1978 : « LAYE NDIOMBOR »
C’est la première Présidentielle de Me Abdoulaye Wade. Il est, alors, âgé de 52 ans. Son adversaire, le Président Léopold Senghor en a 72. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) n’a que 4 ans. C’est donc une formation jeune qui affronte la vieille machine socialiste. Un parti dont les souteneurs sont encore hyper puissants. Il en est ainsi, par exemple, du grand Serigne de Dakar, Momar Marième Diop, chef de la collectivité léboue. Le patriarche de Yeumbeul, village traditionnel de la banlieue dakaroise où le notable résidait, a personnellement participé au meeting de clôture du Pds au stade Iba Mar Diop. Nombre de marabouts affichent leur préférence pour Senghor. Une formule, passée de mode, fait de la « candidature » de Wade une gageure. « Senghor, seeng ca kaw », traduit littéralement en français donne « Senghor, toujours au sommet » aimait-on dire. Le propos est attribué au khalife général des mourides d’alors, Falilou Mbacké. Malgré tout, le patron du Sopi, mouride bon teint, affronte le secrétaire général du Ps. Il tire profit du climat explosif parti de l’embastillement de Mamadou Dia et Cie, Mai 68 et de la tentative d’assassinat du Président Senghor à la grande mosquée de Dakar.
A l’arrivée, « Laye Ndiombor » comme aimait le tourner en dérision le chef de l’Etat arrache 17,38% des suffrages contre 82,02% pour le candidat du Ps. Son cheval de campagne électorale ? L’Oncad, un organisme d’appui-conseil des paysans, vache à lait de nombre de fonctionnaires. L’homme au crâne rasé fascine les Sénégalais. En dépit de la boutade de Senghor qui se plaisait à dire : « bopou bou attanoul karaw, attanoul rew », traduite en français cela donne : « une tête incapable de porter des cheveux ne peut supporter un Etat » Le « parti de contribution » frappe fort d’entrée de jeu. D’autant qu’aux Législatives, « Laye Ndiombor » ruine le monopole des verts à l’Assemblée nationale. Au total dix-huit députés font leur entrée au Parlement. Et ils sont, pour la plupart, reconnaissables à leur tenue traditionnelle, jusque-là, proscrite, semble-t-il des lieux. « Nous avons soulagé nombre de parlementaires qui étouffaient de chaleur dans leur costume », s’est plu à répéter Wade. Parce que selon lui, Senghor exigeait des parlementaires les trois pièces.
1983 : LE KILOGRAMME DE RIZ A 60 FCFA
C’est le scrutin qui inaugure la vraie carrière politique de Abdou Diouf. Héritier de Senghor grâce à l’article 35 de la Constitution d’alors, l’actuel secrétaire général de la Francophonie bénéficie d’une vague de sympathie dévastatrice. On loue sa politesse, d’autres s’épanchent sur sa rigueur ou sa patience. Même si Kéba Mbaye, alors président de la Cour Suprême, recevant son serment en janvier 1981 avait lancé : « les Sénégalais sont fatigués », Diouf a été quasiment plébiscité. Il fait mieux que son prédécesseur à la présidentielle de 83 avec 83,45%. Me Wade recule de trois points et se retrouve avec 14,79% des suffrages. Sa campagne électorale n’en était pas moins réussie. Car, Wade a plutôt joué sur les « défauts » de Habib Thiam, considéré, à tort ou à raison, comme l’auteur du poudrage des paysans, mauvais payeurs de dettes. Dans ses envolées, le patron du Pds a donné l’impression d’être un démiurge. Dans la foulée de ses promesses, il annonce le kilogramme de riz à 60 FCFA. Il est battu par Diouf, mais habitué à contester les résultats des élections, Wade crie à la fraude.
