Il est difficile de séparer la politique de l'État, et l'État de la loi. Les frontières sont pour cette raison, parfois poreuses. Mais il faut dire que la membrane de séparation, si fine qu'elle soit, demeure intangible.
Les principes qui fondent l'amnistie ont accompagné la Révolution Française et continuent depuis lors, d'être sollicités dans la vie politique, pour favoriser la réconciliation nationale. En 1791, l'Assemblée constituante française adoptait déjà des mesures d'amnistie pour les participants à des insurrections populaires.
La volonté politique qui a été, et qui est encore à la base des lois amnisties, semble relativement constante, s’agissant de rechercher la paix et la réconciliation dans la société et de reconstruire le tissu social. C'est généralement ce qu'on retrouve dans l'exposé des motifs qui recoupe la dimension téléologique de la loi.
La question qui se pose donc, est de savoir si d'abord théoriquement, l'abrogation d'une loi qui avait pour objectif de reconstituer le tissu social, peut elle-même avoir le même objectif de reconstitution du tissu social ?
En tout état de cause, s’il y a une dimension théorique (politique) de l’amnistie, il y a aussi une dimension juridique, qui repose sur la faisabilité ou tout au moins, les conséquences qu'une telle mesure ne manquera certainement pas de poser sur le plan pratique. C'est cette dimension juridique qui nous intéresse et sur laquelle, nous entendons donner un avis sommaire, avis qui demeure toutefois une façon de voir parmi tant d'autres.
Parler d'amnistie au Sénégal, n'est pas nouveau. On peut en effet se rappeler de l'amnistie sur le conflit casamançais en 1991, celle plus récente dite loi EZZAN en 2002. Elle est prévue à l'article 67 de la Constitution sénégalaise et s'applique à des faits de manière générale, dans une période donnée. Une telle loi peut être votée avant, pendant ou après des poursuites judiciaires. Elle aura pour conséquences respectivement, d'empêcher ces poursuites, de les arrêter ou d'anéantir les sanctions qui seraient nées des poursuites, au moins, pour leur dimension pénale.
À l'analyse des manifestations d'une loi d'amnistie, on n'aurait pas tort de considérer que c'est la punissabilité des faits qui est remise en cause, tant et si bien que les poursuites qui sont engagées, sont arrêtées,, n'ayant plus d'objet, celles qui ne l'ont pas été ne peuvent plus l'être, n'ayant davantage d'objet, et celles qui ont abouti à des condamnations, faute de support légal, verront leur sentence disparaître. C'est le propre de l'amnistie réelle, qu'il faut distinguer de l'amnistie personnelle.
Ainsi étant, si une loi d'amnistie qui a déjà produit tous ses effets, venait à être abrogée, des difficultés comme annoncées tantôt, couleront de source.
Pour mesurer ces difficultés, il faut revenir à la particularité du droit pénal, en ce qu'il n'est applicable qu'après des poursuites initiées par des autorités compétentes. Or celles-ci sont réputées être éteintes au regard de l'article 6 du code de procédure pénale en cas d’amnistie, il y est en effet disposé que : "L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée".
Et si ce texte évoque expressément l’extinction de l’action publique, il n’aborde pas pour autant la reprise ou le « rallumage » de cette action publique.
On pourrait interroger par curiosité, les dispositions du code de procédure pénale sur la reprise de l'information judiciaire. Sur ce point, l'article 182 dispose : "L'inculpé à l'égard duquel le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre, ne peut plus être recherché à l'occasion du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges". C'est donc le principe de charges nouvelles qui pourrait permettre au juge de reprendre l'information. Or en l'état, il ne saurait y en avoir.
D'ailleurs, c'est en ce moment précis qu'il faut convoquer l'autorité de la chose jugée sur le fait qu’il ait été décidé le cas échéant, qu'il n’y avait plus lieu à suivre (ordonnance de non-lieu), afin de permettre la libération des détenus. Une ordonnance de non-lieu étant une décision de nature judiciaire, elle est à ce titre, sujette à autorité de la chose jugée. Cette autorité de la chose jugée ne saurait être remise en cause, en tous cas sans difficultés, par l’abrogation de la loi d’amnistie, surtout lorsqu’on sait qu’en sus de l’autorité, la force de chose jugée s’attache à ces décisions.
