doit respecter l’équilibre subtil entre pouvoir et stabilité [10]».

L’amnistie : une spécificité juridique face à l’abrogation

L’amnistie, en tant qu’acte législatif, se distingue par sa portée juridique exceptionnelle. Elle efface l’infraction et ses conséquences comme si elles n’avaient jamais existé, modifiant ainsi de manière irréversible l’ordre juridique. Par sa nature, elle opère une extinction des poursuites et des peines, mais aussi une disparition juridique de l’infraction elle-même, ce qui confère à ses effets un caractère définitif. Toute tentative d’abrogation rétroactive d’une loi d’amnistie se heurterait donc à des principes fondamentaux, notamment celui de la sécurité juridique et celui de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, consacrés respectivement par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 8) et la Convention européenne des droits de l’homme (article 7). Une telle abrogation compromettrait la stabilité du système normatif en remettant en cause des situations consolidées, ce qui irait à l’encontre de la confiance légitime des citoyens. Le Conseil constitutionnel français a, dans ce cadre, rappelé que le législateur ne peut méconnaître les effets qu’il a lui-même produits sans porter atteinte à ces principes fondamentaux[11].

Pour autant, l’abrogation d’une loi d’amnistie est possible dans une perspective strictement prospective, c’est-à-dire pour l’avenir, sans affecter les effets juridiques déjà produits. Cette capacité législative demeure cependant encadrée par des exigences précises. D’un point de vue technique, une telle abrogation doit être formulée de manière claire et explicite pour éviter les incertitudes interprétatives et respecter les principes de sécurité juridique. Politiquement et symboliquement, elle marque une rupture, car les lois d’amnistie s’inscrivent souvent dans des contextes spécifiques de réconciliation nationale ou de pacification sociale. L’abrogation ne saurait donc se réduire à une mesure technique : elle suppose une prise en compte des implications sociales, économiques et morales sous-jacentes. De plus, une telle démarche peut être soumise au contrôle juridictionnel, notamment celui du Conseil constitutionnel, qui veille à ce que l’abrogation respecte les droits fondamentaux et les engagements internationaux de l’État.

Enfin, l’abrogation, même prospective, soulève des enjeux de conformité au droit international. En vertu de la jurisprudence internationale[12], toute modification législative ayant pour effet de rétablir ou de réprimer une infraction déjà effacée pourrait être considérée comme une violation des principes fondamentaux du droit pénal, notamment celui de prévisibilité et de non-rétroactivité. Par conséquent, l’abrogation d’une loi d’amnistie, bien qu’inscrite dans la souveraineté législative du Parlement, est limitée par un équilibre délicat entre la nécessité d’ajuster les normes juridiques aux évolutions sociopolitiques et l’impératif de préserver la sécurité juridique des citoyens et l’intégrité de l’ordre juridique. Il s’agit ainsi d’un exercice de conciliation entre des principes juridiques fondamentaux et les réalités politiques, qui doit être encadré avec rigueur et prudence pour éviter toute instabilité normative.

L’impossibilité pratique d’une abrogation efficace

Cette impossibilité peut se recueillir à travers le double effet de l’amnistie : son irrévocabilité et son intangibilité.

L’irrévocabilité des effets de l’amnistie

L’article 6 du Code de procédure pénale dispose que « l’amnistie efface les condamnations et empêche toute poursuite pour les faits amnistiés ». Cette disposition traduit la nature irrévocable de l’amnistie, qui produit des effets définitifs dès sa promulgation.

Ainsi, même si une loi venait à abroger une amnistie, elle ne pourrait juridiquement rétablir les poursuites ou les condamnations pour les faits antérieurement amnistiés. Cette impossibilité pratique repose sur des considérations fondamentales.

La non-rétroactivité des lois pénales plus sévères

L’abrogation n’est pas une annulation. Une loi abrogée n’annihile pas les effets qui avait été créés par elle. Ce qui n’est pas le cas de l’annulation qui anéantit rétroactivement les effets créés sauf putativité. Le droit pénal offre une illustration spécifique de ces principes.

Le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères incarne une des garanties les plus fondamentales de l'État de droit, visant à protéger les individus contre des modifications législatives susceptibles d’aggraver leur situation juridique pour des faits déjà commis. Ancré dans l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ce principe est également consacré par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit explicitement toute application rétroactive d’une loi pénale défavorable. D’ailleurs en droit pénal le principe est la non-rétroactivité de la loi qui est une composante d’un principe plus large : le principe de légalité des délits et des peines. Ainsi une nouvelle loi pénale de fond, lorsqu’elle est plus sévère, ne peut s’appliquer à une infraction commise sous l’empire d’une loi antérieure, tant que cette infraction n’a pas été définitivement jugée.

