Depuis deux ans, le débat sur les collectivités locales au Sénégal est centré sur les découpages administratifs qui ont abouti à l’érection de certaines entités territoriales en communes et d’autres en communautés rurales. Ces actes, pour des raisons multiples ont été, à tort ou à raison, diversement appréciés par les populations et les autorités étatiques. L’essentiel de ces appréciations a été fait en laissant en rade les aspects juridiques. Ce qui a comme conséquence de réduire les éléments d’analyse, d’autant plus qu’il s’agit d’actes juridiques, ayant des implications juridiques.
La conséquence juridique, la plus contestée, de ces découpages est la perte de leurs mandats des vainqueurs des élections régionales, communales et rurales de 2009. A leur place, dans les localités qui ont fait l’objet de découpages, des délégations spéciales ont été instaurées, souvent avec beaucoup de difficultés. Celle de Sangalkam a entraîné la mort d’un habitant suite aux résistances de la population.
Depuis qu’ils ont perdu leur mandat, les membres desdits conseils locaux, appuyés par une bonne frange de la population n’ont eu de cesse de contester le découpage qui les a évincés et de réclamer leur réinstallation à la tête des collectivités locales qu’ils dirigeaient, avec la recomposition du territoire initial. Bref, ils demandent simplement l’annulation des décrets qui ont procédé au découpage, ce qui à leurs yeux, leur permettrait de retrouver leurs sièges.
Dans leur conception, l’annulation des décrets équivaut à leur finitude. Cette équivalence n’est pas réelle ; car l’annulation d’un acte administratif n’épuise pas la réalité de la fin des actes administratifs. Celle-ci est beaucoup plus large et comporte : l’annulation, le retrait, l’abrogation et la modification. Chacun de ces actes obéit à des procédures différentes et produit des effets différents. Il s’agit de les analyser et de les apprécier à la lumière du découpage administratif et de l’exigence des conseillers locaux déchus de faire annuler le découpage administratif.
1) De l’annulation
L’annulation de l’acte administratif doit être le fait du juge. En l’occurrence il s’agit de la deuxième chambre de la Cour Suprême. Elle est la seule compétente pour annuler les décrets qui ont procédé au découpage administratif. La saisine du juge se fait selon des procédures bien déterminées relatives notamment au délai qui est de deux mois après la publicité de l’acte. Ce délai peut être prorogé à certaines conditions qui ne sont plus à l’ordre du jour pour le cas présent. Le requérant doit aussi avoir intérêt à agir et capacité à agir et l’acte doit faire grief et être un acte administratif. Lorsque ces conditions sont remplies, le juge examine l’acte en fonction des récriminations qui lui sont faites. Si celle-ci sont avérées, l’acte est annulé sinon il confirme l’acte.
L’annulation d’un acte administratif par le juge permet de mettre fin aux effets de l’acte à la fois pour le passé et pour l’avenir. L’acte est considéré comme n’avoir jamais été pris.
Appliqué au découpage administratif, l’annulation juridictionnelle aurait été la voie royale pour réinstaller les conseils locaux déchus. En effet en annulant les décrets de découpage administratif, la Cour Suprême aurait anéanti tous leurs effets. Les membres des conseils locaux auraient immédiatement retrouvé leur siège et les collectivités locales se seraient reconstituées sous leur forme initiale. Certains conseils locaux (conseil local de Mbane…) avaient tenté d’emprunter cette voie en intentant un recours pour excès de pouvoir contre les décrets qui ont découpé leur collectivité locale. Le juge, n’ayant relevé aucune illégalité a confirmé les décrets susvisés.
2) Du retrait
Le retrait d’un acte administratif unilatéral consiste pour l’administration à anéantir elle-même les effets de l’acte à la fois pour le passé et pour l’avenir. Lorsqu’il intervient on considère que l’acte administratif n’a jamais existé. Le retrait est cependant encadré de manière rigoureuse.
Lorsque l’acte est régulier et crée des droits, le retrait est exclu sauf à être une conséquence d’une décision de justice ou autorisé par la loi ou demandé par le bénéficiaire de l’acte s’il ne porte pas atteinte au droit des tiers.