Quelques jours après, il « inspire » le cadre des « Onze », une coalition de 11 partis d’opposition, et menace avec fracas de mettre en place un « Gouvernement parallèle ». Finalement, Wade ramollit son discours après avoir été reçu au palais de la République. Contrairement au Pr Cheikh Anta Diop qui refuse, en signe de contestation, de siéger à l’Assemblée, le Pds met fin à sa bouderie. Spécialiste du clair-obscur, Wade maintient la pression sur Diouf. En 1985, lors d’une marche interdite pour la libération de Nelson Mandela à l’initiative de l’Alliance démocratique sénégalaise (Ads), Wade, Bathily, Decroix, le défunt Boubacar Sall, entre autres, sont arrêtés. C’est le premier séjour carcéral de l’actuel président de la République. En 1987, deux événements graves épaississent davantage le climat politique tendu. Les policiers en bagarre avec les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop, le 22 janvier, violent les franchises universitaires. Grenades lacrymogènes et matraques en main, ils investissent le pavillon A, défoncent des portes et y balancent des explosifs. Les étudiants radicalisent leur grève. Quelques semaines après, les policiers ouvrent les hostilités avec le pouvoir. L’Etat frappe fort et décrète la radiation des forces de police. Il n’en fallait pas plus pour le Sopi qui se déploie à merveille. Et fait roue libre jusqu’en 1988.
1988 : « QUE CEUX QUI NE TRAVAILLENT PAS LEVENT LA MAIN ! »
C’est l’année de toutes les folies. Me Wade fait sa troisième Présidentielle. Lui qui se plaint toujours d’être « volé » est décidé à ne pas se laisser faire cette fois-ci. Jean-Paul Diaz monte au créneau et menace : « Kou todjé élections… » ou « Gare à celui qui tripatouille le vote ! ». Le pays, notamment les jeunes, est chauffé à blanc. La tension est perceptible partout. Diouf essuie des jets de pierres à Thiès. Il lance : « La jeunesse est malsaine ». Wade fait, selon la presse, une campagne à l’américaine. Il draine des foules immenses. Partout où le leader du Pds est passé, il a demandé aux jeunes qui ne travaillent pas de lever la main. Le spectacle amuse les jeunes sopistes. Dans cette ambiance lourde d’incertitudes, Abdou Diouf « arrache » le Ndigël de Touba. Le défunt Khalife général des mourides, Abdou Lahat Mbacké lance à la radio : « Tout mouride qui ne vote pas pour Abdou Diouf a trahi Serigne Touba ». Serigne Cheikh Tidiane Sy prend, également, fait et cause pour Diouf. Les mouvements de soutien au secrétaire général du Ps intensifient leur campagne.
Le Pr Iba Der Thiam, limogé quelque temps après la grève des étudiants crée « Abdo gnou doy », « C’est Abdou qui nous inspire confiance ». Après le scrutin, la Cour Suprême présidée par Ousmane Camara n’avait pas encore proclamé les résultats que la violence s’enclenche dans le pays. Dakar accuse le coup. L’état d’urgence est décrété. Wade, Ousmane Ngom, Boubacar Sall sont arrêtés, puis les alliés Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho. Le pape du Sopi est jugé puis libéré avec 6 mois d’emprisonnement assorti du sursis. Le tribunal l’avait reconnu coupable d’avoir organisé des attroupements sans autorisation. Le jour de la Korité, Diouf prononce un discours de décrispation. L’état d’urgence est levé, une loi d’amnistie votée en faveur de Wade et Cie. Les deux hommes se rencontrent et tombent d’accord, selon Wade qui faisait face à la presse, sur l’organisation d’une table ronde. « Une nouvelle Constitution, une charte nationale organisant la Démocratie et ses conditions d’exercice (…). Un référendum suivi de nouvelles élections pourrait être proposé (…) », lance, euphorique, Me Wade.
Le 4 juillet 1988, s’ouvre la Table ronde après deux reports. Wade s’impatiente et fait (re)monter les enchères. La confrontation entre opposition et pouvoir reprend de plus belle. Les premières voitures piégées explosent en novembre et décembre. Ousmane Sène dit « Tenace » et Clédor Sène sont identifiés et arrêtés comme les vrais coupables. Pape Samba Mboup et Cheikh Tidiane Touré avaient, dans un premier temps, été arrêtés. A cette ambiance, il faut ajouter l’affaire des officiers supérieurs de l’Armée nationale. L’ancien chef d’Etat-major des Armées, le général Louis Tavares Da Souza, limogé puis nommé ambassadeur en Allemagne est rappelé et mis à la retraite d’office. On est en mars 1989.
