Abdoulaye Wade, Alassane Ouattara, Ali Bongo, Côte d'Ivoire diplomatie, discours de Dakar Françafrique, France François Fillon, Karim Wade, Laurent Gbagbo, Nicolas Sarkozy,Omar Bongo, politique.
Roland Désiré Aba’a est un jeune fonctionnaire gabonais. Il est membre du Conseil économique et social (CES). Le 14 juillet, il a entamé à Libreville, la capitale, une grève de la faim, sur la place publique, pour dénoncer la mainmise de la France sur son pays:
«Si la perte de ma vie peut contribuer à démontrer aux yeux du monde que le Gabon est confisqué par la France, je descendrais, heureux, dans ma tombe».
Plus précisément, Roland Désiré Aba’a formule trois exigences, pour solder les «préjudices causés à son pays par la France»: l’annulation totale de la dette extérieure du Gabon vis-à-vis de Paris, le démantèlement de toutes les bases militaires françaises, au Gabon, et la renégociation des accords qui lient les deux pays. Soutenu, par des ONG locales, son combat commence à émouvoir un nombre croissant de ses concitoyens.
Un fait inédit, au Gabon
Sans en exagérer la portée, cette mise en cause spectaculaire de la France, au Gabon, est un fait inédit. Le pays fait, en effet, partie du club fermé des meilleurs amis de la France, en Afrique. Jusqu’à son décès, en juin 2009, Omar Bongo Ondimba, qui l’a dirigé, pendant quatre décennies, était considéré comme le bras droit de Paris, après le décès, en 1993, de Félix Houphouët-Boigny, le premier Président de la Côte d’Ivoire.
Tumba Alfred Shango Lokoho, originaire de République démocratique du Congo, enseigne l’histoire des civilisations et la géopolitique africaines, à l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris. Pour lui, c’est le signe que l’élection présidentielle controversée d’août 2009 reste, encore, en travers de la gorge de beaucoup de Gabonais.
Avec un peu plus de 42% des suffrages, Ali Bongo, ostensiblement, soutenu, par Robert Bourgi, l’un des conseillers occultes du Président français, Nicolas Sarkozy, avait été déclaré vainqueur. Succédant, ainsi, à son père, Omar Bongo Ondimba, à la tête de ce petit «émirat pétrolier» d’Afrique centrale.
«Le monde a changé. On le voit bien avec ce que l’on appelle le "printemps arabe". C’est une question de génération. Aujourd’hui, les jeunes sont informés par la télévision, Internet et les téléphones portables. Ils connaissent davantage le monde et aspirent à voir évoluer les sociétés, dans lesquelles, ils vivent», explique Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique et Directeur de recherches, à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Le sentiment anti-français ne se cache plus
Le Gabon vient, ainsi, à son tour, grossir les rangs des pays africains où un sentiment anti-français va crescendo. Et qui transparaît, de plus en plus, au travers d’éditoriaux au vitriol de la presse africaine. Celle-ci saisit la moindre occasion, pour tirer à boulets rouges sur le «pays des droits de l’Homme». Après la chute de Laurent Gbagbo, les journaux, qui le soutenaient, s’étaient déchaînés contre la France, qu’ils ont accusée d’avoir chassé leur champion du pouvoir et installé, à sa place, Alassane Ouattara. Ils ne sont plus seuls à vouer Paris aux gémonies.
«Après avoir participé au défilé militaire du 14 juillet, aux côtés de Nicolas Sarkozy, François Fillon s’est envolé, pour une tournée, en Afrique. S’agissant de la Côte d’Ivoire, cette visite prend l’allure d’un service après-vente», a persiflé le journal burkinabè l’"Observateur Paalga", dans sa livraison du 15 juillet dernier.
Et d’enfoncer le clou: «Après Abidjan, cap sur Libreville, un autre pion important du pré carré français. A défaut du fou pressé, pardon, du sous-préfet [Nicolas Sarkozy, ndlr], c’est Fillon le garde-cercle qui fait le tour des pâturages les plus luxuriants de son domaine.»
"La Nouvelle Tribune", un quotidien béninois, n’était pas en reste:
«Mensonges politiques. Mensonges diplomatiques. C’est ce qu’il s’est empressé, au lendemain de la célébration de la fête nationale française de venir servir aux Africains. Pourtant, à l’exception du Ghana, par les destinations qu’il a choisies, pour sa tournée africaine, le Premier ministre français a laissé entrevoir la contradiction entre ses discours et ses actes».