Si l’acte est irrégulier le retrait est possible dans les deux mois qui suivent sa notification ou sa publication. Donc dans le délai de recours contentieux.
Aujourd’hui, les décrets portant découpage administratif ont échappé à la possibilité du retrait. En effet si on peut épiloguer sur leur opportunité ces actes ne sont pas entachés d’illégalité. Ensuite et c’est fondamental le délai de deux mois est largement dépassé. Donc les deux conditions du retrait des actes administratifs unilatéraux ne sont pas remplis concernant les décrets portant découpage administratif.
3) De l’abrogation :
L’abrogation est une procédure qui consiste pour l’administration à mettre fin aux effets d’un acte administratif unilatéral mais uniquement pour l’avenir. Lorsqu’elle intervient, certes l’acte n’existe plus mais les effets qu’il a produits, de son entrée en vigueur à sa fin, demeurent. En l’espèce l’abrogation des décrets qui ont procédé au découpage administratif ne supprimerait pas les nouvelles collectivités locales créées, ne mettrait pas fin aux délégations spéciales et ne réinstallerait pas les conseils locaux déchus.
Certes l’Etat aurait pu prendre un décret qui abrogerait les décrets de découpage administratif et recomposerait les territoires des collectivités locales tels qu’initialement conçus. Cependant, ce décret ne pourrait pas réinstaller les conseils locaux car cette recomposition équivaudrait à un autre redécoupage avec donc obligation pour l’Etat de mettre en place des délégations spéciales à la tête des collectivités locales concernées.
4) De la modification
La modification d’un acte administratif est une procédure qui consiste à changer son contenu. Il intervient à l’occasion des changements de circonstances de droit ou de fait qui justifient l’acte administratif. Cette modification se fait souvent sous le contrôle du juge et peut être assimilée à une abrogation partielle de l’acte.
Pour un acte réglementaire le changement des circonstances de droit entraîne une modification de l’acte. Par contre, tout changement des circonstances de fait n’entraîne pas une obligation de modification de l’acte. Il faut que le changement soit fondamental et important.
Pour les décrets en question il n’ya pas de changement de circonstances de droit ni de fait. Et même si par extraordinaire on considérait qu’il y avait un changement de circonstance de fait, la modification des décrets ne pourrait pas entraîner la réinstallation des conseils locaux déchus et dans certains cas ne pourrait même pas permettre la recomposition des territoires des collectivités éclatées.
En effet, la réinstallation des conseils locaux passerait d’abord par la remise à l’état des collectivités locales avant le redécoupage. Or certaines parties des collectivités locales ont été adjointes à des communes et des communautés rurales ont été simplement érigées en commune. Le retour à la situation territoriale initiale signifierait que des communes allaient partiellement ou entièrement redevenir des communautés rurales. Sans insister sur une éventuelle résistance des populations, le code des collectivités locales ne le permettrait pas car ce texte ne prévoit qu’une seule possibilité de suppression d’une commune c’est lorsque pendant quatre années financières consécutives son fonctionnement normal est rendu impossible par le déséquilibre de ses finances (article 80 du code des collectivités locales). Quant à l’érection d’une Commune en communauté rurale, si la loi ne l’interdit pas expressément, elle n’est nulle part prévue ni organisée. L’article 80 prévoit seulement la possibilité de rattacher une Commune à une communauté rurale à condition que pendant quatre années consécutives le déséquilibre de ses finances rend son fonctionnement impossible. Dans les collectivités locales créées par le découpage il n’est nulle part question de déséquilibre financier et ces collectivités locales n’ont pas encore quatre ans d’existence.
Ensuite la recomposition des communautés rurales se ferait au moyen de fractionnement ou de fusion de communautés rurales préexistantes. Par ce biais, on pourrait remettre en place les communautés rurales avant le découpage mais, on ne pourrait pas remettre en place les conseils locaux déchus car, le code des collectivités locales prévoit qu’en cas de fusion ou de fractionnement de communauté rurale les conseils ruraux sont dissous de plein droit et remplacés par une délégation spéciale (article 193 du code des collectivités locales). En passant par cette voie, l’Etat serait obligé de mettre en place des délégations spéciales.