Durant ce même mois, une autre tension Ps-Pds éclate. Diouf parti en voyage doit rentrer le mardi 14 mars 1989. Wade appelle le peuple « à l’accueillir ». Jean Collin, ministre d’Etat à la présidence met en selle Ahmeth Khalifa Niasse. Ils parviennent à « rouler Wade dans la farine » en lui faisant croire que le chef de l’Etat est partant pour un gouvernement d’union nationale de transition et la dissolution de l’Assemblée nationale. Diouf arrive et, du salon d’honneur, il lâche, accroché sur la question : « (…) Transition vers quoi ? ». N’empêche, en 1991, la trêve s’installe. Me Wade, Aminata Tall, Jean-Paul Dias, Ousmane Ngom, et Me Massokhna Kane entrent dans le « gouvernement de majorité élargie ». La victoire de Diouf est donc acceptée. Il est crédité de 73,20% des suffrages contre 25,80% pour Wade.
1993 : ME BABACAR SEYE EST ASSASSINE
Cette Présidentielle est le vrai premier chant du cygne du règne des socialistes. Abdou Diouf dégringole de près de 15 points. Alors que le leader du Sopi gagne près de 7 points. L’élection présidentielle a eu lieu le 21 février 1993. La commission nationale de recensement des votes dirigée par Mme Andrezia Vaz est paralysée par des querelles internes. Elle est incapable de donner les résultats provisoires. Le 2 mars, le défunt juge Kéba Mbaye, président du conseil constitutionnel démissionne. Dans la journée même, Diouf nomme Youssoupha Ndiaye, alors, jusque-là président de la Cour de cassation. Les violences postélectorales de 1988 hantent les esprits. Au terme de huit jours de travaux, le Conseil constitutionnel proclame Abdou Diouf vainqueur avec 58,40% contre 32,02% pour Wade. Le calme observé jusque-là vire à la violence. Le domicile de l’ancien député-maire de Saint-Louis, Abdoulaye Diaw Chimère est incendié. Celui de Lamine Diack prend le relais. Après la Présidentielle, arrivent les Législatives. L’opposition rêve de contraindre le pouvoir à la Cohabitation.
La campagne électorale est ouverte le 17 avril 1993. Le 29 avril, à Diourbel où il tient un meeting Wade récuse le conseil constitutionnel. Dans une déclaration reprise par Le Soleil du 30 avril 1993, il dit : « Le conseil constitutionnel n’est pas crédible et n’a pas à interpréter l’élection (…) Abdou Diouf étant candidat, n’avait pas à nommer le président du conseil qui se trouve être son homme. Son vice-président est un membre du Parti socialiste c’est connu de tous ». Dans la même foulée, le chef de file des Sopistes annonce que la décision de cette institution ne sera pas reconnue. « Nous siégerons et au besoin érigerons une Assemblée nationale parallèle », menace-t-il. Le scrutin se déroule le 9 mai.
Les résultats sont proclamés avec 84 députés pour le Ps et 27 députés pour le Pds. C’est la déception chez les libéraux. Nicolas Balique, correspondant de Rfi est sauvagement agressé devant le domicile de Me Wade. On lui reproche d’avoir diffusé une information malveillante. La tension est vive. Des voix s’élèvent notamment celle du Cardinal Hyacinthe Thiandoum. « La liberté d’informer juste et vrai, accordée au journaliste dans l’exercice de son métier, constitue le rempart ultime de la citadelle de toutes les libertés. Si on y porte atteinte, on s’achemine tout droit vers la dictature et au terrorisme (…) », prévient l’ecclésiastique. Le vendredi 15 mai 1993, le juge Babacar Sèye, vice-président du conseil constitutionnel est assassiné. La machine judiciaire s’enclenche. Me Ousmane ngom, Abdoulaye Faye, Jean-Paul Dias, Me Wade, Samuel Sarr, Mody Sy, entre autres, sont arrêtés. L’enquête privilégie, en effet, la piste politique. Ils seront finalement relâchés. Sauf, Assane Diop, Pape Ibrahima Diakhaté et Clédor Sène. Les deux premiers sont condamnés à dix-huit ans de prison, le troisième écope de vingt-deux ans de réclusion criminelle. Ils passeront neuf ans de leur vie en prison.