Du 14 au 17 juillet, le chef du gouvernement français s’est rendu, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Ghana.
La France enchaîne les maladresses
Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, un vent de démocratie venu de l’Europe de l’Est avait déferlé sur l’Afrique subsaharienne. Une occasion saisie par l’intelligentsia africaine, pour fustiger la Françafrique, cette relation complexe et ambiguë faite de raison d’Etat, de lobbies et de réseaux politico-affairistes entre la France et ses ex-colonies africaines. Et qui s’est souvent traduite par le soutien de Paris à des régimes peu recommandables et à la légitimité discutable.
Le reste des populations africaines a emboîté le pas à ses élites, au début des années 2000, lors des crises, au Togo et en Côte d’Ivoire. Mais jamais la mise en cause de Paris n’a été aussi forte et spectaculaire qu’aujourd’hui.
Le paradoxe, c’est que cette dégradation, sans précédent, se produit avec le Président Nicolas Sarkozy, qui avait promis d’en finir avec la Françafrique. De fait, il a esquissé une timide réforme des accords de défense et de coopération militaires, tant décriés, entre Paris et ses alliés africains, histoire de les rendre «plus transparents et plus modernes».
Le problème, c’est qu’il a commis quelques bévues, qui ont, totalement, annihilé ces petits pas, dans la bonne direction. La plus spectaculaire aura été le discours qu’il a prononcé, le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh Anta Diop, à Dakar (Sénégal), dans lequel, il a affirmé que «le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire».
«Une véritable catastrophe, qui prouve, d’ailleurs, une totale méconnaissance de l’Afrique de sa part. D’autant qu’il l’a prononcé, devant des historiens sénégalais, qui comptent parmi les meilleurs, en Afrique et dans le monde. L’intervention militaire de la France, en Libye, sans que la diplomatie française se soit concertée avec l’Union africaine, a été une maladresse de plus», indique Philippe Hugon.
Autre impair grossier, de la part du locataire de l’Elysée, la poignée de main entre Karim Wade, le fils du chef de l’Etat sénégalais et le Président américain, Barack Obama, lors du Sommet du G-8, le 27 mai dernier, à Deauville, dont il a été l’initiateur. En Afrique, en général, et au Sénégal, en particulier, elle a été perçue comme une preuve supplémentaire de la préparation d’une «succession dynastique», avec la complicité active de l’ancienne puissance colonisatrice.
"Les Africains entretiennent avec la France une relation d’amour-haine, empreinte d’une certaine schizophrénie", tempère Tumba Alfred Shango Lokoho.
"Dans le fond, ils ne la détestent pas vraiment. Avec elle, ils se comportent en amoureux très exigeants. Ils veulent qu’elle soit parfaite et ne lui pardonnent pas la moindre incartade. Quand elle prend ses distances, ils le lui reprochent. Et quand elle s’intéresse d’un peu trop près à leurs affaires, ils s’en émeuvent", analyse-t-il.
Une relation amour-haine
Depuis leur indépendance, en 1960, les liens entre Paris et ses anciennes colonies sont, en effet, très complexes. La France n’est jamais tout à fait partie du continent noir. L’idée du général de Gaulle était simple: donner l’indépendance aux Africains, puisqu’ils la réclamaient, tout en continuant à contrôler les matières premières dont regorge leur continent. Une politique, poursuivie, sans état d’âme, par ses différents successeurs.
«Pendant très longtemps, Paris s’est très fortement engagée, en Afrique, par le biais d’accords bilatéraux, dans toute une série d’opérations très importantes, y compris, militaires, pour défendre son pré carré.
Elle dépensait sans compter, dans la mesure où il s’agissait d’octroyer des aides à des entreprises françaises. D’autant qu’elle était sûre de bénéficier d’un retour sur investissement, à travers les bénéfices engrangés par ces dernières», a confié, en avril 2010, au magazine panafricain "Continental", Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur d’études, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de l’Afrique.
Lorsqu’il a été élu, pour la première fois, président de la République, le socialiste François Mitterrand avait promis de mettre fin à cet héritage encombrant de plus en plus dénoncé par nombre d’Africains. Une promesse qui n'a pas fait long feu. Pire, c’est même sous son mandat que la France a connu l’une des pages les plus noires de son histoire, en Afrique, lorsqu’elle a apporté, entre 1990 et 1994, au Rwanda, son soutien au régime hutu, qui allait planifier et mettre en œuvre le génocide.