Parler à ce stade donc de droits acquis, c'est biaiser le problème juridique qui se pose, car il s'agit moins de droit acquis à l'impunité, que du changement de statut des mis en cause, par une nouvelle incrimination. La loi d'amnistie qui a fait disparaître l'infraction, demeure valable en ce qu'elle a été effectivement exécutée, en retirant aux faits leur caractère délictuel et /ou criminel au regard de la loi. Cette loi devient un obstacle pour le Maître des poursuites et les maisons d'arrêts chargés d'assurer les sanctions par privation de liberté. En restaurant le caractère délictuel ou criminel des faits dans la période de validité de la loi nouvelle portant abrogation de la loi d'amnistie, on ne restaurerait pas pour autant la commission des faits pour lesquels des individus pourraient être nouvellement poursuivis.
En effet, au regard des textes et même de la jurisprudence, le propre de la loi d'amnistie est d'éteindre les poursuites et la punissabilité. Il ne s'agit point de suspendre les poursuites, mais d'éteindre l'action publique. Dans un pareil contexte, ces poursuites ne semblent pouvoir être reprises mais simplement initiées. Mais sur quelle base alors et envers qui ? Cela ne semble possible, alors que des personnes qui n’ont pas abstraction faite de tout débat sur la prescription. Mais c'est là que va se poser le problème de droit, jusqu'à la mal interpréter à notre avis, qui est de savoir, la restauration de la loi rendant les faits punissables, restaure ces faits dans la période où ces faits deviennent encore punissables.
Les effets de la loi d'amnistie ne pouvaient être annulés dans leur période de validité. Par analogie, on peut retenir de fait. En d'autres termes et à notre avis, la question qui doit être résolue, est de savoir comment regarder les dispositions du code de procédure pénale.
Dans l'exposé des motifs de la loi qui nous concerne, il a été fait état d’une intention d'apaiser le « climat politique et social », de renforcer « la cohésion nationale » et de consolider « le dialogue national », et enfin, de permettre à certaines personnes qui ont eu maille à partir avec la justice, de participer pleinement à la vie démocratique.
Cette amnistie concerne « tous les faits, susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu'à l'étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non. »
Dans l’hypothèse de son abrogation, se posera plus que jamais la question des effets juridiques et judiciaires que la jurisprudence sénégalaise ne permet pas de régler pour le moment.
Maître Bocar Arfang Ndao, Avocat à la Cour, Barreau de Dakar
Les principes qui fondent l'amnistie ont accompagné la Révolution Française et continuent depuis lors, d'être sollicités dans la vie politique, pour favoriser la réconciliation nationale. En 1791, l'Assemblée constituante française adoptait déjà des mesures d'amnistie pour les participants à des insurrections populaires.
La volonté politique qui a été, et qui est encore à la base des lois amnisties, semble relativement constante, s’agissant de rechercher la paix et la réconciliation dans la société et de reconstruire le tissu social. C'est généralement ce qu'on retrouve dans l'exposé des motifs qui recoupe la dimension téléologique de la loi.
La question qui se pose donc, est de savoir si d'abord théoriquement, l'abrogation d'une loi qui avait pour objectif de reconstituer le tissu social, peut elle-même avoir le même objectif de reconstitution du tissu social ?
En tout état de cause, s’il y a une dimension théorique (politique) de l’amnistie, il y a aussi une dimension juridique, qui repose sur la faisabilité ou tout au moins, les conséquences qu'une telle mesure ne manquera certainement pas de poser sur le plan pratique. C'est cette dimension juridique qui nous intéresse et sur laquelle, nous entendons donner un avis sommaire, avis qui demeure toutefois une façon de voir parmi tant d'autres.
Parler d'amnistie au Sénégal, n'est pas nouveau. On peut en effet se rappeler de l'amnistie sur le conflit casamançais en 1991, celle plus récente dite loi EZZAN en 2002. Elle est prévue à l'article 67 de la Constitution sénégalaise et s'applique à des faits de manière générale, dans une période donnée. Une telle loi peut être votée avant, pendant ou après des poursuites judiciaires. Elle aura pour conséquences respectivement, d'empêcher ces poursuites, de les arrêter ou d'anéantir les sanctions qui seraient nées des poursuites, au moins, pour leur dimension pénale.
