Deux ans après son accession à la souveraineté internationale, la jeune République du Sénégal vit ses heures les plus sombres : une confrontation au sommet oppose les deux têtes de l’Etat, le président Senghor et le président du Conseil du Gouvernement, équivalent du Premier ministre actuel. Pendant la journée du 17 décembre 1962, alors que les députés du parti sont réunis à l’Assemblée nationale pour voter une motion de censure contre le gouvernement de Mamadou Dia, un détachement de la gendarmerie fait irruption dans l’institution législative afin d’arrêter ces derniers. Selon nombre de juristes, c’est là où le président du Conseil est tombé dans le ‘piège’ de Senghor. En tout cas, l’acte lui a été fatal. On crie à la tentative de coup d’Etat, qui soit dit en passant, si elle avait réussi, aurait été inaugurale de la longue liste qui a marqué l’histoire politique de beaucoup des jeunes Etats africains après 1960. Finalement, les députés se réunissent au domicile du président du Parlement, Lamine Guèye et renversent le gouvernement de Dia. L’heure est grave, le chef du gouvernement a pour lui la gendarmerie et le président l’armée. Aux environs de 3 h du matin, après avoir entendu les uns et les autres, les chefs des forces en présence décident finalement de regagner leurs casernes. Advint la suite, Mamadou Dia est arrêté dans l’après-midi du 18 décembre, en compagnie de quatre de ses ministres (Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall). Jugé par la Haute Cour de justice, Dia sera condamné le 9 mai 1963, à la détention perpétuelle. Pour ce coup de force, le compagnon de la première heure de Senghor, purgera onze ans et demi de prison à Kédougou, avant d’être gracié en mars 1974 par le poète-président, sous la pression internationale, dit-on. Figure incontournable de la vie politique africaine et sénégalaise, le fils de Samba Dia, policier et très tôt disparu, et de Khoudia Ngom, qui vit le jour le 18 juillet 1911 à Khombole dans le Baol, demeure aux yeux de nombre de Sénégalais, aussi mythique que méconnu. D’ailleurs, pour nombre d’entre ces derniers qui le connaissent, sa vie se résume aux fameux ‘ événements de décembre 62 ’. Décrit comme intègre, honnête et d’un patriotisme absolu, Mamadou Dia est considéré par certains intellectuels tel le professeur Djibril Samb, comme le ‘véritable père de l’Etat sénégalais moderne’. ‘C’est lui qui a négocié et signé l’acte d’indépendance, fondé la République depuis la Loi-cadre, élaboré la loi sur l’organisation administrative. Bref, il a mis en place les premiers jalons de l’Etat du Sénégal et de son orientation économique et sociale’, soutient Massène Niang, le patron du Msu, le parti fondé par Dia. En effet, après 1960, en sa qualité de chef du gouvernement, Mamadou Dia, se retrouve de facto en charge des problèmes économiques, tandis que Senghor s’occupe de diplomatie.