«La France a commis et commet, encore, des erreurs, en Afrique. Mais attention à ne pas en faire le bouc émissaire de tous nos problèmes, nos insuffisances et nos malheurs», estime Tumba Alfred Shango Lokoho.
Roland Désiré Aba’a est un jeune fonctionnaire gabonais. Il est membre du Conseil économique et social (CES). Le 14 juillet, il a entamé à Libreville, la capitale, une grève de la faim, sur la place publique, pour dénoncer la mainmise de la France sur son pays:
«Si la perte de ma vie peut contribuer à démontrer aux yeux du monde que le Gabon est confisqué par la France, je descendrais, heureux, dans ma tombe».
Plus précisément, Roland Désiré Aba’a formule trois exigences, pour solder les «préjudices causés à son pays par la France»: l’annulation totale de la dette extérieure du Gabon vis-à-vis de Paris, le démantèlement de toutes les bases militaires françaises, au Gabon, et la renégociation des accords qui lient les deux pays. Soutenu, par des ONG locales, son combat commence à émouvoir un nombre croissant de ses concitoyens.
Un fait inédit, au Gabon
Sans en exagérer la portée, cette mise en cause spectaculaire de la France, au Gabon, est un fait inédit. Le pays fait, en effet, partie du club fermé des meilleurs amis de la France, en Afrique. Jusqu’à son décès, en juin 2009, Omar Bongo Ondimba, qui l’a dirigé, pendant quatre décennies, était considéré comme le bras droit de Paris, après le décès, en 1993, de Félix Houphouët-Boigny, le premier Président de la Côte d’Ivoire.
Tumba Alfred Shango Lokoho, originaire de République démocratique du Congo, enseigne l’histoire des civilisations et la géopolitique africaines, à l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris. Pour lui, c’est le signe que l’élection présidentielle controversée d’août 2009 reste, encore, en travers de la gorge de beaucoup de Gabonais.
Avec un peu plus de 42% des suffrages, Ali Bongo, ostensiblement, soutenu, par Robert Bourgi, l’un des conseillers occultes du Président français, Nicolas Sarkozy, avait été déclaré vainqueur. Succédant, ainsi, à son père, Omar Bongo Ondimba, à la tête de ce petit «émirat pétrolier» d’Afrique centrale.
«Le monde a changé. On le voit bien avec ce que l’on appelle le "printemps arabe". C’est une question de génération. Aujourd’hui, les jeunes sont informés par la télévision, Internet et les téléphones portables. Ils connaissent davantage le monde et aspirent à voir évoluer les sociétés, dans lesquelles, ils vivent», explique Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique et Directeur de recherches, à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Le sentiment anti-français ne se cache plus
Le Gabon vient, ainsi, à son tour, grossir les rangs des pays africains où un sentiment anti-français va crescendo. Et qui transparaît, de plus en plus, au travers d’éditoriaux au vitriol de la presse africaine. Celle-ci saisit la moindre occasion, pour tirer à boulets rouges sur le «pays des droits de l’Homme». Après la chute de Laurent Gbagbo, les journaux, qui le soutenaient, s’étaient déchaînés contre la France, qu’ils ont accusée d’avoir chassé leur champion du pouvoir et installé, à sa place, Alassane Ouattara. Ils ne sont plus seuls à vouer Paris aux gémonies.
«Après avoir participé au défilé militaire du 14 juillet, aux côtés de Nicolas Sarkozy, François Fillon s’est envolé, pour une tournée, en Afrique. S’agissant de la Côte d’Ivoire, cette visite prend l’allure d’un service après-vente», a persiflé le journal burkinabè l’"Observateur Paalga", dans sa livraison du 15 juillet dernier.
Et d’enfoncer le clou: «Après Abidjan, cap sur Libreville, un autre pion important du pré carré français. A défaut du fou pressé, pardon, du sous-préfet [Nicolas Sarkozy, ndlr], c’est Fillon le garde-cercle qui fait le tour des pâturages les plus luxuriants de son domaine.»
"La Nouvelle Tribune", un quotidien béninois, n’était pas en reste:
«Mensonges politiques. Mensonges diplomatiques. C’est ce qu’il s’est empressé, au lendemain de la célébration de la fête nationale française de venir servir aux Africains. Pourtant, à l’exception du Ghana, par les destinations qu’il a choisies, pour sa tournée africaine, le Premier ministre français a laissé entrevoir la contradiction entre ses discours et ses actes».
Du 14 au 17 juillet, le chef du gouvernement français s’est rendu, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Ghana.