À l'analyse des manifestations d'une loi d'amnistie, on n'aurait pas tort de considérer que c'est la punissabilité des faits qui est remise en cause, tant et si bien que les poursuites qui sont engagées, sont arrêtées,, n'ayant plus d'objet, celles qui ne l'ont pas été ne peuvent plus l'être, n'ayant davantage d'objet, et celles qui ont abouti à des condamnations, faute de support légal, verront leur sentence disparaître. C'est le propre de l'amnistie réelle, qu'il faut distinguer de l'amnistie personnelle.
Ainsi étant, si une loi d'amnistie qui a déjà produit tous ses effets, venait à être abrogée, des difficultés comme annoncées tantôt, couleront de source.
Pour mesurer ces difficultés, il faut revenir à la particularité du droit pénal, en ce qu'il n'est applicable qu'après des poursuites initiées par des autorités compétentes. Or celles-ci sont réputées être éteintes au regard de l'article 6 du code de procédure pénale en cas d’amnistie, il y est en effet disposé que : "L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée".
Et si ce texte évoque expressément l’extinction de l’action publique, il n’aborde pas pour autant la reprise ou le « rallumage » de cette action publique.
On pourrait interroger par curiosité, les dispositions du code de procédure pénale sur la reprise de l'information judiciaire. Sur ce point, l'article 182 dispose : "L'inculpé à l'égard duquel le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre, ne peut plus être recherché à l'occasion du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges". C'est donc le principe de charges nouvelles qui pourrait permettre au juge de reprendre l'information. Or en l'état, il ne saurait y en avoir.
D'ailleurs, c'est en ce moment précis qu'il faut convoquer l'autorité de la chose jugée sur le fait qu’il ait été décidé le cas échéant, qu'il n’y avait plus lieu à suivre (ordonnance de non-lieu), afin de permettre la libération des détenus. Une ordonnance de non-lieu étant une décision de nature judiciaire, elle est à ce titre, sujette à autorité de la chose jugée. Cette autorité de la chose jugée ne saurait être remise en cause, en tous cas sans difficultés, par l’abrogation de la loi d’amnistie, surtout lorsqu’on sait qu’en sus de l’autorité, la force de chose jugée s’attache à ces décisions.
Parler à ce stade donc de droits acquis, c'est biaiser le problème juridique qui se pose, car il s'agit moins de droit acquis à l'impunité, que du changement de statut des mis en cause, par une nouvelle incrimination. La loi d'amnistie qui a fait disparaître l'infraction, demeure valable en ce qu'elle a été effectivement exécutée, en retirant aux faits leur caractère délictuel et /ou criminel au regard de la loi. Cette loi devient un obstacle pour le Maître des poursuites et les maisons d'arrêts chargés d'assurer les sanctions par privation de liberté. En restaurant le caractère délictuel ou criminel des faits dans la période de validité de la loi nouvelle portant abrogation de la loi d'amnistie, on ne restaurerait pas pour autant la commission des faits pour lesquels des individus pourraient être nouvellement poursuivis.
En effet, au regard des textes et même de la jurisprudence, le propre de la loi d'amnistie est d'éteindre les poursuites et la punissabilité. Il ne s'agit point de suspendre les poursuites, mais d'éteindre l'action publique. Dans un pareil contexte, ces poursuites ne semblent pouvoir être reprises mais simplement initiées. Mais sur quelle base alors et envers qui ? Cela ne semble possible, alors que des personnes qui n’ont pas abstraction faite de tout débat sur la prescription. Mais c'est là que va se poser le problème de droit, jusqu'à la mal interpréter à notre avis, qui est de savoir, la restauration de la loi rendant les faits punissables, restaure ces faits dans la période où ces faits deviennent encore punissables.
Les effets de la loi d'amnistie ne pouvaient être annulés dans leur période de validité. Par analogie, on peut retenir de fait. En d'autres termes et à notre avis, la question qui doit être résolue, est de savoir comment regarder les dispositions du code de procédure pénale.
Dans l'exposé des motifs de la loi qui nous concerne, il a été fait état d’une intention d'apaiser le « climat politique et social », de renforcer « la cohésion nationale » et de consolider « le dialogue national », et enfin, de permettre à certaines personnes qui ont eu maille à partir avec la justice, de participer pleinement à la vie démocratique.
Cette amnistie concerne « tous les faits, susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu'à l'étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non. »
Dans l’hypothèse de son abrogation, se posera plus que jamais la question des effets juridiques et judiciaires que la jurisprudence sénégalaise ne permet pas de régler pour le moment.
Maître Bocar Arfang Ndao, Avocat à la Cour, Barreau de Dakar