De même, elle ne peut concerner des actes qui, au moment de leur commission, étaient soumis à une sanction moins rigoureuse. En conséquence, une loi pénale plus sévère n’a vocation à régir que les infractions commises à partir de sa date d’entrée en vigueur. Les faits antérieurs, pour lesquels aucune décision définitive n’a encore été rendue, demeurent soumis aux dispositions de la loi en vigueur au moment de leur réalisation. En d’autres mots, lorsque la loi d’amnistie est abrogée, les infractions qu’elle visait ne peuvent être punissable qu’au titre d’une nouvelle loi.

Dans le cadre d’une abrogation d’une loi d’amnistie, la violation de ce principe serait manifeste : une telle abrogation ne constituerait pas simplement un retrait normatif mais réintroduirait de facto des infractions et des condamnations que l’amnistie avait effacées de manière définitive. Ce processus reviendrait à imposer rétroactivement une norme plus sévère, en rétablissant des poursuites pénales ou des peines déjà abolies. Or, une telle démarche heurterait de plein fouet l’exigence de stabilité et de prévisibilité du droit pénal. Comme le souligne Carbonnier, « la justice pénale n’est juste qu’à la condition d’être stable et prévisible » : tout retour en arrière, dans ce contexte, porterait atteinte à l’intégrité du système juridique et à la confiance qu’il inspire aux citoyens

L’intangibilité des effets de l’amnistie

L’amnistie, par sa nature même, instaure un état juridique irréversible. Elle opère un effacement total et définitif des infractions qu’elle vise, assimilant ces dernières à des faits juridiquement inexistants. Ce mécanisme confère aux bénéficiaires une immunité absolue contre toute poursuite future, et ce, dans une perspective de réconciliation ou de pacification sociale. Comme l’a affirmé Duguit, l’amnistie n’est pas seulement une extinction des peines, mais une réhabilitation intégrale de l’individu, le replaçant dans une situation de droit comme si aucune infraction n’avait été commise.

Dans ce cadre, la sécurité juridique s’impose comme le fondement protecteur de cet état de fait. Ce principe, qui garantit la stabilité des situations juridiques et la prévisibilité des règles applicables, interdit toute remise en cause des droits acquis ou des situations consolidées. Abroger une loi d’amnistie ne constituerait pas une simple modification législative : ce serait une tentative de démanteler des droits déjà consacrés par la loi, engendrant une insécurité juridique massive. De surcroît, cette démarche serait illusoire sur le plan pratique. Les effets de l’amnistie, étant définitifs et irrévocables, échappent à toute intervention rétroactive. Une fois l’infraction effacée, l’ordre juridique la considère comme inexistante ; il devient donc juridiquement impossible de faire renaître une action publique ou une condamnation à partir de faits désormais dépourvus d’existence légale.

En ce sens, l’abrogation d’une loi d’amnistie s’apparenterait à une tentative d’« effacer l’effacement », pour reprendre l’expression de certains doctrinaires, ce qui constituerait une hérésie non seulement sur le plan théorique mais également au regard des principes fondamentaux du droit. Cela reviendrait à rompre le pacte tacite entre l’État et ses citoyens, selon lequel toute intervention normative doit préserver un minimum de cohérence et de sécurité. Ainsi, comme le rappelle Hans Kelsen, « le droit est un ordre, et tout désordre dans cet ordre constitue une négation du droit lui-même ».

L’inapplicabilité de la reprise d’information

Les articles 181, 182 et 183 du Code de procédure pénale régissent la reprise de l’information sur charges nouvelles, permettant, en principe, de rouvrir une enquête ou une procédure lorsqu’apparaissent des éléments nouveaux.

La reprise de l’information en matière pénale repose sur des fondements juridiques et philosophiques qui visent à équilibrer deux impératifs majeurs du droit : d’une part, la garantie de la sécurité juridique et de la stabilité des décisions judiciaires, et d’autre part, la nécessité de parvenir à une juste et complète manifestation de la vérité. Ce mécanisme, souvent utilisé pour relancer une procédure pénale après une décision de classement sans suite, un non-lieu ou même un acquittement, constitue une exception au principe de l’autorité de la chose jugée, principe selon lequel une décision judiciaire définitive ne peut être remise en cause. Cette exception est justifiée par le souci de ne pas laisser des faits graves impunis lorsque des éléments nouveaux ou non exploités initialement permettent de rouvrir le débat judiciaire.

