Déjà sous le feu des projecteurs et des critiques en France pour des publicités jugées dégradantes et sexistes, la célèbre marque Yves Saint Laurent va peut-être devoir remobiliser son arsenal défensif. On en veut pour preuve un autre scandale qui menace la marque française depuis début mars, période de la Fashion Week parisienne. Au cours de celle-ci, Saint Laurent a montré comme une de ses nouvelles créations un sac mesurant 10 centimètres sur soixante.
Après l’avoir découvert, il n’a pas fallu un jour à la créatrice sénégalaise Sarah Diouf pour s’exprimer sur ce qu’elle pense être un plagiat. Dès le lendemain sur le réseau social Twitter, elle a semble-t-il exprimé vouloir engager un avocat, déclarant: « tu sais que tu es une adulte quand ton premier réflexe est d’engager un avocat. »
Le même jour, Diouf s’est exprimée en anglais chez nos confrères d’Okayafrica. NOFI vous propose ici la traduction en français de ses propos:
"Le 28 février, YSL (Yves Saint Laurent, NDLR) a présenté sa collection automne-hiver à Paris avec un public se prosternant devant l’esthétique surluxueuse et extravagante d’Anthony Vaccarello.
Deux jours plus tard, je recevais un texto de la part de mon assistant, m’invitant à regarder les détails de certains de leurs looks. Je ne pouvais en croire mes yeux : « Mais c’est NOTRE sac… ». Oui, c’est clair, c’est « NOTRE sac ».
Une réplique parfaite du sac MBURU de Tongoro : notre accessoire caractéristique. Et il n’y a aucune chance qu’ils aient pu le voir ailleurs, parce qu’ « à quel autre endroit avez-vous déjà vu un sac de 10x60 cm en forme de baguette. » Exactement.
Je me rappelle avoir été voir mes amis, des éditeurs et autres personnes pour les convaincre qu’il s’agissait du prochain accessoire avec un grand A en me faisant rire au nez ou regarder avec des grands yeux. Encore une fois, « A quel autre endroit avez-vous déjà vu un sac de 10x60 cm en forme de baguette »?
On sait tous que les tendances viennent et s’en vont, mais quand elles ne sont jamais venues de nulle part que de vous, vous sentez volée à l’intérieur de vous. Et c’est un sentiment dont je n’avais fait l’expérience auparavant. Je pense à toutes les fois où j’ai lu comment la créatrice Aurora James s’était plainte que Zara ait volé ses designs Brother Vellies et que j’ai pensé ‘ouaouh’, en pensant que cela n’arrive qu’aux autres. Eh bien, aujourd’hui, c’est moi l’ ‘autre’.
Juste après avoir réfléchi, je savais que je ne pouvais pas laisser passer cela. Parce que le but de ce que je fais est son histoire va au delà d’une esthétique surluxueuse (lit. über-luxe) et je ne laisserai personne me voler la seule arme qui me permet d’avancer et de trouver une place et que des gens ne regardent que pour s’en inspirer : ma créativité.
Tongoro est une jeune marque ‘Made in Africa’ que j’ai lancée l’année dernière pour développer l’industrie textile chez moi à Dakar au Sénégal et le sac MBURU est notre produit signature car il représente une part essentielle de notre culture et incarne l’essence même de notre dignité : la capacité à se lever, à sortir et à se battre pour survivre.
Le travail des jeunes au Sénégal est un véritable problème ; les étrangers viennent ici et voient tous ces jeunes dans la rue essayant de vendre de tout et ce n’est pas qu’ils n’ont pas reçu d’éducation, mais plutôt qu’il n’y a pas assez d’emplois. Malgré cela, vous les verrez tous les matins en train de sourire, de courir et de se battre pour gagner de l’argent, en vendant des noix de cajou, des jouets, des fruits ou des cartes téléphoniques, parce que la débrouillardise, c’est de continuer à agir malgré les circonstances.
MBURU signifie [pain] en wolof. Le nom du sac est inspiré par l’esprit de débrouillardise de la jeunesse de #Dakar-qui se réveille chaque matin pour gagner son pain. Le sac MBURU sert à garder les effets personnels les plus essentiels ; téléphone, cartes et peut-être un peu de monnaie (…) tout ce que vous avez à faire est de sortir et de faire arriver les choses que vous voulez voir arriver-avec style.
Il est plus que nécessaire pour moi de revendiquer et de me récupérer chaque morceau de culture et d’histoire pour lesquels je me bats.
Mon entreprise est petite mais ma vision est grande et je travaille bien trop dur pour laisser passer cela.
Suis-je assez grande pour affronter une institution de la mode comme YSL? Peut-être pas, mais ma voix l’est, et je me dois d’utiliser ce à quoi j’ai accès pour faire un communiqué qui ne restera pas ignoré.
[Expression à la mode vide et insupportable au rédacteur] à son maximum? Pour ceux qui ne comprennent pas, c’est comme de travailler sur un devoir et de recevoir un 2/20 et de voir quelqu’un recevoir un 20/20 en plus de la paternité de votre travail.
Nofi