Sans doute individuellement, mais aussi publiquement à travers une conférence de presse. Fait rare, trop rare pour ne pas être relevé, c’est là aussi une des ruptures majeures de l’ère Macky Sall. Personne de bonne foi ne se plaindra que la justice trop souvent aussi péremptoire que muette, décide enfin de communiquer pour éclairer nos lanternes. Mais le procédé pour être transparent (acceptons en l’augure) n’en est pas moins surprenant.
L’effet d’annonce comme les arguments spécieux qui l’ont ponctué peuvent bien relativiser sa portée. Même si ces personnalités, les anciens ministres notamment, avaient fait l’objet d’audition il y a quelques semaines, la mise à l’index collective de cette brochette d’adversaires politiques du Président Sall a de quoi laisser pantois plus d’un. A priori, tout pourrait ressembler à un scénario écrit à l’avance et duquel ont été extraits d’autres « acteurs » qu’on attendait.
Beaucoup de noms circulaient déjà dans les rédactions, notamment ceux de Souleymane Ndéné Ndiaye, d’Ousmane Masseck Ndiaye, d’Ousmane Ngom, et, surtout, celui de Mme Aminata Niane, ancienne patronne de l’APIX. Cette dernière est aujourd’hui conseillère du Président pour les Infrastructures et fidèle alliée et bras armé, jusqu’à une époque récente de Karim Wade, mis en cause. La démission rejetée de la très spéciale conseillère ressemble, à s’y méprendre, à un dernier baroud d’honneur, pour se laver de tout soupçon, voire de connivence avec son ex mentor.
L’impression de ciblage, voire d’acharnement, peut à priori se dessiner et alimenter tous les commentaires. Et les déclarations du Procureur Spécial n’ont rien fait pour calmer les doutes sur l’absence de neutralité du politique dans ce qui aurait apparaître comme une simple opération judiciaire. Mais en choisissant de mettre le focus sur les présumés sept « milliardaires », M. Ndao n’a-t-il déjà labélisé sa « prise » ? Tout est présenté comme si, dans l’échelle de l’illicite et du forfait, on pouvait absoudre les « voleurs » en millions, pour se focaliser sur les milliardaires.
Assurément, M. Ndao en a dit trop ou pas assez, et la première sortie de celui qui est chargé de réactiver la CREI, créée et enterrée en 1981, recèle trop de bourdes, pour ne pas réveiller des soupçons de manipulation. Dans la forfaiture, il y a des certes des gammes et des sanctions graduées, mais dans un pays pauvre et très endetté où le revenu annuel moyen d’un paysan n’atteint même pas 200 000 FCFA et où le Smig est d’un niveau décoiffant, à peine 50 000 FCFA, s’enrichir à coups de millions ne peut être banal.
DERAPAGES VERBAUX
Les dérapages verbaux d’un Procureur spécial mal inspiré en allant rencontre visite à une haute autorité religieuse pour « s’expliquer », ne doivent en rien dissimuler la maladresse, voire l’indécence, des responsables du PDS cités à audition. Les menaces qu’ils ne cessent de proférer depuis les rendent aussi ridicules que craintifs. Une simple convocation à la CREI, même faite dans des conditions malencontreuses, ne devrait pas susciter autant de passions, de déballages.
A moins que, conscients de la gravité des risques qui pèsent sur eux, ils veuillent anticiper le verdit et créer, par l’agitation, un sentiment d’injustice. La venue annoncée de Me Wade, l’injure à la bouche et le couteau entre les dents, est un signe annonciateur d’un grand branle-bas d’un combat que vont se livrer sur le terrain judiciaire, comme dans l’arène politique, des amis et acolytes d’hier, aujourd’hui séparés. A moins d’être frappés d’amnésie, comment les barons de l’ancien régime peuvent-ils oublier toutes les manipulations judiciaires dont ils ont usé et abusé pour neutraliser leurs adversaires du PS dès les premières heures de l’alternance : les directeurs des sociétés nationales ont été particulièrement visés, jetés en prison comme des malpropres sans autre forme de procès, avec des accusations cousues de fil blanc.