Les fondements juridiques de la reprise de l’information s’articulent autour de la notion de charges nouvelles[13], qui en constitue la condition sine qua non. Ces charges doivent être de nature à modifier substantiellement l’appréciation des faits ou à révéler des aspects qui n’ont pu être pris en compte lors de la première procédure. L’objectif est d’assurer que la vérité soit recherchée avec la plus grande exhaustivité possible, sans pour autant porter atteinte de manière disproportionnée à la sécurité juridique. Cette démarche est également ancrée dans une vision éthique de la justice, où la reprise de l’information traduit la volonté de répondre aux attentes des victimes, de rétablir la confiance dans l’institution judiciaire et de faire prévaloir l’intérêt général sur des considérations formelles ou procédurales. Toutefois, pour éviter les dérives, ce mécanisme est strictement encadré et ne peut être activé qu’en présence de faits ou d’éléments probants d’une importance décisive, garantissant ainsi un équilibre entre les droits des individus et l’exigence de justice.

Toutefois, dans le cas d’une loi d’amnistie, ces dispositions ne sauraient être invoquées. Sont considérées comme charges nouvelles les déclarations de témoins, les pièces et les procès-verbaux qui, n'ayant pu être soumis à l'examen du juge d'instruction ou de la chambre d'accusation, sont cependant de nature soit à fortifier les charges qui auraient été jugées trop faibles, soit à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité.

La notion de charges nouvelles revêt une importance décisive dans le cadre de la réouverture d’une enquête ou d’un procès pénal, notamment dans des situations où une décision antérieure, telle qu’un non-lieu ou un acquittement, pourrait être remise en question. Les charges nouvelles se définissent comme des éléments probants inédits – tels que des témoignages, des documents, ou des constatations matérielles – qui n’ont pas été soumis à l’appréciation des juridictions compétentes lors de l’examen initial de l’affaire. Ces éléments doivent être à la fois substantiels et pertinents, c’est-à-dire qu’ils doivent avoir une incidence directe sur l’appréciation des faits ou sur la solidité des charges initialement retenues. Il ne s'agit donc pas simplement de présenter des preuves complémentaires, mais de produire des informations susceptibles de modifier l’appréciation judiciaire par leur portée décisive ou révélatrice.

L’intérêt d’une telle notion repose sur sa finalité essentielle : garantir une meilleure manifestation de la vérité. Les charges nouvelles doivent apporter des développements significatifs qui éclairent les faits de manière à remettre en cause une décision antérieure considérée comme insuffisamment fondée ou qui aurait négligé des aspects clés de l’affaire. Cependant, leur introduction est encadrée par des exigences juridiques strictes pour éviter tout risque de remise en cause arbitraire de décisions judiciaires définitives. En effet, la reconnaissance de charges nouvelles nécessite une évaluation rigoureuse pour s’assurer qu’elles ne relèvent pas d’une simple réitération des éléments déjà analysés, mais qu’elles introduisent véritablement une perspective inédite et déterminante dans l’administration de la justice. Ce cadre protecteur garantit à la fois le respect de la sécurité juridique et l’équilibre entre les droits des parties.

Or, l’amnistie a pour effet d’effacer les infractions comme si elles n’avaient jamais existé. L’amnistie est une mesure d’oubli qui fait disparaitre l’infraction mais la matérialité des faits subsiste[14]. Par conséquent, il est juridiquement impossible de considérer que des faits amnistiés puissent faire l’objet de nouvelles charges. L’absence de faits nouveaux en tant que tels rend ces articles inapplicables dans ce contexte. Cette situation souligne l’étendue des effets d’une amnistie, qui interdit tout retour en arrière, même sous l’apparence de nouvelles preuves ou éléments.

En somme, l’abrogation d’une loi d’amnistie, bien que théoriquement envisageable, se heurte à des barrières juridiques insurmontables qui rendent son application pratique inopérante.

L’amnistie, en tant qu’instrument juridique, témoigne de la capacité d’un système pénal à s’adapter aux exigences de réconciliation et de pardon dans des contextes exceptionnels tant est si que cette loi en cause poursuive ce but. Si son abrogation peut être envisagée sous l’angle du parallélisme des formes, elle se heurte à des limitations juridiques qui protègent les principes fondamentaux de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité. Ainsi, toute tentative de revenir sur une amnistie accordée ne peut qu’être perçue comme un delirium juridique, susceptible de déstabiliser l’ordre juridique et social qu’elle cherche précisément à apaiser.