‘Véritable père de l’Etat sénégalais moderne’
Economiste à l’issue de sa carrière d’instituteur, formé par l’économiste français François Perroux (1903-1987), il tente de mettre en œuvre une politique agricole réaliste, un socialisme autogestionnaire fondé sur les coopératives. Il conçut ainsi, le tout-premier plan quadriennal de développement du Sénégal, avec le concours du père Louis-Joseph Lebret, fondateur d’Economie et humanisme, un expert des questions économiques recommandé par F. Perroux. Il part en guerre contre les confréries, trop puissantes à ses yeux. Au contraire, Senghor juge que l’encadrement de la population par les Tidjanes et les Mourides est un instrument inespéré de stabilité. Ici apparaît aussi, un des principaux points de divergence entre les deux hommes et dont le chantre de la négritude tira habilement parti, dit-on, auprès des ces deux grandes communautés religieuses du pays. D’un nationalisme ombrageux, lors de son discours d’investiture, le 18 mai 1957 en tant que vice-président du gouvernement sénégalais, Dia déclare sans ambages sa ‘résistance farouche à toute tentative d’ingérence dans nos affaires intérieures, à toutes pressions directes ou indirectes, à toutes manœuvres tendant à aliéner l’indépendance du gouvernement local’. Il ne variera point de cette position-là, une fois l’indépendance politique totale acquise. Cela lui valut également, de solides inimitiés du côté de l’ancienne puissance colonisatrice qui voyait ainsi son influence politique mais aussi et surtout, ses intérêts économiques et commerciaux menacés. Sur ce point aussi, nombre d’observateurs soutiennent que le très francophile Senghor, réussit facilement à tourner la partie en sa faveur. En dépit de ses grandes qualités d’homme d’Etat, Dia a aussi ses défauts, dans la conduite tout au moins, des affaires de l’Etat. Qui n’en a pas d’ailleurs ? Ainsi à en croire le sociologue Abdoulaye Bara Diop, ‘malgré son nationalisme sincère, Dia était dur voire autoritaire sur les bords’. Lorsqu’une grève éclate en 1959, il n’hésite pas à renvoyer beaucoup de travailleurs. Son ‘Sou ngène mbam mbam lo, ma laobé laobé lou !’ (Si vous faites l’âne, je recours au bâton !) est resté célèbre. Il ferraille contre l’opposition politique d’alors, dissout le Parti africain de l’indépendance (Pai) et mène une lutte sans merci contre le Parti du rassemblement africain-Sénégal (Pra). Si bien qu’Abdoulaye Ly, une des figures de la formation, confie qu’il ‘n’écoute plus Radio Sénégal tant les critiques de Dia contre Pra-Sénégal sont virulentes’.
Les défauts de ses qualités
C’est que la construction d’un Etat encore fragile ne pouvait souffrir d’aucune déviance. Hélas, la raison d’Etat finit par triompher de son engagement politique et moral, au grand dam du Sénégal qui avait à sa tête deux brillants hommes d’Etat complémentaires dont la brouille a été pleurée par tous les observateurs lucides. Après son élargissement, il tente de faire un come-back politique sans succès. Beaucoup d’eau avait coulé, entre temps, sous les ponts. Militant éternel et visionnaire, le Maodo (l’aîné en Pulaar) n’a pas hésité à reprendre sa plume pour dénoncer, avant l’heure les dérives d’un pouvoir libéral encore triomphant et en état de grâce, surtout après le vote de la constitution de janvier 2011. L’extraversion de l’économie ainsi que son pilotage à vue, la mal gouvernance, le chancre de la corruption, l’absence de vocation politique… semblent donner aujourd’hui, du sens à son combat politique. Pour Massène Niang un de ses nombreux héritiers politiques, ‘les Assises nationales axées autour des forces vives de la nation pour construire un projet global de société, sont un des legs de Mamadou Dia’. L’ancien garde de Sceaux et père de l’abolition de la peine de mort en France, Robert Badinter, de s’interroger, à l’issue du procès de Dia dont il fut un des avocats, sur l’inclination tragique qu’al’Afrique de broyer ses fils les plus dignes à la suite de Lumumba, Nkrumah, Diallo Telli… Question angoissante en effet. Visiblement, le premier Premier ministre du Sénégal indépendant était homme trop entier pour s’accommoder outre mesure du monde faisandé de la politique politicienne fait d’intrigues, de chausse-trappes, de cynisme et d’intérêts égoïstes.