Leur seul tort étant d’avoir servi loyalement le régime précédent et d’avoir refusé de vendre leur amour-propre au marché de la transhumance. Ont-ils déjà oublié tous les sévices faits à leurs propres alliés jetés aux orties et livrés à la chienlit et à des geôliers sans pitié sans foi ni loi ? Sans parler des convocations arbitraires à la Direction des Investigations Criminelles de responsables considérés comme en rupture de ban, pour des motifs aussi fallacieux que l’accusation de blanchiment d’argent, la confiscation abusive de passeports, la rétention de leur salaire, le blocage des comptes. AMNESIE LIBERALE
Leur arrive-t-il de dérouler encore le sinistre des traques d’adversaires jusque dans les lieux de culte, profanés à coup de grenades lacrymogènes. Que diraient-ils aujourd’hui des menaces ridicules de Me Wade brandissant à tout bout de champ des menaces d’incarcération contre Ousmane Tanor Dieng du PS accusé sans preuve de trafic de licences de pêches, de passeports diplomatiques, Abdoulaye Bathily de malversations au ministère de l’Environnement, Moustapha Niasse de transactions douteuses dans le secteur pétrolier, Amath Dansokho de manipulations foncières ?
Pendant deux mandats, rarement l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques n’a été aussi flagrante que sous les libéraux. Au point que, de l’extérieur, le Sénégal donnait le triste visage d’une république bannière où la prévalence du non-droit était la règle. Un pays jadis précurseur de bonnes pratiques démocratiques, relégué au rang de « petite monarchie parlementaire » dont le Président « atypique » se signalait davantage par ses pitreries que par son sens de l’historicité.
Il y a sans doute fort à craindre des prochaines sorties de Me Wade qui, en toute ignorance du droit, menace de porter plainte contre le Président en exercice pour enrichissement illicite, reprenant à la volée les stigmatisations de Ousmane Ngom et Oumar Sarr qui avaient entonné ce refrain. La voie est ainsi ouverte pour de nouvelles poursuites judiciaires, car les attaques des responsables libéraux contre le Président, protégé par son immunité, ne sont pas sans conséquences.
Même en France, cette protection existera encore, jusqu’au jour où il mettra à exécution sa promesse de la lever pour les présidents en exercice. Les déclarations de Wade et celles de ses « ouailles » ressemblent à bien des égards à des gesticulations. Très attaché à son fils qu’il entend protéger avec bec et ongles, Wade ne fait pas grand cas des autres, même s’il prétend les couvrir de sa toile protectrice. Le recours aux grands khalifes qu’il visitera dès son retour est la vraie raison de sa tentative de retour en grâce. N’est-ce pas lui qui, il y a quelques semaines, lançait de sérieux appels du pied à son successeur pour faire revenir ses protégés aux affaires et isoler les alliés de Benno Bokk Yakkar ?
MUR SOCIAL ET CLIMAT DELETERE
Toutefois l’argument de l’enrichissement illicite l’actuel président de la République peut porter dans l’opinion, M. Macky Sall ayant décidé de livrer au grand public les réalités de son patrimoine financier chiffré à plusieurs milliards, de son patrimoine immobilier et foncier estimé à un important nombre de bâtiments et de terrains nus. Peut-on reprocher au Président de faire preuve de transparence ?
Mais cette démarche ne risque-t-elle pas un jour de se retourner contre lui ? A tout le moins, elle pourrait laisser essaimer dans l’opinion l’idée que cette bataille juridico-politique n’est que la traduction d’un combat fratricide entre alliés d’hier et ennemis d’aujourd’hui. Mais la posture de M. Macky Sall sera d’autant gênante que son Premier ministre, M. Abdoul Mbaye, prend de sévères coups en se voyant reprocher ses malencontreuses déclarations sur la gestion par le banquier qu’il était d’une partie de la fortune de M. Hissène Habré, ancien président tchadien refugié au Sénégal depuis 1990.
A cela, il faut ajouter des accusations de conflits d’intérêts contre l’actuel ministre des Finances, des pratiques somptuaires et gabégiques contre des ministres en exercice, des accusations de népotisme et de favoritisme. Tout cela ne fait pas bon genre et, devant un « mur social » de plus en plus tenace, une pauvreté rampante, un climat social délétère, le président de la République est pris en tenaille entre son impérieux devoir de réponse aux exigences de ces situations critiques, et la nécessité de faire appliquer la loi dans toute sa rigueur. Il n’est pas évident que l’ouverture d’un nouveau foyer de tension soit vraiment à son avantage.
