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Les vraies raisons de l'écart des chiffres entre le Sénégal et le Fmi - Par Pierre Ndiaye

L’actualité économique récente au Sénégal a été marquée par la polémique sur la croissance économique. Cet entretien nous permettra de mieux comprendre des notions aussi variées que le PIB, la croissance économique, les prévisions ainsi que le statut des chiffres produits par les différents acteurs qui interviennent dans ce domaine.


Rédigé par leral.net le Vendredi 8 Janvier 2016 à 15:33 | | 0 commentaire(s)|

Pour comprendre, un détour chez un boulanger…
Pour faire du pain, un boulanger a notamment besoin de farine et d’électricité. Ce sont les consommations intermédiaires (CI), utilisées pour la production (P) du pain. La production du boulanger, c’est le pain. Pour déterminer la richesse créée, appelée valeur ajoutée (VA), il faut soustraire du prix du pain le montant des consommations intermédiaires, la farine et l’électricité. La valeur ajoutée se calcule en FCFA. Pour une baguette à 150 FCFA, la valeur ajoutée du boulanger est donc égale au prix de production (150 FCFA) moins les prix des consommations intermédiaires (45 FCFA de farine et 22 FCFA d’électricité dans notre exemple). Elle est ici de 83 FCFA.

Qu’est-ce que le PIB ?
Pour un pays, c’est le même principe
Pour tout producteur de biens ou de services (boulanger, paysan, chauffeur routier, coiffeur,…), on calcule sa valeur ajoutée de la même façon : Valeur ajoutée = Production - Consommation Intermédiaire.

Le produit intérieur brut d’un pays est égal à la somme des valeurs ajoutées des producteurs résidant sur son territoire. Le PIB, c’est la richesse créée par les activités de production.

Du PIB à la croissance
La croissance est l’évolution du PIB sans tenir compte de la variation des prix.
Si on a produit 100 l’année dernière et 110 cette année, ce peut-être parce qu’on a produit 10 % en plus ou parce que les prix ont augmenté de 10 %. En réalité, c’est en général un peu des deux ! Les quantités produites ont augmenté et les prix aussi.

La croissance (plus précisément la croissance en termes réels) correspond à la seule évolution des quantités produites. Elle est exprimée en pourcentage (%).

Comment mesure-t-on la croissance ?
On mesure la croissance par l’évolution du PIB déduction faite de l’évolution des prix. Parce qu’il est difficile de mesurer directement l’évolution des quantités produites, la croissance est calculée par différence entre l’évolution du PIB en valeur et l’évolution des prix (d’une année sur l’autre). C’est ce que les économistes appellent l’évolution du PIB en volume, exprimée en %. Par exemple, si la production a augmenté de 4 %, alors même que les prix ont augmenté de 3 %, la croissance a été de 1 % : 4 % de production moins 3 % de hausse des prix. Le PIB en volume est égal au PIB en valeur diminué de l’impact de l’évolution des prix sur la période considérée.

La mesure du PIB et de la croissance obéit à des règles internationales. La définition et les méthodes de calcul du PIB sont établies par l’Organisation des nations unies (ONU) : elles sont les mêmes pour tous les pays.

Il existe de nombreuses méthodes, plus ou moins rigoureuses et scientifiques, pour tenter de prédire la croissance, d’où les écarts fréquents entre les prévisions des différents organismes qui s’essayent à l’exercice.

D’abord qu’est-ce qu’une prévision économique ?
La prévision économique est l'estimation, généralement par des méthodes économétriques, des valeurs actuelles ou futures de grandeurs économiques. Elle est utilisée par exemple pour estimer l'évolution du PIB ou de l’inflation, et orienter les comportements d’investissements des entreprises ou la politique économique du gouvernement et la politique monétaire de la banque centrale.

La prévision économique est toujours incertaine. L'incertitude sur les décisions politiques, les chocs économiques (et les réactions en chaîne qui en découlent) et l'ampleur des cycles économiques rendent l'exercice de prévision périlleux.

Malgré les incertitudes, la prévision reste un exercice important. Plusieurs décisions de politique économique, notamment en matière de gestion des finances publiques (prévisions des recettes fiscales) ou de politique monétaire (prévision d’inflation et prévision de la croissance) reposent sur des projections de l’activité économique dans le futur.

Qui établit les prévisions économiques et comment ?
Au Sénégal, la direction de la prévision et des études économiques (DPEE) de la Direction générale de la Planification et des Politiques économiques (DGPPE) du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan réalise, pour le gouvernement, des prévisions macroéconomiques à court et moyen terme, sur lesquelles s’appuie une prévision des finances publiques.

Pour mener à bien cet exercice, la DPEE s’appuie sur un suivi de la conjoncture économique interne et externe et sur des modèles développés en interne ou avec l’appui des partenaires techniques et financiers. La DPEE est dotée de ressources humaines de qualité avec plus d’une vingtaine d’ingénieurs et d’économistes bien formés.

La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) réalise également des prévisions macroéconomiques pour les besoins de la mise en œuvre de la politique monétaire.

Les prévisions économiques sont établies par des équipes d'économistes et de statisticiens qui utilisent différentes méthodes et se basent sur divers indicateurs conjoncturels fiables et des modèles parfois sophistiqués. Les prévisions économiques sont établies avec un horizon allant de 3 mois (prévisions court terme) à deux ans (prévisions long terme). Elles sont régulièrement mises à jour pour tenir compte des grands événements économiques et politiques intervenus sur la période.