Au total, aucune des procédures juridiques ne permet la réinstallation des conseils locaux déchus sur les espaces territoriaux qui les avaient élus. Les obstacles sont de taille car ils sont juridiques.
Ababacar GUEYE
Docteur en Droit Public
Directeur de Cabinet du Ministère
de l’Aménagement du Territoire
et des Collectivités Locales
La conséquence juridique, la plus contestée, de ces découpages est la perte de leurs mandats des vainqueurs des élections régionales, communales et rurales de 2009. A leur place, dans les localités qui ont fait l’objet de découpages, des délégations spéciales ont été instaurées, souvent avec beaucoup de difficultés. Celle de Sangalkam a entraîné la mort d’un habitant suite aux résistances de la population.
Depuis qu’ils ont perdu leur mandat, les membres desdits conseils locaux, appuyés par une bonne frange de la population n’ont eu de cesse de contester le découpage qui les a évincés et de réclamer leur réinstallation à la tête des collectivités locales qu’ils dirigeaient, avec la recomposition du territoire initial. Bref, ils demandent simplement l’annulation des décrets qui ont procédé au découpage, ce qui à leurs yeux, leur permettrait de retrouver leurs sièges.
Dans leur conception, l’annulation des décrets équivaut à leur finitude. Cette équivalence n’est pas réelle ; car l’annulation d’un acte administratif n’épuise pas la réalité de la fin des actes administratifs. Celle-ci est beaucoup plus large et comporte : l’annulation, le retrait, l’abrogation et la modification. Chacun de ces actes obéit à des procédures différentes et produit des effets différents. Il s’agit de les analyser et de les apprécier à la lumière du découpage administratif et de l’exigence des conseillers locaux déchus de faire annuler le découpage administratif.
1) De l’annulation
L’annulation de l’acte administratif doit être le fait du juge. En l’occurrence il s’agit de la deuxième chambre de la Cour Suprême. Elle est la seule compétente pour annuler les décrets qui ont procédé au découpage administratif. La saisine du juge se fait selon des procédures bien déterminées relatives notamment au délai qui est de deux mois après la publicité de l’acte. Ce délai peut être prorogé à certaines conditions qui ne sont plus à l’ordre du jour pour le cas présent. Le requérant doit aussi avoir intérêt à agir et capacité à agir et l’acte doit faire grief et être un acte administratif. Lorsque ces conditions sont remplies, le juge examine l’acte en fonction des récriminations qui lui sont faites. Si celle-ci sont avérées, l’acte est annulé sinon il confirme l’acte.
L’annulation d’un acte administratif par le juge permet de mettre fin aux effets de l’acte à la fois pour le passé et pour l’avenir. L’acte est considéré comme n’avoir jamais été pris.
Appliqué au découpage administratif, l’annulation juridictionnelle aurait été la voie royale pour réinstaller les conseils locaux déchus. En effet en annulant les décrets de découpage administratif, la Cour Suprême aurait anéanti tous leurs effets. Les membres des conseils locaux auraient immédiatement retrouvé leur siège et les collectivités locales se seraient reconstituées sous leur forme initiale. Certains conseils locaux (conseil local de Mbane…) avaient tenté d’emprunter cette voie en intentant un recours pour excès de pouvoir contre les décrets qui ont découpé leur collectivité locale. Le juge, n’ayant relevé aucune illégalité a confirmé les décrets susvisés.
2) Du retrait
Le retrait d’un acte administratif unilatéral consiste pour l’administration à anéantir elle-même les effets de l’acte à la fois pour le passé et pour l’avenir. Lorsqu’il intervient on considère que l’acte administratif n’a jamais existé. Le retrait est cependant encadré de manière rigoureuse.
Lorsque l’acte est régulier et crée des droits, le retrait est exclu sauf à être une conséquence d’une décision de justice ou autorisé par la loi ou demandé par le bénéficiaire de l’acte s’il ne porte pas atteinte au droit des tiers.
Si l’acte est irrégulier le retrait est possible dans les deux mois qui suivent sa notification ou sa publication. Donc dans le délai de recours contentieux.