Amadou Oury DIALLO
source Walfadjri
‘Véritable père de l’Etat sénégalais moderne’
Economiste à l’issue de sa carrière d’instituteur, formé par l’économiste français François Perroux (1903-1987), il tente de mettre en œuvre une politique agricole réaliste, un socialisme autogestionnaire fondé sur les coopératives. Il conçut ainsi, le tout-premier plan quadriennal de développement du Sénégal, avec le concours du père Louis-Joseph Lebret, fondateur d’Economie et humanisme, un expert des questions économiques recommandé par F. Perroux. Il part en guerre contre les confréries, trop puissantes à ses yeux. Au contraire, Senghor juge que l’encadrement de la population par les Tidjanes et les Mourides est un instrument inespéré de stabilité. Ici apparaît aussi, un des principaux points de divergence entre les deux hommes et dont le chantre de la négritude tira habilement parti, dit-on, auprès des ces deux grandes communautés religieuses du pays. D’un nationalisme ombrageux, lors de son discours d’investiture, le 18 mai 1957 en tant que vice-président du gouvernement sénégalais, Dia déclare sans ambages sa ‘résistance farouche à toute tentative d’ingérence dans nos affaires intérieures, à toutes pressions directes ou indirectes, à toutes manœuvres tendant à aliéner l’indépendance du gouvernement local’. Il ne variera point de cette position-là, une fois l’indépendance politique totale acquise. Cela lui valut également, de solides inimitiés du côté de l’ancienne puissance colonisatrice qui voyait ainsi son influence politique mais aussi et surtout, ses intérêts économiques et commerciaux menacés. Sur ce point aussi, nombre d’observateurs soutiennent que le très francophile Senghor, réussit facilement à tourner la partie en sa faveur. En dépit de ses grandes qualités d’homme d’Etat, Dia a aussi ses défauts, dans la conduite tout au moins, des affaires de l’Etat. Qui n’en a pas d’ailleurs ? Ainsi à en croire le sociologue Abdoulaye Bara Diop, ‘malgré son nationalisme sincère, Dia était dur voire autoritaire sur les bords’. Lorsqu’une grève éclate en 1959, il n’hésite pas à renvoyer beaucoup de travailleurs. Son ‘Sou ngène mbam mbam lo, ma laobé laobé lou !’ (Si vous faites l’âne, je recours au bâton !) est resté célèbre. Il ferraille contre l’opposition politique d’alors, dissout le Parti africain de l’indépendance (Pai) et mène une lutte sans merci contre le Parti du rassemblement africain-Sénégal (Pra). Si bien qu’Abdoulaye Ly, une des figures de la formation, confie qu’il ‘n’écoute plus Radio Sénégal tant les critiques de Dia contre Pra-Sénégal sont virulentes’.
Les défauts de ses qualités
C’est que la construction d’un Etat encore fragile ne pouvait souffrir d’aucune déviance. Hélas, la raison d’Etat finit par triompher de son engagement politique et moral, au grand dam du Sénégal qui avait à sa tête deux brillants hommes d’Etat complémentaires dont la brouille a été pleurée par tous les observateurs lucides. Après son élargissement, il tente de faire un come-back politique sans succès. Beaucoup d’eau avait coulé, entre temps, sous les ponts. Militant éternel et visionnaire, le Maodo (l’aîné en Pulaar) n’a pas hésité à reprendre sa plume pour dénoncer, avant l’heure les dérives d’un pouvoir libéral encore triomphant et en état de grâce, surtout après le vote de la constitution de janvier 2011. L’extraversion de l’économie ainsi que son pilotage à vue, la mal gouvernance, le chancre de la corruption, l’absence de vocation politique… semblent donner aujourd’hui, du sens à son combat politique. Pour Massène Niang un de ses nombreux héritiers politiques, ‘les Assises nationales axées autour des forces vives de la nation pour construire un projet global de société, sont un des legs de Mamadou Dia’. L’ancien garde de Sceaux et père de l’abolition de la peine de mort en France, Robert Badinter, de s’interroger, à l’issue du procès de Dia dont il fut un des avocats, sur l’inclination tragique qu’al’Afrique de broyer ses fils les plus dignes à la suite de Lumumba, Nkrumah, Diallo Telli… Question angoissante en effet. Visiblement, le premier Premier ministre du Sénégal indépendant était homme trop entier pour s’accommoder outre mesure du monde faisandé de la politique politicienne fait d’intrigues, de chausse-trappes, de cynisme et d’intérêts égoïstes.
Amadou Oury DIALLO
source Walfadjri