En conclusion, l’amnistie, lorsqu’elle est mal encadrée, comporte le risque de consacrer une véritable culture de l’impunité, en neutralisant toute poursuite judiciaire et en effaçant rétroactivement les infractions. Il s’agit, en principe, d’une mesure d’oubli collectif généralement adoptée au terme des graves crises civiles pour permettre le retour à la paix et la remise en route sereine d’une société un moment déchirée[15].  La sous-jacence est de déclarer symboliquement que la crise est finie et qu’on n’en parlera plus puisqu’elle nuit à la vie commune[16].La possibilité d’un conflit entre les exigences de réconciliation d’un corps social et l’activité menée par un organe judiciaire de répression nationale ou internationale préfigure une possible hétérogénéité des intérêts à protéger, qui laissent entrevoir le besoin d’une grille taxinomique d’orientation[17]. Une mauvaise utilisation pourrait miner les droits fondamentaux des victimes, en les privant de leur accès à la justice et à une réparation légitime. Cette négation des préjudices subis équivaut à une marginalisation des victimes et peut engendrer une profonde défiance envers les institutions judiciaires, perçues alors comme défaillantes dans leur rôle de gardiennes de l’équité et du droit. Seulement et heureusement, l’amnistie ne porte pas atteinte aux droits des victimes à demander réparation.

Dans cet ordre d’idées, une nuance inspirée par un relecteur avisé et un tantinet nourri aux effluves du droit naturel doit être introduite pour éviter que l’amnistie ne soit une simple modalité d’absolution de l’odieux et pour ses promoteurs de s’aménager un abri d’impunité.  C’est en ce sens qu’un auteur disait « L’amnistie n’est pas toujours une quête de réconciliation, mais souvent une arme pour effacer les traces des crimes du pouvoir »[18] parce que « la plus grande injustice peut être habillée d’une forme juridique parfaite »[19]. En effet, pour revenir à la dialectique victimes-coupables, quid du droit des victimes identifiables lorsqu’elles ne sont même pas dans la possibilité d’identifier leurs coupables ? Les victimes de la période noire du Sénégal ont pâti de la violence du bourreau, du dominant, du persécuteur.  L’agression subie était la négation du droit, la résistance opposée était la négation de cette négation, c’est-à-dire l’affirmation du droit. Si bien que « sans égard aux victimes la loi n’est pas une loi d’amnistie, mais une loi d’amnésie. On ne peut priver à une société le droit de savoir la vérité. Une société recourt à la technique d’amnistie lorsqu’elle veut passer l’éponge sur l’ignominie. L’amnistie doit être utilisée avec beaucoup de précaution et de sagesse au risque de se retrouver avec des dommages sans auteurs et des infractions sans juges[20]. ». Or, les lois d’amnistie peuvent priver les victimes de leur droit à un recours effectif et à une réparation, en contradiction avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ailleurs, en exonérant de leurs responsabilités les auteurs d’actes répréhensibles, l’amnistie affaiblit la fonction dissuasive du droit pénal, ouvrant ainsi la voie à la répétition des infractions et à une banalisation des comportements délictueux, notamment dans des contextes où elle est utilisée comme un instrument de protection des élites dirigeantes. Le pardon fondé sur des causes politiques ou d'ordre public est immoral en ce qu'il ne prend pas en considération l'évolution de la personnalité du coupable, mais l'intérêt de la société, voire de quelques-uns[21].

Dans cette occurrence, une amnistie accordée sans mécanismes complémentaires, tels qu’une justice transitionnelle ou des mesures de vérité et réconciliation, compromet gravement les dynamiques de pacification et de cohésion nationale. L’absence de reconnaissance des torts infligés et de dialogue inclusif avec les victimes peut exacerber les tensions sociales et prolonger les fractures collectives, à rebours des objectifs initiaux de réconciliation. En ce sens, l’amnistie, pour éviter de devenir un outil d’amnésie collective au détriment des impératifs de justice, doit impérativement s’inscrire dans un cadre honnête garantissant un équilibre entre les nécessités de stabilisation sociale et le respect des principes fondamentaux de responsabilité pénale et de réparation.

[1] H. Ruiz Fabri et ali , Les institutions de clémence  (amnistie, grâce, prescription)  en droit international et droit constitutionnel compare, www.cairn.info,

[2] B. Rebstock, « Le droit à l’oubli en matière pénale ». Les Cahiers Portalis, 2016/1 N° 3, 2016. p.25-32. CAIRN.INFO, droit.cairn.info/revue-les-cahiers-portalis-2016-1-page-25?lang=fr.