ALY SAMBA NDIAYE Le Témoin N° 1104 –Hebdomadaire Sénégalais ( NOVEMBRE 2012 )
L’effet d’annonce comme les arguments spécieux qui l’ont ponctué peuvent bien relativiser sa portée. Même si ces personnalités, les anciens ministres notamment, avaient fait l’objet d’audition il y a quelques semaines, la mise à l’index collective de cette brochette d’adversaires politiques du Président Sall a de quoi laisser pantois plus d’un. A priori, tout pourrait ressembler à un scénario écrit à l’avance et duquel ont été extraits d’autres « acteurs » qu’on attendait.
Beaucoup de noms circulaient déjà dans les rédactions, notamment ceux de Souleymane Ndéné Ndiaye, d’Ousmane Masseck Ndiaye, d’Ousmane Ngom, et, surtout, celui de Mme Aminata Niane, ancienne patronne de l’APIX. Cette dernière est aujourd’hui conseillère du Président pour les Infrastructures et fidèle alliée et bras armé, jusqu’à une époque récente de Karim Wade, mis en cause. La démission rejetée de la très spéciale conseillère ressemble, à s’y méprendre, à un dernier baroud d’honneur, pour se laver de tout soupçon, voire de connivence avec son ex mentor.
L’impression de ciblage, voire d’acharnement, peut à priori se dessiner et alimenter tous les commentaires. Et les déclarations du Procureur Spécial n’ont rien fait pour calmer les doutes sur l’absence de neutralité du politique dans ce qui aurait apparaître comme une simple opération judiciaire. Mais en choisissant de mettre le focus sur les présumés sept « milliardaires », M. Ndao n’a-t-il déjà labélisé sa « prise » ? Tout est présenté comme si, dans l’échelle de l’illicite et du forfait, on pouvait absoudre les « voleurs » en millions, pour se focaliser sur les milliardaires.
Assurément, M. Ndao en a dit trop ou pas assez, et la première sortie de celui qui est chargé de réactiver la CREI, créée et enterrée en 1981, recèle trop de bourdes, pour ne pas réveiller des soupçons de manipulation. Dans la forfaiture, il y a des certes des gammes et des sanctions graduées, mais dans un pays pauvre et très endetté où le revenu annuel moyen d’un paysan n’atteint même pas 200 000 FCFA et où le Smig est d’un niveau décoiffant, à peine 50 000 FCFA, s’enrichir à coups de millions ne peut être banal.
DERAPAGES VERBAUX
Les dérapages verbaux d’un Procureur spécial mal inspiré en allant rencontre visite à une haute autorité religieuse pour « s’expliquer », ne doivent en rien dissimuler la maladresse, voire l’indécence, des responsables du PDS cités à audition. Les menaces qu’ils ne cessent de proférer depuis les rendent aussi ridicules que craintifs. Une simple convocation à la CREI, même faite dans des conditions malencontreuses, ne devrait pas susciter autant de passions, de déballages.
A moins que, conscients de la gravité des risques qui pèsent sur eux, ils veuillent anticiper le verdit et créer, par l’agitation, un sentiment d’injustice. La venue annoncée de Me Wade, l’injure à la bouche et le couteau entre les dents, est un signe annonciateur d’un grand branle-bas d’un combat que vont se livrer sur le terrain judiciaire, comme dans l’arène politique, des amis et acolytes d’hier, aujourd’hui séparés. A moins d’être frappés d’amnésie, comment les barons de l’ancien régime peuvent-ils oublier toutes les manipulations judiciaires dont ils ont usé et abusé pour neutraliser leurs adversaires du PS dès les premières heures de l’alternance : les directeurs des sociétés nationales ont été particulièrement visés, jetés en prison comme des malpropres sans autre forme de procès, avec des accusations cousues de fil blanc.