2000 : MARCHE BLEUE
C’est l’épilogue pour Wade. Après vingt-six ans d’opposition mouvementée, il accède au pouvoir. Ses alliés du Front pour l’alternance, en l’occurrence Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et Landing Savané en sont les artisans. Wade, fatigué et ruiné par une vingtaine d’années de politique n’y croit plus. En France où il se trouve, le patron du Pds fait enfler le suspense sur sa candidature en 2000. Dans cette ambiance, le Ps fait circuler la rumeur de l’incapacité de Wade à s’engager à la Présidentielle. On le dit malade. Bathily fait le voyage de l’Hexagone et supplie leur candidat à rentrer au pays. Il est âgé de 74 ans. Finalement Wade revient. Il est accueilli par une foule impressionnante. Il gagne, alors, le « vrai » 1er tour du scrutin. La campagne électorale s’ouvre. Faute de moyens, le Fal inaugure une nouvelle forme de conquête de l’électorat. A la place des meetings, l’opposition autour de Wade fait des marches dites « marche bleue ». Le mode opératoire est payant. Diouf est recalé au 1er tour. Il a 41,3% des suffrages, Wade obtient 31%, Moustapha Niasse engrange 16% des voix. Le 19 mars, après la tabaski, les électeurs retournent aux urnes. Et portent Wade au pinacle avec 58,1%. Deux facteurs s’avèrent décisifs dans cette victoire de l’opposition. L’âge de la majorité rabaissée à 18 ans et le code électoral consensuel et l’Onel dirigé par un certain…Général Lamine Cissé.
2007 : L’OPPOSITION BOYCOTTE
Un an après qu’il a accédé à la magistrature suprême en 2001, Wade se sépare de tous les ténors de l’opposition qui l’ont porté au pouvoir. Moustapha Niasse est le premier à passer à la trappe. Tour à tour Amath Dabsokho et Abdoulaye Bathily lui emboîtent le pas. La transhumance est érigée en système pour accueillir les « gros actionnaires » socialistes. Dans la même foulée, le président Wade, initiateur d’une nouvelle charte fondamentale, procède à des révisions constitutionnelles intempestives. Le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (Craes) est créé, le Sénat réhabilité, le nombre de députés porté à 150, le Conseil économique et social (Ces) renaît des cendres du Craes. Les remaniements ministériels sont intempestifs. Wade s’illustre dans une diplomatie jugée calamiteuse. Ses propos dans le conflit ivoirien en sont un exemple. Dans sa propre famille politique, c’est la déchirure avec en toile de fond une série de scandales du genre des chantiers de Thiès. C’est dans ce contexte que l’on s’achemine vers le scrutin de 2007. Tout le monde présage d’un deuxième tour inéluctable. A l’arrivée, le Sopi rafle la mise avec quelque 58% des suffrages. Idrissa Seck de Rewmi se classe en 2è position avec quelque 16%. L’opposition crie à la fraude. Wade s’en balance.