Aujourd’hui, les décrets portant découpage administratif ont échappé à la possibilité du retrait. En effet si on peut épiloguer sur leur opportunité ces actes ne sont pas entachés d’illégalité. Ensuite et c’est fondamental le délai de deux mois est largement dépassé. Donc les deux conditions du retrait des actes administratifs unilatéraux ne sont pas remplis concernant les décrets portant découpage administratif.
3) De l’abrogation :
L’abrogation est une procédure qui consiste pour l’administration à mettre fin aux effets d’un acte administratif unilatéral mais uniquement pour l’avenir. Lorsqu’elle intervient, certes l’acte n’existe plus mais les effets qu’il a produits, de son entrée en vigueur à sa fin, demeurent. En l’espèce l’abrogation des décrets qui ont procédé au découpage administratif ne supprimerait pas les nouvelles collectivités locales créées, ne mettrait pas fin aux délégations spéciales et ne réinstallerait pas les conseils locaux déchus.
Certes l’Etat aurait pu prendre un décret qui abrogerait les décrets de découpage administratif et recomposerait les territoires des collectivités locales tels qu’initialement conçus. Cependant, ce décret ne pourrait pas réinstaller les conseils locaux car cette recomposition équivaudrait à un autre redécoupage avec donc obligation pour l’Etat de mettre en place des délégations spéciales à la tête des collectivités locales concernées.
4) De la modification
La modification d’un acte administratif est une procédure qui consiste à changer son contenu. Il intervient à l’occasion des changements de circonstances de droit ou de fait qui justifient l’acte administratif. Cette modification se fait souvent sous le contrôle du juge et peut être assimilée à une abrogation partielle de l’acte.
Pour un acte réglementaire le changement des circonstances de droit entraîne une modification de l’acte. Par contre, tout changement des circonstances de fait n’entraîne pas une obligation de modification de l’acte. Il faut que le changement soit fondamental et important.
Pour les décrets en question il n’ya pas de changement de circonstances de droit ni de fait. Et même si par extraordinaire on considérait qu’il y avait un changement de circonstance de fait, la modification des décrets ne pourrait pas entraîner la réinstallation des conseils locaux déchus et dans certains cas ne pourrait même pas permettre la recomposition des territoires des collectivités éclatées.
En effet, la réinstallation des conseils locaux passerait d’abord par la remise à l’état des collectivités locales avant le redécoupage. Or certaines parties des collectivités locales ont été adjointes à des communes et des communautés rurales ont été simplement érigées en commune. Le retour à la situation territoriale initiale signifierait que des communes allaient partiellement ou entièrement redevenir des communautés rurales. Sans insister sur une éventuelle résistance des populations, le code des collectivités locales ne le permettrait pas car ce texte ne prévoit qu’une seule possibilité de suppression d’une commune c’est lorsque pendant quatre années financières consécutives son fonctionnement normal est rendu impossible par le déséquilibre de ses finances (article 80 du code des collectivités locales). Quant à l’érection d’une Commune en communauté rurale, si la loi ne l’interdit pas expressément, elle n’est nulle part prévue ni organisée. L’article 80 prévoit seulement la possibilité de rattacher une Commune à une communauté rurale à condition que pendant quatre années consécutives le déséquilibre de ses finances rend son fonctionnement impossible. Dans les collectivités locales créées par le découpage il n’est nulle part question de déséquilibre financier et ces collectivités locales n’ont pas encore quatre ans d’existence.
Ensuite la recomposition des communautés rurales se ferait au moyen de fractionnement ou de fusion de communautés rurales préexistantes. Par ce biais, on pourrait remettre en place les communautés rurales avant le découpage mais, on ne pourrait pas remettre en place les conseils locaux déchus car, le code des collectivités locales prévoit qu’en cas de fusion ou de fractionnement de communauté rurale les conseils ruraux sont dissous de plein droit et remplacés par une délégation spéciale (article 193 du code des collectivités locales). En passant par cette voie, l’Etat serait obligé de mettre en place des délégations spéciales.
Au total, aucune des procédures juridiques ne permet la réinstallation des conseils locaux déchus sur les espaces territoriaux qui les avaient élus. Les obstacles sont de taille car ils sont juridiques.
Ababacar GUEYE
Docteur en Droit Public
Directeur de Cabinet du Ministère
de l’Aménagement du Territoire
et des Collectivités Locales