La Compagnie du théâtre Daniel Sorano ne pouvant pas accueillir toute une jeunesse qui vibrait pour l’art, des troupes privées constituaient des débouchés pour les sortants de l’Ecole des Arts. Outre cette compagnie nationale, il existait dans la capitale d’autres à vocation privée comme « Le nouveau toucan », « Le negro théâtre », « Les tréteaux sénégalais » en plus de celles qui étaient dans les régions. Notre pays vivait donc une véritable effervescence culturelle avec des hommes et des femmes dont certains sont devenus de vraies élites grâce à leur culture générale et leur ouverture intellectuelle.
Plus tard, Sorano s’était ouvert à d’autres expressions culturelles avant qu’il ne soit entièrement envahi par des troubadours. On ouvrait ce temple de la culture à qui pouvait payer la location de la salle c’est-à-dire à n’importe qui. C’est ainsi que Sorano perdit son aura et son caractère élitiste. En même temps, faute d’entretien, on assista à une dégradation très avancée de ce bijou qu’était notre théâtre national si bien d’ailleurs que certains en appelèrent à sa privatisation pour sauver les meubles et lui rendre son éclat d’antan. D’importantes sommes d’argent y furent injectées par le président Abdou Diouf pour sa rénovation.
Après cette rénovation, Sorano fut géré avec beaucoup de rigueur pendant quelques mois seulement… avant de renouer avec ses vieilles habitudes. N’importe quel troubadour pouvait s’y prélasser pourvu qu’il ait de quoi payer la salle. On y donna plus de concerts de musique que de représentations théâtrales. Sorano était devenue une salle pour concerts et « xawaré » si bien que son nom renvoyait aux gaspillages auxquels s’y livraient les grandes « driankés » de Dakar. Et ce pendant qu’une bonne partie de la population mourrait de faim. On y rentrait avec quelques centaines de milliers de francs et en ressortait millionnaires en plus d’autres cadeaux. Senghor en aurait perdu de sa poésie.
Et vint Abdoulaye Wade avec ses sept merveilles dont l’une a vu le jour à travers le Grand théâtre qui se cherche encore un nom et une vision. Inauguré le 15 avril 2011, ce joyau, qui fêtera dans quelques semaines la première année de son ouverture au public, ressemble à une catin qui s’offre au plus offrant malgré sa beauté. Ce Grand théâtre n’a aucune âme, aucune personnalité et c’est comme si on ne sait encore quoi en faire. Le moins que l’on puisse dire, est que les musiciens et autres organisateurs de « jang » (soirées religieuses) veulent en faire leur propriété.
Le Grand théâtre est devenu par la force des choses une salle de spectacles. Il est ouvert en permanence et à n’importe qui, pourvu que l’argent rentre dans les caisses. Et pourtant Me Wade avait esquissé les raisons de son existence. L’ancien chef de l’Etat souhaitait en faire « un espace d’excellence sans être abusivement élitiste, mais aussi un espace ouvert aux jeunes, aux élèves, aux étudiants qui, en dehors de la légitime fierté de compter dans notre pays un théâtre parmi les plus prestigieux au monde, pourront faire l’apprentissage de ce qui se fait de mieux en matière de création théâtrale et de création tout court ».
Le troisième président de la République avait ajouté ceci : « Je voudrais que le Grand théâtre accueille les plus grandes pièces du répertoire sénégalais, africain et mondial ». Et le président Abdoulaye Wade d’ajouter, toujours à propos de la mission de cette « merveille » qu’est le Grand théâtre : « Qu’il permette l’éclosion de tous les talents, des plus grands dramaturges aux plus grands acteurs, qu’il soit le lieu de présentation des grandes pièces du répertoire présent et futur, chaque fois qu’ils nous seront accessibles. »
Un an après l’ouverture de ce joyau, c’est, malheureusement, à tout le contraire qu’on assiste aujourd’hui. Le théâtre construit par les Chinois est devenu un Sorano-bis en ce sens que des « xawarés » et des « jang » y sont organisés en même temps qu’une multitude de concerts musicaux. Pis, ce bijou est même menacé de dégradation rapide si son utilisation n’est pas réglementée. A propos de cette utilisation anarchique, voici ce qu’écrivait l’éminent intellectuel le Professeur Cherif Salif Sy dans ses échanges à travers le réseau social : « Il est prêté à tour de bras pour n’importe quelle manifestation alors que l’un des facteurs les plus importants de la dégradation des grands monuments, c’est la transpiration des visiteurs, qui est entièrement capturée par les matériaux solides, dont elle accélère le vieillissement. C’est le grand problème des Pyramides d’Égypte ! »
Un avertissement à prendre très au sérieux surtout vu le rythme de fréquentation du Grand théâtre. Un édifice qui, en moins de deux semaines, a accueilli la rencontre du chef de l’Etat libanais, Michel Sleiman, avec ses compatriotes résidant dans notre pays, le concert de Coumba Gawlo Seck, celui du duo Pape et Cheikh et hier, mardi 26 mars, l’humoriste français Jamel Debbouze. Ce 31 mars, ses planches seront occupées par les organisateurs de la nuit des musiques pastorales et lyriques. Il faut reconnaître que c’est trop ! Il faut sauver ce joyau théâtral. Et c’est au Premier protecteur des Arts qu’est le président de la République de mettre fin à cette utilisation abusive du Grand théâtre, surtout que des lutteurs s’y sont invités, il y a quelques semaines, pour leur face- à-face. En attendant d’y disputer carrément des combats. Belle insulte à la créativité !