Les prévisions résultent d'une démarche qui peut se résumer en trois étapes. Une première étape consiste à observer et à comprendre la situation économique passée. Elle permet de formuler, en deuxième étape, des représentations plus ou moins simplifiées des relations qui lient les variables économiques entre elles. La prévision est enfin obtenue, en troisième étape, en utilisant ces représentations pour extrapoler les dernières évolutions constatées selon différents scénarios.

Pourquoi les chiffres publiés changent régulièrement ?
C’est la question du statut du chiffre publié.
Pour rappel, l'incertitude sur les décisions politiques, les chocs économiques (et les réactions en chaîne qui en découlent) et l'ampleur des cycles économiques rendent l'exercice de prévision périlleux.

Au Sénégal, la Direction générale de la Planification et des Politiques économiques, à travers la DPEE publie chaque mois un point de conjoncture qui donne une analyse sommaire de l’évolution de l’activité économique dans les différents secteurs de l’économie, à l’exception de l’agriculture dont les données ne sont disponibles que dans le courant du dernier trimestre de l’année. Une note de conjoncture plus fouillée est produite tous les trimestres.

A tout moment de l’année, l’évolution de l’activité sur les mois précédents peut être calculée mais les prévisions ne sont publiées que deux fois par an.
Chaque année, à la fin du mois de février, voire au mois de mars, la DPEE publie les premières estimations complètes de la croissance de l’année écoulée.

L’ANSD publie chaque trimestre un PIB trimestriel, et au cours du deuxième semestre de chaque année les estimations provisoires basées sur une exploitation plus large des états financiers des entreprises. Les données semi-définitives sont publiées par l’ANSD au cours de l’année n+2 et les données définitives au cours de l’année n+3.

Les deux structures (DPEE et ANSD) analysent régulièrement les écarts entre leurs chiffrent, ce qui permet d’améliorer l’exercice de prévision.
Je dois encore préciser que le Sénégal dispose de l’un des systèmes statistiques les plus solides et les plus crédibles de la région. C’est le résultat des efforts consentis par le gouvernement depuis 2003 en termes de renforcement des capacités et des moyens des structures opérant dans ce domaine. Il convient également de rappeler que les agents de la DPEE et de l’ANSD ont prêté serment.

Alors qu’est qui justifie l’écart souligné par certains entre vos chiffres et ceux du FMI par exemple ?
Ce n’est que la question du statut du chiffre.
A titre de rappel, lors des négociations avec le FMI sur le programme économique et financier 2015-2017, soutenu par l’ISPE en avril 2015, les cibles de taux de croissance étaient arrêtés comme suit : 5,1% pour le FMI et 5,4% pour le MEFP en 2015 ; 6,4% en 2016 et 7% en 2017.

En septembre-octobre 2015, au cours de la première revue du programme, il a été noté la consolidation de l’activité économique au cours du premier semestre 2015, avec une croissance du PIB de 4,6% au premier trimestre et de 5,2% au deuxième trimestre. Cette évolution favorable est imputable notamment à la bonne tenue des industries chimiques, de la fabrication de sucre, du raffinage, des cimenteries, de la construction et de l’énergie.

Par ailleurs, au cours des échanges, les Services du MEFP ont soutenu que la campagne agricole s’est très bien déroulée et que les résultats seraient nettement meilleurs aux prévisions. Toutefois, n’ayant pas d’informations statistiques sur les productions à cette période, le FMI et le MEFP ont adopté la démarche prudente en restant respectivement sur les taux initiaux de 5,1% et 5,4%, en attendant la publication des données de l’agriculture.

Au terme de la saison hivernale, les résultats provisoires produits en novembre 2015 par le Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural laissent apparaître une situation significativement plus favorable que prévue.

En appliquant la méthodologie des comptes nationaux, le secteur agricole ressort en hausse de 35,8% en 2015, contre une progression moyenne de 7,4% par an sur la période 2012-2014, marquée par un pic de 17,1% en 2012, après les mauvais résultats de 2011 (-27,8%).

La croissance du PIB de 6,4% pour l’année 2015, annoncée par le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan résulte de la mise à jour des données de l’agriculture et de la prise en compte des indicateurs conjoncturels à fin novembre 2015.

Après la publication des indicateurs conjoncturels de décembre 2015, les premières estimations complètes de la croissance de 2015 seront annoncées à la fin du mois de février ou au début du mois de mars 2016. Mais ce qui reste constant et encourageant à ce stade, c’est que la croissance du PIB sera certainement au-dessus de 6,4% en 2015.

Pour terminer, je voudrais préciser que ni le FMI, ni la Banque mondiale ou tout autre partenaire technique et financier ne produit des données concernant le cadre macroéconomique du Sénégal (croissance, inflation, balance des paiements ou situation monétaire). Toutes les données publiées par ces institutions proviennent du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan ou de la BCEAO. Les rares fois où il y a une différence en prévision, les écarts sont bien analysés et maîtrisés. Il arrive simplement que les utilisateurs travaillent sur des chiffres non mis à jour, ce qui renvoie à la question du statut des données.

J’en profite pour inviter les chercheurs et les autres utilisateurs à visiter régulièrement les sites www.dpee.sn et www.ansd.sn. Vous y trouverez des mines d’informations qui sont les mêmes que celles figurant sur les sites du FMI ou de la Banque Mondiale.

Pierre Ndiaye
Directeur de la Planification des politiques économiques