La légende raconte que Che Guevara avait pour livre de chevet les récits de guérilla d’Abdelkrim, la grande figure patriotique du Rif, cette région rebelle du nord marocain soumise jusqu’en 1956 au protectorat ibérique, avec qui elle partagea les heures sombres de la guerre civile espagnole.
Le colonialisme avait eu pour conséquence d’écarteler le Maroc et ce territoire montagneux gardera de cette période des liens puissants avec l’Espagne voisine, comme l’est par ailleurs le centre du pays avec la France.
Trafics, chômage et contestation sociale
Avec le Maroc indépendant et ses luttes politiques intestines, le Rif, pays berbère et autonomiste, n’a jamais digéré l’autorité du trône alaouite, fondée à bien des égards sur des liens de courtisanerie et de féodalité. Le roi Hassan II en fera payer le prix à ses habitants, délaissant pendant des décennies tout le nord du Maroc.
Conséquence paradoxale, le Rif, région limitrophe de l’Europe (ses côtes n’étant éloignées que de 14 km de Gibraltar), a été tout ce temps une des régions les plus pauvres du royaume. Enclavée, elle devait sombrer dans les trafics en tous genres, celui du cannabis en particulier, dont elle tirera une réputation bien sulfureuse.
En 1999, à peine monté sur le trône, Mohammed VI veut en finir avec cet isolement dommageable et source d’insécurité. Il y fera un voyage mémorable en guise de réconciliation. Pourtant, il n’ira pas jusqu’à autoriser le rapatriement des restes d’Abdelkrim, mort en exil au Caire.
En réalité, la doctrine royale s’appuie sur un volontarisme économique, sans repenti formel sur les exactions commises du temps de son père qui fera du Rif une région martyre, bombardée au napalm pour mater son irrédentisme.
Encore aujourd’hui, c’est au cœur de villes frappées par le chômage endémique dû à un exode rural massif doublé d’un islamisme rampant, comme Tétouan l’Andalouse et surtout Tanger, la cosmopolite, que la clameur de la contestation est la plus forte en écho aux révolutions arabes. C’est aussi ici que le chaudron identitaire a toujours été bouillonnant, la reconnaissance constitutionnelle de l’Amazighe comme langue nationale n’ayant pas vraiment contenté les Rifains, très attachés à la reconnaissance de leurs particularismes.
Un développement à pas forcés
Mais depuis une dizaine d’années, il faut le reconnaître, le Nord avec l’Oriental est l’objet de toutes les attentions royales. Féru de sports nautiques, Mohammed VI a fait de sa côte méditerranéenne et de ses stations balnéaires (Cabo Negro, Tamuda Bay, Ristinga, Kabila, Smir) le lieu de ses villégiatures.
Chaque année, il y prend ses quartiers d’été. Et pour en finir avec la suprématie de «l’arrogante Espagne» qui y détient depuis des siècles les présides de Ceuta et Melilla et un chapelet d’îlots (dont celui du Persil, qui fut le théâtre en 2002 d’un conflit de souveraineté opposant Rabat à Madrid), le roi a fait de cette région un gigantesque chantier tourné vers l’Europe.
Autoroutes, voies express, unités hôtelières et zones industrielles ont radicalement bouleversé le paysage rifain, en dépit parfois de la préservation de l’environnement, son bétonnage faisant craindre aux Rifains un sort comparable à celui de la Costa Del Sol espagnole, défigurée par le tourisme de masse.
Les projets phare de la région sont légion: le port de Tanger Med confié à Bouygues «qui cartonne», l’usine Renault (la plus grande hors de l’Hexagone) qui devrait entrer en service en 2012, la rénovation du centre urbain de Tanger déjà aux prises d’une spéculation immobilière effrénée ternissant son image nostalgique de cité indolente chère à Paul Bowles ou Matisse.
Un eldorado pour la France
Avec une ligne de TGV reliant le nouveau port de Tanger à Casablanca, le poumon économique du Maroc, l’Etat espère dynamiser davantage l’économie de la région. Un projet très coûteux (3 milliards de dollars pour 200 km de rails) qui ne fait pas l’unanimité des experts. Certains y voient un chantier de prestige pour le trône:
«Ce TGV est un scandale dans les conditions actuelles du Maroc», s'est indigné l'économiste Fouad Abdelmouni. Pour l'homme d'affaires casablancais Karim Tazi, connu pour son appui au Mouvement du 20 Février, le projet a été «approuvé et octroyé dans un manque de transparence total».