[3] Jean-Michel Jude (sous la direction de),  La clémence et le droit, Economica, Paris, 2011

[4] M. Diakhate,  L’amnistie au Sénégal dans tous ses états., www.ceracle.com

[5] J-A. Roux , Notions générales sur l’amnistie, « Cours de droit criminel français », T. I, § 150,
Sirey, Paris 1927, 2e éd.

[6] Senat, L'amnistie et la grâce, Étude de législation comparée n° 177 - octobre 2007

[7] H. RuizFabri, et ali., op.cit

[8] J-A. Roux, op.cit.

[9] M. DELMAS-MARTY, « Chapitre 4. La responsabilité pénale en échec (prescription, amnistie, immunités) ». Juridictions nationales et crimes internationaux, Presses Universitaires de France, 2002. p.613-652. CAIRN.INFO, droit.cairn.info/juridictions-nationales-et-crimes-internationaux--9782130526926-page-613?lang=fr.

[10] G. Vedel, Droit constitutionnel. Presses Universitaires de France, 1962.

[11] Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999

[12] Cour européenne des droits de l’homme. Scoppola c. Italie (n°2), requête n° 10249/03, arrêt du 17 septembre 2009. L'affaire Scoppola c. Italie (n°2) concerne un litige devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) relatif à l'application rétroactive de lois pénales plus favorables. M. Scoppola, condamné à une peine de réclusion à perpétuité en Italie pour homicide, a fait valoir qu'une législation postérieure plus clémente, adoptée après sa condamnation, aurait dû s'appliquer à son cas. Il s'est appuyé sur l'article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais qui prévoit également l'application rétroactive des lois plus favorables.

La Cour a jugé que l'article 7 impose non seulement une interdiction des lois rétroactives plus sévères, mais également une obligation pour les États d'appliquer les lois pénales plus clémentes adoptées après les faits reprochés. En l’espèce, la Cour a conclu que l'Italie avait violé cet article en refusant à M. Scoppola l’application d’une législation plus favorable entrée en vigueur après sa condamnation.

[13] Y. Mayaud, Des charges nouvelles aux faits nouveaux, ou des méandres de la requalification sur fond d'assassinat, In  Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2011, 03, pp.613. ⟨halshs-02244819⟩

[14]  A. Thiam, La loi d’amnistie, sous éclairage !, https://www.sudquotidien.sn, Fevrier 2024. L’auteur précise que « l’amnistie enlève à l’infraction son caractère délictueux. Mais la matérialité des faits subsiste. La victime de l’infraction amnistiée peut par conséquent agir en réparation. L’action en dommages-intérêts de la victime est toujours rappelée par les lois d’amnistie lorsqu’elles emploient la formule: « l’amnistie ne saurait préjudicier aux droits des tiers ». De même, le fait amnistié peut entrainer l’application d’une mesure disciplinaire sauf si la loi d’amnistie en dispose autrement. »

[15] S. Gacon, « L’amnistie en France : histoire et pratiques ». Rendre la justice en Dauphiné De 1453 à 2003, Presses universitaires de Grenoble, 2013. p.175-178. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/rendre-la-justice-en-dauphine--9782706111754-page-175?lang=fr.

[16] ibid

[17] H. RUIZ FABRI, G. DELLA MORTE, E. LAMBERT ABDELGAWAD, K. MARTIN – CHENUT, op.cit.

[18] J. VERGES, L’ennemi (avec Olivier Rolin). Fayard, 1997.

[19] Cheikh Anta Diop, publié dans Taxaw n° 18, novembre- décembre, 1979.

[20] Cet ami relecteur, E. S. N, est l’un des esprits les plus brillants de sa génération. Fiévreux lecteur et docte penseur, il navigue avec aisance entre droit international et droit civil. Sa science juridique s’éclaire de domaines extérieurs au droit tant il butine dans la sociologie, l’épistémologie et l’histoire.

[21] S. BOUHNIK-LAVAGNA, Le pardon en Droit pénal, Thèse de doctorat, sous la direction de Roger Bernardini, Nice, 1998.

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L’abrogation d’une loi d’amnistie – ne saurait être analysée uniquement à l’aune de la souveraineté législative. Elle suppose une prise en compte des implications sociales, économiques et morales sous-jacentes - PAR IBRAHIMA MALICK THIOUNE
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Farid


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