Alassane Seck Guèye
« Le Témoin » N° 1119 –Hebdomadaire Sénégalais (Avril 2013)
Plus tard, Sorano s’était ouvert à d’autres expressions culturelles avant qu’il ne soit entièrement envahi par des troubadours. On ouvrait ce temple de la culture à qui pouvait payer la location de la salle c’est-à-dire à n’importe qui. C’est ainsi que Sorano perdit son aura et son caractère élitiste. En même temps, faute d’entretien, on assista à une dégradation très avancée de ce bijou qu’était notre théâtre national si bien d’ailleurs que certains en appelèrent à sa privatisation pour sauver les meubles et lui rendre son éclat d’antan. D’importantes sommes d’argent y furent injectées par le président Abdou Diouf pour sa rénovation.
Après cette rénovation, Sorano fut géré avec beaucoup de rigueur pendant quelques mois seulement… avant de renouer avec ses vieilles habitudes. N’importe quel troubadour pouvait s’y prélasser pourvu qu’il ait de quoi payer la salle. On y donna plus de concerts de musique que de représentations théâtrales. Sorano était devenue une salle pour concerts et « xawaré » si bien que son nom renvoyait aux gaspillages auxquels s’y livraient les grandes « driankés » de Dakar. Et ce pendant qu’une bonne partie de la population mourrait de faim. On y rentrait avec quelques centaines de milliers de francs et en ressortait millionnaires en plus d’autres cadeaux. Senghor en aurait perdu de sa poésie.
Et vint Abdoulaye Wade avec ses sept merveilles dont l’une a vu le jour à travers le Grand théâtre qui se cherche encore un nom et une vision. Inauguré le 15 avril 2011, ce joyau, qui fêtera dans quelques semaines la première année de son ouverture au public, ressemble à une catin qui s’offre au plus offrant malgré sa beauté. Ce Grand théâtre n’a aucune âme, aucune personnalité et c’est comme si on ne sait encore quoi en faire. Le moins que l’on puisse dire, est que les musiciens et autres organisateurs de « jang » (soirées religieuses) veulent en faire leur propriété.
Le Grand théâtre est devenu par la force des choses une salle de spectacles. Il est ouvert en permanence et à n’importe qui, pourvu que l’argent rentre dans les caisses. Et pourtant Me Wade avait esquissé les raisons de son existence. L’ancien chef de l’Etat souhaitait en faire « un espace d’excellence sans être abusivement élitiste, mais aussi un espace ouvert aux jeunes, aux élèves, aux étudiants qui, en dehors de la légitime fierté de compter dans notre pays un théâtre parmi les plus prestigieux au monde, pourront faire l’apprentissage de ce qui se fait de mieux en matière de création théâtrale et de création tout court ».
Le troisième président de la République avait ajouté ceci : « Je voudrais que le Grand théâtre accueille les plus grandes pièces du répertoire sénégalais, africain et mondial ». Et le président Abdoulaye Wade d’ajouter, toujours à propos de la mission de cette « merveille » qu’est le Grand théâtre : « Qu’il permette l’éclosion de tous les talents, des plus grands dramaturges aux plus grands acteurs, qu’il soit le lieu de présentation des grandes pièces du répertoire présent et futur, chaque fois qu’ils nous seront accessibles. »
Un an après l’ouverture de ce joyau, c’est, malheureusement, à tout le contraire qu’on assiste aujourd’hui. Le théâtre construit par les Chinois est devenu un Sorano-bis en ce sens que des « xawarés » et des « jang » y sont organisés en même temps qu’une multitude de concerts musicaux. Pis, ce bijou est même menacé de dégradation rapide si son utilisation n’est pas réglementée. A propos de cette utilisation anarchique, voici ce qu’écrivait l’éminent intellectuel le Professeur Cherif Salif Sy dans ses échanges à travers le réseau social : « Il est prêté à tour de bras pour n’importe quelle manifestation alors que l’un des facteurs les plus importants de la dégradation des grands monuments, c’est la transpiration des visiteurs, qui est entièrement capturée par les matériaux solides, dont elle accélère le vieillissement. C’est le grand problème des Pyramides d’Égypte ! »
Un avertissement à prendre très au sérieux surtout vu le rythme de fréquentation du Grand théâtre. Un édifice qui, en moins de deux semaines, a accueilli la rencontre du chef de l’Etat libanais, Michel Sleiman, avec ses compatriotes résidant dans notre pays, le concert de Coumba Gawlo Seck, celui du duo Pape et Cheikh et hier, mardi 26 mars, l’humoriste français Jamel Debbouze. Ce 31 mars, ses planches seront occupées par les organisateurs de la nuit des musiques pastorales et lyriques. Il faut reconnaître que c’est trop ! Il faut sauver ce joyau théâtral. Et c’est au Premier protecteur des Arts qu’est le président de la République de mettre fin à cette utilisation abusive du Grand théâtre, surtout que des lutteurs s’y sont invités, il y a quelques semaines, pour leur face- à-face. En attendant d’y disputer carrément des combats. Belle insulte à la créativité !
Alassane Seck Guèye
« Le Témoin » N° 1119 –Hebdomadaire Sénégalais (Avril 2013)