La France enchaîne les maladresses
Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, un vent de démocratie venu de l’Europe de l’Est avait déferlé sur l’Afrique subsaharienne. Une occasion saisie par l’intelligentsia africaine, pour fustiger la Françafrique, cette relation complexe et ambiguë faite de raison d’Etat, de lobbies et de réseaux politico-affairistes entre la France et ses ex-colonies africaines. Et qui s’est souvent traduite par le soutien de Paris à des régimes peu recommandables et à la légitimité discutable.
Le reste des populations africaines a emboîté le pas à ses élites, au début des années 2000, lors des crises, au Togo et en Côte d’Ivoire. Mais jamais la mise en cause de Paris n’a été aussi forte et spectaculaire qu’aujourd’hui.
Le paradoxe, c’est que cette dégradation, sans précédent, se produit avec le Président Nicolas Sarkozy, qui avait promis d’en finir avec la Françafrique. De fait, il a esquissé une timide réforme des accords de défense et de coopération militaires, tant décriés, entre Paris et ses alliés africains, histoire de les rendre «plus transparents et plus modernes».
Le problème, c’est qu’il a commis quelques bévues, qui ont, totalement, annihilé ces petits pas, dans la bonne direction. La plus spectaculaire aura été le discours qu’il a prononcé, le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh Anta Diop, à Dakar (Sénégal), dans lequel, il a affirmé que «le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire».
«Une véritable catastrophe, qui prouve, d’ailleurs, une totale méconnaissance de l’Afrique de sa part. D’autant qu’il l’a prononcé, devant des historiens sénégalais, qui comptent parmi les meilleurs, en Afrique et dans le monde. L’intervention militaire de la France, en Libye, sans que la diplomatie française se soit concertée avec l’Union africaine, a été une maladresse de plus», indique Philippe Hugon.
Autre impair grossier, de la part du locataire de l’Elysée, la poignée de main entre Karim Wade, le fils du chef de l’Etat sénégalais et le Président américain, Barack Obama, lors du Sommet du G-8, le 27 mai dernier, à Deauville, dont il a été l’initiateur. En Afrique, en général, et au Sénégal, en particulier, elle a été perçue comme une preuve supplémentaire de la préparation d’une «succession dynastique», avec la complicité active de l’ancienne puissance colonisatrice.
"Les Africains entretiennent avec la France une relation d’amour-haine, empreinte d’une certaine schizophrénie", tempère Tumba Alfred Shango Lokoho.
"Dans le fond, ils ne la détestent pas vraiment. Avec elle, ils se comportent en amoureux très exigeants. Ils veulent qu’elle soit parfaite et ne lui pardonnent pas la moindre incartade. Quand elle prend ses distances, ils le lui reprochent. Et quand elle s’intéresse d’un peu trop près à leurs affaires, ils s’en émeuvent", analyse-t-il.
Une relation amour-haine
Depuis leur indépendance, en 1960, les liens entre Paris et ses anciennes colonies sont, en effet, très complexes. La France n’est jamais tout à fait partie du continent noir. L’idée du général de Gaulle était simple: donner l’indépendance aux Africains, puisqu’ils la réclamaient, tout en continuant à contrôler les matières premières dont regorge leur continent. Une politique, poursuivie, sans état d’âme, par ses différents successeurs.
«Pendant très longtemps, Paris s’est très fortement engagée, en Afrique, par le biais d’accords bilatéraux, dans toute une série d’opérations très importantes, y compris, militaires, pour défendre son pré carré.
Elle dépensait sans compter, dans la mesure où il s’agissait d’octroyer des aides à des entreprises françaises. D’autant qu’elle était sûre de bénéficier d’un retour sur investissement, à travers les bénéfices engrangés par ces dernières», a confié, en avril 2010, au magazine panafricain "Continental", Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur d’études, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de l’Afrique.
Lorsqu’il a été élu, pour la première fois, président de la République, le socialiste François Mitterrand avait promis de mettre fin à cet héritage encombrant de plus en plus dénoncé par nombre d’Africains. Une promesse qui n'a pas fait long feu. Pire, c’est même sous son mandat que la France a connu l’une des pages les plus noires de son histoire, en Afrique, lorsqu’elle a apporté, entre 1990 et 1994, au Rwanda, son soutien au régime hutu, qui allait planifier et mettre en œuvre le génocide.
«La France a commis et commet, encore, des erreurs, en Afrique. Mais attention à ne pas en faire le bouc émissaire de tous nos problèmes, nos insuffisances et nos malheurs», estime Tumba Alfred Shango Lokoho.