‘’Partout dans le monde arabe, la référence islamique se place en opposition potentielle aux régimes dictatoriaux. C’est une réalité en Egypte, en Tunisie, en Libye, au Yémen et à Bahreïn. Et encore, je ne parle pas de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas… On s’aperçoit donc que le phénomène de l’islam politique est présent’’, a-t-il dit dans un entretien paru dans l’édition d’août-septembre du mensuel panafricain Afrique Magazine.
Il estime qu’en réalité, ‘’on s’aperçoit que beaucoup d’islamistes, en Algérie et en Tunisie par exemple, ont changé. Les Frères musulmans sont éclatés en cinq partis différents, entre jeunes et vieilles générations. Il ne faut donc pas sous-estimer la capacité de l’islamisme politique réformiste, à se régénérer au gré de ces soulèvements’’.
Même s’il admet que ces ‘’soulèvements populaires’’ sont ‘’cristallisés’’ au nom de la liberté, et non au nom de l’islam, ‘’ils ne sont pas forcément faites contre l’islam’’.
Selon lui, ‘’ce n’est pas parce que les Arabes ne sont pas islamistes qu’ils ne sont pas musulmans !’’ ‘’Je dis cela car l’on s’aperçoit qu’il va falloir tenir compte du référent musulman dans les sociétés qui connaissent des mouvements de libération’’.
Rappelant que ‘’toute la question de l’islam politique contemporain consiste donc désormais à se demander quelle traduction apporter à ces aspirations’’, il s’est demandé s’il faudra user des ‘’vieilles rhétoriques des années 1920, 1930 et 1940 sur l’+Etat islamique+ ?’’
Tariq Ramadan constate que ‘’le message de cet islam politique se restructure, avec des nouvelles alliances que l’on avait jamais imaginées’’, précisant que ‘’des communistes, des athées, des laïques et des islamistes travaillent aujourd’hui ensemble à un projet de société’’. ‘’Donc je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il s’agit de la fin de l’islam politique’’.
L’universitaire pense que ‘’la jeune génération des islamistes est composée de démocrates conservateurs, lesquels sont d’ailleurs très influencés par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan’’.
‘’Pour certains jeunes et certaines générations de l’islam politique, la Turquie est une référence’’, poursuit-il, expliquant cette position par le fait que dans ce pays il y a 10 % de croissance et parce qu’il s’agit d’un modèle ‘’à la fois conservateur et démocratique’’.
‘’En cela, cet exemple (la Turquie) est attirant’’, souligne Ramadan, estimant toutefois que le régime politique turc est ‘’loin d’être totalement démocratique, ne serait-ce que parce que l’armée conserve un rôle très important’’.
Il reste ‘’tout à fait prudent sur le caractère modèle de l’expérience turque’’, relevant que ‘’les modèles sont nationaux, mais les principes défendus peuvent être partagés’’. ‘’Nous ne ferons évoluer la pensée de l’islam politique qu’en l’intégrant dans le débat démocratique, indique Tariq Ramadan. La torture ou la marginalisation produisent de la radicalisation et rien d’autre.’’
Prié de dire si l’on peut être ‘’musulman et moderne’’, il a affirmé : ‘’Bien sûr ! Lorsque je dis que je suis musulman, je signifie que je respecte les principes fondateurs de ma religion tout en faisant face à l’époque contemporaine’’.
‘’Si on définit la modernité comme le fait de vivre avec son temps, et si l’on ne confond pas le fait d’être moderne avec le fait d’être occidental, alors on peut être à la fois musulman et moderne. Reste pour l’Occident à envisager l’idée que l’on puisse être moderne sans être occidental’’, soutient Tariq Ramadan.