2012 : SI VIEILLESSE POUVAIT…
Dans moins de trois ans, la classe politique et les électeurs retourneront aux urnes. Le contexte est de loin défavorable à Me Wade. Les inondations, les délestages de la SENELEC, le conflit en Casamance, la diplomatie chaotique de Wade, l’affaire Segura, Contes et mécomptes de l’Anoci, la statue de la Renaissance, le mic mac dans les infrastructures, les Locales de mars 2009, sont autant de faits qui affaiblissent le Sopi. Mais il est clair que le meilleur allié de l’opposition est incontestablement l’âge du président. A 86 ans, Me Wade ne devrait pas être en mesure de sillonner le pays et de battre campagne. Si vieillesse pouvait…
Hamidou SAGNA la gazette
C’est la première Présidentielle de Me Abdoulaye Wade. Il est, alors, âgé de 52 ans. Son adversaire, le Président Léopold Senghor en a 72. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) n’a que 4 ans. C’est donc une formation jeune qui affronte la vieille machine socialiste. Un parti dont les souteneurs sont encore hyper puissants. Il en est ainsi, par exemple, du grand Serigne de Dakar, Momar Marième Diop, chef de la collectivité léboue. Le patriarche de Yeumbeul, village traditionnel de la banlieue dakaroise où le notable résidait, a personnellement participé au meeting de clôture du Pds au stade Iba Mar Diop. Nombre de marabouts affichent leur préférence pour Senghor. Une formule, passée de mode, fait de la « candidature » de Wade une gageure. « Senghor, seeng ca kaw », traduit littéralement en français donne « Senghor, toujours au sommet » aimait-on dire. Le propos est attribué au khalife général des mourides d’alors, Falilou Mbacké. Malgré tout, le patron du Sopi, mouride bon teint, affronte le secrétaire général du Ps. Il tire profit du climat explosif parti de l’embastillement de Mamadou Dia et Cie, Mai 68 et de la tentative d’assassinat du Président Senghor à la grande mosquée de Dakar.
A l’arrivée, « Laye Ndiombor » comme aimait le tourner en dérision le chef de l’Etat arrache 17,38% des suffrages contre 82,02% pour le candidat du Ps. Son cheval de campagne électorale ? L’Oncad, un organisme d’appui-conseil des paysans, vache à lait de nombre de fonctionnaires. L’homme au crâne rasé fascine les Sénégalais. En dépit de la boutade de Senghor qui se plaisait à dire : « bopou bou attanoul karaw, attanoul rew », traduite en français cela donne : « une tête incapable de porter des cheveux ne peut supporter un Etat » Le « parti de contribution » frappe fort d’entrée de jeu. D’autant qu’aux Législatives, « Laye Ndiombor » ruine le monopole des verts à l’Assemblée nationale. Au total dix-huit députés font leur entrée au Parlement. Et ils sont, pour la plupart, reconnaissables à leur tenue traditionnelle, jusque-là, proscrite, semble-t-il des lieux. « Nous avons soulagé nombre de parlementaires qui étouffaient de chaleur dans leur costume », s’est plu à répéter Wade. Parce que selon lui, Senghor exigeait des parlementaires les trois pièces.
1983 : LE KILOGRAMME DE RIZ A 60 FCFA
C’est le scrutin qui inaugure la vraie carrière politique de Abdou Diouf. Héritier de Senghor grâce à l’article 35 de la Constitution d’alors, l’actuel secrétaire général de la Francophonie bénéficie d’une vague de sympathie dévastatrice. On loue sa politesse, d’autres s’épanchent sur sa rigueur ou sa patience. Même si Kéba Mbaye, alors président de la Cour Suprême, recevant son serment en janvier 1981 avait lancé : « les Sénégalais sont fatigués », Diouf a été quasiment plébiscité. Il fait mieux que son prédécesseur à la présidentielle de 83 avec 83,45%. Me Wade recule de trois points et se retrouve avec 14,79% des suffrages. Sa campagne électorale n’en était pas moins réussie. Car, Wade a plutôt joué sur les « défauts » de Habib Thiam, considéré, à tort ou à raison, comme l’auteur du poudrage des paysans, mauvais payeurs de dettes. Dans ses envolées, le patron du Pds a donné l’impression d’être un démiurge. Dans la foulée de ses promesses, il annonce le kilogramme de riz à 60 FCFA. Il est battu par Diouf, mais habitué à contester les résultats des élections, Wade crie à la fraude.