Leur seul tort étant d’avoir servi loyalement le régime précédent et d’avoir refusé de vendre leur amour-propre au marché de la transhumance. Ont-ils déjà oublié tous les sévices faits à leurs propres alliés jetés aux orties et livrés à la chienlit et à des geôliers sans pitié sans foi ni loi ? Sans parler des convocations arbitraires à la Direction des Investigations Criminelles de responsables considérés comme en rupture de ban, pour des motifs aussi fallacieux que l’accusation de blanchiment d’argent, la confiscation abusive de passeports, la rétention de leur salaire, le blocage des comptes. AMNESIE LIBERALE
Leur arrive-t-il de dérouler encore le sinistre des traques d’adversaires jusque dans les lieux de culte, profanés à coup de grenades lacrymogènes. Que diraient-ils aujourd’hui des menaces ridicules de Me Wade brandissant à tout bout de champ des menaces d’incarcération contre Ousmane Tanor Dieng du PS accusé sans preuve de trafic de licences de pêches, de passeports diplomatiques, Abdoulaye Bathily de malversations au ministère de l’Environnement, Moustapha Niasse de transactions douteuses dans le secteur pétrolier, Amath Dansokho de manipulations foncières ?
Pendant deux mandats, rarement l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques n’a été aussi flagrante que sous les libéraux. Au point que, de l’extérieur, le Sénégal donnait le triste visage d’une république bannière où la prévalence du non-droit était la règle. Un pays jadis précurseur de bonnes pratiques démocratiques, relégué au rang de « petite monarchie parlementaire » dont le Président « atypique » se signalait davantage par ses pitreries que par son sens de l’historicité.
Il y a sans doute fort à craindre des prochaines sorties de Me Wade qui, en toute ignorance du droit, menace de porter plainte contre le Président en exercice pour enrichissement illicite, reprenant à la volée les stigmatisations de Ousmane Ngom et Oumar Sarr qui avaient entonné ce refrain. La voie est ainsi ouverte pour de nouvelles poursuites judiciaires, car les attaques des responsables libéraux contre le Président, protégé par son immunité, ne sont pas sans conséquences.
Même en France, cette protection existera encore, jusqu’au jour où il mettra à exécution sa promesse de la lever pour les présidents en exercice. Les déclarations de Wade et celles de ses « ouailles » ressemblent à bien des égards à des gesticulations. Très attaché à son fils qu’il entend protéger avec bec et ongles, Wade ne fait pas grand cas des autres, même s’il prétend les couvrir de sa toile protectrice. Le recours aux grands khalifes qu’il visitera dès son retour est la vraie raison de sa tentative de retour en grâce. N’est-ce pas lui qui, il y a quelques semaines, lançait de sérieux appels du pied à son successeur pour faire revenir ses protégés aux affaires et isoler les alliés de Benno Bokk Yakkar ?
MUR SOCIAL ET CLIMAT DELETERE
Toutefois l’argument de l’enrichissement illicite l’actuel président de la République peut porter dans l’opinion, M. Macky Sall ayant décidé de livrer au grand public les réalités de son patrimoine financier chiffré à plusieurs milliards, de son patrimoine immobilier et foncier estimé à un important nombre de bâtiments et de terrains nus. Peut-on reprocher au Président de faire preuve de transparence ?
Mais cette démarche ne risque-t-elle pas un jour de se retourner contre lui ? A tout le moins, elle pourrait laisser essaimer dans l’opinion l’idée que cette bataille juridico-politique n’est que la traduction d’un combat fratricide entre alliés d’hier et ennemis d’aujourd’hui. Mais la posture de M. Macky Sall sera d’autant gênante que son Premier ministre, M. Abdoul Mbaye, prend de sévères coups en se voyant reprocher ses malencontreuses déclarations sur la gestion par le banquier qu’il était d’une partie de la fortune de M. Hissène Habré, ancien président tchadien refugié au Sénégal depuis 1990.
A cela, il faut ajouter des accusations de conflits d’intérêts contre l’actuel ministre des Finances, des pratiques somptuaires et gabégiques contre des ministres en exercice, des accusations de népotisme et de favoritisme. Tout cela ne fait pas bon genre et, devant un « mur social » de plus en plus tenace, une pauvreté rampante, un climat social délétère, le président de la République est pris en tenaille entre son impérieux devoir de réponse aux exigences de ces situations critiques, et la nécessité de faire appliquer la loi dans toute sa rigueur. Il n’est pas évident que l’ouverture d’un nouveau foyer de tension soit vraiment à son avantage.
ALY SAMBA NDIAYE Le Témoin N° 1104 –Hebdomadaire Sénégalais ( NOVEMBRE 2012 )