Projet structurant? Gaspillage inutile? Caprice royal? Les avis divergent, mais rappellent tout de même que le Maroc et ses chantiers représentent un véritable «petit eldorado» pour la France.
Ali Amar
Le colonialisme avait eu pour conséquence d’écarteler le Maroc et ce territoire montagneux gardera de cette période des liens puissants avec l’Espagne voisine, comme l’est par ailleurs le centre du pays avec la France.
Trafics, chômage et contestation sociale
Avec le Maroc indépendant et ses luttes politiques intestines, le Rif, pays berbère et autonomiste, n’a jamais digéré l’autorité du trône alaouite, fondée à bien des égards sur des liens de courtisanerie et de féodalité. Le roi Hassan II en fera payer le prix à ses habitants, délaissant pendant des décennies tout le nord du Maroc.
Conséquence paradoxale, le Rif, région limitrophe de l’Europe (ses côtes n’étant éloignées que de 14 km de Gibraltar), a été tout ce temps une des régions les plus pauvres du royaume. Enclavée, elle devait sombrer dans les trafics en tous genres, celui du cannabis en particulier, dont elle tirera une réputation bien sulfureuse.
En 1999, à peine monté sur le trône, Mohammed VI veut en finir avec cet isolement dommageable et source d’insécurité. Il y fera un voyage mémorable en guise de réconciliation. Pourtant, il n’ira pas jusqu’à autoriser le rapatriement des restes d’Abdelkrim, mort en exil au Caire.
En réalité, la doctrine royale s’appuie sur un volontarisme économique, sans repenti formel sur les exactions commises du temps de son père qui fera du Rif une région martyre, bombardée au napalm pour mater son irrédentisme.
Encore aujourd’hui, c’est au cœur de villes frappées par le chômage endémique dû à un exode rural massif doublé d’un islamisme rampant, comme Tétouan l’Andalouse et surtout Tanger, la cosmopolite, que la clameur de la contestation est la plus forte en écho aux révolutions arabes. C’est aussi ici que le chaudron identitaire a toujours été bouillonnant, la reconnaissance constitutionnelle de l’Amazighe comme langue nationale n’ayant pas vraiment contenté les Rifains, très attachés à la reconnaissance de leurs particularismes.
Un développement à pas forcés
Mais depuis une dizaine d’années, il faut le reconnaître, le Nord avec l’Oriental est l’objet de toutes les attentions royales. Féru de sports nautiques, Mohammed VI a fait de sa côte méditerranéenne et de ses stations balnéaires (Cabo Negro, Tamuda Bay, Ristinga, Kabila, Smir) le lieu de ses villégiatures.
Chaque année, il y prend ses quartiers d’été. Et pour en finir avec la suprématie de «l’arrogante Espagne» qui y détient depuis des siècles les présides de Ceuta et Melilla et un chapelet d’îlots (dont celui du Persil, qui fut le théâtre en 2002 d’un conflit de souveraineté opposant Rabat à Madrid), le roi a fait de cette région un gigantesque chantier tourné vers l’Europe.
Autoroutes, voies express, unités hôtelières et zones industrielles ont radicalement bouleversé le paysage rifain, en dépit parfois de la préservation de l’environnement, son bétonnage faisant craindre aux Rifains un sort comparable à celui de la Costa Del Sol espagnole, défigurée par le tourisme de masse.
Les projets phare de la région sont légion: le port de Tanger Med confié à Bouygues «qui cartonne», l’usine Renault (la plus grande hors de l’Hexagone) qui devrait entrer en service en 2012, la rénovation du centre urbain de Tanger déjà aux prises d’une spéculation immobilière effrénée ternissant son image nostalgique de cité indolente chère à Paul Bowles ou Matisse.
Un eldorado pour la France
Avec une ligne de TGV reliant le nouveau port de Tanger à Casablanca, le poumon économique du Maroc, l’Etat espère dynamiser davantage l’économie de la région. Un projet très coûteux (3 milliards de dollars pour 200 km de rails) qui ne fait pas l’unanimité des experts. Certains y voient un chantier de prestige pour le trône:
«Ce TGV est un scandale dans les conditions actuelles du Maroc», s'est indigné l'économiste Fouad Abdelmouni. Pour l'homme d'affaires casablancais Karim Tazi, connu pour son appui au Mouvement du 20 Février, le projet a été «approuvé et octroyé dans un manque de transparence total».
Projet structurant? Gaspillage inutile? Caprice royal? Les avis divergent, mais rappellent tout de même que le Maroc et ses chantiers représentent un véritable «petit eldorado» pour la France.
Ali Amar