Quelques jours après, il « inspire » le cadre des « Onze », une coalition de 11 partis d’opposition, et menace avec fracas de mettre en place un « Gouvernement parallèle ». Finalement, Wade ramollit son discours après avoir été reçu au palais de la République. Contrairement au Pr Cheikh Anta Diop qui refuse, en signe de contestation, de siéger à l’Assemblée, le Pds met fin à sa bouderie. Spécialiste du clair-obscur, Wade maintient la pression sur Diouf. En 1985, lors d’une marche interdite pour la libération de Nelson Mandela à l’initiative de l’Alliance démocratique sénégalaise (Ads), Wade, Bathily, Decroix, le défunt Boubacar Sall, entre autres, sont arrêtés. C’est le premier séjour carcéral de l’actuel président de la République. En 1987, deux événements graves épaississent davantage le climat politique tendu. Les policiers en bagarre avec les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop, le 22 janvier, violent les franchises universitaires. Grenades lacrymogènes et matraques en main, ils investissent le pavillon A, défoncent des portes et y balancent des explosifs. Les étudiants radicalisent leur grève. Quelques semaines après, les policiers ouvrent les hostilités avec le pouvoir. L’Etat frappe fort et décrète la radiation des forces de police. Il n’en fallait pas plus pour le Sopi qui se déploie à merveille. Et fait roue libre jusqu’en 1988.
1988 : « QUE CEUX QUI NE TRAVAILLENT PAS LEVENT LA MAIN ! »
C’est l’année de toutes les folies. Me Wade fait sa troisième Présidentielle. Lui qui se plaint toujours d’être « volé » est décidé à ne pas se laisser faire cette fois-ci. Jean-Paul Diaz monte au créneau et menace : « Kou todjé élections… » ou « Gare à celui qui tripatouille le vote ! ». Le pays, notamment les jeunes, est chauffé à blanc. La tension est perceptible partout. Diouf essuie des jets de pierres à Thiès. Il lance : « La jeunesse est malsaine ». Wade fait, selon la presse, une campagne à l’américaine. Il draine des foules immenses. Partout où le leader du Pds est passé, il a demandé aux jeunes qui ne travaillent pas de lever la main. Le spectacle amuse les jeunes sopistes. Dans cette ambiance lourde d’incertitudes, Abdou Diouf « arrache » le Ndigël de Touba. Le défunt Khalife général des mourides, Abdou Lahat Mbacké lance à la radio : « Tout mouride qui ne vote pas pour Abdou Diouf a trahi Serigne Touba ». Serigne Cheikh Tidiane Sy prend, également, fait et cause pour Diouf. Les mouvements de soutien au secrétaire général du Ps intensifient leur campagne.
Le Pr Iba Der Thiam, limogé quelque temps après la grève des étudiants crée « Abdo gnou doy », « C’est Abdou qui nous inspire confiance ». Après le scrutin, la Cour Suprême présidée par Ousmane Camara n’avait pas encore proclamé les résultats que la violence s’enclenche dans le pays. Dakar accuse le coup. L’état d’urgence est décrété. Wade, Ousmane Ngom, Boubacar Sall sont arrêtés, puis les alliés Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho. Le pape du Sopi est jugé puis libéré avec 6 mois d’emprisonnement assorti du sursis. Le tribunal l’avait reconnu coupable d’avoir organisé des attroupements sans autorisation. Le jour de la Korité, Diouf prononce un discours de décrispation. L’état d’urgence est levé, une loi d’amnistie votée en faveur de Wade et Cie. Les deux hommes se rencontrent et tombent d’accord, selon Wade qui faisait face à la presse, sur l’organisation d’une table ronde. « Une nouvelle Constitution, une charte nationale organisant la Démocratie et ses conditions d’exercice (…). Un référendum suivi de nouvelles élections pourrait être proposé (…) », lance, euphorique, Me Wade.
Le 4 juillet 1988, s’ouvre la Table ronde après deux reports. Wade s’impatiente et fait (re)monter les enchères. La confrontation entre opposition et pouvoir reprend de plus belle. Les premières voitures piégées explosent en novembre et décembre. Ousmane Sène dit « Tenace » et Clédor Sène sont identifiés et arrêtés comme les vrais coupables. Pape Samba Mboup et Cheikh Tidiane Touré avaient, dans un premier temps, été arrêtés. A cette ambiance, il faut ajouter l’affaire des officiers supérieurs de l’Armée nationale. L’ancien chef d’Etat-major des Armées, le général Louis Tavares Da Souza, limogé puis nommé ambassadeur en Allemagne est rappelé et mis à la retraite d’office. On est en mars 1989.
Durant ce même mois, une autre tension Ps-Pds éclate. Diouf parti en voyage doit rentrer le mardi 14 mars 1989. Wade appelle le peuple « à l’accueillir ». Jean Collin, ministre d’Etat à la présidence met en selle Ahmeth Khalifa Niasse. Ils parviennent à « rouler Wade dans la farine » en lui faisant croire que le chef de l’Etat est partant pour un gouvernement d’union nationale de transition et la dissolution de l’Assemblée nationale. Diouf arrive et, du salon d’honneur, il lâche, accroché sur la question : « (…) Transition vers quoi ? ». N’empêche, en 1991, la trêve s’installe. Me Wade, Aminata Tall, Jean-Paul Dias, Ousmane Ngom, et Me Massokhna Kane entrent dans le « gouvernement de majorité élargie ». La victoire de Diouf est donc acceptée. Il est crédité de 73,20% des suffrages contre 25,80% pour Wade.
1993 : ME BABACAR SEYE EST ASSASSINE
Cette Présidentielle est le vrai premier chant du cygne du règne des socialistes. Abdou Diouf dégringole de près de 15 points. Alors que le leader du Sopi gagne près de 7 points. L’élection présidentielle a eu lieu le 21 février 1993. La commission nationale de recensement des votes dirigée par Mme Andrezia Vaz est paralysée par des querelles internes. Elle est incapable de donner les résultats provisoires. Le 2 mars, le défunt juge Kéba Mbaye, président du conseil constitutionnel démissionne. Dans la journée même, Diouf nomme Youssoupha Ndiaye, alors, jusque-là président de la Cour de cassation. Les violences postélectorales de 1988 hantent les esprits. Au terme de huit jours de travaux, le Conseil constitutionnel proclame Abdou Diouf vainqueur avec 58,40% contre 32,02% pour Wade. Le calme observé jusque-là vire à la violence. Le domicile de l’ancien député-maire de Saint-Louis, Abdoulaye Diaw Chimère est incendié. Celui de Lamine Diack prend le relais. Après la Présidentielle, arrivent les Législatives. L’opposition rêve de contraindre le pouvoir à la Cohabitation.
La campagne électorale est ouverte le 17 avril 1993. Le 29 avril, à Diourbel où il tient un meeting Wade récuse le conseil constitutionnel. Dans une déclaration reprise par Le Soleil du 30 avril 1993, il dit : « Le conseil constitutionnel n’est pas crédible et n’a pas à interpréter l’élection (…) Abdou Diouf étant candidat, n’avait pas à nommer le président du conseil qui se trouve être son homme. Son vice-président est un membre du Parti socialiste c’est connu de tous ». Dans la même foulée, le chef de file des Sopistes annonce que la décision de cette institution ne sera pas reconnue. « Nous siégerons et au besoin érigerons une Assemblée nationale parallèle », menace-t-il. Le scrutin se déroule le 9 mai.
Les résultats sont proclamés avec 84 députés pour le Ps et 27 députés pour le Pds. C’est la déception chez les libéraux. Nicolas Balique, correspondant de Rfi est sauvagement agressé devant le domicile de Me Wade. On lui reproche d’avoir diffusé une information malveillante. La tension est vive. Des voix s’élèvent notamment celle du Cardinal Hyacinthe Thiandoum. « La liberté d’informer juste et vrai, accordée au journaliste dans l’exercice de son métier, constitue le rempart ultime de la citadelle de toutes les libertés. Si on y porte atteinte, on s’achemine tout droit vers la dictature et au terrorisme (…) », prévient l’ecclésiastique. Le vendredi 15 mai 1993, le juge Babacar Sèye, vice-président du conseil constitutionnel est assassiné. La machine judiciaire s’enclenche. Me Ousmane ngom, Abdoulaye Faye, Jean-Paul Dias, Me Wade, Samuel Sarr, Mody Sy, entre autres, sont arrêtés. L’enquête privilégie, en effet, la piste politique. Ils seront finalement relâchés. Sauf, Assane Diop, Pape Ibrahima Diakhaté et Clédor Sène. Les deux premiers sont condamnés à dix-huit ans de prison, le troisième écope de vingt-deux ans de réclusion criminelle. Ils passeront neuf ans de leur vie en prison.
2000 : MARCHE BLEUE
C’est l’épilogue pour Wade. Après vingt-six ans d’opposition mouvementée, il accède au pouvoir. Ses alliés du Front pour l’alternance, en l’occurrence Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et Landing Savané en sont les artisans. Wade, fatigué et ruiné par une vingtaine d’années de politique n’y croit plus. En France où il se trouve, le patron du Pds fait enfler le suspense sur sa candidature en 2000. Dans cette ambiance, le Ps fait circuler la rumeur de l’incapacité de Wade à s’engager à la Présidentielle. On le dit malade. Bathily fait le voyage de l’Hexagone et supplie leur candidat à rentrer au pays. Il est âgé de 74 ans. Finalement Wade revient. Il est accueilli par une foule impressionnante. Il gagne, alors, le « vrai » 1er tour du scrutin. La campagne électorale s’ouvre. Faute de moyens, le Fal inaugure une nouvelle forme de conquête de l’électorat. A la place des meetings, l’opposition autour de Wade fait des marches dites « marche bleue ». Le mode opératoire est payant. Diouf est recalé au 1er tour. Il a 41,3% des suffrages, Wade obtient 31%, Moustapha Niasse engrange 16% des voix. Le 19 mars, après la tabaski, les électeurs retournent aux urnes. Et portent Wade au pinacle avec 58,1%. Deux facteurs s’avèrent décisifs dans cette victoire de l’opposition. L’âge de la majorité rabaissée à 18 ans et le code électoral consensuel et l’Onel dirigé par un certain…Général Lamine Cissé.
2007 : L’OPPOSITION BOYCOTTE
Un an après qu’il a accédé à la magistrature suprême en 2001, Wade se sépare de tous les ténors de l’opposition qui l’ont porté au pouvoir. Moustapha Niasse est le premier à passer à la trappe. Tour à tour Amath Dabsokho et Abdoulaye Bathily lui emboîtent le pas. La transhumance est érigée en système pour accueillir les « gros actionnaires » socialistes. Dans la même foulée, le président Wade, initiateur d’une nouvelle charte fondamentale, procède à des révisions constitutionnelles intempestives. Le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (Craes) est créé, le Sénat réhabilité, le nombre de députés porté à 150, le Conseil économique et social (Ces) renaît des cendres du Craes. Les remaniements ministériels sont intempestifs. Wade s’illustre dans une diplomatie jugée calamiteuse. Ses propos dans le conflit ivoirien en sont un exemple. Dans sa propre famille politique, c’est la déchirure avec en toile de fond une série de scandales du genre des chantiers de Thiès. C’est dans ce contexte que l’on s’achemine vers le scrutin de 2007. Tout le monde présage d’un deuxième tour inéluctable. A l’arrivée, le Sopi rafle la mise avec quelque 58% des suffrages. Idrissa Seck de Rewmi se classe en 2è position avec quelque 16%. L’opposition crie à la fraude. Wade s’en balance.
2012 : SI VIEILLESSE POUVAIT…
Dans moins de trois ans, la classe politique et les électeurs retourneront aux urnes. Le contexte est de loin défavorable à Me Wade. Les inondations, les délestages de la SENELEC, le conflit en Casamance, la diplomatie chaotique de Wade, l’affaire Segura, Contes et mécomptes de l’Anoci, la statue de la Renaissance, le mic mac dans les infrastructures, les Locales de mars 2009, sont autant de faits qui affaiblissent le Sopi. Mais il est clair que le meilleur allié de l’opposition est incontestablement l’âge du président. A 86 ans, Me Wade ne devrait pas être en mesure de sillonner le pays et de battre campagne. Si vieillesse pouvait…
Hamidou SAGNA la gazette